Nous étions vingt ou trente Brigands dans une bande, Tous habillés de blanc A la mode des, vous m'entendez, Tous habillés de blanc A la mode des marchands.
La première volerie Que je fis dans ma vie, C'est d'avoir goupillé La bourse d'un, vous m'entendez, C'est d'avoir goupillé La bourse d'un curé.
J'entrai dedans sa chambre, Mon Dieu, qu'elle était grande, J'y trouvai mille écus, Je mis la main, vous m'entendez, J'y trouvai mille écus, Je mis la main dessus.
J'entrai dedans une autre Mon Dieu, qu'elle était haute, De robes et de manteaux J'en chargeai trois, vous m'entendez, De robes et de manteaux J'en chargeai trois chariots.
Je les portai pour vendre A la foire de Hollande J'les vendis bon marché Ils m'avaient rien, vous m'entendez, J'les vendis bon marché Ils m'avaient rien coûté.
Ces messieurs de Grenoble Avec leurs longues robes Et leurs bonnets carrés M'eurent bientôt, vous m'entendez, Et leurs bonnets carrés M'eurent bientôt jugé.
Ils m'ont jugé à pendre, Que c'est dur à entendre A pendre et étrangler Sur la place du, vous m'entendez, à pendre et étrangler Sur la place du marché.
Monté sur la potence Je regardai la France Je vis mes compagnons A l'ombre d'un, vous m'entendez, Je vis mes compagnons A l'ombre d'un buisson.
Compagnons de misère Allez dire à ma mère Qu'elle ne m'reverra plus J' suis un enfant, vous m'entendez, Qu'elle ne m'reverra plus J'suis un enfant perdu.
A Paris Quand un amour fleurit Ça fait pendant des semaines Deux cœurs qui se sourient Tout ça parce qu'ils s'aiment A Paris
Au printemps Sur les toits les girouettes Tournent et font les coquettes Avec le premier vent Qui passe indifférent Nonchalant
Car le vent Quand il vient à Paris N'a plus qu'un seul souci C'est d'aller musarder Dans tous les beaux quartiers De Paris
Le soleil Qui est son vieux copain Est aussi de la fête Et comme deux collégiens Ils s'en vont en goguette Dans Paris
Et la main dans la main Ils vont sans se frapper Regardant en chemin Si Paris a changé
Y a toujours Des taxis en maraude Qui vous chargent en fraude Avant le stationnement Où y a encore l'agent Des taxis
Au café On voit n'importe qui Qui boit n'importe quoi Qui parle avec ses mains Qu'est là depuis le matin Au café
Y a la Seine A n'importe quelle heure Elle a ses visiteurs Qui la regardent dans les yeux Ce sont ses amoureux A la Seine
Et y a ceux Ceux qui ont fait leur nid Près du lit de la Seine Et qui se lavent à midi Tous les jours de la semaine Dans la Seine
Et les autres Ceux qui en ont assez Parce qu'ils en ont vu de trop Et qui veulent oublier Alors y se jettent à l'eau Mais la Seine
Elle préfère Voir les jolis bateaux Se promener sur elle Et au fil de son eau Jouer aux caravelles Sur la Seine
Les ennuis Y'en a pas qu'à Paris Y'en a dans le monde entier Oui mais dans le monde entier Y a pas partout Paris V'là l'ennui
A Paris Au quatorze juillet A la lueur des lampions On danse sans arrêt Au son de l'accordéon Dans les rues
Depuis qu'à Paris On a pris la Bastille Dans tous les faubourgs Et à chaque carrefour Il y a des gars Et il y a des filles Qui sur les pavés Sans arrêt nuit et jour Font des tours et des tours A Paris
Rappelle-toi Barbara Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là Et tu marchais souriante É panouie ravie ruisselante Sous la pluie Rappelle-toi Barbara Il pleuvait sans cesse sur Brest Et je t'ai croisée rue de Siam Tu souriais Et moi je souriais de même Rappelle-toi Barbara Toi que je ne connaissais pas Toi qui ne me connaissais pas Rappelle-toi Rappelle-toi quand même ce jour-là N'oublie pas Un homme sous un porche s'abritait Et il a crié ton nom Barbara Et tu as couru vers lui sous la pluie Ruisselante ravie épanouie Et tu t'es jetée dans ses bras Rappelle-toi cela Barbara Et ne m'en veux pas si je te tutoie Je dis tu à tous ceux que j'aime Même si je ne les ai vus qu'une seule fois Je dis tu à tous ceux qui s'aiment Même si je ne les connais pas Rappelle-toi Barbara N'oublie pas Cette pluie sage et heureuse Sur ton visage heureux Sur cette ville heureuse Cette pluie sur la mer Sur l'arsenal Sur le bateau d'Ouessant Oh Barbara Quelle connerie la guerre Qu'es-tu devenue maintenant Sous cette pluie de fer De feu d'acier de sang Et celui qui te serrait dans ses bras Amoureusement Est-il mort disparu ou bien encore vivant Oh Barbara Il pleut sans cesse sur Brest Comme il pleuvait avant Mais ce n'est plus pareil et tout est abimé C'est une pluie de deuil terrible et désolée Ce n'est même plus l'orage De fer d'acier de sang Tout simplement des nuages Qui crèvent comme des chiens Des chiens qui disparaissent Au fil de l'eau sur Brest Et vont pourrir au loin Au loin très loin de Brest Dont il ne reste rien. Jacques Prévert, Paroles
I/ Une poésie de circonstances et un poème d’amour 1/ Une chanson populaire Il s’agit en réalité d’une rengaine écrite dans un style familier avec des répétitions et des reprises. Comme dans une chanson, on trouve un refrain et le poète s’adresse à une personne ; le thème général est celui d’une chanson. La nostalgie du bonheur passé est une résurgence des souvenirs (= retour brutal). 2/ Un cœur des rues Le paysage est familier et il évoque la rue de Siam (ancien pays d’Asie, actuelle Thaïlande), le bateau d’Ouessant (île au large de Brest avec un phare). Ces noms propres sont ancrés dans la vie quotidienne des Bretons. Barbara, avec son sourire et sa beauté, représente la femme en général et son apparition lumineuse, soulignée par les trois adjectifs du vers 4, repris enchiasmeau vers 27, contraste avec la banalité morose. Le personnage jaillit brutalement au vers 18 et les syllabes de son nom au vers 19 forment un cri. Cette rencontre amoureuse est très simple : c’est le croisement de deux sourires et l’échange de regards inconnus. La reprise des trois adjectifs du vers 21 a aussi pour fonction de traduire l’émotion du jeune amoureux. 3/ Un amour rayonnant Le poète est témoin de la scène et il prend parti pour les amoureux, comme le montre le tutoiement de proximité utilisé avec insistance depuis le début. Cette communion du poète avec les jeunes amants fait partie de la thématique prévertienne comme par exemple dans le poème « Les enfants qui s’aiment ». L’anaphore« Rappelle-toi Barbara » traduit cette complicité mais le rayonnement de l’amour est si puissant qu’il transfigure la nature elle-même à partir du vers 31 : l’image de la pluie n’est plus la banale représentation du climat océanique mais l’expression du bonheur amoureux qui inonde de sa force toute la nature. Ce bonheur tranquille s’impose avec le ralentissement du rythme aux vers 31, 32, 33, 34, 35 et 36 qui culmine avec « Ouessant » (vers 36). Pourtant, dès ce passage est introduite une note inquiétante au vers 35 : « l’Arsenal », « dépôt d’armes ». Peu à peu, le poème va se renverser. II/ Un cri de colère 1/ L’irruption du mal Le basculement se fait au vers 37 avec un cri de douleur beaucoup plus rauque que tendre. La guerre fait irruption dans le bonheur amoureux et le ton change. La familiarité du début s’efface. 2/ Le procès de la guerre Le poète s’indigne contre la guerre qui détruit l’amour et la condamnation anti-militariste s’exprime avec une violence inouïe (= jamais vue) dans la langue française puisque le poète n’hésite pas à employer un vocable argotique, par définition anti-poétique. Le langage courant est impuissant à traduire la révolte des cœurs purs. Le poète reprend ensuite ses esprits et fait passer son émotion par des moyens plus classiques telle que l’accélération du rythme aux vers 48 et 49. L’éloquence pathétique (pathos : l’émotion) se fonde de nouveau sur la métamorphose de l’image de la pluie qui reprend une apparence classique, celle du déluge destructeur. Le principal crime de la guerre aux yeux du poète est de séparer les amants. III/ Un message pessimiste 1/ Un spectacle désespéré Au-delà du drame amoureux, le spectacle des ruines de Brest, transformé en paysage de cauchemar, désespère le poète. En effet, la guerre cesse mais elle laisse des stigmates dans le cœur des hommes. Ce désespoir s’exprime par une métaphore et une comparaison. Lamétaphorese situe au vers 50 et n’est pas originale pour désigner la violence et le malheur (l’orage) car elle s’applique à la pluie. La comparaison est celle des nuages avec des chiens : on note le terme « crever » (= s’ouvrir en s’éclatant) qui n’est pas du tout de guerre : il s’applique d’ailleurs aux animaux. 2/ La mort est plus forte que l’amour Le désespoir est philosophique : le dernier mot du texte (« rien ») illustre le triomphe du néant et de la mort comme le verbe « pourrir » (vers 56). Le désespoir prend des actions tragiques : les pièges du destin cruel se sont refermés inexorablement (= sans possibilité de retour). Conclusion
Dans ce poème, l'amour a la capacité d'engendrer autour de lui un environnement positif. Le paysage devient le miroir du bonheur mais aussi du malheur. Ce poème a des apparences de la facilité d’une chanson populaire. En réalité, il dénote une sensibilité à vif, un jeu subtil sur le pathétique. Le poète atteint son objectif avec fort peu de moyens puisque le poète n’a recours qu’à une seule image : la pluie. C’est ainsi qu’il parvient à dénoncer avec force les horreurs de la guerre.
Oh ! je voudrais tant que tu te souviennes Des jours heureux où nous étions amis. En ce temps-là la vie était plus belle, Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui. Les feuilles mortes se ramassent à la pelle. Tu vois, je n'ai pas oublié... Les feuilles mortes se ramassent à la pelle, Les souvenirs et les regrets aussi Et le vent du nord les emporte Dans la nuit froide de l'oubli. Tu vois, je n'ai pas oublié La chanson que tu me chantais. {Refrain:} C'est une chanson qui nous ressemble. Toi, tu m'aimais et je t'aimais Et nous vivions tous deux ensemble, Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais. Mais la vie sépare ceux qui s'aiment, Tout doucement, sans faire de bruit Et la mer efface sur le sable Les pas des amants désunis.
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle, Les souvenirs et les regrets aussi Mais mon amour silencieux et fidèle Sourit toujours et remercie la vie. Je t'aimais tant, tu étais si jolie. Comment veux-tu que je t'oublie ? En ce temps-là, la vie était plus belle Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui. Tu étais ma plus douce amie Mais je n'ai que faire des regrets Et la chanson que tu chantais, Toujours, toujours je l'entendrai ! {Refrain}
Les enfants qui s'aiment
Les enfants qui s'aiment s'embrassent debout Contre les portes de la nuit Et les passants qui passent les désignent du doigt Mais les enfants qui s'aiment Ne sont là pour personne Et c'est seulement leur ombre Qui tremble dans la nuit Excitant la rage des passants Leur rage, leur mépris, leurs rires et leur envie Les enfants qui s'aiment ne sont là pour personne Ils sont ailleurs bien plus loin que la nuit Bien plus haut que le jour Dans l'éblouissante clarté de leur premier amour