Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous deux adoraient la belle
Prisonnière des soldats
Lequel montait à l'échelle
5
Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Qu'importe comment s'appelle
Cette clarté sur leur pas
10
Que l'un fut de la chapelle
Et l'autre s'y dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles
15
Des lèvres du coeur des bras
Et tous les deux disaient qu'elle
Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
20
Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au coeur du commun combat
25
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Du haut de la citadelle
La sentinelle tira
Par deux fois et l'un chancelle
30
L'autre tombe qui mourra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Ils sont en prison Lequel
Lequel plus que l'autre gèle
Lequel préfère les rats
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Un rebelle est un rebelle
40
Deux sanglots font un seul glas
Et quand vient l'aube cruelle
Passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
45
Répétant le nom de celle
Qu'aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle
Même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel
50
Celui qui n'y croyait pas
Il coule il coule il se mêle
À la terre qu'il aima
Pour qu'à la saison nouvelle
Mûrisse un raisin muscat
55
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
L'un court et l'autre a des ailes
De Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle 60
Le grillon rechantera
Dites flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L'alouette et l'hirondelle
La rose et le réséda 65
Deux vers qui
reviennent sans cesse comme un refrain (« Celui qui croyait au ciel / Celui qui
n'y croyait pas »), une histoire de « belle / Prisonnière » qu'il faut libérer,
des mots qui sonnent comme des comptines, proverbes ou extraits de contes
populaires... ce poème paraît bien léger.
Pourtant il
célèbre le courage des hommes qui réussirent à dépasser leurs petites
convictions personnelles de religion et de politique afin d'oeuvrer ensemble pour
une noble cause : la libération de la France pendant l'Occupation durant la
seconde guerre mondiale. Communistes et catholiques se retrouvèrent en effet
pour combattre, pour souffrir et pour mourir ensemble dans l'espoir de jours
meilleurs. Louis Aragon leur rend ici un hommage dans ce poème écrit en 1943
alors que lui-même était communiste et clandestin.
Ainsi la « rose »,
c'est le rouge qui symbolise le communiste anticlérical, celui qui ne croit pas
au ciel, c'est-à-dire à Dieu. Le « réséda » est au contraire la couleur blanche
qui représente la noblesse.
Ce poème fut
publié une première fois en 1943 puis de nouveau en 1944, cette fois avec la
dédicace suivante : « A Gabriel Péri et d'Estienne d'Orves comme à Guy Môquet
et Gilbert Dru ». Quatre hommes. Deux communistes et deux catholiques. Tous des
résistants, tous morts fusillés par les Allemands.
Appel au
rassemblement pour la liberté, hommage aux résistants emprisonnés et tombés
pour la France, ce poème très célèbre est porteur aussi d'espoir : celui de
retrouver un jour la joie dans les foyers.
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