vendredi 7 novembre 2014

Les Troubadours :Bernard de Ventadour "Quand vey la lauzeta mover... (canso) Quand je vois voler l'alouette"













Langues et dialectes de France




Bernard de Ventadour

Quand vey la lauzeta mover ...



Quand je vois voler l'alouette







Quand je vois l'alouette mouvoir

De joie ses ailes face au soleil,

Que s'oublie et se laisse choir

Par la douceur qu'au coeur lui va,

Las! si grand envie me vient

De tous ceux dont je vois la joie,

Et c'est merveille qu'à l'instant

Le coeur de désir ne me fonde.



Hélas! tant en croyais savoir
En amour, et si peu en sais.
Car j'aime sans y rien pouvoir
Celle dont jamais rien n'aurai.
Elle a tout mon coeur, et m'a tout,
Et moi-même, et le monde entier,
Et ces vols ne m'ont rien laissé
Que désir et coeur assoiffé.

Or ne sais plus me gouverner
Et ne puis plus m'appartenir
Car ne me laisse en ses yeux voir
En ce miroir qui tant me plaît.
Miroir, pour m'être miré en toi,
Suis mort à force de soupirs,
Et perdu comme perdu s'est
Le beau Narcisse en la fontaine.

Des dames, je me désespère;
Jamais plus ne m'y fierai,
Autant d'elles j'avais d'estime
Autant je les mépriserai.
Pas une ne vient me secourir
Pr&egraves de celle qui me détruit,
Car bien sais que sont toutes ainsi.

Avec moi elle agit en femme
Ma dame, c'est ce que lui reproche,
Ne veut ce que vouloir devrait
Et ce qu'on lui défend, le fait.
Tombé suis en male merci
Car ai fait le fou sur le pont
Et si celà m'est advenu
C'est qu'ai voulu monter trop haut...

Et puisqu'auprès d'elle ne valent
Prière, merci ni droit que j'ai,
Puisque ne lui vient à plaisir
Que l'aime, plus ne lui dirai;
Aussi je pars d'elle et d'amour;
Ma mort elle veut, et je meurs,
Et m'en vais car ne me retient,
Dolent, en exil, ne sais où.

Tristan, plus rien n'aurez de moi,
Je m'en vais, dolent, ne sais où;
De chanter cesse et me retire,
De joie et d'amour me dérobe





Bernard de Ventadour, « Quand je vois l’alouette »

Comtesse de Die, «A chantar »

Comparaison, commentaire composé


La « corteza » (courtoisie)

Pratiquée dans les cours féodale, la corteza en occitan était la qualité de l’homme de cour. C’est un ensemble de valeurs aristocratiques. Elle se caractérise par un comportement délicat, raffiné, à l’opposé des mœurs brutales de la chevalerie (les guerriers) jusqu’aux environs de l’an Mil particulièrement dans les rapports entre hommes et femmes, mais également dans le respect des soi, et la noblesse du comportement (loyauté, fidélité, sens de l’honneur). Elle est une extension du système politique de la féodalité, dans lequel chacun est lié par serment à un supérieur.
La littérature courtoise (poésie des troubadours, romans de chevalerie), exalte l’amour courtois, et toutes les valeurs de noblesse.
Il faut remarquer que l’amour courtois ne s’adresse qu’à une femme mariée, et qu’il est donc par nature impossible à réaliser. Ce serait une traîtrise envers la loyauté due au seigneur ET une rupture du sacrement de mariage.
La courtoisie, par extension, signifie de nos jours une politesse raffinée.
Que retrouvons-nous de l’univers de la cour, de l’univers féodal chez Bernard de Ventadour et la Comtesse de Die ?

Noblesse, beauté 
Comtesse de Die : « Pretz » : le prix, la valeur, le mérite, la noblesse de la Dame elle-même et de son amant : « beauté, prix, sens (intelligence) » (4), « la grand valeur qui se cache en votre âme » (22). « Coratge » : cœur, tendresse, courage
Bernard de Ventadour : « Elle a pris mon cœur » (13), qui évoque la fascination de la beauté et la soumission à la Dame. Mais en fait peu de référence la beauté elle-même, si ce n’est par l’impossibilité d’atteindre le « joi » (la jouissance, la joie et le bonheur) dans les premiers vers consacrés à la nature.

Féodalité 
Comtesse de Die : partout présente. La Dame, maîtresse se plaint de la trahison de son ami : «Souvenez-vous de nos doux entretiens » (28)
Bernard de Ventadour : le serviteur des Dames n’a pas été payé de retour, il a donc droit de refuser son hommage.

Chevalerie 
« orgueilleux » (fier, violent) chez la CD (15), « dur, sauvage » (34) : lui reproche (avec un ton badin) de n’être pas un vrai chevalier qui domine ses penchants violents.

Combat 
Il y a entre l’homme et la femme chez la CD, une joute d’amour, où celui qui est aimé est vainqueur : « il me plaît de vous vaincre en amour » (11). De même chez BV, mais là le poète est totalement vaincu et celle (ou celles ?) qui l’a vaincu ne lui a pas fait grâce, n’a pas été magnanime : «rien ne vaut/  prière, ni merci, ni mon droit » (50). Il est tellement vaincu qu’il part en exil et « renie le chant » (59), « C’est fini », il s’achemine vers la mort, ou bien il st déjà mort (symboliquement)

La « Daumna », la Dame

Le terme provient de Dominus qui signifie en latin Seigneur, donc Dieu. Le féminin domina place immédiatement celle qui est nommée ainsi dans un registre religieux (CF. Notre Dame).

Place de la femme 

Selon les règles courtoises, la Dame, la femme du seigneur en son château est celle qui mérite les hommages, elle dispose de toutes les qualités et elle est inaccessible. Cette situation sociale provoque une idéalisation chez les poètes. La CD fait mine de ne pas comprendre pourquoi, malgré toutes ses qualités, son ami ne lui rend pas hommage. En fait, sa « proeza granz » (grande prouesse, valeur) (22)en fait son égal, il n’a donc pas à lui faire preuve de soumission (vassalité). Elle s’adresse à lui « de ne vous avoir manqué de rien » (8), le poème a donc un destinataire désigné, même si l’on ignore de qui il s’agit, peut-être même n’existe-t-il pas !
Chez BV, la Dame se confond avec les dames, il ne s’adresse à personne en particulier, aucun nom n’est cité. Ce « canso » (chant) évoque une Dame tellement spiritualisée, ou sublimée, qu’on ne sait de qui il s’agit. Elle prend véritablement le sens fort de déesse.
Aussi bien il est possible d’y voir un symbole, ou une allégorie.
Cette Damme est-ce la Nature inaccessible (voir première strophe) ? Est-ce la beauté ? Est-ce la matière, par opposition à l’esprit ? Est-ce la sagesse ? Ou bien est-ce tout à la fois ?
Le poète cache quelque chose dans son canso.
Chez la CD, la dame occupe un rang social certes très élevé, mais elle est à égalité avec son ami, aussi noble qu’elle, tandis que chez BV la Dame est celle qui reçoit les marques d’adoration sans accorder aucune faveur, elle est une déesse cruelle.

La religion

Le moyen-âge du XI ème siècle est une époque d’immense piété, mais il ne faut pas croire pour autant que les mœurs en soit très douces ! D’une part la chevalerie est hantée par sa violence, d’autre part des hérésies venues du début de l’ère chrétiennes resurgissent, particulièrement dans le Sud occitan, enfin l’Islam installé en Espagne et à Jérusalem.
chez la Comtesse de Die les références religieuses sont presque absente (sauf l’interjection « Qu’à Dieu ne plaise »). C’est la morale courtoise seule qui est évoquée, mais sans exaltation religieuse.
En revanche chez Bernard de Ventadour le canso tout entier est une lamentation de type religieux. Il s’adresse à une divinité qui le laisse dans le malheur, ainsi que nous l’avons vu. Preuve en est le vocabulaire religieux :  prière, merci (« merces » : pitié ou Grâce), Daumna, exil (évoque Adam), plus pouvoir sur moi-même, « fiarai » (fier, accorder sa foi, sa confiance totale). Que dit BV ? Il dit qu’après avoir donné toute sa foi à sa divinité, il n’en a rien reçu, il exprime une plainte (elegos>élégie) qui est un profond tourment. Il ne s’agit pas ici de motifs littéraires simplement, mais certainement de l’expression d’une foi particulière à cette époque.

Le catharisme.
Dès le milieu du XI ème siècle se développe, en provenance de Bulgarie et des Balkans une hérésie dualiste dans le Sud de la France, les nobles sont rapidement touchés, avant le peuple tout entier : ils sont nombreux à adopter cette foi près des Pyrénées et leur obstination aboutit à la croisade des Albigeois, menée par Simon de Montfort qui se conclut par la prise de Montségur en 1244. Le début et la fin de l’hérésie cathare correspondent au début et à la fin de l’activité des troubadours.
Le dualisme (ou manichéisme) provient des premiers temps du christianisme, de Manès. Sa question principale est celle du mal. Selon cette doctrine, le monde est mauvais, la nature livrée à la mort a été créée par un démiurge, un dieu méchant. Le Christ n’avait pas de corps, il n’est pas mort sur la croix, il était seulement esprit.
Seuls ceux qui sont devenus parfaits peuvent accéder au ciel, après de nombreuses réincarnations. Le sacrifice du Christ n’offre donc pas le salut à tous, selon eux.
Les cathares s’opposaient au mariage, et à la reproduction, refusaient tous les sacrements, condamnaient les prêtres et se considéraient comme parfaits quand ils avaient reçu le « consolamentum ». Tous les autres étaient dans l’erreur !
Selon le dualisme, deux principes, ou deux dieux, sont à l’œuvre dans le monde : le bon et le mauvais (alors que la foi catholique affirme que Dieu est seul créateur). Le mauvais a crée la matière et le bon a crée l’esprit : aucune réconciliation n’est possible !.
Le dualisme conduit à haïr le monde, la création, la reproduction et in fine conduit au désespoir et recherche la mort comme une libération.
On voit que cette doctrine est extrêmement puritaine, élitiste (basée sur la force individuelle) et morbide.
Tous ces thèmes se retrouvent chez Bernard de Ventadour mais pas chez la Comtesse de Die. Haine du désir, haine de soi, exil (dans la matière), désespoir, goût de la mort et complaisance dans le désespoir.

Le dualisme, malgré l’écrasement du catharisme, a persisté dans la culture et les pensées, on peut estimer qu’il se retrouve dans le puritanisme et le jansénisme. C’est une volonté de posséder l’absolu, le divin, mélange d’orgueil, de désir et de dégoût, c’est la racine de l’idéalisme en général.
« Représentation du monde » elle hante la culture occidentale. On la retrouve chez Vigny des traces de Jansénisme dans l’opposition au monde (son oncle fut un Janséniste notoire et Alfred de Vigny possédait ses livres) et des affirmations qui semblent directement tirées
des écrits cathares (« Dieu n’a pas fini le monde »)

Le lyrisme

Expression du moi

L’analyse des pronoms personnels permet de distinguer immédiatement dans les deux poèmes la présence du poète : multiplicité des Je qui s’adressent dans un cas à un ami inconnu, dans l’autre qui parle de la Dame, ou des Dames, présence des déterminants possessifs. Le moi se distingue par l’orgueil chez la CD : « ni ma beauté, ni mon prix ni ma vertu (ou esprit) » (4) - un orgueil affirmé avec hauteur, sans scrupule, très loin de l’humilité chrétienne. Mais chez BV le narcissisme est très directement évoqué : « comme le beau Narcisse » (24) ainsi que la contemplation dans le miroir (miralh) (20) : on ne sait s’il parle alors de la Dame, ou de lui-même, plutôt c’est lui-même qu’il aime à travers la Dame. Il adore sa propre image, dans laquelle il voit toute la beauté de Dieu (Dans la Genèse il est dit : « Dieu créa l’homme à son image et à sa ressemblance »). Mais en s’adorant lui-même (sa propre pensée ?) il ne peut accéder au bonheur ni à la jouissance, il se perd en lui-même. BV évoque donc le tourment de l’homme en exil de son créateur.

L’amour impossible
Chez la CD, l’amour n’est pas vraiment impossible mais perdu, elle cherche à le reconquérir en se plaignant.
Chez BV, l’amour est impossible par nature, qui aime-t-il au fond ? Il aime l’inaccessible.
La passion d’amour trouve ici l’expression de sa vérité, comme dans Tristan (d’ailleurs cité) et Iseult où les amants ne s’aiment pas l’un l’autre mais aiment leur propre image à travers l’autre. La Dame est non seulement idéalisée, mais divinisée.

La souffrance, la mélancolie

Constitutive de la passion impossible, elle n’est évoquée que par le dépit chez la CD, vexée de ne pas être estimée à sa haute valeur elle se plaint du manque de courtoisie de son ami. On voit que ce n’est qu’un jeu. Chez BV, au contraire, elle est poussée à son paroxysme, comme en témoigne le champ lexical.
Il faut prendre le terme de mélancolie dans son sens fort, c’est une maladie de l’âme, une langueur, qui conduit à la mort. Provoquée par l’amour impossible, elle devient presque un plaisir en soi. Au fond la CD n’exprime sa plainte que pour mieux se sentir exister. De même BV, s’il ne se sent pas exister dans le « joi » s’éprouve dans la mélancolie profonde.
L’expression de la mélancolie est essentielle dans le lyrisme, le moi existe dans sa souffrance, dans l’exaltation de sa souffrance, c’est l’autre pôle de l’amour-passion.

Le jeu, la poésie

Le jeu

Chez la CD, le badinage amoureux devient un prétexte à la création d’une œuvre littéraire, l’important n’est pas vraiment le sentiment en lui-même mais la façon dont il est exprimé : l’art transforme le sentiment douloureux en beauté.

La poésie

Il en est également ainsi chez BV, mais l’art qui est la finalité, au fond la création de la beauté, ne suffit même plus devant l’intensité du sentiment puisqu’il s’exclame : « je renie le chant ».
Le chant transfigure la souffrance, la rend belle, mais pour BV la quête mystique (d’absolu) est plus forte encore. On peut aussi penser qu’il ne s’agit que d’une ultime prouesse verbale.
Les troubadours pratiquaient le « trobar clus » qui a eu un immense succès postérieur : c’est la dissimulation dans les vers de messages secrets. Destinés à la Dame, ou évoquant des thèmes interdits, cette dissimulation permet de cacher au « vulgaire », au non initié, la vérité du message. On peut penser que BV adore la beauté, sous le visage de la Dame ou de lui-même. Une telle affirmation devait être cachée en un temps où l’expression de pensées hérétiques conduisait au bûcher.
C’est une forme d’élitisme que l’on retrouve dans la recherche de formes toujours plus élaborées. La poésie de la Renaissance, en Italie puis en France et en Espagne, recherche des effets musicaux toujours plus sophistiqués. Cette préoccupation est aussi celle de Vigny.



Nel Canto XXVI del Purgatorio
 Guido Guinizzelli indica
 Arnaut Daniel a Dante, che lo saluta. 
Arnaut gli risponde in provenzale
 (vv. 115-117 e 136-148).


El cominciò liberamente a dire:
"Tan m'abellis vostre cortes deman,
qu' ieu no me puesc ni voill a vos cobrire.
141

Ieu sui Arnaut, que plor e vau cantan;
consiros vei la passada folor,
e vei jausen lo joi qu' esper, denan.
144
Ara vos prec, per aquella valor
que vos guida al som de l'escalina,
sovenha vos a temps de ma dolor!".
147
Poi s'ascose nel foco che li affina.





Tanto m’ aggrada il tuo comandamento,
     Che l’ubbidir, se già fosse, m’è tardi;

     Più non t’è uo’ d’aprirmi il tuo talento

Dante Inferno II