Le Père Noël est
toujours plein de cadeaux aussi savoureux que les fruits d'été.
Voici un roman que
j'ai découvert et dont je remercie ma collègue Angela. Tout à fait d'accord
avec elle on ne peut pas s'en passer pour un élève (ou mieux pour une élève) du
lycée classique !!!
C'est l'histoire
d'une enfant d'Orient rêvant de l'Europe, l'histoire d'une femme éprise de
littérature, Shakespeare, Stendhal, Conrad, Proust, Kavafis. C'est l' Odyssée d'une femme libre
et intelligente, amoureuse de son Egypte,
son paradis perdu.
Elle n’en a jamais oublié les couleurs, les parfums, la
beauté solaire que même le spectacle de la misère ne parvenait pas à ombrer. Et
elle les restitue avec une grâce juvénile.
« Le soulagement immense d'avoir un travail et, en plus, d'avoir conquis
celui que je voulais absolument s'accompagnait ce soir-là d'un sentiment
pénible. Depuis longtemps j'avais pris conscience que chaque pas en avant,
chaque étape réussie, resserrait l'éventail des possibles. Chaque fois que la
cible était touchée, je renonçais à des milliers d'autres choses et m'éloignais
de ce que j'avais cru être un destin. C'est, je sais, très bête de le dire
comme cela, mais j'avais commencé à sentir que, comme d'autres milliards de
petites billes colorées, j'entrai dans un entonnoir et que plus profondément je
m'y engagerais, sous les applaudissements d'un public imaginaire, plus je
tournerais le dos aux idées inexprimables et vaporeuses qui avaient marqué ma
jeunesse.
Longtemps je n'avais pas compris que le fait d'être une femme était comme
on dit un handicap ; je ne m'étais nullement attardée sur l'évidence qu'il
était difficile d'envisager un destin à la Lawrence d'Arabie en étant de sexe
féminin. Je n'avais d'ailleurs eu aucune alerte à ce sujet. Mes parents ayant
oublié de m'interdire quoi que ce soit, je n'avais jamais de ma vie entendu
dire que je ne pouvais pas entreprendre quelque chose parce que j'étais une
fille. L'enfance et l'adolescence dans une ville du Moyen-Orient assoupie dans
une torpeur trompeuse ne pouvaient pas m'ouvrir les yeux là-dessus : la
différence homme-femme était masquée par la vraie division qui était sociale ;
on naissait ou parmi les soi-disant Occidentaux nantis ou parmi le peuple qui
vivait à peu près comme dans la Bible. Quant à mes études chez les bonnes sœurs
dans des classes non mixtes, en me privant de la confrontation physique et
intellectuelle avec les garçons, elles m'avaient paradoxalement encouragée dans
ce qu'il faut bien appeler une extravagante méprise. »
Les lieux que nous avons connus n'appartiennent pas qu'au monde de l'espace où nous les situons pour plus de facilité. Ils n'étaient qu'une mince tranche au milieu d'impressions contiguës qui formaient notre vie d'alors ; le souvenir d'une certaine image n'est que le regret d'un certain instinct ; et les maisons, les routes, les avenues, sont fugitives, hélas ! comme les années.
Du côté de chez Swann - Marcel Proust