samedi 6 septembre 2014

"Paroles" (1946), de Jacques Prévert : Sables Mouvants - Cet Amour - Pour toi mon amour - Immense et Rouge




















Sables Mouvants

Démons et merveilles
Vents et marées
Au loin déjà la mer s’est retirée
Et toi
Comme une algue doucement caressée par le vent  5
Dans les sables du lit tu remues en rêvant
Démons et merveilles
Vents et marées
Au loin déjà la mer s’est retirée
                    Mais dans tes yeux entrouverts              10
Deux petites vagues sont restées

Démons et merveilles

Vents et marées
Deux petites vagues pour me noyer.

Jacques Prévert, Paroles, (1945)



Prévert développe ici un climat de douceur et de fascination.
La douceur  de “Sables mouvants” repose sur le climat d’intimité, de tendresse, 
de refuge amoureux, « et toi », avec l’adjectif « petit », l’adverbe « doucement », 
la présence des éléments  naturels (le vent, la mer), et le rêve.
Dès le premier vers, « Démons et merveilles » joue sur l’expression 
« Monts et merveilles » : la promesse semble tenue. Quels sont les démons
 auxquels le poète fait allusion ? On peut supposer qu’ils renvoient 
aux « yeux entrouverts » évoqués au vers  10, regard qui promet monts 
et merveilles à celui qui s’y plonge... La merveille, la fascination, vient 
de l’importance du regard liée à celle de la mer :
les yeux/les vagues ; le regard/la profondeur de la mer/la noyade
 comme expression ultime de la fascination amoureuse. 
Le corps lui-même est algue marine :
la femme a, pour ainsi dire, pris le relais de la mer retirée.





Serge Reggiani chante "Cet Amour"







Cet Amour


Cet amour
Si violent
Si fragile
Si tendre
Si désespéré
Cet amour
Beau comme le jour
Et mauvais comme le temps
Quand le temps est mauvais
Cet amour si vrai
Cet amour si beau
Si heureux
Si joyeux
Et si dérisoire
Tremblant de peur comme un enfant dans le noir
Et si sûr de lui
Comme un homme tranquille au milieu de la nuit
Cet amour qui faisait peur aux autres
Qui les faisait parler
Qui les faisait blémir
Cet amour guetté
Parce que nous le guettions
Traqué blessé piétiné achevé nié oublié
Parce que nous l'avons traqué 
blessé piétiné achevé nié oublié
Cet amour tout entier
Si vivant encore
Et tout ensoleillé
C'est le tien
C'est le mien
Celui qui a été
Cette chose toujours nouvelles
Et qui n'a pas changé
Aussi vraie qu'une plante
Aussi tremblante qu'un oiseau
Aussi chaude aussi vivante que l'été
Nous pouvons tous les deux
Aller et revenir
Nous pouvons oublier
Et puis nous rendormir
Nous réveiller souffrir vieillir
Nous endormir encore
Rêver à la mort
Nous éveiller sourire et rire
Et rajeunir
Notre amour reste là
Têtu comme une bourrique
Vivant comme le désir
Cruel comme la mémoire
Bête comme les regrets
Tendre comme le souvenir
Froid comme le marbre
Beau comme le jour
Fragile comme un enfant
Il nous regarde en souriant
Et il nous parle sans rien dire
Et moi j'écoute en tremblant
Et je crie
Je crie pour toi
Je crie pour moi
Je te supplie
Pour toi pour moi et pour tous ceux qui s'aiment
Et qui se sont aimés
Oui je lui crie
Pour toi pour moi et pour tous les autres
Que je ne connais pas
Reste là
Là où tu es
Là où tu étais autrefois
Reste là
Ne bouge pas
Ne t'en va pas
Nous qui sommes aimés
Nous t'avons oublié
Toi ne nous oublie pas
Nous n'avions que toi sur la terre
Ne nous laisse pas devenir froids
Beaucoup plus loin toujours
Et n'importe où
Donne-nous signe de vie
Beaucoup plus tard au coin d'un bois
Dans la forêt de la mémoire
Surgis soudain
Tends-nous la main
Et sauve-nous.


Dossier pédagogique Prévert





















par Jeanne Moreau 










POUR TOI MON AMOUR


Je suis allé au marché aux oiseaux
Et j'ai acheté des oiseaux
Pour toi
mon amour
Je suis allé au marché aux fleurs
Et j'ai acheté des fleurs
Pour toi
mon amour
Je suis allé au marché à la ferraille
Et j'ai acheté des chaînes
De lourdes chaînes
Pour toi
mon amour
Et puis je suis allé au marché aux esclaves
Et je t'ai cherchée
Mais je ne t'ai pas trouvée
mon amour

IMMENSE ET ROUGE







Immense et rouge


Au-dessus du Grand Palais

Le soleil d'hiver apparaît

Et disparaît

Comme lui mon coeur va disparaître

Et tout mon sang va s'en aller

S'en aller à ta recherche

Mon amour

Ma beauté

Et te trouver

Là où tu es. 




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