Lire Deleuze est une découverte,
le relire, c'est retrouver
tout le sens de la Recherche de la Vérite chez Proust
« Ce qui force à
penser, c’est le signe. Le signe est l’objet d’une rencontre ; mais c’est
précisément la contingence de la rencontre qui garantit la nécessité de ce
qu’elle donne à penser. L’acte de penser ne découle pas d’une simple
possibilité naturelle. Il est, au contraire, la seule création véritable. La
création, c’est la genèse de l’acte de penser dans la pensée elle-même. Or
cette genèse implique quelque chose qui fait violence à la pensée, qui
l’arrache à sa stupeur naturelle, à ses possibilités seulement abstraites.
Penser, c’est toujours interpréter, c’est-à-dire expliquer, développer,
traduire un signe. Traduire, déchiffrer, développer sont la forme de la
création pure. Il n’y a pas plus de significations explicites que d’idées
claires. Il n’y a que des sens impliqués dans des signes ; et si la pensée a le
pouvoir d’expliquer le signe, de le développer dans une Idée, c’est parce que
l’Idée est déjà là dans le signe, à l’état enveloppé et enroulé, dans l’état
obscur de ce qui force à penser. Nous ne cherchons la vérité que dans le temps,
contraints et forcés. Le chercheur de vérité, c’est le jaloux qui surprend un
signe mensonger sur le visage de l’aimé. C’est l’homme sensible, en tant qu’il
rencontre la violence d’une impression. C’est le lecteur, c’est l’auditeur, en
tant que l’œuvre d’art émet des signes qui le forcera peut-être à créer, comme
l’appel du génie à d’autres génies. Les communications de l’amitié bavarde ne
sont rien, face aux interprétations silencieuses d’un amant. La philosophie,
avec toute sa méthode et sa bonne volonté, n’est rien face aux pressions secrètes
de l’œuvre d’art. Toujours la création, comme la genèse de l’acte de penser,
part des signes. L’œuvre d’art naît des signes autant qu’elle les fait naître ;
le créateur est comme le jaloux, divin interprète qui surveille les signes
auxquels la vérité se trahit. »
Gilles Deleuze, Proust
et les signes, PUF/Quadrige, 1964
(2003 3e édition), pp.118-119
Réécouter Deleuze et la littérature (1/4) :
Sous les signes de Proust