Langues et dialectes de France
Quand je vois voler l'alouette
Quand je vois l'alouette mouvoir
De joie ses ailes face au soleil,
Que s'oublie et se laisse choir
Par la douceur qu'au coeur lui va,
Las! si grand envie me vient
De tous ceux dont je vois la joie,
Et c'est merveille qu'à l'instant
Le coeur de désir ne me fonde.
Hélas! tant en croyais savoir
En amour, et si peu en sais.
Car j'aime sans y rien pouvoir
Celle dont jamais rien n'aurai.
Elle a tout mon coeur, et m'a tout,
Et moi-même, et le monde entier,
Et ces vols ne m'ont rien laissé
Que désir et coeur assoiffé.
Or ne sais plus me gouverner
Et ne puis plus m'appartenir
Car ne me laisse en ses yeux voir
En ce miroir qui tant me plaît.
Miroir, pour m'être miré en toi,
Suis mort à force de soupirs,
Et perdu comme perdu s'est
Le beau Narcisse en la fontaine.
Des dames, je me désespère;
Jamais plus ne m'y fierai,
Autant d'elles j'avais d'estime
Autant je les mépriserai.
Pas une ne vient me secourir
Près de celle qui me détruit,
Car bien sais que sont toutes ainsi.
Avec moi elle agit en femme
Ma dame, c'est ce que lui reproche,
Ne veut ce que vouloir devrait
Et ce qu'on lui défend, le fait.
Tombé suis en male merci
Car ai fait le fou sur le pont
Et si celà m'est advenu
C'est qu'ai voulu monter trop haut...
Et puisqu'auprès d'elle ne valent
Prière, merci ni droit que j'ai,
Puisque ne lui vient à plaisir
Que l'aime, plus ne lui dirai;
Aussi je pars d'elle et d'amour;
Ma mort elle veut, et je meurs,
Et m'en vais car ne me retient,
Dolent, en exil, ne sais où.
Tristan, plus rien n'aurez de moi,
Je m'en vais, dolent, ne sais où;
De chanter cesse et me retire,
De joie et d'amour me dérobe
Bernard de Ventadour, « Quand je vois
l’alouette »
Comtesse de Die, «A chantar »
Comparaison, commentaire
composé
La « corteza »
(courtoisie)
Pratiquée dans les cours
féodale, la corteza en occitan était la qualité de l’homme de cour. C’est
un ensemble de valeurs aristocratiques. Elle se caractérise par un comportement
délicat, raffiné, à l’opposé des mœurs brutales de la chevalerie
(les guerriers) jusqu’aux environs de l’an Mil particulièrement dans les
rapports entre hommes et femmes, mais également dans le respect des soi, et la
noblesse du comportement (loyauté, fidélité, sens de l’honneur). Elle est une
extension du système politique de la féodalité, dans lequel chacun est lié par
serment à un supérieur.
La littérature
courtoise (poésie des troubadours, romans de chevalerie), exalte l’amour
courtois, et toutes les valeurs de noblesse.
Il faut remarquer
que l’amour courtois ne s’adresse qu’à une femme mariée, et qu’il est donc par
nature impossible à réaliser. Ce serait une traîtrise envers la loyauté due au
seigneur ET une rupture du sacrement de mariage.
La courtoisie, par
extension, signifie de nos jours une politesse raffinée.
Que retrouvons-nous
de l’univers de la cour, de l’univers féodal chez Bernard de Ventadour et la
Comtesse de Die ?
Noblesse, beauté
Comtesse de
Die : « Pretz » : le prix, la valeur, le mérite, la
noblesse de la Dame elle-même et de son amant : « beauté, prix,
sens (intelligence) » (4), « la grand valeur qui se cache en votre
âme » (22). « Coratge » : cœur, tendresse, courage
Bernard de
Ventadour : « Elle a pris mon cœur » (13), qui évoque la
fascination de la beauté et la soumission à la Dame. Mais en fait peu de
référence la beauté elle-même, si ce n’est par l’impossibilité d’atteindre le
« joi » (la jouissance, la joie et le bonheur) dans les premiers vers
consacrés à la nature.
Féodalité
Comtesse de
Die : partout présente. La Dame, maîtresse se plaint de la trahison de son
ami : «Souvenez-vous de nos doux entretiens » (28)
Bernard de
Ventadour : le serviteur des Dames n’a pas été payé de retour, il a donc
droit de refuser son hommage.
Chevalerie
« orgueilleux »
(fier, violent) chez la CD (15), « dur, sauvage » (34) : lui
reproche (avec un ton badin) de n’être pas un vrai chevalier qui domine ses
penchants violents.
Combat
Il y a entre
l’homme et la femme chez la CD, une joute d’amour, où celui qui est aimé est
vainqueur : « il me plaît de vous vaincre en amour » (11). De
même chez BV, mais là le poète est totalement vaincu et celle (ou
celles ?) qui l’a vaincu ne lui a pas fait grâce, n’a pas été
magnanime : «rien ne vaut/ prière, ni merci, ni mon droit »
(50). Il est tellement vaincu qu’il part en exil et « renie le
chant » (59), « C’est fini », il s’achemine vers la mort, ou
bien il st déjà mort (symboliquement)
La « Daumna », la
Dame
Le terme provient de Dominus qui signifie en
latin Seigneur, donc Dieu. Le féminin domina place immédiatement celle qui est
nommée ainsi dans un registre religieux (CF. Notre Dame).
Place de la femme
Selon les règles
courtoises, la Dame, la femme du seigneur en son château est celle qui mérite
les hommages, elle dispose de toutes les qualités et elle est inaccessible.
Cette situation sociale provoque une idéalisation chez les poètes. La CD fait
mine de ne pas comprendre pourquoi, malgré toutes ses qualités, son ami ne lui
rend pas hommage. En fait, sa « proeza granz » (grande prouesse,
valeur) (22)en fait son égal, il n’a donc pas à lui faire preuve de soumission
(vassalité). Elle s’adresse à lui « de ne vous avoir manqué de rien »
(8), le poème a donc un destinataire désigné, même si l’on ignore de qui il
s’agit, peut-être même n’existe-t-il pas !
Chez BV, la Dame se
confond avec les dames, il ne s’adresse à personne en particulier, aucun nom
n’est cité. Ce « canso » (chant) évoque une Dame tellement
spiritualisée, ou sublimée, qu’on ne sait de qui il s’agit. Elle prend
véritablement le sens fort de déesse.
Aussi bien il est
possible d’y voir un symbole, ou une allégorie.
Cette Damme est-ce
la Nature inaccessible (voir première strophe) ? Est-ce la beauté ?
Est-ce la matière, par opposition à l’esprit ? Est-ce la sagesse ? Ou
bien est-ce tout à la fois ?
Le poète cache
quelque chose dans son canso.
Chez la CD, la dame
occupe un rang social certes très élevé, mais elle est à égalité avec son ami,
aussi noble qu’elle, tandis que chez BV la Dame est celle qui reçoit les
marques d’adoration sans accorder aucune faveur, elle est une déesse cruelle.
La religion
Le moyen-âge du XI
ème siècle est une époque d’immense piété, mais il ne faut pas croire pour
autant que les mœurs en soit très douces ! D’une part la chevalerie est
hantée par sa violence, d’autre part des hérésies venues du début de l’ère
chrétiennes resurgissent, particulièrement dans le Sud occitan, enfin l’Islam
installé en Espagne et à Jérusalem.
chez la Comtesse de
Die les références religieuses sont presque absente (sauf l’interjection
« Qu’à Dieu ne plaise »). C’est la morale courtoise seule qui est
évoquée, mais sans exaltation religieuse.
En revanche chez
Bernard de Ventadour le canso tout entier est une lamentation de type
religieux. Il s’adresse à une divinité qui le laisse dans le malheur, ainsi que
nous l’avons vu. Preuve en est le vocabulaire religieux : prière,
merci (« merces » : pitié ou Grâce), Daumna, exil (évoque Adam),
plus pouvoir sur moi-même, « fiarai » (fier, accorder sa foi, sa
confiance totale). Que dit BV ? Il dit qu’après avoir donné toute sa foi à
sa divinité, il n’en a rien reçu, il exprime une plainte (elegos>élégie) qui
est un profond tourment. Il ne s’agit pas ici de motifs littéraires simplement,
mais certainement de l’expression d’une foi particulière à cette époque.
Le catharisme.
Dès le milieu du XI
ème siècle se développe, en provenance de Bulgarie et des Balkans une hérésie
dualiste dans le Sud de la France, les nobles sont rapidement touchés, avant le
peuple tout entier : ils sont nombreux à adopter cette foi près des
Pyrénées et leur obstination aboutit à la croisade des Albigeois, menée par
Simon de Montfort qui se conclut par la prise de Montségur en 1244. Le début et
la fin de l’hérésie cathare correspondent au début et à la fin de l’activité
des troubadours.
Le dualisme (ou
manichéisme) provient des premiers temps du christianisme, de Manès. Sa
question principale est celle du mal. Selon cette doctrine, le monde est
mauvais, la nature livrée à la mort a été créée par un démiurge, un dieu
méchant. Le Christ n’avait pas de corps, il n’est pas mort sur la croix, il
était seulement esprit.
Seuls ceux qui sont
devenus parfaits peuvent accéder au ciel, après de nombreuses réincarnations.
Le sacrifice du Christ n’offre donc pas le salut à tous, selon eux.
Les cathares s’opposaient au mariage, et à la reproduction, refusaient
tous les sacrements, condamnaient les prêtres et se considéraient comme parfaits
quand ils avaient reçu le « consolamentum ». Tous les autres étaient
dans l’erreur !
Selon le dualisme, deux principes, ou deux dieux, sont à l’œuvre dans
le monde : le bon et le mauvais (alors que la foi catholique affirme que
Dieu est seul créateur). Le mauvais a crée la matière et le bon a crée
l’esprit : aucune réconciliation n’est possible !.
Le dualisme conduit à haïr le monde, la création, la reproduction et in
fine conduit au désespoir et recherche la mort comme une libération.
On voit que cette
doctrine est extrêmement puritaine, élitiste (basée sur la force
individuelle) et morbide.
Tous ces thèmes se
retrouvent chez Bernard de Ventadour mais pas chez la Comtesse de Die. Haine du
désir, haine de soi, exil (dans la matière), désespoir, goût de la mort et
complaisance dans le désespoir.
Le dualisme, malgré
l’écrasement du catharisme, a persisté dans la culture et les pensées, on peut
estimer qu’il se retrouve dans le puritanisme et le jansénisme. C’est une
volonté de posséder l’absolu, le divin, mélange d’orgueil, de désir et de
dégoût, c’est la racine de l’idéalisme en général.
« Représentation
du monde » elle hante la culture occidentale. On la retrouve chez Vigny
des traces de Jansénisme dans l’opposition au monde (son oncle fut un
Janséniste notoire et Alfred de Vigny possédait ses livres) et des affirmations
qui semblent directement tirées
des écrits cathares
(« Dieu n’a pas fini le monde »)
Le lyrisme
Expression du moi
L’analyse des pronoms personnels permet de
distinguer immédiatement dans les deux poèmes la présence du poète :
multiplicité des Je qui s’adressent dans un cas à un ami inconnu, dans l’autre
qui parle de la Dame, ou des Dames, présence des déterminants possessifs. Le
moi se distingue par l’orgueil chez la CD : « ni ma beauté, ni mon
prix ni ma vertu (ou esprit) » (4) - un orgueil affirmé avec hauteur, sans
scrupule, très loin de l’humilité chrétienne. Mais chez BV le narcissisme est
très directement évoqué : « comme le beau Narcisse » (24) ainsi
que la contemplation dans le miroir (miralh) (20) : on ne sait s’il parle
alors de la Dame, ou de lui-même, plutôt c’est lui-même qu’il aime à travers la
Dame. Il adore sa propre image, dans laquelle il voit toute la beauté de Dieu
(Dans la Genèse il est dit : « Dieu créa l’homme à son image et à sa
ressemblance »). Mais en s’adorant lui-même (sa propre pensée ?) il
ne peut accéder au bonheur ni à la jouissance, il se perd en lui-même. BV
évoque donc le tourment de l’homme en exil de son créateur.
L’amour
impossible
Chez la CD, l’amour
n’est pas vraiment impossible mais perdu, elle cherche à le reconquérir en se
plaignant.
Chez BV, l’amour
est impossible par nature, qui aime-t-il au fond ? Il aime l’inaccessible.
La passion d’amour trouve ici l’expression de sa vérité, comme dans
Tristan (d’ailleurs cité) et Iseult où les amants ne s’aiment pas l’un l’autre
mais aiment leur propre image à travers l’autre. La Dame est non seulement
idéalisée, mais divinisée.
La souffrance, la mélancolie
Constitutive de la
passion impossible, elle n’est évoquée que par le dépit chez la CD, vexée de ne
pas être estimée à sa haute valeur elle se plaint du manque de courtoisie de
son ami. On voit que ce n’est qu’un jeu. Chez BV, au contraire, elle est
poussée à son paroxysme, comme en témoigne le champ lexical.
Il faut prendre le
terme de mélancolie dans son sens fort, c’est une maladie de l’âme, une
langueur, qui conduit à la mort. Provoquée par l’amour impossible, elle devient
presque un plaisir en soi. Au fond la CD n’exprime sa plainte que pour mieux se
sentir exister. De même BV, s’il ne se sent pas exister dans le
« joi » s’éprouve dans la mélancolie profonde.
L’expression de la
mélancolie est essentielle dans le lyrisme, le moi existe dans sa souffrance,
dans l’exaltation de sa souffrance, c’est l’autre pôle de l’amour-passion.
Le jeu, la poésie
Le jeu
Chez la CD, le
badinage amoureux devient un prétexte à la création d’une œuvre
littéraire, l’important n’est pas vraiment le sentiment en lui-même mais la
façon dont il est exprimé : l’art transforme le sentiment douloureux en
beauté.
La poésie
Il en est également
ainsi chez BV, mais l’art qui est la finalité, au fond la création de la
beauté, ne suffit même plus devant l’intensité du sentiment puisqu’il
s’exclame : « je renie le chant ».
Le chant transfigure
la souffrance, la rend belle, mais pour BV la quête mystique (d’absolu) est
plus forte encore. On peut aussi penser qu’il ne s’agit que d’une ultime
prouesse verbale.
Les troubadours
pratiquaient le « trobar clus » qui a eu un immense succès postérieur :
c’est la dissimulation dans les vers de messages secrets. Destinés à la Dame,
ou évoquant des thèmes interdits, cette dissimulation permet de cacher au
« vulgaire », au non initié, la vérité du message. On peut penser que
BV adore la beauté, sous le visage de la Dame ou de lui-même. Une telle
affirmation devait être cachée en un temps où l’expression de pensées
hérétiques conduisait au bûcher.
C’est une forme
d’élitisme que l’on retrouve dans la recherche de formes toujours plus
élaborées. La poésie de la Renaissance, en Italie puis en France et en Espagne,
recherche des effets musicaux toujours plus sophistiqués. Cette préoccupation
est aussi celle de Vigny.
Nel Canto XXVI del Purgatorio
Guido Guinizzelli indica
Guido Guinizzelli indica
Arnaut Daniel a Dante, che lo saluta.
Arnaut gli risponde in provenzale
(vv. 115-117 e 136-148).
El cominciò liberamente a dire: "Tan m'abellis vostre cortes deman, qu' ieu no me puesc ni voill a vos cobrire. |
141
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Ieu sui Arnaut, que plor e vau cantan; consiros vei la passada folor, e vei jausen lo joi qu' esper, denan. | 144 | |
Ara vos prec, per aquella valor que vos guida al som de l'escalina, sovenha vos a temps de ma dolor!". | 147 | |
Poi s'ascose nel foco che li affina. |
Tanto m’ aggrada il tuo comandamento,
Che l’ubbidir, se già fosse, m’è tardi;
Più non t’è uo’ d’aprirmi il tuo talento
Che l’ubbidir, se già fosse, m’è tardi;
Più non t’è uo’ d’aprirmi il tuo talento
Dante Inferno II