jeudi 8 octobre 2015

Mattias Enard "Boussole" Acte Sud (2015)



"Dans la vie il y a des blessures qui, come une lèpre,

 rongent l’âme dans la solitude"

(Sadegh Hedayat, p.9)



 C'est lors d'une  une nuit d’insomnie dans l’appartement 

viennois du musicologue Franz Ritter qui débute l'historie




"A défaut de dormir, il se laisse envahir ses rêves éveillés, et la


 reconstruction de ses souvenirs. Comme il a l’âme naturellement 

portée à la mélancolie comme sentiment du temps, mais une 

mélancolie féconde et allègre, pas une mélancolie dépressive et 

suicidaire, il se raconte les histoires de sa vie, revisite ses lieux, 

refait son chemin de Damas, Istanbul, Alep, Palmyre, Téhéran ...."


(Pierre Assouline)




D'une richesse inouie de références musicales et littéraires

un livre monument qui  s'ouvre et se termine  sur la même 


citation 

Je referme les yeux,    
mon cœur bat toujours ardemment.    
quand reverdiront les feuilles à la fenêtre ?    
quand tiendrai-je mon amour entre mes bras ? 
Le voyage en hiver.
Wilhelm müller & Franz schubert,  

qui pourrait bien nous venir de Tistan et Iseut

Le Goncourt 2015.. Qui peut le dire?
mais sans aucun doute un livre qui marquera les esprits 
dans cette tourmentée histoire entre 
Orient et Occidant qui est le  grand thème aussi de nos jours







Nous sommes deux fumeurs d’opium chacun dans son nuage, 
sans rien voir au-dehors, seuls, sans nous comprendre jamais 
nous fumons, visages agonisants dans un miroir, nous sommes 
une image glacée à laquelle le temps donne l’illusion du mou- 
vement, un cristal de neige glissant sur une pelote de givre dont 
personne ne perçoit la complexité des enchevêtrements, je suis 
cette goutte d’eau condensée sur la vitre de mon salon, une perle 
liquide qui roule et ne sait rien de la vapeur qui l’a engendrée, 
ni des atomes qui la composent encore mais qui, bientôt, ser- 
viront à d’autres molécules, à d’autres corps, aux nuages pesant 
lourd sur Vienne ce soir : qui sait dans quelle nuque ruissellera 
cette eau, contre quelle peau, sur quel trottoir, vers quelle rivière, 
et cette face indistincte sur le verre n’est mienne qu’un instant, 
une des millions de configurations possibles de l’illusion – tiens 
m. Gruber promène son chien malgré la bruine, il porte un 
chapeau vert et son éternel imperméable ; il se protège des écla- 
boussures des voitures en faisant de petits bonds ridicules sur 
le trottoir : le clébard croit qu’il veut jouer, alors il bondit vers 
son maître et se prend une bonne baffe au moment où il pose sa 
patte crasseuse sur l’imper de m. Gruber qui finit malgré tout 
par se rapprocher de la chaussée pour traverser, sa silhouette est 
allongée par les réverbères, flaque noircie au milieu des mers 
d’ombre des grands arbres, déchirées par les phares sur la Porzel- 
langasse, et herr Gruber hésite apparemment à s’enfoncer dans 
la nuit de l’alsergrund, comme moi à laisser ma contemplation 
des gouttes d’eau, du thermomètre et du rythme des tramways 
qui descendent vers schottentor.
l’existence est un reflet douloureux, un rêve d’opiomane, un 
poème de roumi chanté par shahram Nazeri, l’ostinato du zarb 
fait légèrement vibrer la vitre sous mes doigts comme la peau de 
la percussion, je devrais poursuivre ma lecture au lieu de regarder 
m. Gruber disparaître sous la pluie, au lieu de tendre l’oreille aux 
mélismes tournoyants du chanteur iranien, dont la puissance et 
le timbre pourraient faire rougir de honte bien des ténors de chez 
nous. Je devrais arrêter le disque, impossible de me concentrer ; j’ai beau relire ce tiré à part pour la dixième fois je n’en omprends pas le sens mystérieux, vingt pages, vingt pages horribles, glaçantes, qui me parviennent précisément aujourd’hui, aujourd’hui qu’un médecin compatissant a peut-être nommé ma maladie, a déclaré mon corps officiellement malade, presque soulagé d’avoir posé – baiser mortel – un diagnostic sur mes symptômes, un diagnos- tic qu’il convient de confirmer, tout en commençant un traite- ment, disait-il, et en suivre l’évolution, l’évolution, voilà, on en est là, contempler une goutte d’eau évoluer vers la disparition avant de se reformer dans le Grand tout. 





















(« Des migrants africains à Djibouti cherchent une connexion pour 
tenter de  capter un signal un signal moins coûteux de Somalie »


Comment le lire ? 


 ... et bien en écoutant de la musique classique,

dans le roman il y a nombre de musiciens cités 

Shubert, Gluck, qui fai l'objet d'un mémoire


"L'orient dans les opéra viennois de Gluck"

Beethoven ...


Moi, j'ai choisi 


Les Kindertotenlieder 


tirés des 


poèmes  Kindertotenlieder
  


(Chants pour des enfants morts)

de  Friedrich Rückert  




Gustav  Mahler




"La vie est une symphonie de Malher, 

elle ne revient jamais en arrière"

(p. 50)


ou bien une chanson de Barbara




Si je t'écris ce soir de Vienne
J'aimerais bien que tu comprennes
Que j'ai choisi l'absence
Comme dernière chance
Notre ciel devenait si lourd
Si je t'écris ce soir de Vienne
Oh que c'est beau l'automne à Vienne
C'est que sans réfléchir
J'ai préféré partir
Et je suis à Vienne sans toi
Je marche, je rêve dans Vienne
Sur trois temps de valse lointaine
Il semble que les ombres
Tournent et se confondent
Qu'ils étaient beaux les soirs de Vienne
Ta lettre a dû croiser la mienne
Non je ne veux pas que tu viennes
Je suis seule et puis j'aime
Etre libre
O que j'aime
Cet exil à Vienne sans toi

Une vieille dame autrichienne
Comme il n'en existe qu'à Vienne
Me loge et dans ma chambre
Tombent de pourpre et d'ambre
De lourdes tentures de soies
C'est beau à travers les persiennes
Je vois l'église Saint-Etienne
Et quand le soir se pose
C'est bleu, c'est gris, c'est mauve
Et la nuit par-dessus les toits
Que c'est beau Vienne
Que c'est beau Vienne

Cela va faire une semaine
Déjà que je suis seul à Vienne
C'est curieux le hasard
J'ai croisé l'autre soir
Nos amis de Lountatchimo
Cela va faire une semaine

Ils étaient de passage à Vienne
Ils n'ont rien demandé
Mais se sont étonnés
De me voir à Vienne sans toi

Moi, moi
Je me promène
Je suis bien
Je suis bien
La la la la la... Je suis bien... si bien

Et puis de semaine en semaine
Voila que je vis seule à Vienne
Tes lettres se font rares
Peut-être qu'autre part
Tu as trouvé l'oubli de moi
Je lis j'écris mais quand même
Oh ce qu'il est long l'automne à Vienne
Dans ce lit à deux places
Où la nuit je me glace
Tout à coup j'ai le mal de toi
Que c'est long Vienne
Que c'est loin Vienne

Si je t'écris ce soir de Vienne
Chéri c'est qu'il faut que tu viennes
J'étais partie
Pardonne-moi
Notre ciel devenait si lourd
Et toi de Paris jusqu'à Vienne
Au bout d'une invisible chaîne
Tu guettais je pense
Jouant l'indifférence
Et tu m'as gardée malgré moi

Il est minuit ce soir à Vienne
Mon amour il faut que tu viennes
Tu vois je m'abandonne
Il est si beau l'automne
Et j'aimerais le vivre avec toi
Que c'est beau Vienne
Avec toi Vienne.