Quelque temps après mon
retour à Mont-Louis, La Tour, le peintre, vint m'y voir, et m'apporta mon
portrait en pastel, qu'il avait exposé au Salon il y avait quelques années. Il
avait voulu me donner ce portrait, que je n'avais pas accepté. Mais Mme d'Epinay,
qui m'avait donné le sien et qui voulait avoir celui-là, m'avait engagé à le
lui redemander. Il avait pris du temps pour le retoucher. Dans cet intervalle
vint ma rupture avec Mme d'Epinay ; je lui rendis
son portrait, et n'étant plus question de lui donner le mien, je le mis dans ma
chambre au petit Château. M. de Luxembourg l'y vit, et le trouva
bien ; je le lui offris, il l'accepta ; je le lui envoyai. Ils
comprirent, lui et Mme la Maréchale, que je serais bien
aise d'avoir les leurs. Ils les firent faire en miniature, de très bonne main,
les firent enchâsser dans une boîte à bonbons, de cristal de roche, montée en
or, et m'en firent le cadeau d'une façon très galante, dont je fus enchanté. Mme de
Luxembourg ne voulut jamais consentir que son portrait occupât le dessus de la
boîte. Elle m'avait reproché plusieurs fois que j'aimais mieux M. de
Luxembourg qu'elle, et je ne m'en étais point défendu, parce que cela était
vrai. Elle me témoigna bien galamment, mais bien clairement, par cette façon de
placer son portrait, qu'elle n'oubliait pas cette préférence.
Peu de temps après mon
établissement à Motiers-Travers, ayant toutes les assurances possibles qu’on
m’y laisserait tranquille, je pris l’habit arménien. Ce n’était pas une idée
nouvelle. Elle m’était venue diverses fois dans le cours de ma vie, et elle me
revint souvent à Montmorency, où le fréquent usage des sondes, me condamnant à
rester souvent dans ma chambre, me fit mieux sentir tous les avantages de
l’habit long. La commodité d’un tailleur arménien, qui venait souvent voir un
parent qu’il avait à Montmorency, me tenta d’en profiter pour prendre ce nouvel
équipage, au risque du qu’en-dira-t-on, dont je me souciais très peu. Cependant,
avant d’adopter cette nouvelle parure, je voulus avoir l’avis de Mme de
Luxembourg, qui me conseilla fort de la – 609 – prendre. Je me fis donc une
petite garde-robe arménienne ; mais l’orage excité contre moi m’en fit remettre
l’usage à des temps plus tranquilles, et ce ne fut que quelques mois après que,
forcé par de nouvelles attaques de recourir aux sondes, je crus pouvoir, sans
aucun risque, prendre ce nouvel habillement à Motiers, surtout après avoir
consulté le pasteur du lieu, qui me dit que je pouvais le porter au temple même
sans scandale. Je pris donc la veste, le cafetan, le bonnet fourré, la
ceinture, et après avoir assisté dans cet équipage au service divin, je ne vis
point d’inconvénient à le porter chez Milord Maréchal. Son Excellence, me voyant
ainsi vêtu, me dit pour tout compliment, Salamaleki ; après quoi tout fut fini,
et je ne portai plus d’autre habit.