mercredi 3 septembre 2014

Article "Philosophe" de Dumarsais, Encyclopédie , XII (1765), Travaux des élèves Antonella Innocenzio et Laura Tripaldi








L'École d'Athènes                                                                                               

Raffaello, la Chambre de la Signature (les Stanze) des Musei Vaticani


Commentaire dirigé :  Littérature- Philosophie :

Dumarsais : Encyclopédie (1751-1772), article "Philosophe"

 Les autres hommes sont déterminés à agir sans sentir ni connaître les causes qui les font mouvoir, sans même songer qu'il y en ait. Le philosophe au contraire démêle les causes autant qu'il est en lui, et souvent même les prévient, et se livre à elles avec connaissance: c'est une horloge qui se monte, pour ainsi dire, quelquefois elle-même. Ainsi il évite les objets qui peuvent lui causer des sentiments qui ne conviennent ni au bien-être, ni à l'être raisonnable, et cherche ceux qui peuvent exciter en lui des affections convenables à l'état où il se trouve. La raison est à l'égard du philosophe ce que la grâce est à l'égard du chrétien. La grâce[1][1] détermine le chrétien à agir; la raison détermine le philosophe.
             Les autres hommes sont emportés par leurs passions, sans que les actions qu'ils font soient précédées de la réflexion : ce sont des hommes qui marchent dans les ténèbres; au lieu que le philosophe, dans ses passions mêmes, n'agit qu'après la réflexion; il marche la nuit, mais il est précédé d'un flambeau.
             La vérité n'est pas pour le philosophe une maîtresse qui corrompe son imagination, et qu'il croie trouver partout; il se contente de la pouvoir démêler où il peut l'apercevoir. Il ne la confond point avec la vraisemblance; il prend pour vrai ce qui est vrai, pour faux ce qui est faux, pour douteux ce qui est douteux, et pour vraisemblance ce qui n'est que vraisemblance. Il fait plus, et c'est ici une grande perfection du philosophe, c'est que lorsqu'il n'a point de motif pour juger, il sait demeurer indéterminé [...]
            L'esprit philosophique est donc un esprit d'observation et de justesse, qui rapporte tout à ses véritables principes; mais ce n'est pas l'esprit seul que le philosophe cultive, il porte plus loin son attention et ses soins.
              L'homme n'est point un monstre qui ne doive vivre que dans les abîmes de la mer ou dans le fond d'une forêt : les seules nécessités de la vie lui rendent le commerce des autres nécessaire et dans quelqu'état où il puisse se trouver, ses besoins et le bien-être l'engagent à vivre en société
[2][2]. Ainsi la raison exige de lui qu'il connaisse, qu'il étudie, et qu'il travaille à acquérir les qualités sociables.
            Notre philosophe ne se croit pas en exil dans ce monde
[3][3]; il ne croit point être en pays ennemi; il veut jouir en sage économe des biens que la nature lui offre; il veut trouver du plaisir avec les autres; et pour en trouver, il faut en faire ainsi il cherche à convenir à ceux avec qui le hasard ou son choix le font vivre et il trouve en même temps ce qui lui convient: c'est un honnête homme qui veut plaire et se rendre utile […]
            Le vrai philosophe est donc un honnête homme qui agit en tout par raison, et qui joint à un esprit de réflexion et de justesse les mœurs et les qualités sociales. Entez
[4][4] un souverain sur un philosophe d’une telle trempe, et vous aurez un souverain parfait.

[1] Grâce : aide ou faveur dispensée par Dieu sans laquelle le chrétien ne peut espérer trouver la voie du Bien, la voie du Salut.
 [2] Ce passage est sans doute une critique de la thèse défendue par Rousseau selon laquelle l’homme, naturellement bon, est perverti par la vie en société.
 [3] Ce monde : le monde des hommes opposé à l’autre monde, le paradis, le monde des âmes : allusion polémique à la doctrine chrétienne selon laquelle notre monde imparfait est le produit de la Chute originelle, la faute d’Adam et Eve.
 [4] Enter = greffer



  



L’article « philosophe » de l’Encyclopédie, qui a été rédigé par le grammairien Dumarsais, est un brillant éloge de la figure de l’homme des Lumières. Ce portrait prodigieux présent le philosophe comme un modèle intellectuel, mais aussi moral qui incarne l’esprit du XVIIIe siècle. L’auteur exprime la thèse globale de l’article au début du texte, en affirmant que « la raison détermine le philosophe », ensuite il soutient et confirme cette assertion au moyen d’une réflexion sur les caractéristiques principales de ce personnage. 

Le philosophe agit seulement âpres avoir réfléchi attentivement, à cause de cela il est défini comme déterminé par sa raison et son attitude est opposée à celle des autres hommes, qui  au contraire sont emportés par leur passions. L’homme des Lumières se distingue aussi dans la quête de la vérité : il ne la confond pas, il ne veut pas l’obtenir toujours mais seulement quand il est sûr qu’elle est réelle.

Dans les cinq derniers paragraphes de l’article il y a une analyse du rapport entre le philosophe et la société. Dans cette partie l’auteur souligne que l’homme des Lumières n’utilise pas seulement l’esprit pour soi-même, mais il veut aussi vivre  activement et positivement dans la société. Le philosophe est un homme qui est poussé à vivre entre les autres par ses propres besoins et qui est poussé à étudier et à s’améliorer par sa raison. Il est citoyen du monde et veut y vivre librement et vigoureusement.
L’amour pour la société et l’envie d’être utile rendent le philosophe honnête et probe : c’est donc la raison la cause de la probité des hommes.
Dans la conclusion du texte, Dumarsais reprend la thèse initiale et termine son portrait en élogeant le philosophe pour son attitude très cohérente.
Cet article donc est une louange exhaustive des valeurs des Lumières, mais aussi une exposition d’une sorte de morale laïque fondée uniquement sur la raison. Dans ce cadre le philosophe devient la référence culturelle et morale


Antonella Innocenzio







Dans l'article “Philosophe” de l'Encyclopédie, écrit par Dumarsais, on peut retrouver toutes les caractéristiques idéales de l'intellectuel des Lumières, aussi bien d'un point de vue moral que social.

Il s'agit d'un éloge dans lequel l'auteur utilise un langage emphatique, où l’on trouve beaucoup de figures de style  qui donnent au texte une grande puissance expressive. L'une des métaphores les plus importantes se trouve au début du texte, dans le deuxième paragraphe:  dans ce passage, l'auteur fait une distinction entre ceux qui n'utilisent pas leur entendement et ceux qui l'utilisent (c'est-à-dire les philosophes) à l'aide de la métaphore de la lumière, symbole de la raison, déjà utilisée  par Francis Bacon dans le “Novum Organum”. Cette métaphore a la fonction de souligner le rôle de la raison comme guide, comme “flambeau” qui  aide les hommes  dans la recherche de la vérité. En fait, c'est la vérité  le but du  philosophe, mais ce n'est pas une recherche sans fondement; il ne voit pas cette lumièrepartout, il se contente de la “démêler où il peut l'apercevoir”. Le philosophe est donc un homme honnête, qui connaît les difficultés dans son constant processus de   recherche.


À partir de la ligne 16, le texte se concentre sur le rôle social du philosophe. Il y a une critique subtile  à ces philosophes qui se sont isolés et qui ont fui le monde, tandis  que l'intellectuel des Lumières aime communiquer avec les autres et reconnaît aussi son rôle de guide dans le domaine politique et économique. À cet égard, Dumarsais cite  Térence “Homo sum, humani a me nihin alienum puto” pour souligner le fait que l'homme,  en tant que  “animal social”, ne doit pas refuser la communication, qui est fondamentale pour le   développement de la connaissance universelle.


Dans la dernière partie du texte, Dumarsais fait référence à la rigueur
morale typique du philosophe, qui veut être reconnu comme honnête par la société dans laquelle il vit. L'importance de la dignité sociale du philosophe est mise en évidence par le passage “La société civile est [...] une divinité pour lui sur la terre” à la ligne 34. Cette expression nous montre aussi qu'avec les Lumières le rôle de la religion officielle a été remplacé par celui de la morale laïque, marquée par la probité et par la tolérance.


En conclusion, on peut dire que ce passage résume tous les aspects les plus importants des Lumières, aux niveaux social, politique et intellectuel.

  
Laura Tripaldi






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