Difficile de ne pas lire ce roman
après les critiques
d'Alice et Federico
L’ âme d’un pays dans un livre
Né d’un père aveugle et d’une mère
considérée une sorcière, dans le quartier juif du Caire, Zohar, protagoniste et
narrateur, nous enchante dès le début du roman avec son autobiographie :
une naissance surprenante, une enfance mouvementée, beaucoup d’amour et de
déplacements et l’ascension sociale marquent la vie du jeune égyptien, qui est
le thème principale du livre.
Cependant, comme le titre veut nous
communiquer, il y a un autre grand protagoniste qui surmonte peut-être Zohar
lui-même : l’Egypte. A côté de l’histoire personnelle du juif, le lecteur
suit tous les événements qui changent son pays natal et dont les étapes, donc,
sont synchronisées aux grands changements de la vie de Zohar : la
décadence du dernier roi Farouk, l’islamisation, la rentrée de la région dans
le monde moderne.
Cette trame permet à l’auteur de
construire la narration ouverte et complète qu’on a tendance à associer aux
longs contes orales arabes : Zohar dédie une espace considérable, par
exemple, à la vie de ses parents et on connaît l’histoire de Masreya, sa sœur
de lait dont le nom signifie volontairement « l’égyptienne », à
travers une longue digression. Malgré le grand nombre de pages qui en résulte,
la lecture est captivante, magnétique. Les ambiances créées, surtout celles de
la première partie du livre (la plus lente parce qu’elle a moins de dialogues),
sont magnifiques, imprégnées des mystères et des rites de l’ancienne culture égyptienne,
et vont bien nous passionner. Le style du roman est donc bien riche et évocateur,
mais il ne devient jamais ennuyeux.
Les personnages de l’œuvre sont très bien
caractérisés et mettent en scène plusieurs aspects, ou mieux plusieurs âmes, de l’Egypte : Masreya, l’amour
maudit et ancien de Zohar, est une danseuse fascinante et libre ; Farouk
est le souverain charmant mais faible ; Joe di Reggio, juif lui aussi, est
le symbole de la richesse, mais aussi de la dévotion ; Nino est le jeune juif
qui, par contre, embrasse l’Islam qui vient de le toucher.
Mais surtout, il y a Zohar, dont les
réflexions et la profondeur des sentiments arrivent à nous transmettre son
second amour impossible : celui pour l’Egypte, qui à la fin du roman nous
aura complètement charmés.
Federico Podano
Mystère et séduction dans l'Égypte de Tobie Nathan
Le Caire de
la première moitié du XXème siècle est un grand ensemble de contradictions : juifs et musulmans, influence
britannique et allemande, dévotion et
libertinage.
Et c'est
dans cette ambiance qui a lieu l'histoire de Zohar Zohar, juif, né d'un père aveugle
et d'une mère crue sorcière. Et pendant qu'il passe sa vie parmi ses amis, dans des nuits d’amour, des moyens
pour s'enrichir et escalader jusqu'au sommet le pouvoir, de grands événements historiques se déroulent autour de lui. Son histoire s’imbrique avec celle de l'Égypte, avec son changement et la perte de la liberté et de la tolérance qui la distinguait, faisant
vivre en accord des cultures et des religions
différentes.
Et alors que
faire? S’adapter aux nouveaux coutumes ou rester
toujours fidèle à soi-même? Rester ou s'en aller?
Ce pays qui
te ressemble de Tobie Nathan est bien plus qu'un conte de
la vie d'un garçon juif vivant au Caire. C'est l’histoire de l’Égypte et de
la perte de son identité. Et dans ce contexte s'insèrent les personnages du roman, qui représentent différents aspects de leur pays: il y a Masreya, la danseuse
belle et sensuelle, soeur de lait de Zohar et symbole de la séduction, du plaisir et de la liberté; il y a Joe Di Reggio, le juif riche et aristocrate, emblème à la fois du
luxe et de la dévotion à sa religion; il y a le roi Farouk, représentation de la dissolution; il y a Nino, garçon cultivé et aspirant médecin qui, juif, se convertit à l’Islam radical; et enfin il y a Zohar, qui semble indifférent à ce qui arrive autour de lui, mais qui cache , en réalité, sa préoccupation, sa mélancolie et sa
nostalgie pour son pays, qui ne sera plus ce qu'il était.
Mais c'est
aussi une histoire d’amour, d’un amour maudit et interdit de Zohar pour Masreya et pour son pays.
Malgré la longueur du roman (536 pages!), le rythme ne résulte ni trop lent ni trop accéléré, donnant au
livre un aspect cohérent et le style est fluide, rendant la
lecture agréable.
Les
dialogues entre les personnages sont vraisemblables et intéressants, dans un roman où la parole,
séduisante et persuasive, a une puissance
magnifique sur l’interlocuteur.
Plus qu'aux
aventures de Zohar, l’attention du lecteur est attirée par les réflexions
qu'on peut tirer sur un pays tout particulier : le lecteur réussit à se sentir
partie de cette Égypte colorée et parfumée, en découvrant les traditions et les moeurs des habitants du Caire.
On apprend
aussi comment les grands événements de la première moitié du siècle passé ont influencé ce pays,
qui n'a jamais été
protagoniste dans les dynamiques des Guerres Mondiales et qu'on a l’habitude d’oublier quand
on parle de cette période historique.
Pour
conclure, on peut dire que Tobie Nathan a fait un merveilleux travail avec sa
dernière oeuvre, grâce à laquelle le lecteur sera sans aucun
doute enrichi au niveau culturel, après avoir
respiré l’air doux,
chaud et séduisant de l’Égypte, pays charmant et riche en mystères, énigmatique et indéchiffrable.
Alice Prestint