jeudi 16 juillet 2015

Michel Houellebecq "La carte et le territoire" , Ed. Flammarion, 2010



Michel Houellebecq ne faisait pas partie de mes 
écrivains préférés, mais j’avoue que ce roman,
 d’une richesse impressionnante, m’a bouleversé,
 bien plus que



« La Carte et le Territoire est un formidable autoportrait de Michel Houellebecq, en écrivain, en artiste, en enquêteur, en homme ou en chien, en solitaire qui n’a plus rien à attendre de l’humain passé de la société du spectacle à celle de la consommation. »



« Il est Jed Martin, cet artiste sur lequel s’ouvre le roman, et qui fera fortune en exposant d’abord des reproductions de cartes Michelin représentant la France, puis des peintures de “métiers … Il est Jasselin, dans la dernière partie du livre, le flic chargé de mener l’enquête sur le meurtre sauvage de Michel Houellebecq, qui vit seul avec sa femme, sans enfant, et qui a dû “apprendre” à regarder la mort en face, à scruter ces cadavres en décomposition auxquels il est constamment confronté. Chacun représentant une facette de la démarche de l’écrivain.




  
 Chapitre VII p.183


En effet, un matin du 31 octobre, Jed reçut un mail accompagné d’un

texte sans titre, d’une cinquantaine de pages, qu’il transféra

immédiatement à Marylin et à Franz, tout en s’inquiétant : est-ce que ce

n’était pas trop long ? Celle-ci le rassura immédiatement : au contraire, lui

dit-elle, c’était toujours préférable « d’avoir du volume ».

Même s’il est plutôt considéré aujourd’hui comme une curiosité

historique, ce texte de Houellebecq – le premier de cette importance

consacré à l’oeuvre de Martin – n’en contient pas moins certaines

intuitions intéressantes. Au-delà des variations de thèmes et de

techniques, il affirme pour la première fois l’unité du travail de l’artiste, et

découvre une profonde logique au fait qu’après avoir consacré ses

années de formation à traquer l’essence des produits manufacturés du

monde, il s’intéresse, dans une deuxième partie de sa vie, à leurs

producteurs.

Le regard que Jed Martin porte sur la société de son temps, souligne

Houellebecq, est celui d’un ethnologue bien plus que d’un commentateur

politique. Martin, insiste-t-il, n’a rien d’un artiste engagé, et même si

« L’introduction en bourse de l’action Beate Uhse », une de ses rares

scènes de foule, peut évoquer la période expressionniste, nous sommes

très loin du traitement grinçant, caustique d’un George Grosz ou d’un Otto

Dix. Ses traders en jogging et sweat-shirt à capuche qui acclament avec

une lassitude blasée la grande industrielle du porno allemand sont les

héritiers directs des bourgeois en jaquette qui se croisent,

interminablement, dans les réceptions mises en scène par le Fritz Lang

des Mabuse ; ils sont traités avec le même détachement, la même froideur

objective. Dans ses titres comme dans sa peinture elle-même, Martin est

toujours simple et direct : il décrit le monde, ne s’autorisant que rarement

une notation poétique, un sous-titre servant de commentaire. Il le fait,

pourtant, dans une de ses oeuvres les plus abouties, « Bill Gates et Steve

Jobs s’entretenant du futur de l’informatique », qu’il a choisi de sous-titrer

La conversation de Palo Alto.

Enfoncé dans un siège en osier, Bill Gates écartait largement les bras

en souriant à son interlocuteur. Il était vêtu d’un pantalon de toile, d’une

chemisette kaki à manches courtes, les pieds nus dans des tongs. Ce

n’était plus le Bill Gates en costume bleu marine de l’époque où Microsoft

affermissait sa domination sur le monde, et où lui-même, détrônant le

sultan de Brunei, s’élevait au rang de première fortune mondiale. Ce

n’était pas encore le Bill Gates concerné, douloureux, visitant des

orphelinats sri-lankais ou appelant la communauté internationale à la

vigilance devant la recrudescence de la variole dans les pays de l’Ouest

africain. C’était un Bill Gates intermédiaire, décontracté, manifestement

heureux d’avoir abandonné son poste de chairman de la première

entreprise mondiale de logiciels, un Bill Gates en vacances en somme.

Seules les lunettes à la monture métallique, aux verres fortement

grossissants, pouvaient rappeler son passé de nerd.

Face à lui, Steve Jobs, quoique assis en tailleur sur le canapé de cuir

blanc, semblait paradoxalement une incarnation de l’austérité, du Sorge

traditionnellement associés au capitalisme protestant. Il n’y avait rien de

californien dans la manière dont sa main droite enserrait sa mâchoire

comme pour l’aider dans une réflexion difficile, dans le regard plein

d’incertitude qu’il posait sur son interlocuteur ; et même la chemise

hawaiienne dont Martin l’avait affublé ne parvenait pas à dissiper

l’impression de tristesse générale produite par sa position légèrement

voûtée, par l’expression de désarroi qu’on lisait sur ses traits.

La rencontre, de toute évidence, avait lieu chez Jobs. Mélange de

meubles blancs au design épuré et de tentures ethniques aux couleurs

vives : tout dans la pièce évoquait l’univers esthétique du fondateur

d’Apple, aux antipodes de la débauche de gadgets high-tech, à la limite

de la science-fiction, qui caractérisait selon la légende la maison que le

fondateur de Microsoft s’était fait construire dans la banlieue de Seattle.

Entre les deux hommes, un jeu d’échecs aux pièces artisanales en bois

était posé sur une table basse ; ils venaient d’interrompre la partie dans

une position très défavorable pour les Noirs – c’est-à-dire pour Jobs.

Dans certaines pages de son autobiographie, La Route du futur; Bill

Gates laisse parfois transparaître ce qu’on pourrait considérer comme un

cynisme complet – en particulier dans le passage où il avoue tout uniment

qu’il n’est pas forcément avantageux, pour une entreprise, de proposer les

produits les plus innovants. Le plus souvent il est préférable d’observer ce

que font les entreprises concurrentes (et il fait alors clairement référence,

sans le citer, à son concurrent Apple), de les laisser sortir leurs produits,

affronter les difficultés inhérentes à toute innovation, essuyer les plâtres en

quelque sorte ; puis, dans un deuxième temps, d’inonder le marché en

proposant des copies à bas prix des produits de la concurrence. Ce

cynisme apparent n’est pourtant pas, souligne Houellebecq dans son

texte, la vérité profonde de Gates ; celle-ci s’exprime plutôt dans ces

passages surprenants, et presque touchants, où il réaffirme sa foi dans le

capitalisme, dans la mystérieuse « main invisible » ; sa conviction

absolue, inébranlable, que quels que soient les vicissitudes et les

apparents contre-exemples le marché, au bout du compte, a toujours

raison, le bien du marché s’identifie toujours au bien général. C’est alors

que Bill Gates apparaît, dans sa vérité profonde, comme un être de foi, et

c’est cette foi, cette candeur du capitaliste sincère que Jed Martin a su

rendre en le représentant, les bras largement ouverts, chaleureux et

amical, ses lunettes brillant dans les derniers rayons du soleil couchant sur

l’océan Pacifique. Jobs au contraire, amaigri par la maladie, son visage

soucieux, piqué d’une barbe clairsemée, douloureusement posé sur sa

main droite, évoque un de ces évangélistes itinérants au moment où, se

retrouvant pour la dixième fois peut-être à débiter ses prêches devant une

assistance clairsemée et indifférente, il est tout à coup envahi par le doute.

C’était pourtant Jobs, immobile, affaibli, en position perdante, qui

donnait l’impression d’être le maître du jeu ; tel était, souligne Houellebecq

dans son texte, le profond paradoxe de cette toile. Dans son regard brillait

toujours cette flamme qui n’est pas seulement celle des prédicateurs et

des prophètes, mais aussi celle de ces inventeurs si souvent décrits par

Jules Verne. À regarder plus attentivement la position d’échecs

représentée par Martin, on se rendait compte qu’elle n’était pas

nécessairement perdante ; et que Jobs pouvait, en se lançant dans un

sacrifice de la reine, conclure en trois coups par un audacieux mat foucavalier.

De même on avait l’impression qu’il pouvait, par l’intuition

fulgurante d’un nouveau produit, imposer subitement au marché de

nouvelles normes. Par la baie vitrée derrière les deux hommes on

distinguait un paysage de prairies, d’un vert émeraude presque surréel,

descendant en pente douce jusqu’à une rangée de falaises, où elles

rejoignaient une forêt de conifères. Plus loin l’océan Pacifique déroulait

ses vagues mordorées, interminables. Des petites filles, au loin sur la

pelouse, avaient entamé une partie de frisbee. Le soir tombait,

magnifiquement, dans l’explosion d’un soleil couchant que Martin avait

voulu presque improbable dans sa magnificence orangée, sur la Californie

du Nord, et le soir tombait sur la partie la plus avancée du monde ; c’était

cela aussi, cette tristesse indéfinie des adieux, que l’on pouvait lire dans le

regard de Jobs.

Deux partisans convaincus de l’économie de marché ; deux soutiens

résolus, aussi, du Parti démocrate, et pourtant deux facettes opposées du

capitalisme, aussi différentes entre elles qu’un banquier de Balzac pouvait

l’être d’un ingénieur de Verne. La conversation de Palo Alto, soulignait

Houellebecq en conclusion, était un sous-titre par trop modeste ; c’est

plutôt Une brève histoire du capitalisme que Jed Martin aurait pu intituler

son tableau ; car c’est bien cela qu’il était, en effet.
















mercredi 15 juillet 2015

Hubert Revees “L’Univers expliqué à mes petits-enfants” Ed. du Seuil , 2011







« La contemplation de la voûte céleste et le sentiment de

notre présence parmi les astres provoquent un désir partagé

d’en savoir plus sur ce mystérieux cosmos que nous habitons.

Il sera ici question de science, ce qui n’exclut pas la poésie. »



Mes élèves de III D ESABAC seront les invités du

Centre Culturel de Milan

à la Bibliothèque SORMANI

le 21 octobre prochain



pour la conférence de



HUBERT REEVES







Je sais que Cristina Mangano, prof de physique,

et Giuseppe Maglione, prof de sciences,

apprécieront bien cette proposition …






Quand je pense à Hubert Reeves, j’ai tout de suite en tête l’image de ce vieux monsieur à la barbe blanche, le son de sa voix à l’accent québécois décrivant de la manière la plus claire et passionnante possible l’histoire de la Terre, du ciel ou des hommes… Ce monsieur a le don de rendre clairs ces sujets pourtant si vastes et compliqués. J’aime également la place qu’il donne dans ses ouvrages au rôle et aux devoirs de l’homme sur la planète. Dans « L’univers expliqué à mes petits-enfants », il a beau traiter du fonctionnement de l’univers, des étoiles, de l’apparition de la vie sur Terre ou des atomes, les questionnements sur l’Homme, nos responsabilités et nos connaissances sont toujours sous-jacents… Le but n’est pas seulement ici de donner à sa petite-fille (et donc aux adolescents auxquels est directement destiné cet ouvrage) des connaissances sur l’univers, mais également de faire d’elle une adulte responsable et consciente du monde qui l’entoure.

LAISSEZPARLERLESPETITSPAPIERS





Voici alors ce petit magnifique bouquin à lire absolument




« Je dédie ce livre à mes petits-enfants. En commençant à l'écrire, j'ai pris conscience de la valeur symbolique que je pouvais lui donner : celle d'un testament spirituel. Que voudrais-je leur raconter sur ce grand Univers qu'ils continueront à habiter après moi ? J'ai alors songé à ces conversations avec l'une de mes petites-filles, où nous observons, étendus sur des chaises longues, le ciel étoilé. Je me suis senti revivre ces soirées de mois d'août avec mes enfants qui me bombardaient de questions pendant que nous attendions les étoiles filantes. »





mardi 14 juillet 2015

Raphaëlle Bacqué "Richie" ED. Grasset, 2015


"S'il n'était pas si inventif, s'il n'avait une intelligence si vive,

un charme si évident, personne ne le suivrait"



On est sous la séduction  de ce satrape innovant et déviant,

Raphaëlle Bacqué raconte tambour battant "l'histoire

de l'ascension vertigineuse d'un fils de bonne famille,

tenté par tous les trasgressions."



Richie est à la fois le diable et  l'ange ,

le prince italien, comme l'appelle l'écrivaine,

d'une Nomenklatura où tout est permis,

tout est honnête au nom du  Pouvoir !


Pourtant... Ce regard indulgent envers les étudiants,

envers les lycéens des ZEP, cette démocratisation des écoles 

 font de Richard Descoings un Prince Charmant

aux idées éclatantes  pour  TOUS,

tout particulièrement pour ceux  qui pensent sacrifier

sur le Maître-Autel des Banques l'Avenir de l'Europe !!!


 RICHIE. C’est ainsi que ses étudiants le surnommaient, scandant ce prénom, brandissant sa photo, comme s’il s’agissait d’une rock star ou d’un gourou. Le soir de sa mort énigmatique dans un hôtel de New-York, une foule de jeunes gens se retrouva, une bougie à la main, devant le temple de la nomenklatura française, Sciences Po. Quelques jours plus tard, le visage mélancolique de Richard Descoings couvrait la façade de l’église Saint-Sulpice. Sur le parvis, politiques, grands patrons et professeurs défilèrent silencieusement, comme si l’on enterrait un roi secret. Au premier rang, l’épouse et le compagnon pleurèrent ensemble sa disparition.


Après des années d’enquête, Raphaëlle Bacqué nous livre ce destin balzacien : l’ascension vertigineuse au cœur de la vie politique française d’un fils de bonne famille, amateur de transgression. Un de ces hommes qui traversent leur temps et le transforment. Il a fait de Sciences Po le vivier de tous les pouvoirs. Distribuant à l’élite des cours rémunérés, faisant de son conseil d’administration une pièce maîtresse de l’échiquier politique, le Tout Paris l’adorait. Mais il a aussi ouvert les amphithéâtres aux élèves des banlieues. Envoyé ses étudiants dans les universités les plus prestigieuses du monde. Changé la vie de milliers de jeunes gens. Tout juste s’interrogeait-on sur ce directeur homosexuel, pourtant marié à une femme dont il avait fait sa principale adjointe.

Monarque éclairé mais omnipotent, encensé par les médias puis brûlé avec le même entrain, personne ne l’a percé à jour. Raphaëlle Bacqué nous entraîne aujourd’hui sur ses pas ; dans les boîtes du Marais, les cabinets ministériels de la gauche et les salons sarkozystes ; dans les soirées étudiantes déjantées, les bureaux du conseil d’Etat, les couloirs de la Cour des comptes et les plus grandes universités du monde ; dans ses nuits solitaires réchauffées par des substances interdites… Personne n’a résisté à la folie de Richard Descoings. Surtout pas lui.

 







Bernard Pivot « Oui, mais quelle est la question ?» Ed. Pocket, 2012



                                                                                       

"La réponse est oui.

Mais quelle était la question?"

Woody Allen
       





Bernard Pivot « Oui, mais quelle est la question ? »




J’ai eu la chance de rencontrer Bernard Pivot Président de 

l’Académie Goncourt lors du prix Goncourt des lycéens 

à Rome le 4 décembre 2014,







Je ne le connaissais qu’ à travers ses émissions .. vous vous
 souvenez d’ « Apostrophes » ? C’était et c’est un mythe vivant pour ma génération brillant, sympa, hyper-intelligent
je le revois encore questionner Marguerite Yourcenar sur
 l’île de Mont Désert …

Voilà pourquoi quand j’ai vu sur un banc de la Fnac de
 Cannes son livre il a tout de suite attiré mon attention : 
 « une vie pour une question »


« Ma mère m’a rapporté que je ne manifestais ma présence dans son ventre que lorsque, debout, elle bavarder » voilà comment il débute le chapitre « ? »










lundi 13 juillet 2015

Zoufris Maracas "Un gamin"



Naadir

"Du plus loin qu'il me souvienne
j'ai rêvé de l'école et de ses mystères"

Fabrice Humbert "Avant la chute"




Si tu savais d'où je venais


Tu me parlerais pas pour rien

Tu déposerais ton képis

Tu me détacherais les mains

Tu me laisserais du répit au moins jusqu'à après demain

Tu me laisserais vivre ici vu qu'toi aussi t'es un gamin



Un gamin, deux gamins, 6 milliards de gamins

Plus un, plus un

Plus un, plus un

Plus un, plus un

Mais tu es un flic

(?) représentant de la force publique.



Si tu savais d'où je venais

Tu me demanderais si je vais bien

Tu m'offrirais un déjeuner

Tu me détacherais les mains

Tu me laisserais du répit au moins jusqu'à l'été prochain

Tu me laisserais vivre ici vu qu'toi aussi t'es un gamin



Un gamin, deux gamins, 6 milliards de gamins

Plus un, plus un

Plus un, plus un

Plus un, plus un

Mais tu es un flic

Affamé de bandit, salop de vendu de représentant de la force publique.



Si tu étais où je suis né

Tu te d'mandrais si tout va bien

Autant de temps colonisé

A présent traité comme un chien

Tu continues à me voler, mon peuple et mon continent

Tu distribues à la voler, du pognon à mes dirigeants

Tu sponsorises les dictateurs

Tu vides mon sol de ses richesses

Pour quelques gisements prometteurs

Des peuples entiers dans la détresse.



Et toi tu es flic,

(Yeah, c'est les arbres que tu as coupé chez moi)

Soi-disant l'exécutant de la volonté de l'autorité publique.

(Yeah, les armes que tu as vendu chez moi)



Et tu voudrais que je te tiennes pour irresponsable?

Mais tu es le bras de l'idée,

Et cette idée sans toi, n'est qu'une idée.

Et cette idée sans toi, n'est qu'une idée.



Un gamin, deux gamins, 6 milliards de gamins.

Plus un, plus un

Plus un, plus un

Plus un, plus un

Mais tu es un flic

Affamé de bandit, salop de vendu de représentant de la force publique.



Si tu savais d'où je venais, tu ne ferais pas ton malin,

Ton autoritaire, le gars qui me dit que je dois me taire.

(6 milliards de gamins)

Tu déposerais ton mépris, tu me détacherais les mains,

Tu me laisserais du répit au moins jusqu'au siècle prochain,

Tu me laisserais vivre ici avec ma femme et mes gamins.



Un gamin, deux gamins, 6 milliards de gamins.

Plus un, plus un

Plus un, plus un

Plus un, plus un



6 milliards de gamins.

6 milliards de gamins.

6 milliards de gamins.

Un gamin, deux gamins, 6 milliards de gamins.

Plus un, plus un

Plus un, plus un

Plus un, plus un

Plus un, plus un        



dimanche 12 juillet 2015

Un été avec Antoine Conpagnon ... "Un été avec Baudelaire"



                                                                               
         
                                                                          


Après Montaigne et Proust voici Baudelaire

Antoine Compagnon a le don de la synthèse et de la clarté

on aimerait bien l'avoir en classe pour nos cours ...

on se contentera de le lire 








J'aime de vos longs yeux la lumière verdâtre,

Douce beauté, mais tout aujourd'hui m'est amer,

Et rien, ni votre amour, ni le boudoir, ni l'âtre

Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer.

                                      Charles Baudelaire "Chant d'automne"






Aucun poète ne nous a laissé autant de vers mémorables. Aucun écrivain n’a mieux parlé de l’amour, du spleen, du voyage. Pour lui, l’été fut celui de l’enfance, saison à jamais révolue, paradis perdu que sa poésie voudrait retrouver.









samedi 11 juillet 2015

J.-K. Huysmans " En rade"






Être en rade en français signifie  être bloqué, pris en  piège,

   Jacques Marles   est le protagonsite de ce roman énigmatique

où le  rêve,  la neurasthénie  de sa femme Louise et le souvenir

 de certaines lectures bibliques anticipent l'avenir de l'écrivain 

aussi bien que certains thèmes freudiens et surréalistes.



EN RADE




Le rêve de jacques

Il s'appliquait à engourdir ses angoisses par des occupations mécaniques et vaines; il compta les losanges du panneau, constatant avec soin les morceaux rapportés du papier de tenture dont les dessins ne joignaient pas; soudain un phénomène bizarre se produisit: les bâtons verts des treilles ondulèrent, tandis que le fond saumâtre du lambris se ridait tel qu'un cours d'eau.Et ce friselis de la cloison jusqu'alors immobile s'accentua; le mur, devenu liquide, oscilla, mais sans s'épandre; bientôt, il s'exhaussa, creva le plafond, devint immense, puis ses moellons coulants s'écartèrent et une brèche énorme s'ouvrit, une arche formidable sous laquelle s'enfonçait une route.Peu à peu, au fond de cette route, un palais surgit qui se rapprocha, gagna sur les panneaux, les repoussant, réduisant ce porche fluide à l'état de cadre, rond comme une niche, en haut, et droit, en bas.Et ce palais qui montait dans les nuages avec ses empilements de terrasses, ses esplanades, ses lacs enclavés dans des rives d'airain, ses tours à collerettes de créneaux en fer, ses dômes papelonnés* d'écailles, ses gerbes d'obélisques aux pointes couvertes ainsi que des pics de montagne d'une éternelle neige, s'éventra sans bruit, puis s'évapora, et une gigantesque salle apparut pavée de porphyre, supportée par de vastes piliers aux chapiteaux fleuronnés de coloquintes de bronze et de lys d'or. Derrière ces piliers, s'étendaient des galeries latérales, aux dalles de basalte bleu et de marbre, aux solivages de bois d'épine et de cèdre, aux plafonds caissonnés*, dorés comme des châsses; puis, dans la nef même, au bout du palais arrondi tel que les chevets à verrières des basiliques, d'autres colonnes s'élançaient en tournoyant jusqu'aux invisibles architraves d'un dôme, perdu, comme exhalé, dans l'immesurable fuite des espaces.
Autour de ces colonnes réunies entre elles par des espaliers de cuivre rose, un vignoble de pierreries se dressait en tumulte, emmêlant des cannetilles d'acier, tordant des branches dont les écorces de bronze suaient de claires gommes de topazes et des cires irisées d'opales. Partout grimpaient des pampres découpés dans d'uniques pierres; partout flambait un brasier d'incombustibles ceps, un brasier qu'alimentaient les tisons minéraux des feuilles taillées dans les lueurs différentes du vert, dans les lueurs vert-lumière de l'émeraude, prasines* du péridot*, glauques de l'aigue-marine, jaunâtres du zircon*, céruléennes* du béryl*; partout, du haut en bas, aux cimes des échalas, aux pieds des tiges, des vignes poussaient des raisins de rubis et d'améthystes, des grappes de grenats et d'amaldines*, des chasselas de chrysoprases, des muscats gris d'olivines et de quartz, dardaient de fabuleuses touffes d'éclairs rouges, d'éclairs violets, d'éclairs jaunes, montaient en une escalade de fruits de feu dont la vue suggérait la vraisemblable imposture d'une vendange prête à cracher sous la vis du pressoir un moût éblouissant de flammes ! Çà et là, dans le désordre des frondaisons et des lianes, ces ceps fusaient, à toute volée, se rattrapant par leurs vrilles à des branches qui formaient berceau et au bout desquelles se balançaient de symboliques grenades dont les hiatus carminés d'airain caressaient la pointe des corolles phalliques jaillies du sol. Cette inconcevable végétation s'éclairait d'elle-même; de tous côtés, des obsidianes* et des pierres spéculaires incrustées dans des pilastres, réfractaient, en les dispersant, les lueurs des pierreries qui, réverbérées en même temps par les dalles de porphyre, semaient le pavé d'une ondée d'étoiles. Soudain la fournaise du vignoble, comme furieusement attisée, gronda; le palais s'illumina de la base au faîte, et soulevé sur une sorte de lit, le Roi parut, immobile dans sa robe de pourpre, droit sous ses pectoraux d'or martelé, constellés de cabochons, ponctués de gemmes, la tête couverte d'une mitre turriculée, la barbe divise* et roulée en tube, la face d'un gris vineux de lave, les pommettes osseuses, en saillie sous des yeux creux. Il regardait à ses pieds, perdu dans un rêve, absorbé par un litige d'âme, las peut-être de l'inutilité de la toute-puissance et des inaccessibles aspirations qu'elle fait naître; dans son oeil pluvieux, couvert tel qu'un ciel bas, l'on sentait la disette de toute joie, l'abolition de toute douleur, l'épuisement même de la haine qui soutient et de la férocité dont le régal continué s'émousse. entement enfin, il leva la tête et vit, devant un vieillard au crâne en oeuf, aux yeux forés de travers sur un nez en gourde, aux joues sans poils, granulées ainsi qu'une chair de poule et molles, une jeune fille debout, inclinée, haletante et muette. Elle avait la tête nue et ses cheveux très blonds pâlis par des sels et nuancés par des artifices de reflets mauves coiffaient son visage comme d'un casque un peu enfoncé, couvrant le sommet de l'oreille, descendant tel qu'une courte visière sur le haut du front. Le cou dégagé restait nu, sans un bijou, sans une pierre, mais, des épaules aux talons, une étroite robe la précisait, serrant les bulles timorées de ses seins, affûtant leurs pointes brèves, lignant les ambages ondulés du torse, tardant aux arrêts des hanches, rampant sur la courbe exiguë du ventre, coulant le long des jambes indiquées par cette gaine et rejointes, une robe d'hyacinthe d'un violet bleu, ocellée comme une queue de paon, tachetée d'yeux aux pupilles de saphir montées dans des prunelles en satin d'argent. Elle était petite, à peine développée, presque garçonnière, un tantinet dodue, très amenuisée, toute frêle; ses yeux bleus flore étaient reculés vers les tempes par des tirets de teinture lilas et estompés en dessous pour les faire fuir; ses lèvres fardées crépitaient dans une pâleur surhumaine, dans une pâleur définitive acquise par un décolorement* voulu du teint; et la mystérieuse odeur qui émanait d'elle, une odeur aux âmes liées et discernables, expliquait ce blanc subterfuge par les pouvoirs des parfums de décomposer les pigments de la peau et d'altérer pour jamais le tissu du derme.
Cette odeur flottait autour d'elle, l'auréolait, pour ainsi dire, d'un halo d'arômes, s'évaporait de sa chair par bouffées tantôt agiles et tantôt lourdes. Sur une première couche de myrrhe, au relent résineux et brusque, aux effluences amères presque hargneuses, à la senteur noire, une huile de cédrat s'était posée, impatiente et fraîche, un parfum vert, qu'arrêtait la solennelle essence du baume de Judée dont la nuance fauve dominait, à son tour contenue, comme asservie, par les rouges émanations de l'oliban.
Ainsi debout dans sa robe égrenée de flammes bleues, imbibée d'effluves, les bras ramenés derrière le dos, la nuque un peu renversée sur le cou tendu, elle demeurait immobile mais, par instants, des frissons passaient sur elle et les yeux de saphir tremblaient, en pétillant, dans leurs prunelles d'étoffe remués par la hâte des seins. Alors l'homme à la tête glabre, au crâne en oeuf, s'approcha d'elle, des deux mains saisit la robe qui glissa et la femme jaillit, complètement nue, blanche et mate, la gorge à peine sortie, cerclée autour du bouton d'une ligne d'or, les jambes fuselées, charmantes, le ventre gironné d'un nombril glacé d'or, moiré au bas comme les cheveux de reflets mauves. Dans le silence des voûtes, elle fit quelques pas, puis s'agenouilla et la pâleur inanimée de sa face s'accrut encore.
Reflété par le porphyre des dalles, son corps lui apparaissait tout nu; elle se voyait, telle qu'elle était, sans étamine, sans voile, sous le regard en arrêt d'un homme; le respect épeuré qui, tout à l'heure, la faisait frémir devant le muet examen d'un Roi, la détaillant, la scrutant avec une savourante* lenteur, pouvant, s'il la congédiait d'un geste, insulter à cette beauté que son orgueil de femme jugeait indéfectible et consommée, presque divine, se changeait en la pudeur éperdue, en l'angoisse révoltée d'une vierge livrée aux mutilantes caresses du maître qu'elle ignore. La transe d'une irréparable étreinte, rudoyant sa peau anoblie par les baumes, broyant sa chair intacte, descellant, violant, le ciboire fermé de ses flancs, et, surgissant plus haut que la vanité du triomphe, le dégoût d'un ignoble holocauste, sans attache d'un lendemain peut-être, sans balbuties d'un personnel amour leurrant par d'ardentes simagrées d'âme la douleur corporelle d'une plaie, l'anéantirent; — et la posture qu'elle gardait écartant ses membres, elle aperçut devant elle, dans la glace du pavé noir, les couronnes d'or de ses seins, l'étoile d'or de son ventre et sous sa croupe géminée, ouverte, un autre point d'or. L'oeil du Roi vrilla cette nudité d'enfant et lentement il étendit vers elle la tulipe en diamant de son sceptre dont elle vint, défaillante, baiser le bout. Il y eut un vacillement dans l'énorme salle; des flocons de brume se déroulèrent, ainsi que ces anneaux de fumée qui, à la fin des feux d'artifice, brouillent les trajectoires des fusées et dissimulent les paraboles en flammes des baguettes; et, comme soulevé par cette brume, le palais monta s'agrandissant encore, s'envolant, se perdant dans le ciel, éparpillant, pêle-mêle, sa semaille* de pierreries dans le labour noir où scintillait, là-haut, la fabuleuse moisson des astres. Puis, peu à peu, le brouillard se dissipa; la femme apparut, renversée, toute blanche, sur les genoux de pourpre, le buste cabré sous le bras rouge qui la tisonnait. 

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Un grand cri rompit le silence, se répercuta sous les voûtes.

— Hein ? quoi !
La chambre était noire comme un cul de four. — Jacques restait abasourdi, le cœur battant, le bras pétri par des mains crispées. Il écarquillait les yeux dans l'ombre; le palais, la femme nue, le Roi, tout avait disparu.






Jacques et Louise Marles sont ruinés. Pour fuir leurs créanciers, ils partent en Brie, dans un château dont Antoine, l’oncle de Louise, a la garde. Arrivés sur place, ils constatent que le château de Lourps est une ruine battue par les vents et hantée par les chats-huants. La promesse du repos et du réconfort s’éloigne rapidement. Aux tracas parisiens se substituent les misères provinciales.Antoine et Norine, sa femme, sont des paysans filous, âpres au gain, avares et malhonnêtes. Ils ne voient en Louise et Jacques que des Parisiens à rançonner. Ressassant leur pauvreté et égrenant la liste de leurs prétendus malheurs paysans, ils incarnent l’image populaire des provinciaux rustres et malappris. Leur langage à lui seul, entre patois et jurons, se veut l’illustration de leur caractère grossier. Étymologiquement, Jacques est l’un d’eux par son prénom, mais tout son être se révolte et se rebiffe : pour lui, il est impensable de s’assimiler à cette population frustre. Et pourtant, dans sa solitude exacerbée, il croit trouver un plaisir à la compagnie des navrants paysans.Dès le début du séjour, Jacques est traversé de rêves et d’hallucinations qui le laissent épuisé. « Il tenta de s’analyser, s’avoua qu’il se trouvait dans un état désorbité d’âme, soumis contre toute volonté à des impressions externes, travaillé par des nerfs écorchés en révolte contre sa raison, dont les misérables défaillances s’étaient, quand même, dissipées depuis la venue du jour. » (p.76) Des heures entières, Jacques revit les songes qui ont occupé son esprit : « l’insondable énigme du Rêve le hantait. » (p.78) C’est ainsi qu’il occupe de mornes journées. Jacques s’ennuie maladivement : plus sa mélancolie s’aggrave, plus l’ennui se fait prégnant et cet ennui entraîne une mélancolie toujours plus profonde. Mais, à l’inverse de l’illustre Des Esseintes, héros du précédent roman de Huysmans, Jacques n’a pas de fortune pour tenter de tromper l’ennui. Sa misère lui est une douleur supplémentaire, une barrière à un hypothétique bonheur. Le château en ruines est propre aux fantasmagories les plus hideuses et aux suppositions les plus baroques. Son immensité délabrée et ses mystères insondés ont quelque chose de gothique qui cède finalement au pathétique le plus profond. Nul secret et nulle merveille en ces murs poussiéreux, le château n’est qu’une bâtisse aussi vide que l’âme de Jacques, une incarnation architecturale du taedium vitae. À l’instar de Jacques qui se laisse glisser dans une mélancolie néfaste, le château de Lourps rend les armes devant le temps et les hommes. Les ténébreux songes de Jacques ne sont finalement que l’écho de ses promenades vaines dans les couloirs du triste manoir. « Les cauchemars de Jacques étaient patibulaires et désolants, laissaient dès le réveil, un funèbre impression qui stimulait la mélancolie des pensées déjà lasses de se ressasser, à l’état de veille, dans le milieu de ce château vide. » (p. 199)
Dans la solitude et l’indigence campagnarde, la maladie de nerfs de Louise s’aggrave. Et le couple se délite inexorablement. L’épouse refuse sa couche à l’époux et l’homme s’exaspère de cette chasteté forcée autant qu’il s’énerve de ne plus désirer sa femme. « Ce séjour à Lourps aura vraiment eu de bien heureuses conséquences ; il nous aura mutuellement initiés à l’abomination de nos âmes et de nos corps. » (p. 211) À cela s’ajoutent les terreurs causées par le manque d’argent et les angoisses des comptes qui laissent la bourse de plus en plus vide. Pour Jacques et son épouse, ce séjour en province n’aura rien résolu. Le retour à Paris, espéré et idéalisé, porte à peine la promesse de lendemains meilleurs. « Ce départ ferait-il taire la psalmodie de ses pensées tristes et décanterait-il cette détresse d’âme dont il accusait la défection de sa femme d’être la cause ? Il sentait bien qu’il ne pardonnerait pas aisément à Louise de s’être éloignée de lui au moment où il aurait voulu se serrer contre elle. » (p. 211) Dans ce roman, Huysmans s’essaie au symbolisme et à la transcription du rêve. Une nouvelle fois, il fait montre d’une remarquable puissance d’évocation dans ses descriptions : entre hypotyposes et ekphrasis, elles ne laissent rien au hasard et le lecteur n’est privé d’aucun détail. Dans Là-bas, Huysmans faisait s’élever les murs à partir de ruines, ici il fait tomber les murs et révèle les ruines à venir. L’opposition Paris/province est savoureuse, mais ce roman m’a assez rapidement lassée et je l’ai achevé sans plaisir. Si j’ai retrouvé la belle plume de Huysmans, j’ai le sentiment qu’il s’est écouté écrire : bien que l’auteur propose des phrases sublimes, il aurait pu faire l’économie de quelques formulations, voire de quelques pages.






mardi 7 juillet 2015

Fabrice Humbert " Avant la chute" (2012)






Trois univers se croisent dans ce beau roman de




Trois histoires de violence, de sang et de mort
qui nous concernent Tous






 En Colombie, après l’assassinat de leur père par des groupes paramilitaires, Sonia et Norma Castillo tentent de rejoindre les Etats-Unis. Au Mexique, le sénateur Urribal est pris en tenailles entre soupçons politiques et menaces des cartels de la drogue. En France, dans une cité de banlieue, Naadir, élève surdoué, assiste au naufrage de ses frères. Vaste fresque d'un monde qui se défait, le roman de Fabrice Humbert raconte la montée des périls, le basculement des sociétés mais aussi l'énergie de la vie. Avec le sens de la narration qui a fait le succès de L'Origine de la violence et de La Fortune de Sila, il relate notre histoire à tous