samedi 2 juin 2018

Philippe Claudel: L'Archipel du Chien





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L’histoire qu’on va lire est aussi réelle que vous pouvez l’être. Elle se passe ici, comme elle aurait pu se dérouler là. Il serait trop aisé de penser qu’elle a eu lieu ailleurs. Les noms des êtres qui la peuplent ont peu d’importance. On pourrait les changer. Mettre à leur place les vôtres. Vous vous ressemblez tant, sortis du même inaltérable moule.




Je suis certain que vous vous poserez tôt ou tard une question légitime : ­a-t-il été témoin de ce qu’il nous raconte ? Je vous réponds : oui, j’en ai été le témoin. Comme vous l’avez été mais vous n’avez pas voulu voir. Vous ne voulez jamais voir. Je suis celui qui vous rappelle. Je suis le gêneur. Je suis celui à qui rien n’échappe. Je vois tout. Je sais tout. Ni homme ni femme. Je suis la voix, simplement. C’est de l’ombre que je vous dirai l’histoire. 





Philippe Claudel a l’art de manier les mots aussi bien que Garrone sa caméra  dans Dogman. Mais, on le sait,  l’écrivain est aussi un metteur en scène hors-pair lorsqu’il s’agit de raconter le malheur  comme témoigne son dernier film   Une enfance. La comparaison  surgit spontanée face à la misère humaine dont il est question dans ce polar ensorcelant :

« En cette fin de septembre, le ciel, ni bleu ni gris, mais couvert  d’un glacis fuligineux  transformait en une masse pâteuse et irrégulière le soleil, l’étalant comme un beurre rance en troublant ses contours …Et puis il y avait la puanteur…. Qui n’avait plus rien d’aimable ni d’incertain : c’était une odeur de charogne qui prenait ses quartiers sur l’île »,

L’île des monstres ou de la déshumanisation. Le roman montre une fois de plus le puissant  souffle de Claudel à  raconter la déchéance dans laquelle nous sommes plongés dans ce début du XXIe siècle,  comme il avait magistralement révélé  dans Les âmes grises  et dans  Le rapport Brodeck

Voilà pourquoi  le gris-sombre domine, du reste l’exergue léopardien l’anticipe « Sois Heureux s’il t’est permis de respirer après une douleur  et bienheureux si de toute douleur la mort te guérit.

Le roman s’ouvre sur un événement  que Lampedusa et toute la Sicile connaissent bien : trois cadavres de jeunes africains   sont  rejetés  sur un plage d’un île de L’Archipel du Chien.
 Un  début à la saveur apocalyptique :

Vous convoitez l’or et répandez la cendre,
Vous souillez la beauté, flétrissez l’innocence.
Partout vous laisser s’écouler de grands torrents de boue. La haine est votre nourriture, l’indifférence votre boussole…
Vous tournez le dos à vos frères et vous perdez votre âme

Ce qui résume parfaitement l’un des thèmes que la narration propose le viol d’une enfant et laisse  s’échapper une question

Comment les siècles futurs jugeront-ils  (notre) temps ?

Tous les personnages sont présentés seulement à travers leur fonction le Maire, le Docteur, l’Instituteur, la Vieille (l’Institutrice), le Curé, le Commissaire (le Policier) ou des surnoms le Spadon, Amérique, sauf la fillette Mila  (prénom d’origine slave mais qui est aussi le nom d’une ville algérienne)

aux grands yeux verts , un peu trop grands, un peu trop ouverts, dans un visage mince et blanc, comme on en trouve dans certains portraits de Lucas Cranach ;   

une invitation  à réfléchir sur le mal présent partout et qui se développe presque  sans que l’on puisse s’en apercevoir

La plupart des hommes ne soupçonnent pas chez eux la part de sombre que pourtant tous possèdent

D’autres  thématiques,  toutes bien actuelles,  s’imposent :

la vérité piétinée comme montre le cynisme du Commissaire

« qui s’intéresse à la vérité, Monsieur l’instituteur ? Tout le monde s’en fiche de la vérité !Ce qu’il veulent c’est votre tête…Imaginez leur déception si on la leur retirait !Vous avez déjà essayé de reprendre un os à un chien qui est occupé à le ronger avec délice ?

La mafia, la pieuvre,  le trafic humanitaire des migrants et le volcan Brauun nom qui sonne barbare,  symbole de la destinée implacable.

Un roman de chez nous, à lire comme une parabole,  qui révèle l’avilissement   de nos jours.


L'Archipel du Chien a le très  grand mérite d'engager une réflexion sur une actualité affichée sur tous les médias,  mais trop souvent occultée à notre conscience individuelle et collective.








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