dimanche 12 mars 2017

FRANCETHÉÂTRE Calais Bastille Les chansons 1



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La trame 

En France, dans la “Jungle de Calais”, des migrants épuisés attendent un hypothétique passage vers l’Angleterre. Malgré les risques et les interdits, ils veulent quand même aller jusqu’au bout de leur illusion : toucher la fn de l’Europe, le culde-sac de l’Espoir. Comme pour mieux effacer la misère et la guerre par la distance. Même s’ils ont déjà compris qu’ici, personne ne les attend. Dans cette fuite en avant, la découverte d’un livre va tout bouleverser. Un manuel scolaire trouvé sous une tente qui abrite la petite école provisoire du camp de réfugiés. On y parle de Révolution et de Sans- Culottes. De Tiers-Etat et de la fn des privilèges. On y parle surtout de liberté. Alors par désœuvrement ou par inconscience, peut-être aussi par déf, ils décident de faire leur propre Révolution, celle des Migrants. Plus de deux siècles après leurs illustres prédécesseurs, ils suivent point par point les hauts faits de la Révolution française comme on suit un mode d’emploi, une recette de cuisine. Les situations cocasses s’enchaînent et les maladresses s’accumulent. Mais l’essentiel est là : ils reprennent espoir. Sur la Terre des Droits de l’Homme, dans la patrie de Rousseau et de Voltaire, cette poignée de migrants réussira-t-elle à réveiller un peuple jusqu’alors endormi mais toujours épris de justice et de liberté ? Calais-Bastille, la nouvelle révolution ! 



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L'affche du spectacle «Calais-Bastille» est à l'image de notre propos. C'est un choc entre deux époques, celle de la Révolution française représentée par le célèbre tableau ''La liberté guidant le peuple'' d'Eugène Delacroix et notre époque actuelle, symbolisée par la mise-en-scène de Playmobil. • Réalisée en 1830, le chef-d'oeuvre de Delacroix est considéré comme une représentation symbolique de la Révolution française de 1789. Pourtant, le peintre s'est inspiré de la Révolution dite "des Trois Glorieuses" en 1830, et dont il fut le témoin. Le rappel des trois couleurs du drapeau républicain indique l'adhésion aux idées libérales du Maître. Cette révolution, comme la précédente, avait pour but de faire disparaître les idées de l'Ancien Régime. Au centre, la fgurine symbolisant Marianne et la Liberté brandit le drapeau tricolore et laisse apercevoir comme dans l'oeuvre originale sa poitrine dénudée. Derrière elle, à gauche, les insurgés ont aussi le drapeau tricolore au bout d'une pique. Des personnages au premier plan arborent aussi les trois couleurs : celui du centre qui relève la tête a des habits bleu-blancrouge. Il en est de même pour le soldat mort à droite : il a une épaulette bleu et blanc 22 et porte un liseré rouge sur le col de son uniforme. Le cadavre à gauche est vêtu d'une chemise blanche maculée du rouge de son sang, mais il porte aussi une chaussette bleu, couleur des patriotes républicains depuis 1789. • L'utilisation des Playmobil renvoie quant à elle à l'enfance et au jeu. Créé en Allemagne dans les années 70, le slogan affché par la marque est : « Playmobil, en avant les histoires!». Ils sont une source d'inspiration pour les enfants qui les manipulent. Le but de ce jeu est d'inventer sa propre histoire et de mettre en scène ces fgurines en laissant libre cours à son imagination, libérant ainsi sa créativité. C'est aussi pour les psychologues le symbole de la standardisation d'une époque. Ces petits bonhommes, presque toujours masculins, affchent des codes basiques: visage rond, neutre, avec seulement deux yeux et une bouche en forme de sourire mais sans nez ni oreille. «Comme les Playmobil, tous les migrants se ressemblent à nos yeux» semble nous dire l'affche. Et si l'on mettait des Playmobil dans les mains des enfants réfugiés à Calais, quelles histoires inventeraient-ils? Des contes de fées à l'instar des petits enfants européens ? Ou des histoires de naufrage et de guerre? Quant au message de l'affche, il semble clair. Ces fgurines au visage immobile, privé d'émotion, pourrait un jour nous racontait une histoire dont la fn nous échapperait totalement. 





Mademoiselle K 
Ça me vexe

Personne t'aime
Ah ouais j'me disais bien
Personne t'aime
Ah ouais j'me disais bien
On m'appelle pas on m'invite pas
Dans les soirées watchi watcha
Je dois pas sentir comme il faudrait
L'argent et le succès
Refrain
Et ça me vexe (x3)
Ça me vexe
Ah ah ah ah (x4)
J'ai pris ma tenue de combat
Avec ça vous ne ferez pas le poids
J'ai payé quand-même un peu cher
Pour un truc qui laisse dans la galère
J'ai changé plein d'fois d'messagerie
Mais personne m'a encore dit oui
On t'appellera bla bla bla
Si ça nous plaît
Ouais ouais c'est ça
Je dois pas sentir comme il faudrait
L'argent et le succès
Refrain
J'veux qu'on me lèche sur la vitrine
J'veux qu'on me dise "t'es bonne Katerine !"
J'voudrais signer des autographes
Qu'on m'adore même quand j'fais des gaffes

J'ai changé…








L.E.J 
La dalle

J'ai la dalle ce soir
J'ai la dalle ce soir
Je boufferai n'importe quoi
Même du fond de tiroir
Je veux tout ce que t'as sur toi
Pas le temps de m'asseoir
Je m'arrangerai, servez-la moi sur le comptoir
Sans menu, ni couvert, ni
Fade ou épicé
J'en parlerai la bouche pleine
Lourd ou trop léger, je ne serai pas à la peine
Un regard, une main
Et chaque fois le même refrain
Ce souffle chaud ostinato sur les lèvres
Je la prendrai à point
A point
Je la prendrai à point
A point
Sur place
Ou bien à emporter
Je te ferais tourner
Du bout de mes doigts
Toutes ces naïvetés sans vouloir t'offenser
Tu ne resteras que mon encas
J'ai la dalle ce soir
Si tu sers mes envies
T'auras un pourboire
Je suis sûre de moi
Tu veux des
Pas le temps de m'asseoir

Besoin de…





Kendji Girac 
Les yeux de la mama

Quand j’ai froid elle se fait lumière
Comme un soleil dans l’existence
Quand j’ai mal elle se fait prière
Elle me dit tout dans un silence
Quand je souffre, elle souffre avec moi
Quand je ris, elle rit aux éclats
Mes chansons sont souvent pour elle
Elle sera toujours ma merveille
Quand je n’suis pas à la hauteur
Elle m’élève plus haut que le ciel
Elle est la splendeur des splendeurs
Elle est la sève, elle est le miel
C’est son sang qui coule dans mes veines
Et des souvenirs par centaines
Bercent mon cœur de mille étoiles
Elle est ma quête, elle est mon Graal
Oh mon Dieu, laissez-les moi
Les beaux yeux de la Mama
Enlevez-moi même tout le reste
Mais pas la douceur de ses gestes
Elle m’a porté avant le monde
Elle me porte encore chaque seconde
Elle m’emportera…



Christophe Maé 
Il est où le bonheur

Il est où le bonheur, il est où ?
Il est où ?
Il est où le bonheur, il est où ?
Il est où ?

J'ai fait l'amour, j'ai fait la manche
J'attendais d'être heureux
J'ai fait des chansons, j'ai fait des enfants
J'ai fait au mieux
J'ai fait la gueule, j'ai fait semblant
On fait comme on peut
J'ai fait le con, c'est vrai ; j'ai fait la fête, ouais !
Je croyais être heureux

Mais, y a tous ces soirs sans potes
Quand personne sonne et ne vient
Ces dimanches soir, dans la flotte
Comme un con dans son bain
Essayant de le noyer, mais il flotte
Ce putain de chagrin
Alors, je me chante mes plus belles notes
Et ça ira mieux demain

Il est où le bonheur, il est où ?
Il est où ?
Il est où le bonheur, il est où ?
Il est où ?

Il est là le bonheur, il est là !
Il est là !
Il est là le bonheur, il est là !
Il est là !

J'ai fait la cour, j'ai fait mon cirque
J'attendais d'être heureux
J'ai fait le clown, c'est vrai et j'ai rien fait
Mais ça ne va pas mieux
J'ai fait du bien, j'ai fait des fautes
On fait comme on peut
J'ai fait des folies, j'ai pris des fous rires, ouais
Je croyais être heureux

Mais, y a tous ces soirs de Noël, où l'on sourit poliment
Pour protéger de la vie cruelle

Tous ces rires d'enfants
Et ces chaises vides qui nous rappellent
Ce que la vie nous prend
Alors, je me chante mes notes les plus belles
C'était mieux avant

Il est où le bonheur, il est où ?
Il est où ?
Il est où le bonheur, il est où ?
Il est où ?
Il est là le bonheur, il est là !
Il est là !
Il est là le bonheur, il est là !
Il est là !

C'est une bougie, le bonheur
Ris pas trop fort d'ailleurs
Tu risques de l'éteindre
On l'veut le bonheur, on l'veut, ouais !
Tout le monde veut l'atteindre
Mais il fait pas de bruit, le bonheur, non, il fait pas de bruit
Non, il n'en fait pas
C'est con le bonheur, ouais, car c'est souvent après qu'on sait qu'il était là

Il est où le bonheur, il est où ?
Il est où ?
Il est où le bonheur, il est où ?
Il est où ?

Il est là le bonheur, il est là !
Il est là !
Il est là le bonheur, il est là !
Il est là !

Mais, il est où le bonheur ?
Il est où le bonheur ?
Il est où ?
Il est où ?

Mais, il est où le bonheur ?
Mais il est là !
Le bonheur, il est là, il est là
Et il est là !
Le bonheur, il est là, il est là



jeudi 9 mars 2017

Guy de Maupassant "La question du latin"





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Cette question du latin, dont on nous abrutit depuis quelque temps, me rappelle une histoire, une histoire de ma jeunesse.
    Je finissais mes études chez un marchand de soupe, d'une Brande ville du Centre, à l'institution Robineau, célèbre dans toute la province par la force des études latines qu'on y faisait.
    Depuis dix ans, l'institution Robineau battait, à tous les concours, le lycée impérial de la ville et tous les collèges des sous-préfectures, et ses succès constants étaient dus, disait-on, à un pion, un simple pion, M. Piquedent, ou plutôt le père Piquedent.
    C'était un de ces demi-vieux tout gris, dont il est impossible de connaître l'âge et dont on devine l'histoire à première vue. Entré comme pion à vingt ans dans une institution quelconque, afin de pouvoir pousser ses études jusqu'à la licence ès lettres d'abord, et jusqu'au doctorat ensuite, il s'était trouvé engrené de telle sorte dans cette vie sinistre qu'il était resté pion toute sa vie. Mais son amour pour le latin ne l'avait pas quitté et le harcelait à la façon d'une passion malsaine. Il continuait à lire les poètes, les prosateurs, les historiens, à les interpréter, à les pénétrer, à les commenter, avec une persévérance qui touchait à la manie.
    Un jour, l'idée lui vint de forcer tous les élèves de son étude à ne lui répondre qu'en latin ; et il persista dans cette résolution, jusqu'au moment où ils furent capables de soutenir avec lui une conversation entière comme ils l'eussent fait dans leur langue maternelle.
    Il les écoutait ainsi qu'un chef d'orchestre écoute répéter ses musiciens, et à tout moment frappant son pupitre de sa règle :
    "Monsieur Lefrère, monsieur Lefrère, vous faites un solécisme ! Vous ne vous rappelez donc pas la règle ?..."
    "Monsieur Plantel, votre tournure de phrase est toute française et nullement latine. Il faut comprendre le génie d'une langue. Tenez, écoutez-moi..."
    Or il arriva que les élèves de l'institution Robineau emportèrent, en fin d'année, tous les prix de thème, version et discours latins.
    L'an suivant, le patron, un petit homme rusé comme un singe dont il avait d'ailleurs le physique grimaçant et grotesque, fit imprimer sur ses programmes, sur ses réclames et peindre sur la porte de son institution :
    "Spécialités d'études latines. - Cinq premiers prix remportés dans les cinq classes du lycée.
    "Deux prix d'honneur au Concours général avec tous les lycées et collèges de France."
    Pendant dix ans l'institution Robineau triompha de la même façon. Or, mon père, alléché par ces succès, me mit comme externe chez ce Robineau que nous appelions Robinetto ou Robinettino, et me fit prendre des répétitions spéciales avec le père Piquedent, moyennant cinq francs l'heure, sur lesquels le pion touchait deux francs et le patron trois francs. J'avais alors dix-huit ans, et j'étais en philosophie.
    Ces répétitions avaient lieu dans une petite chambre qui donnait sur la rue. Il advint que le père Piquedent, au lieu de me parler latin, comme il faisait à l'étude, me raconta ses chagrins en français. Sans parents, sans amis, le pauvre bonhomme me prit en affection et versa dans mon coeur sa misère.
    Jamais depuis dix ou quinze ans il n'avait causé seul à seul avec quelqu'un.
    "Je suis comme un chêne dans un désert, disait-il. Sicut quercus in solitudine."
    Les autres pions le dégoûtaient ; il ne connaissait personne en ville puisqu'il n'avait aucune liberté pour se faire des relations.
    "Pas même les nuits, mon ami, et c'est le plus dur pour moi. Tout mon rêve serait d'avoir une chambre avec mes meubles, mes livres, de petites choses qui m'appartiendraient et auxquelles les autres ne pourraient pas toucher. Et je n'ai rien à moi, rien que ma culotte et ma redingote, rien, pas même mon matelas a mon oreiller ! Je n'ai pas quatre murs ou mtenfermer, excepté quand je viens pour donner une leçon dans cette chambre. Comprenez-vous ça, vous, un homme qui passe toute sa vie sans avoir jamais le droit, sans trouver jamais le temps de s'enfermer tout seul, n'importe où, pour penser, pour réfléchir, pour travailler pour rêver ? Ah ! mon cher, une clef, la clef d'une porte qu'on peut fermer, voilà le bonheur, le voilà, le seul bonheur !
    "Ici, pendant le jour, l'étude avec tous ces galopins qui remuent, et pendant la nuit le dortoir avec ces mêmes galopins, qui ronflent. Et je dors dans un lit public au bout des deux files de ces lits de polissons que je dois surveiller. Je ne peux jamais être seul, jamais ! Si je sors je trouve la rue pleine de monde, et quand je suis fatigué de marcher, j'entre dans un café plein de fumeurs et de joueurs de billard. Je vous dis que c'est un bagne."
    Je lui demandais :
    "Pourquoi n'avez-vous pas fait autre chose, monsieur Piquedent ?"
    Il s'écriait :
    "Eh quoi, mon petit ami, quoi ? Je ne suis ni bottier, ni menuisier, ni chapelier, ni boulanger, ni coiffeur. Je ne sais que le latin, moi, et je n'ai pas de diplôme qui me permette de le vendre cher. Si j'étais docteur, je vendrais cent francs ce que je vends cent sous ; et je le fournirais sans doute de moins bonne qualité, car mon titre suffirait à soutenir ma réputation."
    Parfois il me disait :
    "Je n'ai de repos dans la vie que les heures passées avec vous. Ne craignez rien, vous n'y perdrez pas. A l'étude, je me rattraperai en vous faisant parler deux fois plus que les autres."
    Un jour je m'enhardis, et je lui offris une cigarette. Il me contempla d'abord avec stupeur, puis il regarda la porte :
    "Si on entrait, mon cher !
    - Eh bien, fumons à la fenêtre", lui dis-je.
    Et nous allâmes nous accouder à la fenêtre sur la rue en cachant au fond de nos mains arrondies en coquille les minces rouleaux de tabac.
    En face de nous était une boutique de repasseuses : quatre femmes en caraco blanc promenaient sur le linge, étalé devant elles, le fer lourd et chaud qui dégageait une buée.
    Tout à coup une autre, une cinquième, portant au bras un large panier qui lui faisait plier la taille, sortit pour aller rendre aux clients leurs chemises, leurs mouchoirs et leurs draps. Elle s'arrêta sur la porte comme si elle eût été fatiguée déjà ; puis elle leva les yeux, sourit en nous voyant fumer, nous jeta, de sa main restée libre, un baiser narquois d'ouvrière insouciante ; et elle s'en alla d'un pas lent, en traînant ses chaussures.
    C'était une fille de vingt ans, petite, un peu maigre, pâle, assez jolie, l'air gamin, les yeux rieurs sous des cheveux blonds mal peignés.
    Le père Piquedent, ému, murmura :
    "Quel métier, pour une femme ! Un vrai métier de cheval."
    Et il s'attendrit sur la misère du peuple. Il avait un coeur exalté de démocrate sentimental et il parlait des fatigues ouvrières avec des phrases de Jean-Jacques Rousseau et des larmoiements dans la gorge.
    Le lendemain, comme nous étions accoudés à la même fenêtre, la même ouvrière nous aperçut et nous cria : "Bonjour les écoliers !" d'une petite voix drôle, en nous faisant la nique avec ses mains.
    Je lui jetai une cigarette, qu'elle se mit aussitôt à fumer. Et les quatre autres repasseuses se précipitèrent sur la porte, les mains tendues, afin d'en avoir aussi.
    Et, chaque jour, un commerce d'amitié s'établit entre les travailleuses du dortoir et les fainéants de la pension.
    Le père Piquedent était vraiment comique à voir. Il tremblait d'être aperçu, car il aurait pu perdre sa place, et il faisait des gestes timides et farces, toute une mimique d'amoureux sur la scène, à laquelle les femmes répondaient par une mitraille de baisers.
    Une idée perfide me germait dans la tête. Un jour, en rentrant dans notre chambre, je dis, tout bas, au vieux pion :
    "Vous ne croiriez pas, monsieur Piquedent, j'ai rencontré la petite blanchisseuse ! Vous savez bien, celle au panier, et je lui ai parlé !"
    Il demanda, un peu troublé par le ton que j'avais pris :
    "Que vous a-t-elle dit ?
    - Elle m'a dit... mon Dieu... elle m'a dit... qu'elle vous trouvait très bien... Au fond, je crois... je crois... qu'elle est un peu amoureuse de vous..."
    Je le vis pâlir ; il reprit :
    "Elle se moque de moi, sans doute. Ces choses-là n'arrivent pas à mon âge."
    Je dis gravement :
    "Pourquoi donc ? Vous êtes très bien !"
    Comme je le sentais touché par ma ruse, je n'insistai pas.
    Mais, chaque jour, je prétendis avoir rencontré la petite et lui avoir parlé de lui ; si bien qu'il finit par me croire et par envoyer à l'ouvrière des baisers ardents et convaincus.
    Or, il arriva qu'un matin, en me rendant à la pension, je la rencontrai vraiment. Je l'abordai sans hésiter comme si je la connaissais depuis dix ans.
    "Bonjour, Mademoiselle. Vous allez bien ?
    - Fort bien, Monsieur, je vous remercie.
    - Voulez-vous une cigarette ?
    - Oh ! pas dans la rue.
    - Vous la fumerez chez vous.
    - Alors, je veux bien.
    - Dites donc, Mademoiselle, vous ne savez pas ?
    - Quoi donc, Monsieur ?
    - Le vieux, mon vieux professeur
    - Le père Piquedent ?
    - Oui, le père Piquedent. Vous savez donc son nom ?
    - Parbleu ! Eh bien ?
    - Eh bien, il est amoureux de vous !"
    Elle se mit à rire comme une folle et s'écria :
    "C'te blague !
    - Mais non, ce n'est pas une blague. Il me parle de vous tout le temps des leçons. Je parie qu'il vous épousera, moi !"
    Elle cessa de rire. L'idée du mariage rend graves toutes les filles. Puis elle répéta incrédule :
    "C'te blague !
    - Je vous jure que c'est vrai."
    Elle ramassa son panier posé devant mes pieds :
    "Eh bien ! nous verrons", dit-elle.
    Et elle s'en alla.
    Aussitôt entré à la pension, je pris à part le père Piquedent :
    "Il faut lui écrire ; elle est folle de vous."
    Et il écrivit une longue lettre doucement tendre, pleine de phrases et de périphrases, de métaphores et de comparaisons, de philosophie et de galanterie universitaire, un vrai chef-d'oeuvre de grâce burlesque, que je me chargeai de remettre à la jeune personne.
    Elle la lut avec gravité, avec émotion, puis elle murmura :
    "Comme il écrit bien ! On voit qu'il a reçu de l'éducation ! C'est-il vrai qu'il m'épouserait ?"
    Je répondis intrépidement :
    "Parbleu ! Il en perd la tête.
    - Alors il faut qu'il m'invite à dîner dimanche à l'île des Fleurs."
    Je promis qu'elle serait invitée.
    Le père Piquedent fut très touché de tout ce que je lui racontai d'elle.
    J'ajoutai :
    "Elle vous aime, monsieur Piquedent ; et je la crois une honnête fille. Il ne faut pas la séduire et l'abandonner ensuite !"
    Il répondit avec fermeté :
    "Moi aussi je suis un honnête homme, mon ami."
    Je n'avais, je l'avoue, aucun projet. Je faisais une farce, une farce d'écolier, rien de plus. J'avais deviné la naïveté du vieux pion, son innocence et sa faiblesse. Je m'amusais sans me demander comment cela tournerait J'avais dix-huit ans, et je passais pour un madré farceur, au lycée, depuis longtemps déjà.
    Donc il fut convenu que le père Piquedent et moi partirions en fiacre jusqu'au bac de la Queue-de-Vache, nous y trouverions Angèle, et je les ferais monter dans mon bateau, car je canotais en ce temps-là. Je les conduirais ensuite à l'île des Fleurs, où nous dînerions tous les trois. J'avais imposé ma présence, pour bien jouir de mon triomphe, et le vieux, acceptant ma combinaison, prouvait bien qu'il perdait la tête en effet en exposant ainsi sa place.
    Quand nous arrivâmes au bac, où mon canot était amarré depuis le matin, j'aperçus dans l'herbe, ou plutôt au-dessus des hautes herbes de la berge, une ombrelle rouge énorme, pareille à un coquelicot monstrueux. Sous l'ombrelle nous attendait la petite blanchisseuse endimanchée. Je fus surpris ; elle était vraiment gentille, bien que pâlotte, et gracieuse, bien que d'allure un peu faubourienne.
    Le père Piquedent lui tira son chapeau en s'inclinant. Elle lui tendit la main, et ils se regardèrent sans dire un mot. Puis ils montèrent dans mon bateau et je pris les rames.
    Ils étaient assis côte à côte, sur le banc d'arrière.
    Le vieux parla le premier :
    "Voilà un joli temps, pour une promenade en barque."
    Elle murmura :
    "Oh ! oui."
    Elle laissait traîner sa main dans le courant, effleurant l'eau de ses doigts, qui soulevaient un mince filet transparent, pareil à une lame de verre. Cela faisait un bruit léger, un gentil clapot, le long du canot.
    Quand on fut dans le restaurant, elle retrouva la parole, commanda le dîner : une friture, un poulet et de la salade ; puis elle nous entraîna dans l'île, qu'elle connaissait parfaitement.
    Alors elle fut gaie, gamine et même assez moqueuse.
    Jusqu'au dessert, il ne fut pas question d'amour. J'avais offert du champagne, et le père Piquedent était gris. Un peu partie elle-même elle l'appelait :
    "Monsieur Piquenez."
    Il dit tout à coup :
    "Mademoiselle, M. Raoul vous a communiqué mes sentiments."
    Elle devint sérieuse comme un juge.
    "0ui, Monsieur !"
    - Y répondez-vous ?
    - On ne répond jamais à ces questions-là !"
    Il soufflait d'émotion et reprit :
    "Enfin, un jour viendra-t-il où je pourrai vous plaire ?"
    Elle sourit :
    "Gros bête ! Vous êtres très gentil.
    - Enfin, Mademoiselle, pensez-vous que plus tard, nous pourrions... ?"
    Elle hésita, une seconde ; puis d'une voix tremblante
    "C'est pour m'épouser que vous dites ça ? Car jamais autrement, vous savez ?
    - Oui, Mademoiselle !
    - Eh bien ! ça va, monsieur Piquenez !"
    C'est ainsi que ces deux étourneaux se promirent le mariage, par la faute d'un galopin. Mais je ne croyais pas cela sérieux ; ni eux non plus peut-être. Une hésitation lui vint à elle :
    "Vous savez, je n'ai rien, pas quatre sous."
    Il balbutia, car il était ivre comme Silène :
    "Moi, j'ai cinq mille francs d'économies."
    Elle s'écria triomphante :
    "Alors nous pourrions nous établir ?"
    Il devint inquiet :
    "Nous établir quoi ?
    - Est-ce que je sais, moi ? Nous verrons. Avec cinq mille francs, on fait bien des choses. Vous ne voulez pas que j'aille habiter dans votre pension, n'est-ce pas ?"
    Il n'avait point prévu jusque-là, et il bégayait fort perplexe :
    "Nous établir quoi ? ça n'est pas commode ! Moi je ne sais que le latin !"
    Elle réfléchissait à son tour, passant en revue toutes les professions qu'elle avait ambitionnées
    "Vous ne pourriez pas être médecin ?
    - Non, je n'ai pas de diplôme.
    - Ni pharmacien ?
    - Pas davantage."
    Elle poussa un cri de joie. Elle avait trouvé.
    "Alors nous achèterons une épicerie ! Oh ! quelle chance ! nous achèterons une épicerie ! Pas grosse par exemple ; avec cinq mille francs on ne va pas loin."
    Il eut une révolte :
    "Non, je ne peux pas être épicier... Je suis... je suis... je suis trop connu... Je ne sais que... que... que le latin... moi..."
    Mais elle lui enfonçait dans la bouche un verre plein de champagne. Il but et se tut.
    Nous remontâmes dans le bateau. La nuit était noire, très noire. Je vis bien, cependant, qu'ils se tenaient par la taille et qu'ils s'embrassèrent plusieurs fois.
    Ce fut une catastrophe épouvantable. Notre escapade, découverte, fit chasser le père Piquedent. Et mon père, indigné, m'envoya finir ma philosophie dans la pension Ribaudet.
    Je passai mon bachot six semaines plus tard. Puis j'allai à Paris faire mon droit ; et je ne revins dans ma ville natale qu'après deux ans.
    Au détour de la rue du Serpent une boutique m'accrocha l'oeil. On lisait : Produits coloniaux Piquedent. Puis dessous, afin de renseigner les plus ignorants : Épicerie.
    Je m'écriai :
    "Quantum mutatus ab illo !"
    Il leva la tête, lâcha sa cliente et se précipita sur moi les mains tendues.
    "Ah ! mon jeune ami, mon jeune ami, vous voici ! Quelle chance ! Quelle chance !"
    Une belle femme, très ronde, quitta brusquement le comptoir et se jeta sur mon coeur. J'eus de la peine à la reconnaître tant elle avait engraissé.
    Je demandai :
    "Alors ça va ?"
    Piquedent s'était remis à peser :
    "Oh ! très bien, très bien, très bien J'ai gagné trois mille francs nets, cette année !
    - Et le latin, monsieur Piquedent ?

    - Oh ! mon Dieu, le latin, le latin, le latin, voyez-vous, il ne nourrit pas les hommes !"





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