"La vérité se tient tantôt ici, tantôt là , assise sur une pierre au bord du chemin, attendant que nous la rencontrions" (p.206)
Hans Thoma Un chant dans la nature
J'ai découvert Les Enfants Jéromine grâce à l'excellent article Et Dieu s'absenta de Philippe Claudel dans "Le Magazine littéraire" de juillet-août 2016 dans lequel l'écrivain montre comment Wiechert pose la grande question d'un Dieu mauvais ou d'un Dieu indifférent.
Comme souligne le traducteur Félix Bertaux dans l'introduction de la nouvelle édition, en Livre de Poche, Ernst Wiechert ne veut pas rivaliser avec Thomas Mann, il " n'entend représenter que "les petits gens" dont l'inspiration foncièrement religieuse ne s'accomode pas du pouvoir temporel. Tout en rendant à César ... ce qui est à César, ils cherchent à rendre à Dieu ce qui est à Dieu. Mais leur dieu même est un dieu en devenir avec lequel ils sont en lutte, un Jéhovah farouche qui, comme les hommes au pouvoir, sème le monde de ruines, et c'est aussi contre lui qu'ils protestent; c'est lui qu'il leur faut réinventer, reformer chaque jour selon la tradition de leurs églises."
Un souffle grandiose et bouleversant émane de ce chef-d'oeuvre, qui m'a rappelé "Le jeu des perles de verre" de Hermann Hesse, remarquables les pages dédiées à "l'enfant prodige" jouant du piano (p.25) capable de "remuer le monde", thème majeur le long de tout le roman avec le celui d'un humanisme camusien "Il croyait savoir qu'il était appelé à servir et non à dominer. Il portait un héritage de toutes les générations et la pluspart des traces se perdaient dans la nuit; mais c'est son père qui lui avait légué le grand, le plus grave héritage: l'amour des hommes"
Comment ne pas penser aux Misérables, à JeanValjean ?
Résumé
À Sowirog, un
village aux frontières orientales de l’Allemagne, entre lac, bois et
tourbières, la vie est simple et laborieuse, illuminée par la Bible. Mais, dans
ce xxe siècle naissant, c’est vers la guerre, l’esprit de vengeance et la folie
du nazisme que s’achemine le monde. Les sept enfants Jéromine auront à le
découvrir. L’un d’entre eux, Jons Ehrenreich (Honoré = riche en honneur), futur médecin, épris de savoir et
de justice, s’inclinera néanmoins devant la sagesse ancestrale, celle du
travail et de l’humilité, face au mystère du destin dans un monde hanté par la
mort.
Ernst Wiechert
Émigration intérieure
Émigration intérieure
Au rythme des
moissons et des chorals luthériens, des noces comme des enterrements, Wiechert
raconte les existences laborieuses mais dignes de ces charbonniers, forestiers
et pêcheurs. « Ils ne lisaient pas de journaux et ce qui se passait dans le
district ou dans le monde ne venait à leur connaissance que par la bouche de
l'instituteur, qui était leur Moïse dans le désert. Il s'en était bien trouvé
certains, parmi eux, que le vide de leur existence avait poussés au désespoir
et qui passaient leurs journées à boire, en cachette ou sans vergogne. D'autres
encore qui fermaient leurs cœurs remplis de haine et d'amertume, des
misanthropes qui se dressaient, durs et froids, comme d'impitoyables juges,
contre leurs enfants effarés, et qu'on ne revoyait plus lorsqu'à midi la cloche
de l'école avait sonné. Cependant la plupart d'entre eux étaient remplis de la
sagesse des pauvres et des solitaires, renfermés sans aigreur dans leur monde.
»
POSTFACE
La troisième partie de ce livre, c'est l'histoire qui l'a écrite en gros et terrifiant caractères, et il n'est permis à aucune fiction de projeter sur cette horreur le reflet lumineux de l'art transfigurateur.
Bornons-nous donc à laisser rentrer silencieusement ces êtres agissants et souffrants dans le coeur d'où ils sont un jour sortis. Le sable de Sowirog recouvrira leurs yeux éteints et nous ne savons encore quel avenir Dieu lui réserve en ses conseils, à ce sable de Sowirog.
Sans plus parler accordons-leur ceci : le repos à tous ceux qui dorment, la paix à tous ceux qui sont morts.
Ernst Wiechert
Holf Gagert, juillet 1946