Les gymnases possèdent une puissance érotique méconnue. Surtout ceux , vieillots, dans lesquels poussière et manque d’aération, matériaux dégradés, lumière chlorotique et vestiaires décrépits s’unissent pour, paradoxalement, former un décor propice à l’exacerbation du désir amoureux. Le père Georges est notre professeur de sport. Nous sommes en seconde au lycée Bichat de Lunéville. Il fume beaucoup, ne court puis depuis longtemps, et le local qu’il partage avec ses collègues ressemble à l’annexe d’une brasserie. Je crois qu’il a fait le tour de la question, et son air de se foutre de tout n’est pas la moindre des leçons qu’il nous donne. Nous sommes en tout cas quelques-uns, par ailleurs peu doués pour le chronomètre, à bien le retenir. Classe mixte au lycée pour l’ Éducation physique et sportive, les filles sont de leur côté et nous du nôtre. On ne mélange pas la dentelle au gros drap. Ils arrivent cependant que nous partagions le même gymnase. Elles dans un coin, nous dans un autre, nous sautons en alternance au-dessus des mêmes chevaux d’arçon, empoignons les mêmes barres parallèles, anneaux cordes à nœuds, barres fixes, chutons sur le même matelas, roulons sur les mêmes tapis de sol. Nous jeunes corps tendu ne cessent de se frôler. Nous regardons ces filles, que nous connaissons si peu avec des regards vierges. Nous les respirons dans l’effort qui mouille leur front et leur aisselles, donne à leur regard une trouble et langoureuse fatigue, à leurs gestes une lenteur sensuelle, à leur souffle une chaleur qui vient jusqu’à nous comme nous provoquer. Leurs joues s’empourprent. Elles sont soudain non pas des jeunes filles en fleurs mais en feu, et ce feu nous embrase. Que le père Georges sente la bière , le Pernod et le tabac, que le gymnase étouffe des relents de sueur, de pied, de corps négligés, que la vétusté des cordes et des tapis – dont la mousse désagrégée curieusement fleure la gomme arabique – confère au lieu une ambiance soviétique, ne m’empêche nullement de m’émouvoir devant les cuisses de Corinne Remoux parsemées en leur face interne d’un sfumato pileux, la grâce auburn de Carole Ravaillé, l’inoubliable poitrine, en avance sur son âge, de Marie Marin, le pubis souple comme le ventre d’une loutre de la blonde Isabelle Leclerc qu’un mince short bleu marine en éponge masque autant qu’il souligne. Je m’enivre de tout. Je moissonne les gloussements, les frôlements, les échancrures, les éclats blancs ou roses des culottes qui parfois pointent leur présence dans le mouvement en ciseaux des cuisses d’une sauteuse en hauteur, le tremblement de deux seins, dans une course d’élan, les fesses ouvertes par les grands écarts la flexion des genoux d’une grimpeuse qui se love à la corde, monte suivant une élégante reptation les reins courbés, dans un délicat ahanement, vers le ciel du gymnase et que je suis, bouche bée, les yeux conquis, le cerveau troublé par la surrection d’hormone, la bite aussi dure qu’un marbre romain. Les gymnases sont restés de vieux camarades. Ils savent. Certains en y entrant se bouchent le nez et font la grimace. Moi je ferme les yeux. Je cherche les jeunes filles. Mes jeunes filles. Je les entends à vrai dire, rire et se provoquer, courir s’encourager, mais je ne les vois plus. Elles sont enfermées dans une boucle du temps et moi je m’éloigne.
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