Printemps : saison d’espoirs, saison de désespoirs
« April is the cruellest month, breeding
Lilacs out of the dead land, mixing
Memory and desire, stirring
Dull roots with spring rain”
Lilacs out of the dead land, mixing
Memory and desire, stirring
Dull roots with spring rain”
T.S. Eliot The Waste land
Avril
Déjà les beaux jours, - la poussière,
Un ciel d’azur et de lumière,
Les murs enflammés, les longs soirs ; -
Et rien de vert : - à peine encore
Un reflet rougeâtre décore
Les grands arbres aux rameaux noirs !
Un ciel d’azur et de lumière,
Les murs enflammés, les longs soirs ; -
Et rien de vert : - à peine encore
Un reflet rougeâtre décore
Les grands arbres aux rameaux noirs !
Ce beau temps me pèse et m’ennuie.
- Ce n’est qu’après des jours de pluie
Que doit surgir, en un tableau,
Le printemps verdissant et rose,
Comme une nymphe fraîche éclose
Qui, souriante, sort de l’eau.
Que doit surgir, en un tableau,
Le printemps verdissant et rose,
Comme une nymphe fraîche éclose
Qui, souriante, sort de l’eau.
Gérard de Nerval, Odelettes
Mai
Le mai le joli mai en barque sur le Rhin
Des dames regardaient du haut de la montagne
Vous êtes si jolies mais la barque s'éloigne
Qui donc a fait pleurer les saules riverains
Des dames regardaient du haut de la montagne
Vous êtes si jolies mais la barque s'éloigne
Qui donc a fait pleurer les saules riverains
Or des vergers fleuris se figeaient en arrière
Les pétales tombés des cerisiers de mai
Sont les ongles de celle que j'ai tant aimée
Les pétales flétris sont comme ses paupières
Les pétales tombés des cerisiers de mai
Sont les ongles de celle que j'ai tant aimée
Les pétales flétris sont comme ses paupières
Sur le chemin du bord du fleuve lentement
Un ours un singe un chien menés par des tziganes
Suivaient une roulotte traînée par un âne
Tandis que s'éloignait dans les vignes rhénanes
Sur un fifre lointain un air de régiment
Un ours un singe un chien menés par des tziganes
Suivaient une roulotte traînée par un âne
Tandis que s'éloignait dans les vignes rhénanes
Sur un fifre lointain un air de régiment
Le mai le joli mai a paré les ruines
De lierre de vigne vierge et de rosiers
Le vent du Rhin secoue sur le bord les osiers
Et les roseaux jaseurs et les fleurs nues des vignes
De lierre de vigne vierge et de rosiers
Le vent du Rhin secoue sur le bord les osiers
Et les roseaux jaseurs et les fleurs nues des vignes
Apollinaire, Alcools
Chanson de la plus haute Tour
Oisive jeunesse
À tout asservie,
Par délicatesse
J'ai perdu ma vie.
Ah! que le temps vienne
Où les cœurs s'éprennent.
Je me suis dit : laisse,
Et qu'on ne te voie :
Et sans la promesse
De plus hautes joies.
Que rien ne t'arrête
Auguste retraite.
J'ai tant fait patience
Qu'à jamais j'oublie;
Craintes et souffrances
Aux cieux sont parties.
Et la soif malsaine
Obscurcit mes veines.
À tout asservie,
Par délicatesse
J'ai perdu ma vie.
Ah! que le temps vienne
Où les cœurs s'éprennent.
Je me suis dit : laisse,
Et qu'on ne te voie :
Et sans la promesse
De plus hautes joies.
Que rien ne t'arrête
Auguste retraite.
J'ai tant fait patience
Qu'à jamais j'oublie;
Craintes et souffrances
Aux cieux sont parties.
Et la soif malsaine
Obscurcit mes veines.
Ainsi la Prairie
À l'oubli livrée,
Grandie, et fleurie
D'encens et d'ivraies,
Au bourdon farouche
De cent sales mouches.
Ah! Mille veuvages
De la si pauvre âme
Qui n'a que l'image
De la Notre-Dame!
Est-ce que l'on prie
La Vierge Marie ?
À l'oubli livrée,
Grandie, et fleurie
D'encens et d'ivraies,
Au bourdon farouche
De cent sales mouches.
Ah! Mille veuvages
De la si pauvre âme
Qui n'a que l'image
De la Notre-Dame!
Est-ce que l'on prie
La Vierge Marie ?
Oisive jeunesse
À tout asservie,
Par délicatesse
J'ai perdu ma vie.
Ah! que le temps vienne
Où les cœurs s'éprennent.
À tout asservie,
Par délicatesse
J'ai perdu ma vie.
Ah! que le temps vienne
Où les cœurs s'éprennent.
Arthur Rimbaud Derniers vers
Ben venga maggio
Ben venga maggio
e ‘l gonfalon selvaggio!
Ben venga primavera,
che vuol l’uom s’innamori:
e voi, donzelle, a schiera
con li vostri amadori,
che di rose e di fiori,
vi fate belle il maggio,
venite alla frescura
delli verdi arbuscelli.
Ogni bella è sicura
fra tanti damigelli,
ché le fiere e gli uccelli
ardon d’amore il maggio.
Chi è giovane e bella
deh non sie punto acerba,
ché non si rinnovella
l’età come fa l’erba;
nessuna stia superba
all’amadore il maggio
Ciascuna balli e canti
di questa schiera nostra.
Ecco che i dolci amanti
van per voi, belle, in giostra:
qual dura a lor si mostra
farà sfiorire il maggio.
Per prender le donzelle
si son gli amanti armati.
Arrendetevi, belle,
a’ vostri innamorati,
rendete e cuor furati,
non fate guerra il maggio.
Chi l’altrui core invola
ad altrui doni el core.
Ma chi è quel che vola?
è l’angiolel d’amore,
che viene a fare onore
con voi, donzelle, a maggio.
Amor ne vien ridendo
con rose e gigli in testa,
e vien di voi caendo.
Fategli, o belle, feste.
Qual sarà la più presta
a dargli el fior del maggio?
-Ben venga il peregrino.-
-Amor, che ne comandi?-
-Che al suo amante il crino
ogni bella ingrillandi,
ché gli zitelli e grandi
s’innamoran di maggio.
e ‘l gonfalon selvaggio!
Ben venga primavera,
che vuol l’uom s’innamori:
e voi, donzelle, a schiera
con li vostri amadori,
che di rose e di fiori,
vi fate belle il maggio,
venite alla frescura
delli verdi arbuscelli.
Ogni bella è sicura
fra tanti damigelli,
ché le fiere e gli uccelli
ardon d’amore il maggio.
Chi è giovane e bella
deh non sie punto acerba,
ché non si rinnovella
l’età come fa l’erba;
nessuna stia superba
all’amadore il maggio
Ciascuna balli e canti
di questa schiera nostra.
Ecco che i dolci amanti
van per voi, belle, in giostra:
qual dura a lor si mostra
farà sfiorire il maggio.
Per prender le donzelle
si son gli amanti armati.
Arrendetevi, belle,
a’ vostri innamorati,
rendete e cuor furati,
non fate guerra il maggio.
Chi l’altrui core invola
ad altrui doni el core.
Ma chi è quel che vola?
è l’angiolel d’amore,
che viene a fare onore
con voi, donzelle, a maggio.
Amor ne vien ridendo
con rose e gigli in testa,
e vien di voi caendo.
Fategli, o belle, feste.
Qual sarà la più presta
a dargli el fior del maggio?
-Ben venga il peregrino.-
-Amor, che ne comandi?-
-Che al suo amante il crino
ogni bella ingrillandi,
ché gli zitelli e grandi
s’innamoran di maggio.
Agnolo Ambrogini, detto Poliziano (1454-1494)
La primavera Sandro Botticelli
VALENTINO PICCINELLI
Essai bref : Printemps, saison d'espoirs, saison de désespoirs
Le premier texte, tiré des Odelettes de Gérard de Nerval, exprime les sentiments de l'auteur pendant le mois d'avril, en observant la nature qui l'entoure. Le temps est dejà vernal, ensoleillé et chaud, mais l'environment est encore nu et sec: les pluies printanières ne sont pas encore arrivées, et donc on n'a "rien de vert: à peine encore un reflet rougeatre décore les grandes arbres aux rameaux noirs". Le poète est ennuyé par ce beau temps, qui même s'il est agréable, ne permet pas la renaissance de la vie aprés les rigueurs de l'hiver. En fait, seulement la pluie, qui semblerait rendre les journées longues et penibles, peut faire fleurir les plantes brulées et sèches, faire "surgir, en un tableau, le printemps [...] comme une nymphe fraîche éclose qui, souriante, sort de l'eau".
Tout à fait different est le deuxiéme extrait proposé, tiré de Alcools de Guillaume Apollinaire. Ici l'auteur choisit de situer l'oeuvre pendant le mois de mai, alors que le printemps se prépare à céder la place à l'été. Donc le poéte, pendant que le "joli mai" va terminer, s'éloigne avec lui, sur sa barque, des "jolies dames" qui le regardent "du haut de la montagne". La joie, l'amour du printemps passent, comme les pétales des cérisiers qui tombent (et qui deviennent "les ongles de celle que j'ai tant aimé"). La vision des tziganes qui marchent sur le chemin du bord du fleuve, en s'éloignant "dans les vignes rhénanes", et le fait que, aprés leur passage, passe "sur un fifre lointain un air de regiment" souligne le passage d'une période de jeux et sans souci à un autre de préoccupations et tristesse, d’autant plus que "les ruines", meme si elles sont "parés de lierre de vigne vierge et de rosiers" ne sont pas disparues: elles sont seulement cachées.
Le troisiéme document d'Arthur Rimbaud est un souvenir nostalgique de la jeunesse. Le poéte, désormais homme mur, dans le milieu de sa "Auguste retraite", regarde l'"oisive jeunesse", l'époque des amours sans souci; une époque qui est destinée à terminer trés tot, dans l'échec des promesses "de plus hautes joies". À l'ame ne reste que la priére à Dieu et aux saints (ici representés par la Vierge Marie).
Le dernier texte, tiré de l'oeuvre d'Agnolo Ambrogini dit Poliziano est au contraire un hymne joyeux et sans compromis à la beauté du printemps au mois de mai: la saison est definie "primavera che vuol l'uom si innamori" et l'auteur invite tous les jeunes à partager ce rejouissement collectif ("donzelle a schiera, con li vostri amadori [...] venite alla frescura delli verdi arbuscelli"), parce que c'est seulement pendant la jeunesse qu'on peut profiter de ce bonheur ("ché non si rinovella l'età come fa l'erba").
Certaines scènes décrites par Poliziano se retrouvent dans le document final de cet essai bref: "La primavera" de Alessandro Filipepi dit Botticelli. Le tableau fait l'éloge du triomphe de Venus, la déesse de l'amour et de la prosperité (ici representée couronnée par un grand buisson de myrte) autour de laquelle s'articule toute la scene. Dans un bois riche en fleurs et en fruits, sur la gauche Hermès chasse les nuages de l'hiver avec son baton. Près de lui, des nymphes dansent en circle (comme disait Poliziano "ciascuna balli e canti di questa schiera nostra [...] belle, in giostra") avec Cupidon qui vole sur elles, en tendant son arc. À droite on voit Zephyre, le vent chaud du printemps, qui séduit Chloris, qui se transforme en Flore, qui marche imperieusement en épandant des pétales à son passage. Toute la scene est vraiment séduisante: l'observateur est poussée à se faire “contaminer" par l'esprit de liberté et de volupté qui souffle dans l'oeuvre.
STEFANO ZANZI
Essai bref : Printemps : saison d’espoirs, saison de désespoirs
Le printemps est traditionnellement lié à l’amour . En effet ce sentiment rappelle ce qu’il y a dans cette saison : la joie de vivre, la renaissance du sentiment amoureux par rapport au renouveau de la Nature. Donc, dans beaucoup de cas, les espoirs et les désespoirs du printemps sont liés à l’amour.
Par exemple, dans « Ben venga maggio « Poliziano invite hommes et les femmes à ce sentiment dans le cadre d’un mai vert et fleurissant: la saison est propice et le temps ne revient pas. Il y a presque l’écho du refrain de la célèbre Canzone di Bacco de Lorenzo de Medici : « Chi vuol esser lieto, sia / del doman non v’è certezza ».
Pendant la Renaissance, le thème de l’amour est central dans laPrimavera de Botticelli, selon une interprétation de l’œuvre. Le tableau représente tous les aspects du sentiment – celui charnel, symbolisé par l’enlèvement de Chloris par Zéphire , et celui rational – dont le symbole est Mercure. Les deux ont leur synthèse dans Venus, la déesse de l’amour.
Nerval aussi fait une référence au printemps et au bonheur qu’il apporte, dans son poème Avril. Le poète décrit l’avril, le moment de l’année qui selon le poète n’est ni hiver, ni printemps – et il trouve que cette saison est une source d’ennui, comme elle n’a rien de vert, elle semble même une saison d’enfer, dominée par le rouge, le noir, la poussière. Seulement la pluie, l’eau, la purification, apporteront le vert, et donc la félicité à la vie du poète. Le printemps est symbolisé par une nymphe, donc il y a une liaison avec l’amour. Cependant, au contraire de Poliziano, Nerval n’associe pas le printemps au beau temps mais à la pluie, vrai élément positif de la saison.
Rimbaud interprète originalement ce thème, dans la « Chanson de la plus haute tour ». Il raconte sa situation : il a perdu sa vie, sa jeunesse et l’amour, à cause de sa « délicatesse », sa fragilité. La « soif malsaine », c'est-à-dire son désir sensuel, est toujours présent et menaçant, mais le vrai amour est fini: il lui restent la prière et la foi (particulièrement dans la Vierge, à laquelle le mois de mai est dédié). Le printemps est une métaphore: le poète est comparable à une prairie fleurie (comme il a la foi), mais dans laquelle il y a les mouches (la « soif malsaine »).
Apollinaire, dans le poème « Mai », situe dans le contexte du printemps son malheur et sa tristesse : il rompt le lien classique entre saison et félicité. Au bords du Rhin, avec les champs et les vignes typiques de cette région, le poète se rappelle de la femme qu’il a aimé. Il la voit dans les pétales tombés des arbres : leur amour est fini, le poète est passé d’une situation heureuse au mal présent. Dans le fleuve, en outre, il y a un bateau avec deux dames qui s’éloigne de la rive ; ce qui symbolise le poète privé de l’amour recherché. Le mai, le printemps, lui a paré seulement les « ruines » des roses et des vignes.
Donc, le printemps peut avoir beaucoup de significations; il peut être le cadre d’une situation heureuse (selon la tradition) aussi bien que de l’infélicité. D’habitude, cette saison est lié à l’amour, et donc elle peut avoir des significations positives aussi bien que négatives. Particulièrement dans la Renaissance, le printemps est le cadre de l’amour, d’habitude, heureux. Nerval est original parce que il voit dans cette saison un élément de purification, alors que Rimbaud y symbolise sa situation et Apollinaire y situe son amour malheureux, en contraste avec la Renaissance.
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