vendredi 29 août 2014

Charles Baudelaire : "La lettre du suicide"






A MONSIEUR ...
                                                                                                                         Le 30 juin 1845.

… Je me tue, parce que je suis inutile aux autres et dangereux
à moi-même. Je me tue, parce que je me crois immortel
et que j’espère… Montrez-lui mon épouvantable exemple et
comment le désordre d’esprit et de vie mène à un désespoir
sombre et à un anéantissement complet. — Raison et utilité,
 je vous en supplie…












Derrière chaque manuscrit se cache une histoire...
Poète maudit et incompris, Charles Baudelaire a 24 ans lorsqu’il
écrit cette lettre, datée du 30 juin 1845 et dans laquelle il annonce
 à son notaire son intention de mettre fin à ses jours. Connu sous
le nom de « lettre du suicide », ce manuscrit est intéressant à plus
d’un titre. Non seulement Baudelaire y exprime son mal-être, non
pas lié à son endettement mais bien à son spleen, mais surtout,
il y évoque sa relation conflictuelle avec sa famille et son amour
pour Jeanne Lemaire.Peu de temps auparavant, Baudelaire a été
 placé sous curatelle* par ses proches, pour sa vie fantasque*,
débauchée* et dispendieuse*. Or, sur les pages de ce manuscrit,
 l’écriture de Baudelaire est parfaitement compréhensible et, malgré
 quelques ratures, on sent un homme en pleine possession de ses
 moyens intellectuels. Baudelaire se sent donc humilié d’être ainsi
traité par sa famille, en particulier par sa mère, avec qui il entretint
toujours une relation tumultueuse, et ne lui pardonnant pas de
s’être remariée alors qu’il n’avait que 7 ans.
À l’heure où il écrit ces lignes, le seul réconfort que trouve
Baudelaire  est dans les bras de Jeanne Lemaire. Alors qui
est-elle cette Jeanne Lemaire qui se fera appeler plus tard
Jeanne Duval ? Sans doute native de Saint-Domingue, elle sera
la Vénus noire de Baudelaire.
Mulâtre*, comédienne de seconds rôles, possédant un charme
certain,  comme représenté sur un tableau de Manet, Jeanne
Lemaire sera à la fois la muse et le poison de Baudelaire. Ils se
rencontrent en mai 1842 et leur liaison, faite de passion et de
haine, de ruptures violentes et de réconciliations enflammées,
durera jusqu’à la mort de Baudelaire,  en 1867. Mais en écrivant
cette lettre, en juin 1845, alors qu’il projette de se tuer, Baudelaire
voit en Jeanne Lemaire la seule femme, le seul  être humain qui
l’ait compris et c’est à elle qu’il veut tout laisser. C’est vers elle
que vont ses dernières pensées.
Finalement le coup de couteau que se donnera Baudelaire ne
sera qu’une égratignure ; il continuera à promener son spleen*
de nombreuses années encore et écrira quelques-unes des plus
 belles pages de la poésie française.

*Placer sous curatelle : mettre sous protection juridique, gérer l’argent et les biens d’une personne
inapte à le faire elle-même.
*Fantasque : qui est sujet à des idées bizarres, fantaisistes.
*Débauchée : libertine.
*Dispendieuse : qui coûte très cher, onéreuse.
*Mulâtre : métis issu de l’union d’un Blanc avec une Noire ou d’un Noir avec une Blanche.
*Allusion au Spleen de Paris, recueil de poèmes de Charles Baudelaire. Anglicisme qu’on
 pourrait traduire par « mélancolie ».







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