dimanche 6 novembre 2016

Xavier Forneret : Un pauvre honteux - Vapeurs, ni vers ni prose (1838)







Le Génie est comme le diamant :

 il brille dans l'ombre.




Alcazar (Séville) 


Xavier Forneret fu l'une des plus étranges figures du romantisme de l'ombre et de la marginalité. Dramaturge raté, poète déconcertant, il est l'auteur d'une série de petits ouvrages où les audaces formelles se conjuguent à l'humour noir pour évoquer la détresse des corps et des cerveaux 


Un pauvre honteux

Il l'a tirée
De sa poche percée,
Il l'a mise sous ses yeux ;
Il l'a bien regardée
En disant : "Malheureux !"

Il l'a soufflée
De sa bouche humectée ;
Il avait presque peur
D'une horrible pensée
Qui vient le prendre au coeur.

Il l'a mouillée
D'une larme gelée
Qui fondit au hasard ;
Sa chambre était trouée
Encor plus qu'un bazar.

Il l'a frottée,
Ne l'a pas réchauffée,
A peine il la sentait :
Car, par le froid pincée
Elle se retirait.

Il l'a pesée
Comme on pèse une idée,
En l'appuyant sur l'air.
Puis il l'a mesurée
Avec des fils de fer.

Il l'a touchée
De sa lèvre ridée,
D'un frénétique effroi
Elle s'est écriée :
Adieu, embrasse-moi !

Il l'a baisée.
Et après l'a croisée
Sur l'horloge du corps
Qui rendait, mal montée,
De mats et lourds accords.

Il l'a palpée
D'une main décidée
A la faire mourir.
- Oui, c'est une bouchée
Dont on peut se nourrir.

Il l'a pliée,
Il l'a cassée,
Il l'a placée,
Il l'a coupée,
Il l'a lavée,
Il l'a portée,
Il l'a grillée,
Il l'a mangée.

- Quand il n'était pas grand, on lui avait dit :
- Si tu as faim, mange une de tes mains.



Vapeurs ni vers ni prose, 1838.


"L'auteur de ce livre est quelquefois plus triste qu'une larme, jamais plus gai qu'un sourire; souvent plus en fièvre qu'une dent qui souffre, jamais plus calme qu'une feuille en équilibre sur une branche."






Marché de Tavira (Algarve)