dimanche 10 août 2014

Marcel Proust "La mort de Bergotte"







Vue de Delft (Gezicht op Delft) Johannes Vermeer (1659-1660) Huile sur toile
 
Mauritshuis, La Haye (Drapeau : Pays-Bas Pays-Bas)
 
     

 « On sait que le récit de la mort de Bergotte a été inspiré par
un grave malaise que Proust lui-même a eu en visitant, en 1921,
une exposition de peinture hollandaise au musée du Jeu de Paume.
La Recherche du temps  perdu tend à rendre compte de la totalité
d’une vie, mais l’aboutissement  de cette vie est précisément de
commencer à écrire la Recherche du temps perdu. La vie du héros
 n’y aboutit pas à la mort du héros. Pourtant sa mort s’y trouve
inscrite : elle est reflétée par la mort de Bergotte. Si le soleil
horizontal par temps orageux, dans la Vue de Delft, détache
de façon hallucinante, pour Proust ou pour Bergotte,
le « petit pan de mur jaune », la lueur de la mort  détache
d’une façon analogue, de l’ensemble de la Recherche,
le texte inspiré consacré à celle de Bergotte. »
 
  Jean Pavans

« J'appris que ce jour-là avait eu lieu une mort qui me fit beaucoup de peine, celle de Bergotte. On sait que sa maladie durait depuis longtemps. Non pas celle, évidemment, qu'il avait eue d'abord et qui était naturelle. La nature ne semble guère capable de donner que des maladies assez courtes. Mais la médecine s'est annexé l'art de les prolonger. Les remèdes, la rémission qu'ils procurent, le malaise que leur interruption fait renaître, composent un simulacre de maladie que l'habitude du patient finit par stabiliser, par styliser, de même que les enfants toussent régulièrement par quintes longtemps après qu'ils sont guéris de la coqueluche. Puis les remèdes agissent moins, on les augmente, ils ne font plus aucun bien, mais ils ont commencé à faire du mal grâce à cette indisposition durable. La nature ne leur aurait pas offert une durée si longue. C'est une grande merveille que la médecine, égalant presque la nature, puisse forcer à garder le lit, à continuer sous peine de mort l'usage d'un médicament. Dès lors, la maladie artificiellement greffée a pris racine, est devenue une maladie secondaire mais vraie, avec cette seule différence que les maladies naturelles guérissent, mais jamais celles que crée la médecine, car elle ignore le secret de la guérison.
Il y avait des années que Bergotte ne sortait plus de chez lui. D'ailleurs, il n'avait jamais aimé le monde, ou l'avait aimé un seul jour pour le mépriser comme tout le reste, et de la même façon, qui était la sienne, à savoir non de mépriser parce qu'on ne peut obtenir, mais aussitôt qu'on a obtenu. Il vivait si simplement qu'on ne soupçonnait pas à quel point il était riche, et l'eût-on su qu'on se fût trompé encore, l'ayant cru alors avare, alors que personne ne fut jamais si généreux. Il l'était surtout avec des femmes, des fillettes pour mieux dire, et qui étaient honteuses de recevoir tant pour si peu de chose. Il s'excusait à ses propres yeux parce qu'il savait ne pouvoir jamais si bien produire que dans l'atmosphère de se sentir amoureux. L'amour, c'est trop dire, le plaisir un peu enfoncé dans la chair aide au travail des lettres parce qu'il anéantit les autres plaisirs, par exemple les plaisirs de la société, ceux qui sont les mêmes pour tout le monde. Et même, si cet amour amène des désillusions, du moins agite-t-il, de cette façon-là aussi, la surface de l'âme, qui sans cela risquerait de devenir stagnante. Le désir n'est donc pas inutile à l'écrivain pour l'éloigner des autres hommes d'abord et de se conformer à eux, pour rendre ensuite quelques mouvements à une machine spirituelle qui, passé un certain âge, a tendance à s'immobiliser. On n'arrive pas à être heureux mais on fait des remarques sur les raisons qui empêchent de l'être et qui nous fussent restées invisibles sans ces brusques percées de la déception. Les rêves ne sont pas réalisables, nous le savons ; nous n'en formerions peut-être pas sans le désir, et il est utile d'en former pour les voir échouer et que leur échec instruise. Aussi Bergotte se disait-il : « Je dépense plus que des multimillionnaires pour des fillettes, mais les plaisirs ou les déceptions qu'elles me donnent me font écrire un livre qui me rapporte de l'argent. » Économiquement ce raisonnement était absurde, mais sans doute trouvait-il quelque agrément à transmuter ainsi l'or en caresses et les caresses en or. Nous avons vu, au moment de la mort de ma grand'mère, que la vieillesse fatiguée aimait le repos. Or dans le monde il n'y a que la conversation. Elle y est stupide, mais a le pouvoir de supprimer les femmes, qui ne sont plus que questions et réponses. Hors du monde les femmes redeviennent ce qui est si reposant pour le vieillard fatigué, un objet de contemplation. En tous cas, maintenant, il n'était plus question de rien de tout cela. J'ai dit que Bergotte ne sortait plus de chez lui, et quand il se levait une heure dans sa chambre, c'était tout enveloppé de châles, de plaids, de tout ce dont on se couvre au moment de s'exposer à un grand froid ou de monter en chemin de fer. Il s'en excusait auprès des rares amis qu'il laissait pénétrer auprès de lui, et montrant ses tartans, ses couvertures, il disait gaiement : « Que voulez-vous, mon cher, Anaxagore l'a dit, la vie est un voyage. » Il allait ainsi se refroidissant progressivement, petite planète qui offrait une image anticipée de la grande quand, peu à peu, la chaleur se retirera de la terre, puis la vie. Alors la résurrection aura pris fin, car, si avant dans les générations futures que brillent les œuvres des hommes, encore faut-il qu'il y ait des hommes. Si certaines espèces d'animaux résistent plus longtemps au froid envahisseur, quand il n'y aura plus d'hommes, et à supposer que la gloire de Bergotte ait duré jusque-là, brusquement elle s'éteindra à tout jamais. Ce ne sont pas les derniers animaux qui le liront, car il est peu probable que, comme les apôtres à la Pentecôte, ils puissent comprendre le langage des divers peuples humains sans l'avoir appris.
Dans les mois qui précédèrent sa mort, Bergotte souffrait d'insomnies, et, ce qui est pire, dès qu'il s'endormait, de cauchemars, qui, s'il s'éveillait, faisaient qu'il évitait de se rendormir. Longtemps il avait aimé les rêves, même les mauvais rêves, parce que grâce à eux, grâce à la contradiction qu'ils présentent avec la réalité qu'on a devant soi à l'état de veille, ils nous donnent, au plus tard dès le réveil, la sensation profonde que nous avons dormi. Mais les cauchemars de Bergotte n'étaient pas cela. Quand il parlait de cauchemars, autrefois il entendait des choses désagréables qui se passaient dans son cerveau. Maintenant, c'est comme venus du dehors de lui qu'il percevait une main munie d'un torchon mouillé qui, passée sur sa figure par une femme méchante, s'efforçait de le réveiller ; d'intolérables chatouillements sur les hanches ; la rage – parce que Bergotte avait murmuré en dormant qu'il conduisait mal – d'un cocher fou furieux qui se jetait sur l'écrivain et lui mordait les doigts, les lui sciait. Enfin, dès que dans son sommeil l'obscurité était suffisante, la nature faisait une espèce de répétition sans costumes de l'attaque d'apoplexie qui l'emporterait : Bergotte entrait en voiture sous le porche du nouvel hôtel des Swann, voulait descendre. Un vertige foudroyant le clouait sur sa banquette, le concierge essayait de l'aider à descendre, il restait assis, ne pouvant se soulever, dresser ses jambes. Il essayait de s'accrocher au pilier de pierre qui était devant lui, mais n'y trouvait pas un suffisant appui pour se mettre debout.
Il consulta les médecins qui, flattés d'être appelés par lui, virent dans ses vertus de grand travailleur (il y avait vingt ans qu'il n'avait rien fait), dans son surmenage, la cause de ses malaises. Ils lui conseillèrent de ne pas lire de contes terrifiants (il ne lisait rien), de profiter davantage du soleil « indispensable à la vie » (il n'avait dû quelques années de mieux relatif qu'à sa claustration chez lui), de s'alimenter davantage (ce qui le fit maigrir et alimenta surtout ses cauchemars). Un de ses médecins étant doué de l'esprit de contradiction et de taquinerie, dès que Bergotte le voyait en l'absence des autres et, pour ne pas le froisser, lui soumettait comme des idées de lui ce que les autres lui avaient conseillé, le médecin contredisant, croyant que Bergotte cherchait à se faire ordonner quelque chose qui lui plaisait, le lui défendait aussitôt, et souvent avec des raisons fabriquées si vite pour les besoins de la cause que, devant l'évidence des objections matérielles que faisait Bergotte, le docteur contredisant était obligé, dans la même phrase, de se contredire lui-même, mais, pour des raisons nouvelles, renforçait la même prohibition. Bergotte revenait à un des premiers médecins, homme qui se piquait d'esprit, surtout devant un des maîtres de la plume, et qui, si Bergotte insinuait : « Il me semble pourtant que le Dr X. m'avait dit – autrefois bien entendu – que cela pouvait me congestionner le rein et le cerveau... » souriait malicieusement, levait le doigt et prononçait : « J'ai dit user, je n'ai pas dit abuser. Bien entendu, tout remède, si on exagère, devient une arme à double tranchant. » Il y a dans notre corps un certain instinct de ce qui nous est salutaire, comme dans le cœur de ce qui est le devoir moral, et qu'aucune autorisation du docteur en médecine ou en théologie ne peut suppléer. Nous savons que les bains froids nous font mal, nous les aimons : nous trouverons toujours un médecin pour nous les conseiller, non pour empêcher qu'ils ne nous fassent mal. À chacun de ces médecins Bergotte prit ce que, par sagesse, il s'était défendu depuis des années. Au bout de quelques semaines, les accidents d'autrefois avaient reparu, les récents s'étaient aggravés. Affolé par une souffrance de toutes les minutes, à laquelle s'ajoutait l'insomnie coupée de brefs cauchemars, Bergotte ne fit plus venir de médecin et essaya avec succès, mais avec excès, de différents narcotiques, lisant avec confiance le prospectus accompagnant chacun d'eux, prospectus qui proclamait la nécessité du sommeil mais insinuait que tous les produits qui l'amènent (sauf celui contenu dans le flacon qu'il enveloppait et qui ne produisait jamais d'intoxication) étaient toxiques et par là rendaient le remède pire que le mal. Bergotte les essaya tous. Certains sont d'une autre famille que ceux auxquels nous sommes habitués, dérivés, par exemple, de l'amyle et de l'éthyle. On n'absorbe le produit nouveau, d'une composition toute différente, qu'avec la délicieuse attente de l'inconnu. Le cœur bat comme à un premier rendez-vous. Vers quels genres ignorés de sommeil, de rêves, le nouveau venu va-t-il nous conduire ? Il est maintenant en nous, il a la direction de notre pensée. De quelle façon allons-nous nous endormir ? Et une fois que nous le serons, par quels chemins étranges, sur quelles cimes, dans quels gouffres inexplorés le maître tout-puissant nous conduira-t-il ? Quel groupement nouveau de sensations allons-nous connaître dans ce voyage ? Nous mènera-t-il au malaise ? À la béatitude ? À la mort ? Celle de Bergotte survint la veille de ce jour-là où il s'était ainsi confié à un de ces amis (ami ? ennemi ?) trop puissant. Il mourut dans les circonstances suivantes : Une crise d'urémie assez légère était cause qu'on lui avait prescrit le repos. Mais un critique ayant écrit que dans la Vue de Delft de Ver Meer (prêté par le musée de La Haye pour une exposition hollandaise), tableau qu'il adorait et croyait connaître très bien, un petit pan de mur jaune (qu'il ne se rappelait pas) était si bien peint, qu'il était, si on le regardait seul, comme une précieuse œuvre d'art chinoise, d'une beauté qui se suffirait à elle-même, Bergotte mangea quelques pommes de terre, sortit et entra à l'exposition. Dès les premières marches qu'il eut à gravir, il fut pris d'étourdissements. Il passa devant plusieurs tableaux et eut l'impression de la sécheresse et de l'inutilité d'un art si factice, et qui ne valait pas les courants d'air et de soleil d'un palazzo de Venise, ou d'une simple maison au bord de la mer. Enfin il fut devant le Ver Meer, qu'il se rappelait plus éclatant, plus différent de tout ce qu'il connaissait, mais où, grâce à l'article du critique, il remarqua pour la première fois des petits personnages en bleu, que le sable était rose, et enfin la précieuse matière du tout petit pan de mur jaune. Ses étourdissements augmentaient ; il attachait son regard, comme un enfant à un papillon jaune qu'il veut saisir, au précieux petit pan de mur. « C'est ainsi que j'aurais dû écrire, disait-il. Mes derniers livres sont trop secs, il aurait fallu passer plusieurs couches de couleur, rendre ma phrase en elle-même précieuse, comme ce petit pan de mur jaune. » Cependant la gravité de ses étourdissements ne lui échappait pas. Dans une céleste balance lui apparaissait, chargeant l'un des plateaux, sa propre vie, tandis que l'autre contenait le petit pan de mur si bien peint en jaune. Il sentait qu'il avait imprudemment donné le premier pour le second. « Je ne voudrais pourtant pas, se disait-il, être pour les journaux du soir le fait divers de cette exposition. »
Il se répétait : « Petit pan de mur jaune avec un auvent, petit pan de mur jaune. » Cependant il s'abattit sur un canapé circulaire ; aussi brusquement il cessa de penser que sa vie était en jeu et, revenant à l'optimisme, se dit : « C'est une simple indigestion que m'ont donnée ces pommes de terre pas assez cuites, ce n'est rien. » Un nouveau coup l'abattit, il roula du canapé par terre, où accoururent tous les visiteurs et gardiens. Il était mort. Mort à jamais ? Qui peut le dire ? Certes, les expériences spirites, pas plus que les dogmes religieux, n'apportent la preuve que l'âme subsiste. Ce qu'on peut dire, c'est que tout se passe dans notre vie comme si nous y entrions avec le faix d'obligations contractées dans une vie antérieure ; il n'y a aucune raison, dans nos conditions de vie sur cette terre, pour que nous nous croyions obligés à faire le bien, à être délicats, même à être polis, ni pour l'artiste cultivé à ce qu'il se croie obligé de recommencer vingt fois un morceau dont l'admiration qu'il excitera importera peu à son corps mangé par les vers, comme le pan de mur jaune que peignit avec tant de science et de raffinement un artiste à jamais inconnu, à peine identifié sous le nom de Ver Meer. Toutes ces obligations, qui n'ont pas leur sanction dans la vie présente, semblent appartenir à un monde différent, fondé sur la bonté, le scrupule, le sacrifice, un monde entièrement différent de celui-ci, et dont nous sortons pour naître à cette terre, avant peut-être d'y retourner revivre sous l'empire de ces lois inconnues auxquelles nous avons obéi parce que nous en portions l'enseignement en nous, sans savoir qui les y avait tracées – ces lois dont tout travail profond de l'intelligence nous rapproche et qui sont invisibles seulement – et encore ! – pour les sots. De sorte que l'idée que Bergotte n'était pas mort à jamais est sans invraisemblance.
On l'enterra, mais toute la nuit funèbre, aux vitrines éclairées, ses livres, disposés trois par trois, veillaient comme des anges aux ailes éployées et semblaient, pour celui qui n'était plus, le symbole de sa résurrection. »



Vue de Delft (Gezicht op Delft) Johannes Vermeer 

(1659-1660) Huile sur toile
 


 
 

Marcel Proust"La lanterne magique" : Paolo Venturini et la traduction en italien de Geneviève de Brabant













 "Geneviève de Brabant" par Adrian Ludwig Richter

 
 
 
M. Paolo Venturini, ancien prof de mathématiques au  Cairoli,
 et chercheur  bénévole à la bibliothèque  de notre lycée ne
manque  jamais de cet esprit de finesse linguistique qui lui
permet  de retrouver  les maladresses des traducteurs et les
fautes de presse.
Il y a quelques jours M. Venturini m'a invité à vérifier  la
traduction en italien de Geneviève de Bramant dans l'oeuvre
 proustienne. Et suite à sa demande j'ai entrepris auprès
de la Bibliothèque Communale "Sormani" de Milan de vérifier
comment Natalia Ginzburg,  en 1946, sans doute l'une des
 meilleures traductrice de Proust, avait  translaté ce prénom
légendaire.
Et voilà qu' à partir de cette grande écrivaine tout le monde a
traduit Geneviève avec  Ginevra alors que Ginevra en français
correspond à  Guenièvre.
Y a-t-il une raison pour ce choix ?.... Je crois que non ...
Mais ce qui est sûr, c'est que  Guenièvre
à toujours fasciné notre adolescence en tant que
femme du roi Arthur!
 
 






 
 
La lanterne magique
 
 
« À Combray, tous les jours dès la fin de l’après-midi, longtemps avant le moment où il faudrait me
mettre au lit et rester, sans dormir, loin de ma mère et de ma grand-mère, ma chambre à coucher
redevenait le point fixe et douloureux de mes préoccupations. On avait bien inventé, pour me distraire
les soirs où on me trouvait l'air trop malheureux, de me donner une lanterne magique, dont, en
attendant l'heure du dîner, on coiffait ma lampe; et, à l'instar des premiers architectes et maîtres
verriers de l'âge gothique, elle substituait à l'opacité des murs d'impalpables irisations, de
surnaturelles apparitions multicolores, où des légendes étaient dépeintes comme dans un vitrail
vacillant et momentané. Mais ma tristesse n'en était qu'accrue, parce que rien que le changement
d'éclairage détruisait l'habitude que j'avais de ma chambre et grâce à quoi, sauf le supplice du
coucher, elle m'était devenue supportable. Maintenant je ne la reconnaissais plus et j'y étais inquiet,
 comme dans une chambre d'hôtel ou de « chalet », où je fusse arrivé pour la première fois en
descendant de chemin de fer.
Au pas saccadé de son cheval, Golo, plein d'un affreux dessein, sortait de la petite forêt triangulaire
qui veloutait d'un vert sombre la pente d'une colline, et s'avançait en tressautant vers le château de la
pauvre Geneviève de Brabant. Ce château était coupé selon une ligne courbe qui n'était autre que la
limite d'un des ovales de verre ménagés dans le châssis qu'on glissait entre les coulisses de la
lanterne. Ce n'était qu'un pan de château et il avait devant lui une lande où rêvait Geneviève
qui portait une ceinture bleue. Le château et la lande étaient jaunes et je n'avais pas attendu
 de les voir pour connaître leur couleur car, avant les verres du châssis, la sonorité mordorée
du nom de Brabant me l'avait montrée avec évidence. Golo s'arrêtait un instant pour écouter
avec tristesse le boniment lu à haute voix par ma grand-tante et qu'il avait l'air de comprendre
parfaitement, conformant son attitude, avec une docilité qui n'excluait pas une certaine majesté,
aux indications du texte; puis il s'éloignait du même pas saccadé. Et rien ne pouvait arrêter sa
 lente chevauchée. Si on bougeait la lanterne, je distinguais le cheval de Golo qui continuait à
s'avancer sur les rideaux de la fenêtre, se bombant de leurs plis, descendant dans leurs fentes.
Le corps de Golo lui-même, d'une essence aussi surnaturelle que celui de sa monture, s'arrangeait
de tout obstacle matériel, de tout objet gênant qu'il rencontrait en le prenant comme ossature
 et en se le rendant intérieur, fût-ce le bouton de la porte sur lequel s'adaptait aussitôt et surnageait
 invinciblement sa robe rouge ou sa figure pâle toujours aussi noble et aussi mélancolique, mais
qui ne laissait paraître aucun trouble de cette transvertébration.
Certes je leur trouvais du charme à ces brillantes projections qui semblaient émaner d'un passé
mérovingien et promenaient autour de moi des reflets d'histoire si anciens. Mais je ne peux dire quel
malaise me causait pourtant cette intrusion du mystère et de la beauté dans une chambre que j'avais
fini par remplir de mon moi au point de ne pas faire plus attention à elle qu'à lui-même. L'influence
anesthésiante de l'habitude ayant cessé, je me mettais à penser, à sentir, choses si tristes. Ce bouton de
la porte de ma chambre, qui différait pour moi de tous les autres boutons de port du monde en ceci
qu'il semblait ouvrir tout seul, sans que j'eusse besoin de le tourner, tant le maniement m'en était
devenu inconscient, le voilà qui servait maintenant de corps astral à Golo. Et dès qu'on sonnait le
dîner, j'avais hâte de courir à la salle à manger où la grosse lampe de la suspension, ignorante de
 Golo et de Barbe-Bleue, et qui connaissait mes parents et le boeuf à la casserole, donnait sa
lumière de tous les soirs; et de tomber dans les bras de maman que les malheurs de Geneviève
de Brabant me rendaient plus chère, tandis que les crimes de Golo me faisaient examiner ma
propre conscience avec plus de scrupules. »
 
 
PROUST Marcel, Du côté de chez Swann, GF Flammarion, Paris, 1987





Un été avec Proust ED. Equateurs (France-Inter)









Enfin ...l'été nous ouvre des espaces  pour  lire ou relire,
allongés sous le parasol,  à la campagne ou bien au sommet 
d'une colline face au Mont Rosa,    
 
"À la recherche du temps perdu" de Marcel Proust,
d'autant plus que mes élèves de II D ESABAC doivent préparer
Combray pour la rentrée



"Le grand écrivain est comme la graine qui nourrit
les autres de ce qui l’a nourrie d’abord elle-même"






Un été avec Proust
 
 
reprend une émission de Laura El Maki  pour France-Inter de 2013 
 avec 8 spécialistes : Antoine  Compagnon (Le Temps), Jean-Yves
Tadié (Les Personnages), Jérôme Prieur (Proust et son Monde),
Nicolas Grimaldi (L'Amour), Julia Kristeva (L'Imaginaire), Michel
Erman (Les Lieux), Raphaël Enthoven (Proust et les Philosophes)
et Adrien Goetz (Les Arts)  









Voilà un livre limpide pas trop long qui permet d'aborder 
quelques clés pour permettre au lecteur de se retrouver dans 
cet univers prodigieux de la Recherche





André Maurois "Le Monde de Marcel Proust" Hachette (1960)


André Maurois "Le Monde de Marcel Proust" Hachette 1960)






 Il y a des livres qui nous accompagnent toujours et dans lesquels on retrouve chaque fois 
"les paradis perdus"
qu' à travers la lecture ... l'on ne peut retrouver
"qu'en soi".

Le livre de


Le Monde de Marcel Proust.

fait partie de ceux-ci.






Il s'agit d'un Don "involontaire" du Gouvernemet Français

(je n'en ai jamais reçu ... je suis toujours en attente!)

selon le coup de tampon qui a été estampillé au-dessus.



Il y a un vingtaine d'années, on m'avait proposé d' aller chercher

des bouquins à l'Institut Français de Venise parce que, suite à un

changement d'adresse, on avait pensé en faire cadeau 

aux enseignants ...



C'était un chaud été ... de 1989 ou bien de 1990.

Ravi de cette proposition je suis parti à Venise un matin du mois

de juillet de Pavie et je suis rentré vers 19 heures avec une

cinquantaine de livres, que j'avais distribués autour de moi dans

le train vide, avec une chaleur étouffante qui dépassait les 40 °.

j'essayais de les feuilleter sans presque les toucher tellement

j'étais en nage.



D'abord,  les photos m'ont enchanté, un petit bouquin de

95 pages de 13 chapitres lus avant le départ du train...

A' l'époque je n'avais exploré que quelques pages de la Recherche ...

depuis je n'ai plus arrêté ...


Résultat de recherche d'images pour "illiers combray"

C'est à partir de

"AU COMMENCEMENT était Illiers, petite ville

voisine de Chartres aux confins de la Beauce et du Perche,

siège provisoire et personnel du Paradis Terrestre"

que je cherche à revivre avec mes bons élèves

ces paradis toujours nouveaux, toujours aussi beaux.



Maison de Tante Léonie - Musée Marcel Proust 1 - Illiers-Combray
Musée Marcel Proust



Image associée

Le Pré Catelan