samedi 6 septembre 2014

Journée Française ESABAC: Extraits de l'oeuvre poétique de Yves Bonnefoy traduits par Fabio Scotto















La tomba di Leopardi
Yves Bonnefoy 

tradotto da Fabio Scotto


Nel nido di Fenice, quanti si sono
Bruciati le dita smuovendo ceneri!
Lui, è al consenso a tanta notte
Che dovette il ritrovamento di tanta luce.

E hanno innalzato, quelle parole fiduciose,
Non il qualsiasi onice verso un cielo nero
Ma la coppa formata dai suoi due palmi
Per un po’ d’acqua terrestre e il tuo riflesso,

O luna, sua amica. Ti offre quest’acqua,
E tu china su di essa, vuoi volentieri
Bere al suo desiderio, alla sua speranza.

Io ti vedo andargli accanto su queste colline
Deserte, il suo paese. Talora davanti
A lui, e volgendoti, ridente; talora la sua ombra.

Le tombeau de Giacomo Leopardi
di Yves Bonnefoy
Dans le nid de Phénix, combien se sont
Brûlé les doigts à remuer des cendres!
Lui, c’est de consentir à tant de nuit
Qu’il dût de retrouver tant de lumière.
Et ils ont élevé, ces mots confiants, 
Non le quelconque onyx vers un ciel noir
Mais la coupe formée par ses deux paumes
Pour un peu d’eau terrestre et ton reflet,
O lune, son amie. Il t’offre de cette eau,
Et toi penchée sur elle, tu veux bien
Boire de son désir, de son espérance.
Je te vois qui vas près de lui sur ces collines
Désertes, son pays. Parfois devant
Lui, et te retournant, riante; parfois son ombre.

 



POESIA La casa natale


  

Introduction à la lecture de Yves Bonnefoy



TRADURRE LA POESIA
DI YVES BONNEFOY: VERSO
UNA SINTASSI DELLA PRESENZA











Journée Française ESABAC : Extraits de L'Opera Poetica de Yves Bonnefoy, a cura e con un saggio introduttivo di Fabio Scotto - I MERIDIANI, A. Mondadori Editore,Milano 2010











VII

Je me souviens, c’était un matin, l’été,
La fenêtre était entrouverte, je m’approchais,
J’apercevais mon père au fond du jardin.
Il était immobile, il regardait
Où, quoi, je ne savais, au-dehors de tout,
Voûté comme il était déjà mais redressant
Son regard vers l’inaccompli ou l’impossible.
Il avait déposé la pioche, la bêche,
L’air était frais ce matin-là du monde,
Mais impénétrable est la fraîcheur même, et cruel
Le souvenir des matins de l’enfance.
Qui était-il, qui avait-il été dans la lumière,
Je ne le savais pas, je ne sais encore.

Mais je le vois aussi, sur le boulevard,
Avançant lentement, tant de fatigue
Alourdissant ses gestes d’autrefois,
Il repartait au travail, quant à moi
J’errais avec quelques-uns de ma classe
Au début de l’après-midi sans durée encore.
A ce passage-là, aperçu de loin,
Soient dédiés les mots qui ne savent dire.

(Dans la salle à manger
De l’après-midi d’un dimanche, c’est en été,
Les volets sont fermés contre la chaleur,
La table débarrassée, il a proposé
Les cartes puisqu’il n’est pas d’autres images
Dans la maison natale pour recevoir
La demande du rêve, mais il sort
Et aussitôt l’enfant maladroit prend les cartes,
Il substitue à celles de l’autre jeu
Toutes les cartes gagnantes, puis il attend
Avec fièvre, que la partie reprenne, et que celui
Qui perdait gagne, et si glorieusement
Qu’il y voie comme un signe, et de quoi nourrir
Il ne sait, lui l’enfant, quelle espérance.
Après quoi deux voies se séparent, et l’une d’elles
Se perd, et presque tout de suite, et ce sera
Tout de même l’oubli, l’oubli avide.

J’aurai barré
Cent fois ces mots partout, en vers, en prose,
Mais je ne puis
Faire qu’ils ne remontent dans ma parole.)


Les planches courbes pp 778-781, in Yves Bonnefoy L’opera poetica,  a cura e con un saggio introduttivo di Fabio Scotto. Traduzioni poetiche di Diana Grange Fiori e Fabio Scotto, I MERIDIANI, A. Mondadori Editore, Milano (2010)


LE TOMBEAU DE GIACOMO LEOPARDI

Dans le nid de Phénix combien se sont
Brûlé les doigts à remuer des cendres !
Lui, c’est de consentir à tant de nuit
Qu’il dut de recueillir tant de lumières.


Et ils ont élevé, ses mots confiants,
Non le quelconque onyx vers un ciel noir
Mais la coupe formée par leurs deux paumes
Pour un peu d’eau terrestre et ton reflet,


Ô lune, son amie. Il t’offre de cette eau,
Et toi penchée, sur elle, tu veux bien
Boire de ton désir, de ton espérance.

Je te vois qui vas de lui sur ces collines
Désertes, son pays. Parfois devant
Lui, et te retournent, riante ; parfois son ombre.

La longue chaîne de l’ancre, pp 938-939, in Yves Bonnefoy L’opera poetica,  a cura e con un saggio introduttivo di Fabio Scotto. Traduzioni poetiche di Diana Grange Fiori e Fabio Scotto. I MERIDIANI, A. Mondadori Editore, Milano (2010)




Yves Bonnefoy "Grazie all'arte italiana ho scoperto una nuova poesia"
di Franco Marcoaldi, la Repubblica, 24/09/2010
















Journée Française ESABAC: L'Oeuvre poétique d'Yves Bonnefoy












Yves Bonnefoy est né en 1923 à Tours (Indre-et-Loire). Son père était employé aux chemins de fer et sa mère institutrice. Yves Bonnefoy a d’abord fait des études de mathématiques, puis a étudié l’histoire des sciences et la philosophie.
En 1953, il publie le recueil Du Mouvement et de l’immobilité de Douve puis, en 1958, Hier régnant désert, Pierre écrite en 1965 et Dans le leurre du seuil en 1975. Dès 1951, Bonnefoy traduit les textes de Shakespeare (La TempêteJules CésarAntoine et Cléopâtre, etc.). 1987 est l’année de publication de Ce qui fut sans lumière, recueil suivi de Début et fin de la neige en 1991 etLa Vie errante en 1993. Il publie par ailleurs, en 1970, Rome 1630, un ouvrage sur la naissance de l’art baroque.
Yves Bonnefoy a été professeur d’université et il est élu en 1981 au Collège de France à la chaire d’études comparées de la fonction poétique.





Yves Bonnefoy
adpf association pour la diffusion de la pensée française •
Ministère des Affaires étrangères



Conférence
La parole poétique
Une réflexion sur la poésie, ce quelle est, ce qu'elle devrait être. Existe-t-il une unité de l'objet de cette réflexion, unité qu'il est nécessaire de rappeler d'indiquer ?  Il est certain que sous ce nom de « poésie » se présente, à nous qui les reconnaissons sans hésiter, des oeuvres ou des actions d'apparences souvent diverses ou contradictoires. Quelle ressemblance y a-t-il entre un poème de François Villon, où un coup de dé n'a jamais aboli le hasard, entre la majesté sereine du texte de l'Odyssée ou les cris d'Antonin Artaud. Beaucoup de façons donc d'être poète, beaucoup de pensées qui ne se raccordent pas. Si cela avait été Rimbaud qui se fut donné la tache devant ses contemporains de définir la poésie, il aurait pris appuie sur la révolte, sur la dénonciation des hypocrisies et des démissions de la société, il aurait défini le poème comme une transgression des valeurs et des habitudes qui emprisonnent et appauvrissent la vie des individus. Si cela avait été Mallarmé, qui forma ce même projet, et il s'y livra d'ailleurs, il aurait au contraire porté ses yeux aussi loin que possible de la personne particulière.






Etudes de poèmes



Sur weblettres.net (pour les collègues)








Barbara, Les feuilles mortes, Les enfants qui s'aiment - "Paroles" (1946), de Jacques Prévert






Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là
Et tu marchais souriante
É panouie ravie ruisselante
Sous la pluie
Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest
Et je t'ai croisée rue de Siam
Tu souriais
Et moi je souriais de même
Rappelle-toi Barbara
Toi que je ne connaissais pas
Toi qui ne me connaissais pas
Rappelle-toi
Rappelle-toi quand même ce jour-là
N'oublie pas
Un homme sous un porche s'abritait
Et il a crié ton nom
Barbara
Et tu as couru vers lui sous la pluie
Ruisselante ravie épanouie
Et tu t'es jetée dans ses bras
Rappelle-toi cela Barbara
Et ne m'en veux pas si je te tutoie
Je dis tu à tous ceux que j'aime
Même si je ne les ai vus qu'une seule fois
Je dis tu à tous ceux qui s'aiment
Même si je ne les connais pas
Rappelle-toi Barbara
N'oublie pas
Cette pluie sage et heureuse
Sur ton visage heureux
Sur cette ville heureuse
Cette pluie sur la mer
Sur l'arsenal
Sur le bateau d'Ouessant
Oh Barbara
Quelle connerie la guerre
Qu'es-tu devenue maintenant
Sous cette pluie de fer
De feu d'acier de sang
Et celui qui te serrait dans ses bras
Amoureusement
Est-il mort disparu ou bien encore vivant
Oh Barbara
Il pleut sans cesse sur Brest
Comme il pleuvait avant
Mais ce n'est plus pareil et tout est abimé
C'est une pluie de deuil terrible et désolée
Ce n'est même plus l'orage
De fer d'acier de sang
Tout simplement des nuages
Qui crèvent comme des chiens
Des chiens qui disparaissent
Au fil de l'eau sur Brest
Et vont pourrir au loin
Au loin très loin de Brest
Dont il ne reste rien.

Jacques Prévert, Paroles
  


   
I/ Une poésie de circonstances et un poème d’amour 
1/ Une chanson populaire
Il s’agit en réalité d’une rengaine écrite dans un style familier avec des répétitions et des reprises.
Comme dans une chanson, on trouve un refrain et le poète s’adresse à une personne ; le thème général est celui d’une chanson. La nostalgie du bonheur passé est une résurgence des souvenirs (= retour brutal).
2/ Un cœur des rues
Le paysage est familier et il évoque la rue de Siam (ancien pays d’Asie, actuelle Thaïlande), le bateau d’Ouessant (île au large de Brest avec un phare). Ces noms propres sont ancrés dans la vie quotidienne des Bretons.
Barbara, avec son sourire et sa beauté, représente la femme en général et son apparition lumineuse, soulignée par les trois adjectifs du vers 4, repris en
 chiasme
 au vers 27, contraste avec la banalité morose.
Le personnage jaillit brutalement au vers 18 et les syllabes de son nom au vers 19 forment un cri. Cette rencontre amoureuse est très simple : c’est le croisement de deux sourires et l’échange de regards inconnus.
La reprise des trois adjectifs du vers 21 a aussi pour fonction de traduire l’émotion du jeune amoureux.
3/ Un amour rayonnant
Le poète est témoin de la scène et il prend parti pour les amoureux, comme le montre le tutoiement de proximité utilisé avec insistance depuis le début.
Cette communion du poète avec les jeunes amants fait partie de la thématique prévertienne comme par exemple dans le poème « Les enfants qui s’aiment ».
L’
anaphore
 « Rappelle-toi Barbara » traduit cette complicité mais le rayonnement de l’amour est si puissant qu’il transfigure la nature elle-même à partir du vers 31 : l’image de la pluie n’est plus la banale représentation du climat océanique mais l’expression du bonheur amoureux qui inonde de sa force toute la nature.
Ce bonheur tranquille s’impose avec le ralentissement du rythme aux vers 31, 32, 33, 34, 35 et 36 qui culmine avec « Ouessant » (vers 36).
Pourtant, dès ce passage est introduite une note inquiétante au vers 35 : « l’Arsenal », « dépôt d’armes ». Peu à peu, le poème va se renverser.
II/ Un cri de colère
1/ L’irruption du mal
Le basculement se fait au vers 37 avec un cri de douleur beaucoup plus rauque que tendre.
La guerre fait irruption dans le bonheur amoureux et le ton change.
La familiarité du début s’efface.
2/ Le procès de la guerre

Le poète s’indigne contre la guerre qui détruit l’amour et la condamnation anti-militariste s’exprime avec une violence inouïe (= jamais vue) dans la langue française puisque le poète n’hésite pas à employer un vocable argotique, par définition anti-poétique.
Le langage courant est impuissant à traduire la révolte des cœurs purs. Le poète reprend ensuite ses esprits et fait passer son émotion par des moyens plus classiques telle que l’accélération du rythme aux vers 48 et 49.
L’éloquence pathétique (pathos : l’émotion) se fonde de nouveau sur la métamorphose de l’image de la pluie qui reprend une apparence classique, celle du déluge destructeur.
Le principal crime de la guerre aux yeux du poète est de séparer les amants.
III/ Un message pessimiste
1/ Un spectacle désespéré
Au-delà du drame amoureux, le spectacle des ruines de Brest, transformé en paysage de cauchemar, désespère le poète.
En effet, la guerre cesse mais elle laisse des stigmates dans le cœur des hommes.
Ce désespoir s’exprime par une métaphore et une comparaison. La
métaphore se situe au vers 50 et n’est pas originale pour désigner la violence et le malheur (l’orage) car elle s’applique à la pluie. La comparaison est celle des nuages avec des chiens : on note le terme « crever » (= s’ouvrir en s’éclatant) qui n’est pas du tout de guerre : il s’applique d’ailleurs aux animaux.
2/ La mort est plus forte que l’amour
Le désespoir est philosophique : le dernier mot du texte (« rien ») illustre le triomphe du néant et de la mort comme le verbe « pourrir » (vers 56).
Le désespoir prend des actions tragiques : les pièges du destin cruel se sont refermés inexorablement (= sans possibilité de retour).
Conclusion
Dans ce poème, l'amour a la capacité d'engendrer autour de lui un environnement positif. Le paysage devient le miroir du bonheur mais aussi du malheur. Ce poème a des apparences de la facilité d’une chanson populaire. En réalité, il dénote une sensibilité à vif, un jeu subtil sur le pathétique.
     Le poète atteint son objectif avec fort peu de moyens puisque le poète n’a recours qu’à une seule image : la pluie. C’est ainsi qu’il parvient à dénoncer avec force les horreurs de la guerre.


Les feuilles mortes
Paroles: Jacques Prévert. Musique: Joseph Kosma

Oh ! je voudrais tant que tu te souviennes
Des jours heureux où nous étions amis.
En ce temps-là la vie était plus belle,
Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui.
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle.
Tu vois, je n'ai pas oublié...
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle,
Les souvenirs et les regrets aussi
Et le vent du nord les emporte
Dans la nuit froide de l'oubli.
Tu vois, je n'ai pas oublié
La chanson que tu me chantais.
{Refrain:}
C'est une chanson qui nous ressemble.
Toi, tu m'aimais et je t'aimais
Et nous vivions tous deux ensemble,
Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais.
Mais la vie sépare ceux qui s'aiment,
Tout doucement, sans faire de bruit
Et la mer efface sur le sable
Les pas des amants désunis.

Les feuilles mortes se ramassent à la pelle,
Les souvenirs et les regrets aussi
Mais mon amour silencieux et fidèle
Sourit toujours et remercie la vie.
Je t'aimais tant, tu étais si jolie.
Comment veux-tu que je t'oublie ?
En ce temps-là, la vie était plus belle
Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui.
Tu étais ma plus douce amie
Mais je n'ai que faire des regrets
Et la chanson que tu chantais,
Toujours, toujours je l'entendrai !
{Refrain}




Les enfants qui s'aiment

Les enfants qui s'aiment s'embrassent debout
Contre les portes de la nuit
Et les passants qui passent les désignent du doigt
Mais les enfants qui s'aiment
Ne sont là pour personne
Et c'est seulement leur ombre
Qui tremble dans la nuit
Excitant la rage des passants
Leur rage, leur mépris, leurs rires et leur envie
Les enfants qui s'aiment ne sont là pour personne
Ils sont ailleurs bien plus loin que la nuit
Bien plus haut que le jour
Dans l'éblouissante clarté de leur premier amour



"Paroles" (1946), de Jacques Prévert : Sables Mouvants - Cet Amour - Pour toi mon amour - Immense et Rouge




















Sables Mouvants

Démons et merveilles
Vents et marées
Au loin déjà la mer s’est retirée
Et toi
Comme une algue doucement caressée par le vent  5
Dans les sables du lit tu remues en rêvant
Démons et merveilles
Vents et marées
Au loin déjà la mer s’est retirée
                    Mais dans tes yeux entrouverts              10
Deux petites vagues sont restées

Démons et merveilles

Vents et marées
Deux petites vagues pour me noyer.

Jacques Prévert, Paroles, (1945)



Prévert développe ici un climat de douceur et de fascination.
La douceur  de “Sables mouvants” repose sur le climat d’intimité, de tendresse, 
de refuge amoureux, « et toi », avec l’adjectif « petit », l’adverbe « doucement », 
la présence des éléments  naturels (le vent, la mer), et le rêve.
Dès le premier vers, « Démons et merveilles » joue sur l’expression 
« Monts et merveilles » : la promesse semble tenue. Quels sont les démons
 auxquels le poète fait allusion ? On peut supposer qu’ils renvoient 
aux « yeux entrouverts » évoqués au vers  10, regard qui promet monts 
et merveilles à celui qui s’y plonge... La merveille, la fascination, vient 
de l’importance du regard liée à celle de la mer :
les yeux/les vagues ; le regard/la profondeur de la mer/la noyade
 comme expression ultime de la fascination amoureuse. 
Le corps lui-même est algue marine :
la femme a, pour ainsi dire, pris le relais de la mer retirée.





Serge Reggiani chante "Cet Amour"







Cet Amour


Cet amour
Si violent
Si fragile
Si tendre
Si désespéré
Cet amour
Beau comme le jour
Et mauvais comme le temps
Quand le temps est mauvais
Cet amour si vrai
Cet amour si beau
Si heureux
Si joyeux
Et si dérisoire
Tremblant de peur comme un enfant dans le noir
Et si sûr de lui
Comme un homme tranquille au milieu de la nuit
Cet amour qui faisait peur aux autres
Qui les faisait parler
Qui les faisait blémir
Cet amour guetté
Parce que nous le guettions
Traqué blessé piétiné achevé nié oublié
Parce que nous l'avons traqué 
blessé piétiné achevé nié oublié
Cet amour tout entier
Si vivant encore
Et tout ensoleillé
C'est le tien
C'est le mien
Celui qui a été
Cette chose toujours nouvelles
Et qui n'a pas changé
Aussi vraie qu'une plante
Aussi tremblante qu'un oiseau
Aussi chaude aussi vivante que l'été
Nous pouvons tous les deux
Aller et revenir
Nous pouvons oublier
Et puis nous rendormir
Nous réveiller souffrir vieillir
Nous endormir encore
Rêver à la mort
Nous éveiller sourire et rire
Et rajeunir
Notre amour reste là
Têtu comme une bourrique
Vivant comme le désir
Cruel comme la mémoire
Bête comme les regrets
Tendre comme le souvenir
Froid comme le marbre
Beau comme le jour
Fragile comme un enfant
Il nous regarde en souriant
Et il nous parle sans rien dire
Et moi j'écoute en tremblant
Et je crie
Je crie pour toi
Je crie pour moi
Je te supplie
Pour toi pour moi et pour tous ceux qui s'aiment
Et qui se sont aimés
Oui je lui crie
Pour toi pour moi et pour tous les autres
Que je ne connais pas
Reste là
Là où tu es
Là où tu étais autrefois
Reste là
Ne bouge pas
Ne t'en va pas
Nous qui sommes aimés
Nous t'avons oublié
Toi ne nous oublie pas
Nous n'avions que toi sur la terre
Ne nous laisse pas devenir froids
Beaucoup plus loin toujours
Et n'importe où
Donne-nous signe de vie
Beaucoup plus tard au coin d'un bois
Dans la forêt de la mémoire
Surgis soudain
Tends-nous la main
Et sauve-nous.


Dossier pédagogique Prévert





















par Jeanne Moreau 










POUR TOI MON AMOUR


Je suis allé au marché aux oiseaux
Et j'ai acheté des oiseaux
Pour toi
mon amour
Je suis allé au marché aux fleurs
Et j'ai acheté des fleurs
Pour toi
mon amour
Je suis allé au marché à la ferraille
Et j'ai acheté des chaînes
De lourdes chaînes
Pour toi
mon amour
Et puis je suis allé au marché aux esclaves
Et je t'ai cherchée
Mais je ne t'ai pas trouvée
mon amour

IMMENSE ET ROUGE







Immense et rouge


Au-dessus du Grand Palais

Le soleil d'hiver apparaît

Et disparaît

Comme lui mon coeur va disparaître

Et tout mon sang va s'en aller

S'en aller à ta recherche

Mon amour

Ma beauté

Et te trouver

Là où tu es.