lundi 8 septembre 2014

Le loup et l'agneau de Jean de La Fontaine










Phèdre  a recueilli cette fable chez Esope.
Elle a ensuite été traduite en français pour les écoles
de Port-Royal par Le Maître de Sacy.
C’ est ainsi qu’elle inspirera La Fontaine.



Le loup et l'agneau (*)

La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l'allons montrer tout à l'heure.
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d'une onde pure.
Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.
- Sire, répond l'Agneau, que votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d'Elle,
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
- Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.
- Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né ?
Reprit l'Agneau, je tette encor ma mère.
- Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.
- Je n'en ai point. - C'est donc quelqu'un des tiens :
Car vous ne m'épargnez guère,
Vous, vos bergers, et vos chiens.
On me l'a dit : il faut que je me venge.
Là-dessus, au fond des forêts
Le Loup l'emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.

La Fontaine, Les Fables




plaidoirie (plaidoyer)

Exposé oral effectué à l'audience devant les juges appelés à statuer sur une affaire, 
par un avocat chargé d'expliquer les faits et de soutenir les droits et prétentions de son client.



Acte de réquisition écrit par lequel le ministère public expose ses arguments aux magistrats
 de la juridiction répressive afin d'ouvrir une information, de renvoyer le prévenu devant une
 juridiction répressive ou de conclure à un non-lieu.



Jean de La Fontaine "Les Fables" : Les deux pigeons










  
Les deux pigeons


Deux Pigeons s'aimaient d'amour tendre.
L'un d'eux s'ennuyant au logis
Fut assez fou pour entreprendre
Un voyage en lointain pays.
L'autre lui dit : Qu'allez-vous faire ?
Voulez-vous quitter votre frère ?
L'absence est le plus grand des maux :
Non pas pour vous, cruel. Au moins, que les travaux,
Les dangers, les soins du voyage,
Changent un peu votre courage.
Encor si la saison s'avançait davantage !
Attendez les zéphyrs. Qui vous presse ? Un corbeau
Tout à l'heure annonçait malheur à quelque oiseau.
Je ne songerai plus que rencontre funeste,
Que Faucons, que réseaux. Hélas, dirai-je, il pleut :
Mon frère a-t-il tout ce qu'il veut,
Bon soupé, bon gîte, et le reste ?
Ce discours ébranla le coeur
De notre imprudent voyageur ;
Mais le désir de voir et l'humeur inquiète
L'emportèrent enfin. Il dit : Ne pleurez point :
Trois jours au plus rendront mon âme satisfaite ;
Je reviendrai dans peu conter de point en point
Mes aventures à mon frère.
Je le désennuierai : quiconque ne voit guère
N'a guère à dire aussi. Mon voyage dépeint
Vous sera d'un plaisir extrême.
Je dirai : J'étais là ; telle chose m'avint ;
Vous y croirez être vous-même.
A ces mots en pleurant ils se dirent adieu.
Le voyageur s'éloigne ; et voilà qu'un nuage
L'oblige de chercher retraite en quelque lieu.
Un seul arbre s'offrit, tel encor que l'orage
Maltraita le Pigeon en dépit du feuillage.
L'air devenu serein, il part tout morfondu,
Sèche du mieux qu'il peut son corps chargé de pluie,
Dans un champ à l'écart voit du blé répandu,
Voit un pigeon auprès ; cela lui donne envie :
Il y vole, il est pris : ce blé couvrait d'un las,
Les menteurs et traîtres appas.
Le las était usé ! si bien que de son aile,
De ses pieds, de son bec, l'oiseau le rompt enfin.
Quelque plume y périt ; et le pis du destin
Fut qu'un certain Vautour à la serre cruelle
Vit notre malheureux, qui, traînant la ficelle
Et les morceaux du las qui l'avait attrapé,
Semblait un forçat échappé.
Le vautour s'en allait le lier, quand des nues
Fond à son tour un Aigle aux ailes étendues.
Le Pigeon profita du conflit des voleurs,
S'envola, s'abattit auprès d'une masure,
Crut, pour ce coup, que ses malheurs
Finiraient par cette aventure ;
Mais un fripon d'enfant, cet âge est sans pitié,
Prit sa fronde et, du coup, tua plus d'à moitié
La volatile malheureuse,
Qui, maudissant sa curiosité,
Traînant l'aile et tirant le pié,
Demi-morte et demi-boiteuse,
Droit au logis s'en retourna.
Que bien, que mal, elle arriva
Sans autre aventure fâcheuse.
Voilà nos gens rejoints ; et je laisse à juger
De combien de plaisirs ils payèrent leurs peines.
Amants, heureux amants, voulez-vous voyager ?
Que ce soit aux rives prochaines ;
Soyez-vous l'un à l'autre un monde toujours beau,
Toujours divers, toujours nouveau ;
Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste ;
J'ai quelquefois aimé ! je n'aurais pas alors
Contre le Louvre et ses trésors,
Contre le firmament et sa voûte céleste,
Changé les bois, changé les lieux
Honorés par les pas, éclairés par les yeux
De l'aimable et jeune Bergère
Pour qui, sous le fils de Cythère,
Je servis, engagé par mes premiers serments.
Hélas ! quand reviendront de semblables moments ?
Faut-il que tant d'objets si doux et si charmants
Me laissent vivre au gré de mon âme inquiète ?
Ah ! si mon coeur osait encor se renflammer !
Ne sentirai-je plus de charme qui m'arrête ?
Ai-je passé le temps d'aimer ?








  Deux pigeons s'aimaient d'amour tendre 
Mais l'un d'eux a quitté leur toit 
Qu'ils sont longs les jours de l'attente 
Et longues sont les nuits sans toi 
Un pigeon regrettait son frère 
Moi je regrette mon bel amour 
Comme lui j'attends un bruit d'ailes 
Le doux bruit d'ailes de son retour 
J'ai laissé partir avec elle 
Le bonheur qui nous était dû 
Sur le chemin du temps perdu 
Amant, heureux amant 
Redites-le souvent 
Une absence est toujours trop longue 
Rien ne sert de courir le monde 
L'amour passe et les feuilles tombent 
Quand tourne la rose des vents 
Deux pigeons s'aimaient d'amour tendre 
Mais l'un d'eux a quitté leur toit 
Qu'ils sont longs les jours de l'attente 
Et longues sont les nuits sans toi 
Un pigeon regrettait son frère 
Moi je regrette mon bel amour 
Comme lui j'attends un bruit d'ailes 
Le doux bruit d'ailes de son retour 
J'ai laissé partir avec elle 
Le bonheur qui nous était dû 
Sur le chemin du temps perdu





Les Fables - Livres VII à XII








Fabrice Luchini et Jean de La Fontaine « Parole de Socrate »











J’adore Fabrice Luchini,

 certains de mes élèves

trouveront un peu compliquée l’histoire,

mais je vous prie d’ écouter attentivement

et après de réécouter …

parce que le récit que Luchini fait de cette fable de


a vraiment une saveur extra …



et n’oubliez pas les mots de la citation nietzschéenne



 " Ah ! ces Grecs, ils s’entendaient à vivre : pour cela il importe de rester bravement à
 la surface, de s’en tenir à l’épiderme, d’adorer l’apparence, de croire à la forme, aux sons, aux paroles, à tout l’Olympe de l’apparence !  Ces Grecs étaient superficiels — par profondeur ! Et n’y revenons-nous pas  nous autres casse-cous de l’esprit, qui avons gravi le sommet le plus élevé et le plus dangereux des idées actuelles, pour, de là, regarder alentour, regarder en bas ? Ne sommes-nous pas, précisément en cela — des Grecs ?
Adorateurs des formes, des sons,  des paroles ? À cause de cela — artistes ? "

(Le Gai savoir , Préface, Ruta di Camogli, près de Gênes, automne 1886)







Socrate un jour faisant bâtir,
Chacun censurait son ouvrage :
L'un trouvait les dedans, pour ne lui point mentir,
Indignes d'un tel personnage ;
L'autre blâmait la face, et tous étaient d'avis             5
Que les appartements en étaient trop petits.
Quelle maison pour lui ! L'on y tournait à peine.
Plût au ciel que de vrais amis,
Telle qu'elle est, dit-il, elle pût être pleine !

Le bon Socrate avait raison                                         10
De trouver pour ceux-là trop grande sa maison.
Chacun se dit ami ; mais fol qui s'y repose :
Rien n'est plus commun que ce nom,
Rien n'est plus rare que la chose.







  





La chanson de la Seine de Jacques Prévert










La Seine à Rouen

Pourquoi ?

D'abord parce qu'  on est en train de présenter en IV 

(ginnasio) D la géographie de la France ...

et puis parce que mes élèves de Ie  et I D ESABAC vont  à 

Rouen, pour l'échange culturel avec le lycée Saint-Saëns, ils 

apprécieront notre  souvenir et n'oublieront pas  de  nous 

ramener une bouffée d'air  frais, de brise, de parfum, ... 

de ce  vent du nord,


Avec des cathédrales pour uniques montagnes

Et de noirs clochers comme mâts de cocagne

(Jacques Brel)
 

pour nous qui aimons le printemps  tiède de Varèse,

et qui entendons leurs   chants, leurs éclats de rire, 

leurs  voix, leurs cris 


comme de longs  échos qui de loin se confondent

(Charles Baudelaire)






Chanson de la seine


La Seine a de la chance

Elle n'a pas de souci

Elle se la coule douce

Le jour comme la nuit

Et elle sort de sa source

Tout doucement, sans bruit...

Sans sortir de son lit

Et sans se faire de mousse,

Elle s'en va vers la mer

En passant par Paris.

La Seine a de la chance

Elle n'a pas de souci

Et quand elle se promène

Tout au long de ses quais

Avec sa belle robe verte

Et ses lumières dorées

Notre-Dame jalouse,

Immobile et sévère

Du haut de toutes ses pierres

La regarde de travers

Mais la Seine s'en balance

Elle n'a pas de souci

Elle se la coule douce

Le jour comme la nuit

Et s'en va vers le Havre

Et s'en va vers la mer

En passant comme un rêve

Au milieu des mystères

Des misères de Paris












Le Petit Nicolas : "Monsieur Bordenave n'aime pas le soleil" - "Je fréquente Agnan"







  


Le Petit Nicolas


M. Bordenave n’aime pas le soleil



Moi, je ne comprends pas monsieur Bordenave quand il dit qu’il n’aime pas le beau temps. C’est vrai ça, la pluie ce n’est pas chouette. Bien sûr, on peut s’amuser aussi quand il pleut. On peut mar­cher dans le ruisseau, on peut lever la tête et ouvrir la bouche pour avaler plein de gouttes d’eau et à la maison c’est bien, parce qu’il fait chaud et on joue avec le train électrique et maman fait du chocolat avec des gâteaux. Mais quand il pleut, on n’a pas de récré à l’école, parce qu’on ne nous laisse pas descendre dans la cour. C’est pour ça que je ne comprends pas monsieur Bordenave, puisque lui aussi il en profite du beau temps, c’est lui qui nous surveille à ta récré.
Aujourd’hui, par exemple, il a fait très beau, avec des tas de soleil et on a eu une récré terrible, d’au­tant plus que, depuis trois jours, il avait plu tout le temps et on avait dû rester en classe. On est arrivés dans la cour en rang, comme pour chaque récré et monsieur Bordenave nous a dit « Rompez », et On a commencé à rigoler. «On joue au gendarme et au voleur! » a crié Rufus, dont le papa est agent de
police. «Tu nous embêtes, a dit Eudes, on joue au foot. » Et ils se sont battus. Eudes est très fort et il aime bien donner des coups de poing sur les nez des copains, et, comme Rufus c’est un copain, il lui a donné un coup de poing sur le nez. Rufus ne s’y attendait pas, alors, il a reculé et il s’est cogné sur Alceste qui était en train de manger un sandwich à la confiture et le sandwich est tombé par terre et Alceste s’est mis à crier. Monsieur Bordenave est venu en courant, il a séparé Eudes et Rufus et il les a mis au piquet.
«Et mon sandwich, a demandé Alceste, qui me le rendra? — Tu veux aller au piquet aussi? » a répondu monsieur Bordenave. « Non, moi je veux mon sandwich à la confiture », a dit Alceste. Mon­sieur Bordenave est devenu tout rouge, et il a com­mencé à souffler par le nez, comme quand il se met en colère, mais il n’a pas pu continuer à parler avec Alceste, parce que Maixent et Joachim étaient en train de se battre. « Rends-moi ma bille, tu as tri­ché! » criait Joachim et il tirait sur la cravate de Maixent et Maixent lui donnait des gifles. «Qu’est-ce qui se passe ici? » a demandé monsieur Borde­nave. « Joachim n’aime pas perdre, c’est pour ça qu’il crie, si vous voulez, je peux lui donner un coup de poing sur le nez », a dit Eudes qui s’était approché pour voir. Monsieur Bordenave a regardé Eudes, tout surpris : « Je croyais que tu étais au piquet? » il a dit. « Ah, ben oui, c’est vrai », a dit Eudes, et il est retourné au piquet, pendant que Maixent devenait tout rouge, parce que Joachim ne la lâchait pas, la cravate, et monsieur Bordenave les a envoyés tous les deux au piquet, rejoindre les autres.
«Et mon sandwich à la confiture? » a demandé Alceste, qui mangeait un sandwich à la confiture. «Mais tu es en train d’en manger un! » a dit mon­sieur Bordenave. « C’est pas une raison, a crié Alceste, j’apporte quatre sandwichs pour la récré et je veux manger quatre sandwichs! » Monsieur Bor­denave n’a pas eu le temps de se fâcher, parce qu’il a reçu la balle sur la tête, pof! « Qui a fait ça? » a crié monsieur Bordenave en se tenant le front. «C’est Nicolas, monsieur, je l’ai vu! » a dit Agnan. Agnan, c’est le premier de la classe et le chouchou de la maîtresse, nous, on ne l’aime pas trop, c’est un vilain cafard, mais il porte des lunettes et on ne peut pas lui taper dessus aussi souvent qu’on en aurait envie. « Vilain cafard, j’ai crié, si t’avais pas de lunettes, je t’en enverrais une! » Agnan s’est mis à pleurer, en disant qu’il était très mal­heureux et qu’il allait se tuer et puis il s’est roulé par terre. Monsieur Bordenave m’a demandé si c’était vrai que c’était moi qui avais jeté la balle et je lui ai dit que oui, qu’on jouait à la balle au chas­seur et que j’avais raté Clotaire, et que ce n’était pas de ma faute, parce que je n’avais pas envie de chasser monsieur Bordenave. «Je ne veux pas que vous jouiez à ces jeux brutaux! Je confisque la balle! Et toi, tu vas au piquet! » il m’a dit, monsieur Bor­denave. Moi je lui ai dit que c’était drôlement injus­te. Agnan, lui, il m’a fait « bisque, bisque, rage » et il avait l’air tout content et il est parti avec son livre. Agnan ne joue pas pendant la récré, il em­porte un livre et il repasse ses leçons. Il est fou, Agnan!
«Et alors, qu’est-ce qu’on fait pour le sandwich à la confiture? a demandé Alceste. J’en suis à mon troisième sandwich, la récré va se terminer et il va me manquer un sandwich, je vous préviens! »Monsieur Bordenave allait commencer à lui ré­pondre, mais il n’a pas pu et c’est dommage, parce que ça avait l’air intéressant ce qu’il avait à dire à Alceste. Il n’a pas pu répondre, parce qu’Agnan était par terre et il poussait des cris terribles. «Quoi encore?» a demandé monsieur Bordenave. « C’est Geoffroy! Il m’a poussé! Mes lunettes! Je meurs! »a dit Agnan qui parlait comme dans un film que j’ai vu où il y avait des gens dans un sous-marin qui ne pouvaient pas remonter et les gens se sau­vaient, mais le sous-marin était fichu. « Mais non, monsieur, ce n’est pas Geoffroy, Agnan est tombé tout seul, il ne tient pas debout », a dit Eudes. « De quoi te mêles-tu? a demandé Geoffroy, on ne t’a pas sonné, c’est moi qui l’ai poussé et après? »Monsieur Bordenave s’est mis à crier à Eudes de retourner au piquet et il a dit à Geoffroy de l’accompagner. Et puis, il a ramassé Agnan qui saignait du nez et qui pleurait et il l’a emmené à l’infirmerie, suivi d’Alceste qui lui parlait de son sandwich à la confiture.
Nous, on a décidé de jouer au foot. Ce qui était embêtant, c’est que les grands jouaient déjà au foot dans la cour, et, avec les grands, on ne s’entend pas toujours très bien et on se bat souvent. Et là, dans la cour, avec les deux balles et les deux parties de foot qui se mélangeaient, ça n’a pas raté. « Laisse cette balle, sale mioche, a dit un grand à Rufus, elle est à nous! — C’est pas vrai! » a crié Rufus, et c’était vrai que c’était pas vrai, et un grand a mis un but avec la balle des petits et le grand a giflé Rufus et Rufus a donné un coup de pied dans la jambe du grand. Les batailles avec les grands, ça se passe toujours comme ça, eux, ils nous donnent des gifles et nous on leur donne des coups de pied dans les jambes. Là, on se donnait à plein et tout le mon­de se battait et ça faisait un drôle de bruit. Et, mal­gré le bruit, on a entendu le cri de monsieur Bordenave qui revenait de l’infirmerie avec Agnan et Alceste. « Regardez, a dit Agnan, ils ne sont plus au piquet! » Monsieur Bordenave avait l’air vrai­ment fâché et il est venu en courant vers nous, mais il n’est pas arrivé, parce qu’il a glissé sur le sand­wich à la confiture d’Alceste et il est tombé. « Bra­vo, a dit Alceste, c’est gagné, marchez-lui dessus, à mon sandwich à la confiture! »
Monsieur Bordenave s’est relevé et il se frottait le pantalon et il s’est mis plein de confiture sur la main. Nous, on avait recommencé à se battre et c’était une récré drôlement chouette, mais mon­sieur Bordenave a regardé sa montre et il est allé en boitant sonner la cloche. La récré était finie.
Pendant qu’on se mettait en rang, le Bouillon est venu. Le Bouillon, c’est un autre surveillant, qu’on appelle comme ça parce qu’il dit toujours : « Re­gardez-moi dans les yeux», et comme dans le bouil­lon il y a des yeux, on l’appelle le Bouillon. Ce sont les grands qui ont trouvé ça.
«Alors, mon vieux Bordenave, a dit le Bouillon, ça ne s’est pas trop mal passé? — Comme d’habi­tude, a répondu monsieur Bordenave, qu’est-ce que tu veux, moi, je prie pour qu’il pleuve, et quand je me lève le matin et que je vois qu’il fait beau, je suis désespéré! »
Non, vraiment, moi je ne comprends pas monsieur Bordenave, quand il dit qu’il n’aime pas le soleil!


 Je fréquente Agnan



Je voulais sortir pour aller jouer avec mes copains, mais maman m’a dit que non, qu’il n’en était pas question, qu’elle n’aimait pas beaucoup les petits garçons que je fréquentais, qu’on faisait tout le temps des bêtises ensemble et que j’étais invité à goûter chez Agnan qui, lui, est très gentil, bien élevé et que je ferais bien de prendre exemple sur lui.
Moi, je n’avais pas tellement envie d’aller goûter chez Agnan, ni de prendre exemple sur lui. Agnan, c’est le premier de la classe, le chouchou de la maî­tresse, il n’est pas bon camarade, mais on ne tape pas trop sur lui, parce qu’il porte des lunettes. J’aurais préféré aller à la piscine avec Alceste, Geoffroy, Eudes et les autres, mais il n’y avait rien a faire, maman n’avait pas l’air de rigoler, et, de toute façon, moi j’obéis toujours à ma maman, surtout quand elle n’a pas l’air de rigoler.
Maman m’a fait baigner, peigner, elle m’a dit de mettre le costume bleu marine, celui qui a des plis au pantalon, la chemise blanche en soie et la cravate à pois. J’étais habillé comme pour le mariage de ma cousine Elvire, la fois où j’ai été malade après le repas.
«Ne fais pas cette tête-là, m’a dit maman, tu vas bien t’amuser avec Agnan! » et puis nous sommes sortis. J’avais surtout peur de rencontrer les co­pains. Ils se seraient moqués de moi s’ils m’avaient vu habillé comme ça!
C’est la maman d’Agnan qui nous a ouvert la porte. «Comme il est mignon! » elle a dit, elle m’a embrassé et puis elle a appelé Agnan : «Agnan ! Viens vite! Ton petit ami Nicolas est arrivé! »Agnan est venu, lui aussi était drôlement habillé, il avait une culotte de velours, des chaussettes blanches et des drôles de sandales noires qui bril­laient beaucoup. On avait l’air de deux guignols, lui et moi.
Agnan n’avait pas l’air tellement content de me voir, il m’a tendu la main et c’était tout mou. «Je vous le confie, a dit maman, j’espère qu’il ne fera pas trop de bêtises, je reviendrai le chercher à six heures. » La maman d’Agnan a dit qu’elle était sûre qu’on allait bien s’amuser et que j’allais être très sage. Maman est partie, après m’avoir regardé comme si elle était un peu inquiète.
Nous avons goûté. C’était bien, il y avait du chocolat, de la confiture, des gâteaux, des biscottes, et nous n’avons pas mis les coudes sur la table. Après, la maman d’Agnan nous a dit d’aller jouer gentiment dans la chambre d’Agnan.
Dans sa chambre, Agnan a commencé par me prévenir que je ne devais pas lui taper dessus, parce qu’il avait des lunettes et qu’il se mettrait à crier et que sa maman me ferait mettre en prison. Je lui ai répondu que j’avais bien envie de lui taper dessus, mais que je ne le ferais pas, parce que j’avais promis à ma maman d’être sage. Ça a semblé lui faire plai­sir à Agnan et il m’a dit qu’on allait jouer. Il a commencé à sortir des tas de livres, de géographie, de sciences, d’arithmétique et il m’a proposé que nous lisions et que nous fassions des problèmes pour passer le temps. Il m’a dit qu’il y avait des problèmes chouettes avec des robinets qui coulent dans une baignoire débouchée et qui se vide en même temps qu’elle se remplit.
C’était une bonne idée et j ‘ai demandé à Agnan si je pouvais voir la baignoire, qu’on pourrait s’amuser. Agnan m’a regardé, il a enlevé ses lunettes, les a essuyées, a réfléchi un peu et puis il m’a dit de le suivre.
Dans la salle de bains, il y avait une grande bai­gnoire et j’ai dit à Agnan qu’on pourrait la remplir et jouer aux petits bateaux. Agnan m’a dit qu’il n’avait jamais pensé à ça, mais que ce n’était pas une mauvaise idée. La baignoire s’est remplie très vite, jusqu’au bord, il faut dire que nous, on l’avait bouchée. Mais là, Agnan était très embêté, parce qu’il n’avait pas de bateaux pour jouer. II m’a expliqué qu’il avait très peu de jouets, qu’il avait surtout des livres. Heureusement, moi je sais faire des bateaux en papier et on a pris les feuilles du livre d’arithmétique. Bien sûr, on a essayé de faire attention, pour qu’Agnan puisse recoller après les pages dans son livre, parce que c’est très vilain de faire du mal à un livre, à un arbre ou à une bête.
On s’est bien amusés. Agnan faisait des vagues en mettant le bras dans l’eau. C’est dommage qu’il n’ait pas relevé la manche de sa chemise et qu’il n’ait pas enlevé la montre-bracelet qu’il a eue pour sa dernière composition d’histoire où il a été pre­mier et qui maintenant marque quatre heures vingt et ne bouge plus. Au bout d’un temps, je ne sais pas combien, avec cette montre qui ne marchait plus, on en a eu assez, et puis il y avait de l’eau partout et on n’a pas voulu faire trop de gâchis, surtout que par terre ça faisait de la boue et les sandales d’Agnan étaient moins brillantes qu’avant.
Nous sommes retournés dans la chambre d’Agnan et là, il m’a montré la mappemonde. C’est une grosse boule en métal, sur laquelle on a peint des mers et des terres. Agnan m’a expliqué que c’était pour apprendre la géographie et où se trou­vaient les pays. Ça, je le savais, il y a une mappe­monde comme ça à l’école et la maîtresse nous a montré comment ça marche. Agnan m’a dit qu’on pouvait dévisser la mappemonde et alors, ça ressemblait à une grosse balle. Je crois que c’est moi qui ai eu l’idée de jouer avec, ce n’était pas une très bonne idée. On s’amusait à se jeter la mappemonde, mais Agnan avait enlevé ses lunettes pour ne pas risquer de les casser, et, sans ses lunettes, il ne voit pas bien, alors, il a raté la mappemonde qui est allée frapper du côté de l’Australie contre le miroir qui s’est cassé. Agnan, qui avait remis ses lunettes pour voir ce qui s’était passé, était bien embêté. On a remis la mappemonde à sa place et on a décidé de faire attention, sinon, nos mamans pourraient ne pas être trop contentes.
On a cherché autre chose à faire et Agnan m’a dit que pour étudier les sciences, son papa lui offert un jeu de chimie. Il m’a montré et c’est très chouette. C’est une grosse boîte pleine de tubes, de drôles de bouteilles rondes, de petits flacons pleins de choses de toutes les couleurs, il y avait aussi un réchaud à alcool. Agnan m’a dit qu’avec tout ça, on pouvait faire des expériences très ins­tructives.
Agnan s’est mis à verser des petites poudres et des liquides dans les tubes et ça changeait de couleur, ça devenait rouge ou bleu et, de temps en temps, il y avait une petite fumée blanche. C’était drôlement instructif! J’ai dit à Agnan que nous de­vrions essayer d’autres expériences plus instructi­ves encore et il a été d’accord. Nous avons pris la plus grande des bouteilles et nous avons mis dedans toutes les petites poudres et tous les liquides, après, on a pris le réchaud à alcool et on a fait chauffer la bouteille. Au début, ce n’était pas mal ça a com­mencé à faire de la mousse et puis après, une fumée très noire. L’ennui, c’est que la fumée ne sentait pas bon et elle salissait partout. On a dû arrêter l’expérience quand la bouteille a éclaté.
Agnan s’est mis à crier qu’il ne voyait plus, mais, heureusement, c’était simplement parce que les verres de ses lunettes étaient tout noirs. Pendant qu’il les essuyait, moi j’ai ouvert la fenêtre, parce que la fumée nous faisait tousser. Sur le tapis, la mousse faisait des drôles de bruits, comme l’eau qui bout, les murs étaient tout noirs et nous, on n’était pas bien propres.
Et puis la maman d’Agnan est entrée. Pendant un tout petit moment, elle n’a rien dit, elle a ouvert les yeux et la bouche et puis elle s’est mise à crier, elle a enlevé les lunettes d’Agnan et elle lui a donné une claque, après elle nous a pris par la main pour nous emmener dans la salle de bains pour nous laver. Quand elle a vu la salle de bains, ça ne lui a pas tellement plu, à la maman d’Agnan.
Agnan, lui, il tenait dur à ses lunettes, parce qu’il n’avait pas envie de recevoir une autre claque. Alors, la maman d’Agnan est partie en courant en me disant qu’elle allait téléphoner à ma maman pour qu’elle vienne me chercher tout de suite et qu’elle n’avait jamais vu une chose pareille et que c’était absolument incroyable.
Maman est venue me chercher très vite et j’étais bien content, parce que je commençais à ne pas m’amuser dans la maison d’Agnan, surtout avec sa maman qui avait l’air drôlement nerveuse. Maman m’a ramené à la maison en me disant tout le temps que je pouvais être fier de moi et que pour le des­sert, ce soir, je n’en aurais pas. Je dois dire que c’était assez juste, parce qu’avec Agnan, on a tout de même fait pas mal de bêtises. En somme, maman avait raison, comme toujours je me suis bien amu­sé avec Agnan. Moi, je serais bien retourné le voir, mais maintenant, il paraît que c’est la maman d’Agnan qui ne veut pas qu’il me fréquente.
J’aimerais tout de même que les mamans finis­sent par savoir ce qu’elles veulent, on ne sait plus qui fréquenter!