jeudi 13 février 2014

Boris Vian "La complainte du progrès"






Boris Vian









Autrefois pour faire sa cour
Ils parlaient d'amour
Pour mieux prouver leur ardeur
Ils offraient son coeur
Maintenant c'est plus pareil
Ça change ça change
Ils vous disent: mon cher ange
Et vous glissent à l'oreille
Ah! Gudule



Viens m'embrasser
Et je te donnerai
Un frigidaire
Un joli scoutaire
Un atomivère
Et du Dunlopillo
Une cuisinière
Avec un four en verre
Des tas de couverts
Et des pelles à gâteaux
Une tourniquette
Pour faire la vinaigrette
Un bel aérateur
Pour manger les odeurs
Des draps qui chauffent
Un pistolet à gauffres
Un avion pour deux
Et nous serons heureux
Autrefois s'il arrivait
Que l'on se querelle
Votre mari s'en allait
Laissant la vaisselle
Maintenant que voulez-vous
La vie est si chère
Il dit: rentre chez ta mère
Et il se garde tout
Ah! Gudule

Excuse-toi
Ou je reprends tout ça
Mon frigidaire
Mon armoire à cuillères
Mon évier en ferre
Et mon poêle à mazout
Mon cire-godasses
Mon repasse-limaces
Mon tabouret à glace
Et mon chasse-filous
La tourniquette
A faire la vinaigrette
Le ratatine-ordures
Et le coupe-friture
Et si la belle
Se montre encore cruelle
Il la franque dehors
Et il confie son sort
Au frigidaire
À l'efface-poussière
À la cuisinière
Au lit qu'est toujours fait
Au chauffe-savates
Au canon à patates
À l'éventre-tomates
À l'écorche-poulet
Mais très très vite
Il reçoit la visite
D'une douce petite
Qui lui offre son coeur
Alors il flanche
Et c'est votre revanche
Car elle cassera
Jusqu'à son dernier plat