mercredi 16 décembre 2015

Molière : "Le malade imaginaire"







Argan, le malade imaginaire, s'apprête non seulement à contraindre sa fille à épouser contre son gré un médecin, mais également à spolier ses propres enfants de leur héritage légitime au profit de sa seconde femme, Béline, intrigante sans scrupule appâtée par le gain. Fort heureusement, le dénouement fera triompher le bon sens et le rire salutaire, comme dans toute grande comédie.






La pièce connaîtra quatre représentations triomphales, avec Molière dans le rôle-titre. C'est à l'issue de la dernière qu'il trouve la mort. Un an plus tard, à Versailles, le 18 juillet 1674, Le Malade imaginaire remporte un triomphe devant le roi et la cour. À seule fin d'empêcher que la pièce ne tombe dans le domaine public et ne soit montée par d'autres, la troupe de Molière décide de différer la publication, et le texte ne sera imprimé qu'en 1682. 



·  Argan, riche bourgeois qui se dit malade.
·  Angélique et la petite Louison, ses filles nées d'un premier mariage.
·  Béline, sa seconde femme.
·  Béralde, son frère.
·  Toinette, sa servante.
·  Cléante, amoureux d'Angélique.
·  M. Diafoirus, médecin.
·  Thomas, son fils.
·  M. Purgon, médecin d'Argan.



Le Malade imaginaire
Acte III
Situation : Béralde, le frère d’Argan, a empêché Argan de prendre le clystère de M. Purgon.
Scène 5 - MONSIEUR PURGON, ARGAN, BERALDE, TOINETTE

MONSIEUR PURGON - Je viens d'apprendre là-bas, à la porte, de jolies nouvelles; qu'on se moque ici de mes ordonnances, et qu'on a fait refus de prendre le remède que j'avais prescrit.
ARGAN - Monsieur, ce n'est pas...
MONSIEUR PURGON - Voilà une hardiesse bien grande, une étrange rébellion d'un malade contre son médecin!
TOINETTE - Cela est épouvantable!
MONSIEUR PURGON - Un clystère[1] que j'avais pris plaisir à composer moi-même.
ARGAN - Ce n'est pas moi...
MONSIEUR PURGON - Inventé et formé dans toutes les règles de l'art.
TOINETTE - Il a tort.
MONSIEUR PURGON - Et qui devait faire dans les entrailles[2] un effet merveilleux.
ARGAN - Mon frère...
MONSIEUR PURGON - Le renvoyer avec mépris!
ARGAN - C'est lui...
MONSIEUR PURGON - C'est une action exorbitante[3]!
TOINETTE - Cela est vrai.
MONSIEUR PURGON - Un attentat énorme contre la médecine!
ARGAN - Il est cause...
MONSIEUR PURGON - Un crime de lèse-Faculté[4], qui ne se peut assez punir!
TOINETTE - Vous avez raison.
MONSIEUR PURGON - Je vous déclare que je romps commerce avec vous.
ARGAN - C'est mon frère...
MONSIEUR PURGON - Que je ne veux plus d'alliance avec vous.
TOINETTE - Vous ferez bien.
MONSIEUR PURGON - Et que, pour finir toute liaison avec vous, voilà la donation que je faisais à mon neveu, en faveur du mariage.
ARGAN - C'est mon frère qui a fait tout le mal.
MONSIEUR PURGON - Mépriser mon clystère!
ARGAN - Faites-le venir, je m'en vais le prendre.
MONSIEUR PURGON - Je vous aurais tiré d'affaire avant qu'il fût peu.
TOINETTE - Il ne le mérite pas.
MONSIEUR PURGON - J'allais nettoyer votre corps et en évacuer entièrement les mauvaises humeurs[5].
ARGAN - Ah! Mon frère!
MONSIEUR PURGON - Et je ne voulais plus qu'une douzaine de médecines pour vider le fond du sac.
TOINETTE - Il est indigne de vos soins.
MONSIEUR PURGON - Mais, puisque vous n'avez pas voulu guérir par mes mains...
ARGAN - Ce n'est pas ma faute.
MONSIEUR PURGON - Puisque vous vous êtes soustrait de l'obéissance que l'on doit à son médecin...
TOINETTE - Cela crie[6] vengeance.
MONSIEUR PURGON - Puisque vous vous êtes déclaré rebelle aux remèdes que je vous ordonnais...
ARGAN - Ah! Point du tout.
MONSIEUR PURGON - J'ai à vous dire que je vous abandonne à votre mauvaise constitution, à l'intempérie[7] de vos entrailles, à la corruption de votre sang, à l'âcreté de votre bile, et à la féculence de vos humeurs.
TOINETTE - C'est fort bien fait.
ARGAN - Mon Dieu!
MONSIEUR PURGON - Et je veux qu'avant qu'il soit quatre jours vous deveniez dans un état incurable.
ARGAN - Ah! Miséricorde!
MONSIEUR PURGON - Que vous tombiez dans la bradypepsie[8].
ARGAN - Monsieur Purgon!
MONSIEUR PURGON - De la bradypepsie dans la dyspepsie[9].
ARGAN - Monsieur Purgon!
MONSIEUR PURGON - De la dyspepsie dans l'apepsie[10].
ARGAN - Monsieur Purgon!
MONSIEUR PURGON - De l'apepsie dans la lienterie[11].
ARGAN - Monsieur Purgon!
MONSIEUR PURGON - De la lienterie dans la dysenterie[12].
ARGAN - Monsieur Purgon!
MONSIEUR PURGON - De la dysenterie dans l'hydropisie[13].
ARGAN - Monsieur Purgon!
MONSIEUR PURGON - Et de l'hydropisie dans la privation de la vie, où vous aura conduit votre folie.


[1] Un lavement d’eau (parfois additionné d’un médicament) injecté dans le rectum pour nettoyer les intestins.
[2] Ici, les intestins
[3] Ici, extravagante, extraordinaire, qui choque par son caractère exagéré
[4] Au lieu de lèse-majesté, ici fait référence à la Faculté de médecine
[5] « Substance liquide sécrétée par un organisme vivant », CNRTL
[6] Appelle
[7] « Mauvaise constitution des humeurs du corps », CNRTL
[8] Digestion lente et difficile.
[9] Trouble fonctionnel de la digestion, d’origine variable.
[10] Trouble de la digestion dû à une sécrétion insuffisante.
[11] Forme de diarrhée où les aliments sont rejetés incomplètement digérés.
[12] Inflammation intestinale grave, maladie infectieuse caractérisée par de violentes diarrhées.
[13] Accumulation de liquide dans une partie du corps.