jeudi 21 août 2014

Romain Gary "Education Européenne" (1945)






« Les morts, les pauvres morts ont de grandes douleurs »

Les partisans morts

« doivent trouver les vivants bien ingrats,
A dormir, comme ils font, chaudement dans leurs draps,»
 (1)






Excellent roman de formation plus que roman moral, Éducation européenne (1945) de Romain Gary est la représentation idéalisée d’un écrivain qui venait de terminer son combat contre tout type de « nationalisme … la haine des autres »(2)


Vont-ils  se révolter  dans leurs tombes tous ces morts alors que après la construction de l’Europe des Pères il nous arrive de subir l’Europe des politiciens minables d’aujourd’hui qui guident nos  pays dans la tempête économique des voleurs de grand chemin : banquiers, arnaqueurs, populistes …




L’histoire  de Janek, maquisard de 14 ans polonais, amoureux de Chopin  et  épris de Zosia, ami de Dobranski, l’écrivain des  partisans « verts», nous amène bien loin des sentiments anti-européens des groupuscules nazis ou fascistes de notre époque, des zonards  imbéciles  de la régionalisation européenne …
Il faudrait leur offrir ces pages
« Que suis-je venu faire ici ? se demande toujours le soldat » allemand « Waniger » dans la neige de Stalingrad qui est en train de lui voler  « lentement son corps … seuls lui demeurent la vague conscience d’être en vie et des pensées floues…Et au printemps des bourgeons surgissent de partout et tout ce pays devient vert. …»(3) 


Il nous faut des contes comme celui-ci … au moins pour  une nouvelle «Éducation européenne », comme l’explique magnifiquement Dobranski
« Éducation européenne…  ce sont les bombes, les massacres, les otages fusillés, les hommes obligés de vivre dans des trous, comme des bêtes … Mais moi, je relève le défi. On peut me dire tant qu’on voudra que la liberté, l’honneur d’être un homme, tout ça, enfin, c’est seulement un conte de nourrice, un conte de fées pour lequel on se fait tuer. La vérité c’est qu’il y a des moments dans l’histoire, des moments comme celui que nous vivons, où tout ce qui empêche l’homme de désespérer, tout ce qui lui permet de croire et de continuer à vivre, a besoin d’une cachette, d’un refuge. Ce refuge, parfois, c’est seulement une chanson, un poème, un livre. Je voudrais que mon livre soit un de ces refuges, qu’en l’ouvrant, après la guerre, quand tout sera fini, les hommes retrouvent leur bien intact, qu’ils sachent qu’on a pu nous forcer à vivre comme des bêtes, mais qu’on n’a pas pu nous forcer à désespérer »(4)


Ce chant du monde,   partisan des idées de liberté et de fraternité des peuples est-il  révolu ou bien encore vivant ?
Essayons de semer des glands comme L’homme qui plantait des arbres de Jean Giono dans l’espoir  que nombre de nos lycéens  puissent grandir pour les récoltes des  siècles futurs, en tant que hommes libres et de bonne volonté.


«Il faudrait bien autre chose pour forcer les fourmis à se détourner de la route millénaire. Elles grimpent sur l’obstacle et trottent, indifférentes et pressées, sur les mots amers tracés sur le papier en grandes lettres noires : ÉDUCATION EUROPÉENNE. Elles traînent avec obstination les brindilles ridicules. Il faudrait bien autre chose qu’un livre pour les forcer à s’écarter de leur Voie, la Voie que des millions d’autres fourmis encore avaient tracée. Depuis combien de millénaires peinent-elles ainsi, et combien de millénaires lui faudra-t-il peiner encore, à cette race ridicule, tragique et inlassable ? Combien de nouvelles cathédrales vont-elles bâtir pour adorer le Dieu qui leur donna des reins aussi frêles et une charge aussi lourde ? À quoi sert-il de lutter et de prier, d’espérer et de croire ? Le monde où souffrent et meurent les hommes est le même que celui où souffrent et meurent les fourmis : un monde cruel et incompréhensible un monde cruel et incompréhensible où la seule chose qui compte est de porter toujours plus loin, à la sueur de son front et au prix de ses larmes de sang, toujours plus loin ! sans jamais s’arrêter pour souffler ou pour demander pourquoi ?... « Les hommes et les papillons… » (5)


« Rien d’important ne meurt …  seuls …  les hommes … et les papillons » (6)


1) Charles Baudelaire «La servante au grand cœur» Les Fleurs du mal (1857)
2)Éducation européenne, Éditions Gallimard (1956), Folio p. 246
3) Éducation européenne, Folio p. 204
4) Éducation européenne, Folio p. 76
5) Éducation européenne, Folio p. 282
6) Éducation européenne, Folio p. 281









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