jeudi 16 octobre 2014

Alfred de Vigny "La mort du loup" Les Destinées (1843-1863)






La mort du loup

I

Les nuages couraient sur la lune enflammée
Comme sur l'incendie on voit fuir la fumée,
Et les bois étaient noirs jusques à l'horizon.
Nous marchions sans parler, dans l'humide gazon,
Dans la bruyère épaisse et dans les hautes brandes, 5
Lorsque, sous des sapins pareils à ceux des Landes,
Nous avons aperçu les grands ongles marqués
Par les loups voyageurs que nous avions traqués.
Nous avons écouté, retenant notre haleine
Et le pas suspendu. -- Ni le bois, ni la plaine  10
Ne poussait un soupir dans les airs ; Seulement
La girouette en deuil criait au firmament ;
Car le vent élevé bien au dessus des terres,
N'effleurait de ses pieds que les tours solitaires,
Et les chênes d'en-bas, contre les rocs penchés,  15
Sur leurs coudes semblaient endormis et couchés.
Rien ne bruissait donc, lorsque baissant la tête,
Le plus vieux des chasseurs qui s'étaient mis en quête
A regardé le sable en s'y couchant ; Bientôt,
Lui que jamais ici on ne vit en défaut,  20
A déclaré tout bas que ces marques récentes
Annonçait la démarche et les griffes puissantes
De deux grands loups-cerviers et de deux louveteaux.
Nous avons tous alors préparé nos couteaux,
Et, cachant nos fusils et leurs lueurs trop blanches,  25
Nous allions pas à pas en écartant les branches.
Trois s'arrêtent, et moi, cherchant ce qu'ils voyaient,
J'aperçois tout à coup deux yeux qui flamboyaient,
Et je vois au delà quatre formes légères
Qui dansaient sous la lune au milieu des bruyères,  30
Comme font chaque jour, à grand bruit sous nos yeux,
Quand le maître revient, les lévriers joyeux.
Leur forme était semblable et semblable la danse ;
Mais les enfants du loup se jouaient en silence,
Sachant bien qu'à deux pas, ne dormant qu'à demi,  35
Se couche dans ses murs l'homme, leur ennemi.
Le père était debout, et plus loin, contre un arbre,
Sa louve reposait comme celle de marbre
Qu'adorait les romains, et dont les flancs velus
Couvaient les demi-dieux Rémus et Romulus.  40
Le Loup vient et s'assied, les deux jambes dressées
Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées.
Il s'est jugé perdu, puisqu'il était surpris,
Sa retraite coupée et tous ses chemins pris ;
Alors il a saisi, dans sa gueule brûlante,   45
Du chien le plus hardi la gorge pantelante
Et n'a pas desserré ses mâchoires de fer,
Malgré nos coups de feu qui traversaient sa chair
Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles,
Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles,  50
Jusqu'au dernier moment où le chien étranglé,
Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé.
Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde.
Les couteaux lui restaient au flanc jusqu'à la garde,
Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang ;   55
Nos fusils l'entouraient en sinistre croissant.
Il nous regarde encore, ensuite il se recouche,
Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche,
Et, sans daigner savoir comment il a péri,
Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri.    60

II

J'ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre,
Me prenant à penser, et n'ai pu me résoudre
A poursuivre sa Louve et ses fils qui, tous trois,
Avaient voulu l'attendre, et, comme je le crois,
Sans ses deux louveteaux la belle et sombre veuve
Ne l'eût pas laissé seul subir la grande épreuve ;
Mais son devoir était de les sauver, afin
De pouvoir leur apprendre à bien souffrir la faim,
A ne jamais entrer dans le pacte des villes
Que l'homme a fait avec les animaux serviles
Qui chassent devant lui, pour avoir le coucher,
Les premiers possesseurs du bois et du rocher.

Hélas ! ai-je pensé, malgré ce grand nom d'Hommes,
Que j'ai honte de nous, débiles que nous sommes !
Comment on doit quitter la vie et tous ses maux,
C'est vous qui le savez, sublimes animaux !
A voir ce que l'on fut sur terre et ce qu'on laisse
Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse.
- Ah ! je t'ai bien compris, sauvage voyageur,
Et ton dernier regard m'est allé jusqu'au coeur !
Il disait : " Si tu peux, fais que ton âme arrive,
A force de rester studieuse et pensive,
Jusqu'à ce haut degré de stoïque fierté
Où, naissant dans les bois, j'ai tout d'abord monté.
Gémir, pleurer, prier est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le Sort a voulu t'appeler,
Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler. "



  





La mort du loup (commentaire)










Les caractéristiques de la nature chez Alfred de Vigny: propositions pour une comparaison avec Giacomo Leopardi








JOURNEE d'ETUDE, 16 septembre 2013, Paris


Les caractéristiques de la nature chez Alfred de Vigny:

a) La nature refuge

b) La nature ni amie ni mère

c) La nature nous apprend la dignité







La Maison du Berger ( III vers 280-301)

Elle me dit : "Je suis l'impassible théâtre
Que ne peut remuer le pied de ses acteurs ;
Mes marches d'émeraude et mes parvis d'albâtre,
Mes colonnes de marbre ont les dieux pour sculpteurs.
Je n'entends ni vos cris ni vos soupirs ; à peine  5
Je sens passer sur moi la comédie humaine
Qui cherche en vain au ciel ses muets spectateurs.

"Je roule avec dédain, sans voir et sans entendre,
A côté des fourmis les populations ;
Je ne distingue pas leur terrier de leur cendre,  10
J'ignore en les portant les noms des nations.
On me dit une mère et je suis une tombe.
Mon hiver prend vos morts comme son hécatombe,
Mon printemps ne sent pas vos adorations.

"Avant vous j'étais belle et toujours parfumée,   15
J'abandonnais au vent mes cheveux tout entiers,
Je suivais dans les cieux ma route accoutumée,
Sur l'axe harmonieux des divins balanciers.
Après vous, traversant l'espace où tout s'élance,
J'irai seule et sereine, en un chaste silence         20
Je fendrai l'air du front et de mes seins altiers."




Introduction à l'analyse:


1)La nature se présente comme le cadre d'un théâtre.

Cette méthaphore se développe à travers la présentation

des éléments matériels du bâtiment suggérant une architecture

grecque  (v. 4 "colonnes ...") d'origine divine, 
   
avec des  "acteurs" (v.2),    des spectateurs (v.7) et
   
une pièce  (v. 6) en opposition évidente

avec ce décor grandiose.



2)Le 2e  strophe est  en parfaite correspondance avec Leopardi:

La nature est présentée comme une divinité cruelle et insensible



Natura«Immaginavi tu forse che il mondo fosse fatto per causa vostra? Ora sappi che nelle fatture, negli ordini e nelle operazioni mie, trattone pochissime, sempre ebbi ed ho l’intenzione a tutt’altro che alla felicità degli uomini o all’infelicità. Quando io vi offendo in qualunque modo e con qual si sia mezzo, io non me n’avveggo, se non rarissime volte: come, ordinariamente, se io vi diletto o vi benefico, io non lo so; e non ho fatto, come credete voi, quelle tali cose, o non fo quelle tali azioni, per dilettarvi o giovarvi. E finalmente, se anche mi avvenisse di estinguere tutta la vostra specie, io non me ne avvedrei.»

Giacomo LeopardiOperette Morali, Dialogo della natura e di un islandese.





3)Dans la 3e strophe,  le temps y apparaît à travers la double

indication  "Avant vous" (v. 15) et "Après vous" (v. 19)

et cette référence  chronologique illustre l'absence complète

d'interférence  entre la nature et l'histoire humaine.




La Maison du Berger  III vers 302-336)


"Aimez ce que jamais on ne verra deux fois."








Les oracles 

V

Toujours, sur ce cristal, rempart des grandes âmes,
La langue du sophiste ira heurter son dard.
Qu’il se morde lui-même en ses détours infâmes,
Qu’il rampe, aveugle et sourd, dans l’éternel brouillard.
Oublié, méprisé, qu’il conspire et se torde,
Ignorant le vrai beau, qu’il le souille et qu’il morde
Ce diamant que cherche en vain son faux regard.

VI

Le DIAMANT ! c’est l’art des choses idéales,
Et ses rayons d’argent, d’or, de pourpre et d’azur,
Ne cessent de lancer les deux lueurs égales
Des pensers les plus beaux, de l’amour le plus pur.
Il porte du génie et transmet les empreintes.
Oui, de ce qui survit aux nations éteintes,
C’est lui le plus brillant trésor et le plus dur.


28 mars 1862.

CAMPUS LICEO CLASSICO CAIROLI










Lisez les questions et l'extrait

 et après 

Ecoutez-le!







Si vous avez le temps lisez et écoutez sur ce site 

les documents NIVEAU A 1





















CAMPUS LICEO CLASSICO CAIROLI VARESE