mercredi 27 août 2014

Philippe Claudel "Remugle" Parfums (Stock 2012) - Profumi (Ed. Ponte alle Grazie 2013)




Rencontre avec Philippe Claudel le 27 février à 18h.30

à l'Institut Français de Milan pour la présentation de


 "Profumi"

Ed. italiennes Ponte alle Grazie






REMUGLE (1)
  
Petits rangs serrés d’élèves, sous la pluie oblique, dans les mois les plus déprimants de l’enfance, octobre, novembre ou mars, mois sans neige, simplement à tordre, et froids. On supprime la promenade des internes le mercredi après-midi quand le temps rabat les averses sur le Lunévillois. Je ne pourrai donc pas marcher vers Jolivet, Chanteheux, La Petite Fourasse ou Méhoncourt, et saisir un peu de nature, de prés, de méandres de rivière pour m’en faire des songeries, voir la robe blanche et noire des vaches, leur pis plein d’un lait tiède, sentir les granges ouvertes et leurs entrailles de foin  et de paille. Je n’apercevrai pas au loin, se distinguant de la chaîne des Vosges, le trapèze bleu du Donon qui m’est une boussole affective par laquelle je lis mes origines, et qui m’apaise et me réjouit. Nous quittons l’internat sous le regard bonhomme de M. Chapotot. Le surveillant nous mène à la bibliothèque municipale adossée aux tours de grès de l’église Saint-Jacques. Nous y restons un peu plus de trois heures, il me semble. Jean-Christophe Vaimbois, surnommé Nichon, qui choisira de quitter la vie à 19 ans, Hervé Levièvre, Yannick Wein, et les autres. Tête baissée, lisant ou sommeillant, c’est selon. Dans le silence assourdi encore par une pénombre qui vient tôt, et revisite la salle de lecture d’un glacis de lumière grise. Au sol, un plancher large, sans vernis. Aux murs, les livres, petits et grands, antiques ou modernes, serrés les uns contre les autres comme de frileux voisins. Je lis à m’en crever les yeux. Le temps fait le dos rond. Je n’ai plus ni lieu ni âge. Je tourne les pages dans l’odeur  de papier ancien, de l’encre nouvelle, de jaquettes tapissées d’une poussière dont les grains affolés se bousculent sous les paupières des lampes, de l’humidité aussi d’ouvrages lourds et peu souvent ouverts qui paraissent en souffrir et suppurer (2) des larmes minuscules. Sans doute est-ce là, dans cette bibliothèque surannée, au profond du silence, parmi les visages absents de mes camarades et leurs corps ennuyés, enivré par le remugle - puisque c'est là le nom et l'odeur des vieux livres comme je l'appris bien plus tard -, que j'entre dans un pays, celui de la fiction et des mille sentiers, que je n'ai depuis jamais vraiment quittés. Je suis comme les livres. Je suis dans les livres. C'est le lieu où j'habite, lecteur et artisan, et qui me définit bien.

1)       Llittér. Odeur prenante et désagréable qu'exhale ce qui a longtemps été renfermé ou maintenu dans une atmosphère viciée. Sentir le remugle. (odeur / senteur / émanation/ puanteur)
2)       Laisser écouler ( distiller / dégoutter / sécréter / )




Dans l’attente de cette rencontre quel bonheur que de lire Philippe Claudel ,

Qui nous fait accéder par sa vision à

« Cette vie qui en un sens, habite à chaque instant chez tous les hommes aussi bien que chez l'artiste »

Et qui nous  l'éclaircit.

Les Réminiscences,  tantôt de Du Bellay (Heureux qui comme Ulysse)  « le trapèze bleu du Donon qui m’ est une boussole affective »  tantôt proustiennes « Je n’ai plus ni lieu ni âge » », «j'entre dans un pays, celui de la fiction et des mille sentiers » (Sur la lecture),   « Aux murs, les livres, petits et grands, antiques ou modernes » (la mort de Bergotte), remontent à la surface pour atteindre l’essence même  de l’œuvre de Philippe Claudel

« Je suis comme les livres. Je suis dans les livres. C'est le lieu où

j'habite, lecteur et artisan, et qui me définit bien. »

Cette écriture poétique  nous fascine et nous emporte aussi loin que nos rêves ….

Et à travers   ces livres  bien vivants,  habités, « serrés les uns contre les autres comme de frileux voisins…. qui paraissent …souffrir … suppurer  des larmes minuscules »   nous redécouvrons nos lectures bien aimées, notre jouissance d’un temps révolu, refoulé,  mais jamais perdu, et nous retrouvons « l’odeur et  la saveur »  cachées quelque part qui nous  reconduisent  vers un pays où

 « La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie,

la seule vie par conséquent réellement vécue,

c'est la littérature. ».







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