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mercredi 24 avril 2019

Michel Houellebecq : La Carte et le Territoire, 2010 - Commantaires dirigés de Morgana Capasso et Michele Cova








Risultati immagini per houellebecq la carte et le territoire


Michel Houellebecq se met en scène dans son roman. Il reçoit la visite d’un peintre célèbre, Jed Martin. L’écrivain et le peintre dialoguent entre deux verres de vin.

Houellebecq hocha la tête, écartant les bras comme s’il entrait dans une transe tantrique1 – il était, plus probablement, ivre, et tentait d’assurer son équilibre sur le tabouret de cuisine où il s’était accroupi. Lorsqu’il reprit la parole, sa voix était douce, profonde, emplie d’une émotion naïve. « Dans ma vie de consommateur, dit-il, j’aurai connu trois produits parfaits : les chaussures Paraboot Marche, le combiné ordinateur portable – imprimante Canon Libris, la parka Camel Legend. Ces produits je les ai aimés, passionnément, j’aurais passé ma vie en leur présence, rachetant régulièrement à mesure de l’usure naturelle, des produits identiques. Une relation parfaite et fidèle s’était établie, faisant de moi un consommateur heureux. Je n’étais pas absolument heureux, à tous points de vue, dans la vie, mais au moins j’avais cela : je pouvais, à intervalles réguliers, racheter une paire de mes chaussures préférées. C’est peu mais c’est beaucoup, surtout quand on a une vie intime assez pauvre. Eh bien cette joie, cette joie simple, ne m’a pas été laissée. Mes produits favoris, au bout de quelques années, ont disparu des rayonnages, leur fabrication a purement et simplement été stoppée – et dans le cas de ma pauvre parka Camel Legend, sans doute la plus belle parka jamais fabriquée, elle n’aura vécu qu’une seule saison… ». Il se mit à pleurer, lentement, à grosses gouttes, se resservit un verre de vin. « C’est brutal, vous savez, c’est terriblement brutal. Alors que les espèces animales les plus insignifiantes mettent des milliers, parfois des millions d’années à disparaître, les produits manufacturés sont rayés de la surface du globe en quelques jours, il ne leur est jamais accordé de seconde chance, ils ne peuvent que subir, impuissants, le diktat2irresponsable et fasciste des responsables des lignes de produit qui savent naturellement mieux que tout autre ce que veut le consommateur, qui prétendent capter une attente de nouveauté chez le consommateur, qui ne font en réalité que transformer sa vie en une quête épuisante et désespérée, une errance sans fin entre des linéaires3 éternellement modifiés ».

1)État second qui se traduit par une altération de la conscience et une agitation du corps. 2)Chose imposée. 3)Rayons d’un magasin.



COMPRÉHENSION

1)Quelle image de Houellebecq donne le narrateur ?
Houellebecq est ici peint comme le prototype de l’homme de la société de consommation : abruti par la vie moderne, il n’arrive pas à être heureux, surtout du point de vue sentimental («quand on a une vie intime en ces pauvres », l.10), et il cherche un appui dans l’achat de produits qui lui donne l’illusion du bonheur. Il est tellement intégré dans le système d’identification sociale entre homme et produit, qu’il ne comprends même pas pourquoi «alors que les espèces animales les plus insignifiantes mettent de milliers, parfois des millions d’années à disparaître, les produits manufacturés sont rayés de la surface du globe en quelques jours » (l.15-17), comme si les objets mêmes faisait partie du processus d’évolution.

2)Quelle est la tonalité de cette évocation de l’écrivain ?
Houellebecq est dans un état d’altération dû à l’alcool. Donc, ça réflexion vient plus de son inconscient que d’un vrai raisonnement. Voilà pourquoi le ton de son invocation et souvent confus, exagéré et haussé, avec des moments de désespérance ( «cette joie simple ne m’a pas été laissée», l.11 ; «  c’est terriblement brutal », l.15), opposés à des moments de fureur, où il accuse le mécanisme de la consommation d’être injuste, un « diktat irresponsable et fasciste » (l.18).
Il se sent, donc, d’une certaine façon victime de ce système et il l'exprime sincèrement.

INTERPRÉTATION

1)Les images commerciales sont très présentes dans cet extrait ; pourquoi selon vous ?
L’auteur veut souligner le complet asservissement d'Houellebecq aux produits qu’il aime le plus, dans lesquels n'importe quel lecteur moderne peut s’identifier. Il veut, donc, récréer l’aliénation que la publicité provoque en nous qui vivons dans une société de consommation, à travers le même principe de la publicité, c’est-à-dire la répétition obsessionnelle du nom du produit et des « bénéfices sociaux » qu’il nous apporte. On pourrait, donc, conclure qu’il se sert d’un langage post-moderne, fait de symboles, c’est-à-dire celui de la publicité, pour critiquer indirectement le mécanisme économique.

2)Quels liens unissent les hommes aux objets selon Houellebecq ?
Selon Houellebecq les hommes sont liés sentimentalement aux objets («ces produits, j’ai les ai aimés, passionnément », l.7), c’est-à-dire qu’il humanise et personnifie les produits, afin de trouver en eux l’amour qu’il n’a pas dans sa vie.
Les objets deviennent, donc, la seule garantie d’amour de l’homme moderne qui, à partir du XX e  siècle et des théories nihiliste de Nietzsche, découvre qu’il est être seul dans l’univers et que Dieu n’existe pas.

3)De quoi le personnage Houellebecq a-t-il nostalgie ?
Le personnage a nostalgie de l’amour qu’il croyait recevoir de ses produits favoris, puisque leur fabrication a été stoppé. Il exprime sa douleur de façon si franche, que le lecteur y croit vraiment, comme s’il parlait d'un ami ou d’un parent perdu. Enfin, il décrit toute l’injustice de cet éloignement, qui lui provoque une souffrance immense.

RÉFLEXION PERSONNELLE

Un peu plus loin dans ce même roman, Michel Houellebecq écrit « Nous aussi nous sommes des produit »
Développez ce thème en vous appuyant aussi sur d’autres œuvres que vous avez lues.  (600 mots environ).

Il y a une liaison profonde entre désir et représentation publicitaire qui se base sur le fait que l’homme cherche toujours à réaliser des désirs qu’il ne peut pas rejoindre (on pourrait dire, donc, qu’il désire son désir même, plutôt que l’objet en soi). La perversion et en même temps toute la magie de la publicité est de fournir aux consommateurs l’illusion d’être tout à fait exceptionnels et de s'identifier avec un groupe social précis. Toutefois, ce mécanisme parfait ne fonctionne pas sans les consommateurs, la « matière première » de ces processus. Aujourd’hui on les voit bien dans le phénomène de la vente des données personnelles pour la propagande électorale, qui personnalise la publicité selon les désirs et les intérêts de chacun. Nous sommes, donc, un produit dans le sens que la société de consommation adapte la production d'objets à nos désirs.
Donc, aujourd’hui l’homme a une valeur qui n’est plus seulement lié à ses capacités de fabrication d’un objet, comme dans la société industrielle du XIXe siècle, mais il est aussi le produit même du processus économique.
L’une des causes les plus importantes de ce phénomène est la globalisation, le fait qu’aujourd’hui les modes se diffusent très rapidement, en imposant des styles de vie globaux.
Mais, alors, c’est nous-même qui décidons de nous adapter à ces modèles ou ce sont les modèles qui changent selon nos désirs ?
On pourrait dire que les deux s’influencent réciproquement, comme les pièces d’une parfaite machine.


Morgana Capasso



COMPREHENSION

1)   Quelle image d’ Houellebecq donne ici le narrateur?
Houellebecq est présenté par le narrateur comme un homme tristement résigné et irrémédiablement déçu. Il montre tout son amer désappointement à travers des gestes exagérés et presque théâtraux (« Houellebecq hocha la tète, écartant les bras comme s’il entrait dans un transe tantrique » l.1) qui sont, peut-être, justifiés par son ivresse (« il était plus probablement ivre l.2 »). Cependant, sa voix «  douce, profonde, emplie d’une émotion naïve » (l.3) trahit son tragique désespoir, explicitement révélé par ses mots et par ses larmes («  il se mit à pleurer lentement et à gros gouttes » l.14). La description des actions à la troisième personne et le discours direct permettent au narrateur de peindre un portrait complet et détaillé du personnage, en décrivant minutieusement son état d’âme, dans un climax croissant : de la désillusion à la tristesse des pleurs jusqu’à la rage des accusations finales.

2)      Quelle est la tonalité de cette évocation de l’écrivain ?
Cette évocation de l’écrivain est caractérisée par une tonalité tragiquement pathétique, qui marque, surtout, le discours de l’Houellebecq. L’utilisation d’adjectifs apparemment exagérés, qui souvent personnifient même les objets (« …ma pauvre parka Camel Legend, sans doute la plus belle parka jamais fabriquée, elle n’aura vécu qu’une seule saison… » l.12) contribue à exaspérer la narration, et parfois, à créer aussi de l’ironie. En outre la répétition des mots (« cette joie, cette joie simple ») et l’ antithèse  (« c’est peu, mais c’est beaucoup.. ».) donnent au texte un effet rhétorique et emphatique, repris par l’auteur dans son  deuxième discours, dans lequel le personnage présente les produits manufacturés comme des victimes, impuissants et faibles, d’une société cruelle et « inhumaine ».

INTERPRETATION

1)   Les images commerciales sont très présentes dans cet extrait : pourquoi selon vous ?
Cet extrait est caractérisé par un répétition,  presque obsessive, de mots qui font référence au commerce et aux images commerciales. Cette insistance souligne l’importance fondamentale des produits manufacturés dans la vie du personnage mais permet aussi à l’écrivain de dénoncer implicitement l’absurdité de la société consommatrice. Dans la dernière partie de l’extrait, en effet, l’auteur critique âprement les lignes de produit qui contrôlent même les vies des consommateurs, qui sont égarés dans une « errance sans fin entre des linéaires éternellement modifiés » (l.21-22). Les images commerciales dans l’extrait évoquent aussi la quantité exagérée et presque excessive de produits, qui, souvent, diffèrent seulement par leurs noms, mais pas par leur qualité.

2)   Quels liens unissent les hommes aux objets selon Houellebecq ?
En montrant  « sa vie de consommateur », Houellebecq se concentre surtout sur la description de son rapport avec trois produits qu’il considère « parfaits », ses produits favoris. Dans cette longue description il utilise des mots et des expressions qui appartiennent au champ lexical sentimental et amoureux : il affirme qu’il  aimait  « passionnément » les trois produits, avec lesquels il aurait passé toute sa vie. La relation qui le liait à ces objets était « parfaite et fidèle », car il les rachetait régulièrement et eux seuls étaient capables de le rendre heureux. Selon Houellebecq, donc, les hommes sont indissolublement unis aux objets par des liens indispensables et essentiels, fondés sur une fidélité réciproque, qui est l’unique raison de bonheur.

3)   De quoi le personnage Houellebecq a-t-il nostalgie ?
Le personnage Houellebecq a surtout nostalgie de ses objets favoris ( « les chaussures Paraboot Marche, le combiné ordinateur-imprimante Canon Libris, la Parka Camel Legend » l.4-5 ). Ces objets, en effet, « ont disparu des rayonnages » après que « leur fabrication a.. été stoppée ». La condition de mélancolie du personnage est soulignée principalement par l’opposition entre passé et présent, mise en évidence par le changement du temps verbal : il utilise l’imparfait  pour décrire « sa relation parfaite avec les produits » ,  le passé composé pour désigner le sort « tragique » des produits et, enfin, le présent pour présenter la triste réalité des produits manufacturés. En outre, la nostalgie d’Houellebecq est parfaitement et dramatiquement communiquée par la sentence résignée « Eh bien, cette joie, cette joie simple, ne m’a pas été laissée.. »(l.10-11). Cependant, le fait que Houellebecq ne croit pas être complètement heureux ( « Je n’était pas absolument heureux à tous points de vue, dans  la vie » l. 8; «Surtout quand on a une vie intime assez pauvre » l.10) suggère aussi qu’il a nostalgie d’une vie plus heureuse et satisfaisante.

REFLEXION PERSONNELLE
Un peu plus loin de ce même roman, M. Houellebecq  écrit « Nous aussi nous sommes des produits ». Développez ce thème en vous appuyant aussi sur d’autres œuvres  que vous avez lues.
La sentence de Michel Houellebecq dénonce et condamne une situation sociale très actuelle, de plus en plus  menaçante . En disant que nous aussi nous sommes des produits, l’auteur veut souligner que la distance entre « homme » et « produit » devient  de plus en plus faible, surtout dans une société consommatrice et frénétique, où l’individualité est généralement suffoquée par le désir (et aussi l’exigence) de se conformer.
L’importance des objets dans la vie humaine joue un rôle fondamental et essentiel dans le roman « Madame Bovary » de Gustave Flaubert. La protagoniste du roman , Emma Bovary, réprime sa condition d’insatisfaction et mécontentement par une tendance, obsessive et exagérée, à acheter des produits inutiles, qui pourraient compenser sa situation tragique. Cependant, cette exigence d’acheter n’est qu’une illusion éphémère qui la mène aussi au suicide, car elle ne réussit pas à accepter et avouer ses énormes dettes.
Cette conception de l’inutilité des objets est fondamentale dans les œuvres artistiques de Andy Warhol, un artiste américain qui a utilisé des produits de marchandise pour souligner l’inutilité de la production massive.  La phrase d’ Houellebecq évoque surtout les portraits que Warhol a réalisé en représentant, par exemple, Marilyn Monroe. Le visage de la femme est reproduit plusieurs fois à fin d’évoquer la production et la fabrication des produits, qui a eu lieu surtout après la Révolution Industrielle. L’actrice, dans les portraits perd son individualité et dévient un « objet » que tout le monde peut posséder et acheter.
La sentence de l’écrivain est très significative, car met aussi en évidence que lorsqu’on est tous des produits, on est tous égaux et impersonnels.

Michele Cova 



dimanche 17 mars 2019

Commentaire dirigé : Michel Houellebecq : La Carte et le Territoire, 2010.






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Liceo classico Cairoli Varese
SEZIONE ESABAC
BAC BLANC
Prova di: LINGUA E LETTERATURA FRANCESE
                                   
Svolga il candidato una delle seguenti prove a scelta tra:
a)    analisi di un testo
b)   saggio breve

a)Analisi di un testo
Dopo avere letto il testo rispondete alle domande e elaborate una riflessione personale sul tema proposto.

Michel Houellebecq se met en scène dans son roman. Il reçoit la visite d’un peintre célèbre, Jed Martin. L’écrivain et le peintre dialoguent entre deux verres de vin.

Houellebecq hocha la tête, écartant les bras comme s’il entrait dans une transe tantrique1 – il était, plus probablement, ivre, et tentait d’assurer son équilibre sur le tabouret de cuisine où il s’était accroupi. Lorsqu’il reprit la parole, sa voix était douce, profonde, emplie d’une émotion naïve. « Dans ma vie de consommateur, dit-il, j’aurai connu trois produits parfaits : les chaussures Paraboot Marche, le combiné ordinateur portable – imprimante Canon Libris, la parka Camel Legend. Ces produits je les ai aimés, passionnément, j’aurais passé ma vie en leur présence, rachetant régulièrement à mesure de l’usure naturelle, des produits identiques. Une relation parfaite et fidèle s’était établie, faisant de moi un consommateur heureux. Je n’étais pas absolument heureux, à tous points de vue, dans la vie, mais au moins j’avais cela : je pouvais, à intervalles réguliers, racheter une paire de mes chaussures préférées. C’est peu mais c’est beaucoup, surtout quand on a une vie intime assez pauvre. Eh bien cette joie, cette joie simple, ne m’a pas été laissée. Mes produits favoris, au bout de quelques années, ont disparu des rayonnages, leur fabrication a purement et simplement été stoppée – et dans le cas de ma pauvre parka Camel Legend, sans doute la plus belle parka jamais fabriquée, elle n’aura vécu qu’une seule saison… ». Il se mit à pleurer, lentement, à grosses gouttes, se resservit un verre de vin. « C’est brutal, vous savez, c’est terriblement brutal. Alors que les espèces animales les plus insignifiantes mettent des milliers, parfois des millions d’années à disparaître, les produits manufacturés sont rayés de la surface du globe en quelques jours, il ne leur est jamais accordé de seconde chance, ils ne peuvent que subir, impuissants, le diktat2irresponsable et fasciste des responsables des lignes de produit qui savent naturellement mieux que tout autre ce que veut le consommateur, qui prétendent capter une attente de nouveauté chez le consommateur, qui ne font en réalité que transformer sa vie en une quête épuisante et désespérée, une errance sans fin entre des linéaires3 éternellement modifiés ».

1)État second qui se traduit par une altération de la conscience et une agitation du corps. 2)Chose imposée. 3)Rayons d’un magasin.

Michel Houellebecq, La Carte et le Territoire, 2010.

COMPREHENSION



2) Quelle est la tonalité de cette évocation de l’écrivain ?


1)Les images commerciales sont très présentes dans cet extrait ; pourquoi selon vous ?



3) De quoi le personnage Houellebecq a-t-il nostalgie ?

REFLEXION PERSONNELLE

Un peu plus loin dans ce même roman, Michel Houellebecq écrit  « Nous aussi nous sommes des produits » .

Développez ce thème en vous appuyant aussi sur d’autres œuvres que vous avez lues.  (600 mots environ).









dimanche 16 août 2015

Michel Houellebecq : "Les particules élémentaires"








L'histoire, puisque histoire il y a, est celle, parallèle, 
de deux hommes : Michel, biologiste,  dénué de 
passion humaine et de sexualité,  chercheur, maître
 en solitude ; Bruno, son demi-frère, obsédé par la 
quête d'un plaisir sexuel qu'il n'arrive ni à prendre
 ni à donner. Ils sont nés d'une même mère 
biologique que n'a jamais troublée l'idée
 de maternité mais qui, en revanche, a vécu 
jusqu'à la caricature les conquêtes de la femme 
libérée, du gauchisme friqué et du peace and
 love à l'américaine.






A force, on ne sait plus de quoi il s'agit : de littérature,
d'idéologie, de procès politique ou de posture. D'un roman,
 de déclarations provocantes jetées au fil d'interviews
 infinies, de mises en accusation publiques appelant 
la légitime défense, ou d'une drôle de manière
 de tenir sa cigarette, entre le majeur et l'annulaire. 
Ce qui s'est abattu sur la rentrée littéraire,  depuis 
la fin du mois d'août, a un vague air de typhon. 
Certains le trouvent « douteux »,  « glauque »,
 « dangereux », d'autres y voient un livre majeur, 
un tournant dans la littérature.






Catastrophe du libéralisme, misère sexuelle et
désenchantement du monde: dans le second roman
 de Michel Houellebecq, l'humanité ne trouve son salut
que dans sa disparition au profit d'un clonage 
génétiquement parfait.






Livre noir du désenchantement social, sexuel 
et de la désespération amoureuse











jeudi 16 juillet 2015

Michel Houellebecq "La carte et le territoire" , Ed. Flammarion, 2010



Michel Houellebecq ne faisait pas partie de mes 
écrivains préférés, mais j’avoue que ce roman,
 d’une richesse impressionnante, m’a bouleversé,
 bien plus que



« La Carte et le Territoire est un formidable autoportrait de Michel Houellebecq, en écrivain, en artiste, en enquêteur, en homme ou en chien, en solitaire qui n’a plus rien à attendre de l’humain passé de la société du spectacle à celle de la consommation. »



« Il est Jed Martin, cet artiste sur lequel s’ouvre le roman, et qui fera fortune en exposant d’abord des reproductions de cartes Michelin représentant la France, puis des peintures de “métiers … Il est Jasselin, dans la dernière partie du livre, le flic chargé de mener l’enquête sur le meurtre sauvage de Michel Houellebecq, qui vit seul avec sa femme, sans enfant, et qui a dû “apprendre” à regarder la mort en face, à scruter ces cadavres en décomposition auxquels il est constamment confronté. Chacun représentant une facette de la démarche de l’écrivain.




  
 Chapitre VII p.183


En effet, un matin du 31 octobre, Jed reçut un mail accompagné d’un

texte sans titre, d’une cinquantaine de pages, qu’il transféra

immédiatement à Marylin et à Franz, tout en s’inquiétant : est-ce que ce

n’était pas trop long ? Celle-ci le rassura immédiatement : au contraire, lui

dit-elle, c’était toujours préférable « d’avoir du volume ».

Même s’il est plutôt considéré aujourd’hui comme une curiosité

historique, ce texte de Houellebecq – le premier de cette importance

consacré à l’oeuvre de Martin – n’en contient pas moins certaines

intuitions intéressantes. Au-delà des variations de thèmes et de

techniques, il affirme pour la première fois l’unité du travail de l’artiste, et

découvre une profonde logique au fait qu’après avoir consacré ses

années de formation à traquer l’essence des produits manufacturés du

monde, il s’intéresse, dans une deuxième partie de sa vie, à leurs

producteurs.

Le regard que Jed Martin porte sur la société de son temps, souligne

Houellebecq, est celui d’un ethnologue bien plus que d’un commentateur

politique. Martin, insiste-t-il, n’a rien d’un artiste engagé, et même si

« L’introduction en bourse de l’action Beate Uhse », une de ses rares

scènes de foule, peut évoquer la période expressionniste, nous sommes

très loin du traitement grinçant, caustique d’un George Grosz ou d’un Otto

Dix. Ses traders en jogging et sweat-shirt à capuche qui acclament avec

une lassitude blasée la grande industrielle du porno allemand sont les

héritiers directs des bourgeois en jaquette qui se croisent,

interminablement, dans les réceptions mises en scène par le Fritz Lang

des Mabuse ; ils sont traités avec le même détachement, la même froideur

objective. Dans ses titres comme dans sa peinture elle-même, Martin est

toujours simple et direct : il décrit le monde, ne s’autorisant que rarement

une notation poétique, un sous-titre servant de commentaire. Il le fait,

pourtant, dans une de ses oeuvres les plus abouties, « Bill Gates et Steve

Jobs s’entretenant du futur de l’informatique », qu’il a choisi de sous-titrer

La conversation de Palo Alto.

Enfoncé dans un siège en osier, Bill Gates écartait largement les bras

en souriant à son interlocuteur. Il était vêtu d’un pantalon de toile, d’une

chemisette kaki à manches courtes, les pieds nus dans des tongs. Ce

n’était plus le Bill Gates en costume bleu marine de l’époque où Microsoft

affermissait sa domination sur le monde, et où lui-même, détrônant le

sultan de Brunei, s’élevait au rang de première fortune mondiale. Ce

n’était pas encore le Bill Gates concerné, douloureux, visitant des

orphelinats sri-lankais ou appelant la communauté internationale à la

vigilance devant la recrudescence de la variole dans les pays de l’Ouest

africain. C’était un Bill Gates intermédiaire, décontracté, manifestement

heureux d’avoir abandonné son poste de chairman de la première

entreprise mondiale de logiciels, un Bill Gates en vacances en somme.

Seules les lunettes à la monture métallique, aux verres fortement

grossissants, pouvaient rappeler son passé de nerd.

Face à lui, Steve Jobs, quoique assis en tailleur sur le canapé de cuir

blanc, semblait paradoxalement une incarnation de l’austérité, du Sorge

traditionnellement associés au capitalisme protestant. Il n’y avait rien de

californien dans la manière dont sa main droite enserrait sa mâchoire

comme pour l’aider dans une réflexion difficile, dans le regard plein

d’incertitude qu’il posait sur son interlocuteur ; et même la chemise

hawaiienne dont Martin l’avait affublé ne parvenait pas à dissiper

l’impression de tristesse générale produite par sa position légèrement

voûtée, par l’expression de désarroi qu’on lisait sur ses traits.

La rencontre, de toute évidence, avait lieu chez Jobs. Mélange de

meubles blancs au design épuré et de tentures ethniques aux couleurs

vives : tout dans la pièce évoquait l’univers esthétique du fondateur

d’Apple, aux antipodes de la débauche de gadgets high-tech, à la limite

de la science-fiction, qui caractérisait selon la légende la maison que le

fondateur de Microsoft s’était fait construire dans la banlieue de Seattle.

Entre les deux hommes, un jeu d’échecs aux pièces artisanales en bois

était posé sur une table basse ; ils venaient d’interrompre la partie dans

une position très défavorable pour les Noirs – c’est-à-dire pour Jobs.

Dans certaines pages de son autobiographie, La Route du futur; Bill

Gates laisse parfois transparaître ce qu’on pourrait considérer comme un

cynisme complet – en particulier dans le passage où il avoue tout uniment

qu’il n’est pas forcément avantageux, pour une entreprise, de proposer les

produits les plus innovants. Le plus souvent il est préférable d’observer ce

que font les entreprises concurrentes (et il fait alors clairement référence,

sans le citer, à son concurrent Apple), de les laisser sortir leurs produits,

affronter les difficultés inhérentes à toute innovation, essuyer les plâtres en

quelque sorte ; puis, dans un deuxième temps, d’inonder le marché en

proposant des copies à bas prix des produits de la concurrence. Ce

cynisme apparent n’est pourtant pas, souligne Houellebecq dans son

texte, la vérité profonde de Gates ; celle-ci s’exprime plutôt dans ces

passages surprenants, et presque touchants, où il réaffirme sa foi dans le

capitalisme, dans la mystérieuse « main invisible » ; sa conviction

absolue, inébranlable, que quels que soient les vicissitudes et les

apparents contre-exemples le marché, au bout du compte, a toujours

raison, le bien du marché s’identifie toujours au bien général. C’est alors

que Bill Gates apparaît, dans sa vérité profonde, comme un être de foi, et

c’est cette foi, cette candeur du capitaliste sincère que Jed Martin a su

rendre en le représentant, les bras largement ouverts, chaleureux et

amical, ses lunettes brillant dans les derniers rayons du soleil couchant sur

l’océan Pacifique. Jobs au contraire, amaigri par la maladie, son visage

soucieux, piqué d’une barbe clairsemée, douloureusement posé sur sa

main droite, évoque un de ces évangélistes itinérants au moment où, se

retrouvant pour la dixième fois peut-être à débiter ses prêches devant une

assistance clairsemée et indifférente, il est tout à coup envahi par le doute.

C’était pourtant Jobs, immobile, affaibli, en position perdante, qui

donnait l’impression d’être le maître du jeu ; tel était, souligne Houellebecq

dans son texte, le profond paradoxe de cette toile. Dans son regard brillait

toujours cette flamme qui n’est pas seulement celle des prédicateurs et

des prophètes, mais aussi celle de ces inventeurs si souvent décrits par

Jules Verne. À regarder plus attentivement la position d’échecs

représentée par Martin, on se rendait compte qu’elle n’était pas

nécessairement perdante ; et que Jobs pouvait, en se lançant dans un

sacrifice de la reine, conclure en trois coups par un audacieux mat foucavalier.

De même on avait l’impression qu’il pouvait, par l’intuition

fulgurante d’un nouveau produit, imposer subitement au marché de

nouvelles normes. Par la baie vitrée derrière les deux hommes on

distinguait un paysage de prairies, d’un vert émeraude presque surréel,

descendant en pente douce jusqu’à une rangée de falaises, où elles

rejoignaient une forêt de conifères. Plus loin l’océan Pacifique déroulait

ses vagues mordorées, interminables. Des petites filles, au loin sur la

pelouse, avaient entamé une partie de frisbee. Le soir tombait,

magnifiquement, dans l’explosion d’un soleil couchant que Martin avait

voulu presque improbable dans sa magnificence orangée, sur la Californie

du Nord, et le soir tombait sur la partie la plus avancée du monde ; c’était

cela aussi, cette tristesse indéfinie des adieux, que l’on pouvait lire dans le

regard de Jobs.

Deux partisans convaincus de l’économie de marché ; deux soutiens

résolus, aussi, du Parti démocrate, et pourtant deux facettes opposées du

capitalisme, aussi différentes entre elles qu’un banquier de Balzac pouvait

l’être d’un ingénieur de Verne. La conversation de Palo Alto, soulignait

Houellebecq en conclusion, était un sous-titre par trop modeste ; c’est

plutôt Une brève histoire du capitalisme que Jed Martin aurait pu intituler

son tableau ; car c’est bien cela qu’il était, en effet.