samedi 6 septembre 2014

Raymond Devos "Le Millefeuille"














J'ai terriblement maigris a la suite d'un pari que j'ai fait... que je ne regrette pas.
Figurez vous qu'un jour, a la fin d'un bon repas, au moment où on m'apportait les pâtisseries, quelqu'un me dit:
- Monsieur, pourquoi n'écrieriez-vous pas un monologue sur la faim, la faim dans le monde.
-Eh Eh, voyez parce que cela ne serait pas beau, hein?.
Il me dit:
- Si, si c'est vous qui crevez de faim, les gens vont mourir de rire.
je lui dit:
- Si c'est ça, d'accord, je mis met et tout de suite.
J'ai repoussé les pâtisseries et j'ai quitté la table.
Comme j'avais un peu oubliez ce que c'était que d'avoir faim, J'ai fait maigre.
Ben, c'est a dire que j'ai jeûné.
J'ai jeûné. Ça s'est vu tout de suite.
On m'a dit:
- Tiens, le vieux jeune!
Et des que je me suis senti le ventre creux, j'ai compris que la fin était proche.
Je suis rentré chez moi et j'ai écrit: " Le commencement de la faim"
Il était une fois: "La faim".
Et pendant toute l'histoire, je n'ai fait que parlé de la faim. la faim. . la faim ... la faim!
Si bien qu'a la fin, j'étais pris d'une telle fringale, j'ai pris mon manuscrit, je l'ai glissé dans ma poche. je me suis précipité chez le pâtissier le plus proche et devant la pâtisserie, il y avait un pauvre qui mendiait. Il me dit:
- Monsieur, s'il-vous plaît?
Alors, j'ai répondu ce que je dis toujours par les cas:
- J'ai déja donné!
Oh il m'dit:
- Pas a moi!
- Je suis un nouveau pauvre. Je suis encore sponsorisé par personne.
Ben j'ai dit:
- Que nous le disiez-vous?
Alors, je lui ai donné une pièce comme ça en lui disant:
- Disez bien partout que c'est moi qui vous l'ai donné.
Il me dit:
- Oui, Monsieur!
Il est entré dans la pâtisserie.
Je me retourne et je vois, parmi toutes sortes de gâteaux, un mille-feuille, épais comme ça, nappé de sucre glace blanc, avec de la crème qui débordait entre chaque feuille.
- Ahhhhh!
Et aussitôt, j'entend une voix intérieure qui me dit:
- Tu ne vas tout de même pas manger ce mille feuille à toi tout seul?
Et une autre voix intérieure encore plus profonde:
- Chiche?
Oh! J'en étais bien capable!
Et puis une troisième voix intérieure que je ne connaissais pas:
- Tu vas partager ce mille-feuille en trois. Tu en donneras 2 tiers au tiers-monde. et tu garderas le troisième pour toi.
Ah j'ai dit:
- Je ne veux pas marchander, mais 2 tiers pour le tiers monde, est-ce que c'est pas un tiers de trop?
- Et puis, est-ce que ça leurs parviendra?
Pour peu qu'il y a un intermédiaire indélicat qui se moque du tiers monde comme du quart, et qui dévie a un des 2 tiers a des fins personnels. je préférerais de manger les 3 tiers en entier au moins je serais où ça va.
Et puis la question s'est posée:
- Où manger un pareil mille-feuilles?
On peut pas manger un pareil mille-feuille devant tout le monde.
Cela serait indécent, indécent. Faut se cacher! Faut se cacher!
Mais où se cacher? Où?
- Dans l'église peut être Ah oui dans l'église! Ah oui dans l'église... ah oui peut être.
Ah oui, mais si le curé me surprend?
- ah, je ferais simplement de feuilleter.
Derrière un pilier. Derrière un pilier ah oui.
Ah. mais derrière un pilier, il y a Dieu la haut qui vous voit
- Alors? On joue les Don Camillo?
- Moi qui te prenais pour la crème des anges.
- Mon Dieu, ce ne sont que de pauvres feuilles.
- Oui, mais il y en a mille!
- Pense a ceux qui ont faim, homme de peu de foi! Pour ta pénitence, tu me copieras 100 fois le mot faim et sans fin le mot foi.
- Faudrait peut être mieux prendre une religieuse!
Je me retournais. Qui je vois derrière la vitre?
je vous le donne en mille: Une religieuse! Une vrai, authentique, nappée!
Avec 2 gaufrettes! 2...
2 Cornettes! Cornettes! Cornettes! Cornettes!
Et elle me montrait mon mille-feuille du doigt comme ça.
Alors j'ai frappé la vitre:
- il est à moi le gâteau!
- Vous pouvez faire une croix dessus!
Comme elle ne semblait ne pas comprendre, j'ai essayé de l'influencer mentalement de dévier son doigt...
- Prend pas ce mille feuille! Prend plutôt la tarte qu'est à cote la! Non, Non ... pas ca... Prend plutôt la tarte qu'est à cote là!
- Tu vas la prendre la tarte!
Et pour plus de sécurité, je suis entré dans la pâtisserie, et j'ai entendu la religieuse qui disait:
- Pour les pauvres de la paroisse, donnez moi 24 nonnettes!
- Ohhh!
Et la vendeuse:
- Et vous Madame?
- Moi je voudrais 12 éclairs au chocolat. C'est pour mes pauvres!
Et dans son coin, il y avait mon pauvre qui disait:
Est-ce que je pourrais avoir?
Et la vendeuse:
- Une seconde, s'il-vous plaît!
- Et vous, Madame?
- Moi, je voudrais 22 "baba au rhum"! C'est pour mes pauvres!
Et dans son coin, il y avait mon pauvre qui disait:
- Est-ce que je pourrais avoir?
Et la vendeuse:
- Une seconde, s'il-vous plaît!
- Et vous, Madame?
- Moi, je voudrais pour mes pauvres des chaussons aux pommes!
- Combien?
- 12 Paires!
Et dans son coin, il y avait mon pauvre qui disait:
- Est-ce que je pourrais avoir?
Et la vendeuse:
- Une seconde. Vous voyez bien que tout le monde s'occupe de vous!
Elle me dit:
- Et vous Monsieur?
- Je voudrais ce mille feuille qui est la!
Et de l'autre cote de la vitre, je vois deux grands yeux de gosses qui regardent ça dans des petits visages défaits. Ça m'a rappelé ces visages insoutenables de la faim dans le monde que je croyais avoir oubliées, effacées de mon esprit
Alors la j'ai dit:
- La on ne peut plus rire, hein. la on ne peut plus rire! la on ne peut plus, ça!
Alors, j'ai vaguement entendu la vendeuse qui disait:
- C'est pour manger tout de suite?
J'ai dit:
- Non, Madame, madame c'est pour offrir, s'il vous-plait!
Alors, j'ai pris Le Mille-Feuille, j'ai payé, je suis sorti et je l'ai donné au gosse.
Ce qui m'a fait le plus plaisir, c'est que le gosse est allé se cacher derrière moi pour le manger.
- Ahh!
D'autant que les gens s'étaient arrêtes. Il y avait un attroupement.
Alors, il y a une maman qui disait à sa petite fille:
- Tu le reconnais. C'est le comique qui fait la grève de la faim pour nous distraire.
Et la petite fille qui disait:
- Maman, qu'est-ce que ça mange, un comique?.
La, l'homme de spectacle que je suis a reprit le dessus. J'ai sorti mon manuscrit de ma
poche. J'ai mordu dedans à pleine dents. On a dit:
-Il est bon?
Et j'ai mangé tout mon manuscrit, feuille après feuille, sauf la dernière.
Alors les gens qui veulent toujours connaître le mot de la fin:
- Pourquoi ne mangez vous pas la dernière feuille?
Eh! et la part du pauvre?













Raymond Devos "Où courent-ils" ... Histoire de fous




   

ATTENTION AUX FOUS!!! ....

ET AUX FAUX FOUS!!!


Je lui dis : - "Mais si vous n'êtes pas fou, pourquoi
restez-vous dans une ville où tout le monde l'est ?"

Il me dit :
 - "Parce que j'y gagne un argent fou !...
C'est moi le banquier !!!




















Excusez-moi, je suis un peu essouflé ! Je viens de traverser une ville où tout
le monde courait...Je ne peux pas vous dire laquelle... je l'ai traversée en courant.
Lorsque j'y suis entré, je marchais normalement, mais quand j'ai vu que tout le monde
courait... je me suis mis à courir comme tout le monde sans raison !
A un moment je courais au coude à coude avec un monsieur...
Je lui dis : - "Dites-moi... Pourquoi tous ces gens-là courent-ils comme des fous ?"
Il me dit :
 - "Parce qu'ils le sont !";
Il me dit :
 - "Vous êtes dans une ville de fous ici... Vous n'êtes pas au courant ?" 
Je lui dis : - "Si, si, des bruits ont couru !"
Il me dit :
 - "Ils courent toujours !" 
Je lui dis : - "Qu'est-ce qui fait courir tous ces fous ?"
Il me dit :
 - "Tout ! Tout ! Il y en a qui courent au plus pressé. D'autres qui courent
après les honneurs... Celui-ci court pour la gloire... Celui-là court à sa perte !" 
Je lui dis : - "Mais pourquoi courent-ils si vite ?"
Il me dit :
 - " Pour gagner du temps ! Comme le temps, c'est de l'argent, plus
ils courent vite, plus ils en gagnent !" 
Je lui dis : - "Mais où courent-ils ?"
Il me dit :
 - "À la banque ! Le temps de déposer l'argent qu'ils ont gagné sur un compte
courant... et ils repartent toujours courant, en gagner d'autre !" 
Je lui dis : - "Et le reste du temps ?"
Il me dit :
 - "Ils courent faire leurs courses... au marché !" 
Je lui dis : - "Pourquoi font-ils leurs courses en courant ?"
Il me dit :
 - "Je vous l'ai dit... parce qu'ils sont fous !" 
Je lui dis : - "Ils pourraient tout aussi bien faire leur marché en marchant...
tout en restant fous !"
Il me dit :
 - "On voit bien que vous ne les connaissez pas ! D'abord le fou
n'aime pas la marche..." 
Je lui dis : - "Pourquoi ?"
Il me dit :
 - "Parce qu'il la rate !" 
Je lui dis : - "Pourtant, j'en vois un qui marche !?"
Il me dit :
 - "Oui, c'est un contestataire ! Il en avait assez de courir comme un fou.
Alors il a organisé une marche de protestation !" 
Je lui dis : - "Il n'a pas l'air d'être suivi ?"
Il me dit :
 - "Si, mais comme tous ceux qui le suivent courent, il est dépassé !" 
Je lui dis : - "Et vous, peut-on savoir ce que vous faites dans cette ville ?"
Il me dit :
 - "Oui ! Moi j'expédie les affaires courantes. Parce que même ici,
les affaires ne marchent pas !" 
Je lui dis : - "Et où courez-vous là ?"
Il me dit :
 - "Je cours à la banque !" 
Je lui dis : - "Ah !... Pour y déposer votre argent ?"
Il me dit :
 - "Non ! Pour le retirer ! Moi je ne suis pas fou !" 
Je lui dis : - "Mais si vous n'êtes pas fou, pourquoi restez-vous dans une ville où
tout le monde l'est ?"
Il me dit :
 - "Parce que j'y gagne un argent fou !... C'est moi le banquier !!!

(c) Raymond Devos





Raymond Devos "Le Mille-feuille"









Raymond Devos "Sens dessus dessous"














Actuellement,
mon immeuble est sens dessus dessous.
Tous les locataires de dessous
voudraient habiter au-dessus  !
Tout cela parce que le locataire
qui est au-dessus
est allé raconter par en dessous
que l'air que l'on respirait à l'étage au-dessus
 était meilleur que celui que l'on respirait
à l'étage au-dessous !
Alors,  le locataire qui est en dessous
 a tendance à envier celui qui est au-dessus
et à mépriser celui qui est en dessous.
Moi je suis au-dessus de ça !
Si je méprise celui qui est en dessous,
ce n'est parce qu'il est en dessous,
c'est parce qu'il convoite l'appartement
qui est au-dessus, le mien !
Remarquez, moi je lui céderai bien
mon appartement à celui du dessous
à condition d'obtenir celui du dessus !
Mais je ne compte pas trop dessus.
D'abord parce que je n'ai pas de sous !
Ensuite, au-dessus de celui qui est dessus,
 il n'y a plus d'appartement !
Alors, le locataire du dessous
 qui monterait au-dessus
obligerait celui du dessus
à redescendre en dessous.
Or, je sais que celui de dessus n'y tient pas.
D'autant que, comme la femme de dessous
est tombée amoureuse de celui du dessus,
celui du dessus n'a aucun intérêt à ce que
 le mari de la femme de dessous monte au-dessus !
Alors là-dessus...
quelqu'un est-il allé raconter à celui du dessous
qu'il avait vu sa femme bras dessus
bras dessous avec celui du dessus ?
Toujours est-il que celui du dessous
l'a su !
Et un jour que la femme du dessous
était allée rejoindre celui du dessus,
comme elle retirait ses dessous...
et lui, ses dessus ...
soi-disant parce qu'il avait trop chaud en dessous...
je l'ai su parce que d'en dessous,
on entend tout ce qui se passe au-dessus...
Bref ! Celui du dessous leur est tombé dessus !
Comme ils étaient tous les deux saouls,
ils se sont tapés dessus !
Finalement, c'est celui du dessous qui a eu le dessus.

















Isabeau de R : L'école de 1975 à 2012 ça change ... avec une chanson de Georges Brassens "La maîtresse"
















Merci à Mario Pasquariello pour cette vidéo que,



 je n’en doute pas,



 mes élèves l' aimeront bien.








   

A l'école où nous avons appris l' A B C
La maîtresse avait des méthodes avancées.
Comme il fut doux le temps, bien éphémère, hélas !
Où cette bonne fée régna sur notre classe,
Régna sur notre classe.

Avant elle, nous étions tous des paresseux,
Des lève nez, des cancres, des crétins crasseux.
En travaillant exclusivement que pour nous,
Les marchands de bonnets d'âne étaient sur les genoux,
Etaient sur les genoux.

La maîtresse avait des méthodes avancées
Au premier de la classe elle promit un baiser,
Un baiser pour de bon, un baiser libertin,
Un baiser sur la bouche, enfin bref, un patin,
Enfin bref, un patin.

Aux pupitres alors, quelque chose changea,
L'école buissonnière eut plus jamais un chat.
Et les pauvres marchands de bonnets d'âne, crac !
Connurent tout à coup la faillite, le krack,
La faillite, le krack.

Lorsque le proviseur, à la fin de l'année,
Nous lut les résultats, il fut bien étonné.
La maîtresse, elle, rougit comme un coquelicot,
Car nous étions tous prix d'excellence ex-aequo,
D'excellence ex-aequo.

A la récréation, la bonne fée se mit
En devoir de tenir ce qu'elle avait promis.
Et comme elle embrassa quarante lauréats,
Jusqu'à une heure indue la séance dura,
La séance dura.

Ce système bien sûr ne fut jamais admis
Par l'imbécile alors recteur d'académie.
De l'école, en dépit de son beau palmarès,
On chassa pour toujours notre chère maîtresse,
Notre chère maîtresse.

Le cancre fit alors sa réapparition,
Le fort en thème est redevenu l'exception.
A la fin de l'année suivante, quel fiasco !
Nous étions tous derniers de la classe ex-aequo,
De la classe ex-aequo !

A l'école où nous avons appris l' A B C
La maîtresse avait des méthodes avancées.
Comme il fut doux le temps bien éphémère, hélas !
Où cette bonne fée régna sur notre classe,
Régna sur notre classe.









Yves Bonnefoy "L'heure présente et autres textes"
















Ce nouveau livre d'Yves Bonnefoy en Poésie/Gallimard regroupe ses trois derniers écrits poétiques qui mêlent poèmes, proses et réflexions critiques, la poésie étant ainsi toujours escortée par la poétique qui l'explicite et la légitime.




A' l'écoute de l'un des plus grands poètes contemporains


Interview avec Yves Bonnefoy


Heure présente, ne renonce pas,
Reprends tes mots des mains errantes de la foudre,
Écoute-les faire du rien parole,
Risque-toi
Dans même la confiance que rien ne prouve,

Lègue-nous de ne pas mourir désespérés.




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J'ai ramassé le fruit, j'ouvre l'amande.
Dans la parole
La dérive rapide de la nuée.
Illusion,
L'âtre qui brûlait clair le soir, te souviens-tu,
Dans la maison que nous avons aimée.
Ce petit bois,
Ces boules de papier froissé, ce pique-feu,
Cette flamme soudaine, presque un éclair,
Un rêve, comme nous ?


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Personne

Dans le bruit du torrent. Personne
Dans la lumière. L’homme
Là-bas, à la cervelle d’or,
Qui titube sur le trottoir, ses doigts sanglants
Crispés sur des raclures de l’esprits,
Qu’offrait-il, quel bouquet ? Je veux ces fleurs,
Les dégager du papier qui les couvre,
Cette page rougie, car j’aperçois,
Dans le don qu’il faisait, déjà mourant,
Les abîmes du ciel et de la terre,
Les images que forment les nuées
Et des corolles, l’homme, la femme,
Dont la couleur me semble restée vive,
Mais tout cela, c’est dans le caniveau,
Il a jeté l’offrande refusée,
Ne vais-je ramasser que du flétri,
De l’incensé, une odeur âcre, fade ?
Roses, roses ? N’existent
Que roses déchirées, pas de rose en soi,
Pas de corolle à soutenir un monde.