(Vitry-le-François
1861 1861 - Bourbonne 1946)
La plage de Cabourg
Belfort, musée d'Art et d'Histoire
Ombre
Née de la fumée de vos
fumigations,
Le visage et la voix
Mangés
Par l’usage de la nuit
Céleste,
Avec sa vigueur,
douce, me trempe dans le jus noir
De votre chambre
Qui sent le bouchon
tiède et la cheminée morte.
Derrière l’écran des
cahiers,
Sous la lampe blonde
et poisseuse comme une confiture,
Votre visage gît sous
un traversin de craie.
Vous me tendez des
mains gantées de filoselle;
Silencieusement votre
barbe repousse
Au fond de vos joues.
Je dis :
- vous avez l’air
d’aller fort bien.
Vous répondez :
- Cher ami, j’ai
failli mourir trois fois dans la journée.
Vos fenêtres à tout
jamais fermées
Vous refusent au
boulevard Haussmann
Rempli à pleins bords,
Comme une auge
brillante,
Du fracas de tôle des
tramways.
Peut-être n’avez-vous
jamais vu le soleil ?
Mais vous l’avez
reconstitué, comme Lemoine, si véridique,
Que vos arbres
fruitiers dans la nuit
Ont donné les fleurs.
Votre nuit n’est pas
notre nuit :
C’est plein des lueurs
blanches
Des catleyas) et des
robes d’Odette,
Cristaux des flûtes, des
lustres
Et des jabots tuyautés
du général de Froberville.
Votre voix, blanche
aussi, trace une phrase si longue
Qu’on dirait qu’elle
plie, alors que comme un malade
Sommeillant qui se
plaint,
Vous dites : qu’on
vous a fait un énorme chagrin.
Proust, à quels raouts
allez-vous donc la nuit
Pour en revenir avec
des yeux si las et si lucides ?
Quelles frayeurs à
nous interdites avez-vous connues
Pour en revenir si
indulgent et si bon ?
Et sachant les travaux
des âmes
Et ce qui se passe
dans les maisons,
Et que l’amour fait si
mal ?
Étaient-ce de si
terribles veilles que vous y laissâtes
Cette rose fraicheur
Du portrait de
Jacques-Émile Blanche ?
Et que vous voici, ce
soir,
Pétri de la pâleur
docile des cires
Mais heureux que l’on
croie à votre agonie douce
De dandy gris perle et
noir ?
Ombre