jeudi 3 janvier 2019

Michele Cova 3 D ESABAC : Philippe Claudel et l’ambiguë fatalité du Mal dans « Les Ames grises »






Dans l'attente de la vidéoconférence  avec  Philippe Claudel,
 voici la première partie de ce  brillant travail de Michele Cova , élève de la dernière anné du lycée classique filière ESABAC   









L’histoire est racontée par un policier désormais à la retraite (dont le nom reste inconnu jusqu’à la fin du roman), qui, sous le prétexte de retracer une affaire d’homicide (l’assassinat d’une petite fille, surnommée par tout le monde Belle de jour), réfléchit sur toute sa vie et révèle l’insoupçonnable et immorale dépravation de ses compatriotes.
Le livre se déroule dans un petit village situé sur la route du front pendant la Première Guerre Mondiale. Autour de l’analyse de ce meurtre, à cause duquel tout le monde est inévitablement bouleversé, le narrateur dévoile les intrigues qui lient presque tous les personnages impliqués dans l’évènement. Et, enfin, lui-même ne réussit pas à se détacher complètement de ce drame collectif et devient le seul capable d’interpréter ce mystère, en donnant son  jugement personnel.
Le roman, parfaitement construit comme une mosaïque dont les pièces sont disposées l’une après l’autre dans une tension progressive, est une véritable enquête, dans laquelle chaque personnage apparait, en même temps, comme coupable et victime. Cette ambigüité, qui semblerait n’avoir pas une  explication univoque , représente, au contraire, la solution finale du roman : rien n’est ni tout noir, ni tout blanc, c’est le gris qui gagne (comme Philippe Claudel a écrit).
En 2005 Yves Angelo, avec la collaboration de Claudel, a réalisé un film tiré du roman. Même si l’auteur a admis qu’il a décidé de s’écarter du texte original afin de donner une différente interprétation des personnages (surtout le juge Mierck et le Procureur), à mon avis la « refonte » de l’histoire ne réussit pas à être exhaustive et profonde, mais, au contraire, minimise les dynamiques. En particulier les thématiques de l’ambiguïté et de la conception du mal (fondamentales dans le roman) ne sont pas suffisamment développées et approfondies. Les musiques tristes et mélancoliques, les couleurs sombres et lugubres « respectent » l’atmosphère suspendue et indéfinie du livre, mais ne réussissent pas à créer la juste tension et le suspense, parfaitement communiquées par Claudel.








Extraits
« La frontière est si mince entre la bête et le chasseur » pag.25
« La folie, c’est un pays où n’entre pas qui veut. Tout se mérite. » pag.50
« …en regardant par-delà la petite vitrine l’orient qui devenait sombre comme un lait d’encre. » pag. 62 
   « Les salauds, les saints, j’en ai jamais vu. Rien n’est ni tout noir, ni tout blanc, c’est le gris qui gagne. Les hommes et leurs âmes, c’est pareil… t’es une âme grise, joliment grise, comme nous tous… » Pag. 134
« On tue beaucoup dans une journée, sans même s'en rendre compte vraiment, en pensée et en mots. Au regard de tous ces crimes abstraits, les assassinats véritables sont bien peu nombreux, si l'on y réfléchit. Il n'y a vraiment que dans les guerres que l'équilibre se fait entre nos désirs avariés et le réel absolu. » pag.147
« A parler ainsi des moments lointains, on se donnait l’illusion que tout n’était pas joué et qu’il nous restait une place à prendre dans la grande mosaïque du hasard. » Pag. 150
« J’en arrive à ce matin sordide. A cet arrêt de toutes les pendules. A cette chute infinie. A la mort des étoiles. » Pag.167
C’est curieux, la vie. Ça ne prévient pas. Tout s’y mélange sans qu’on puisse y faire le tri et les moments de sang succèdent aux moments de grâce, comme ça. On dirait que l’homme est un de ces petits cailloux posés sur les routes, qui reste des jours entiers à la même place, et que le coup de pied d’un trimardeur parfois bouscule et lance dans les airs, sans raison. Et qu’est-ce que peut un caillou ? » Pag.169
« Les semaines ont filé, le printemps est revenu. Chaque jour j'allais sur la tombe de Clémence, deux fois. Le matin, et juste avant le soir. Je lui parlais. Je lui racontais les heures de ma vie, comme si elle était toujours à côté de moi, sur le ton de la conversation du quotidien, celle dans laquelle les mots d'amour n'ont pas besoin de grandes décorations et de beaux apprêts pour resplendir comme des louis. » p..221