VII
Je me souviens, c’était un matin, l’été,
La fenêtre était entrouverte, je m’approchais,
J’apercevais mon père au fond du jardin.
Il était immobile, il regardait
Où, quoi, je ne savais, au-dehors de tout,
Voûté comme il était déjà mais redressant
Son regard vers l’inaccompli ou l’impossible.
Il avait déposé la pioche, la bêche,
L’air était frais ce matin-là du monde,
Mais impénétrable est la fraîcheur même, et cruel
Le souvenir des matins de l’enfance.
Qui était-il, qui avait-il été dans la lumière,
Je ne le savais pas, je ne sais encore.
Mais je le vois aussi, sur le boulevard,
Avançant lentement, tant de fatigue
Alourdissant ses gestes d’autrefois,
Il repartait au travail, quant à moi
J’errais avec quelques-uns de ma classe
Au début de l’après-midi sans durée encore.
A ce passage-là, aperçu de loin,
Soient dédiés les mots qui ne savent dire.
(Dans la salle à manger
De l’après-midi d’un dimanche, c’est en été,
Les volets sont fermés contre la chaleur,
La table débarrassée, il a proposé
Les cartes puisqu’il n’est pas d’autres images
Dans la maison natale pour recevoir
La demande du rêve, mais il sort
Et aussitôt l’enfant maladroit prend les cartes,
Il substitue à celles de l’autre jeu
Toutes les cartes gagnantes, puis il attend
Avec fièvre, que la partie reprenne, et que celui
Qui perdait gagne, et si glorieusement
Qu’il y voie comme un signe, et de quoi nourrir
Il ne sait, lui l’enfant, quelle espérance.
Après quoi deux voies se séparent, et l’une d’elles
Se perd, et presque tout de suite, et ce sera
Tout de même l’oubli, l’oubli avide.
J’aurai barré
Cent fois ces mots partout, en vers, en prose,
Mais je ne puis
Faire qu’ils ne remontent dans ma parole.)
Je me souviens, c’était un matin, l’été,
La fenêtre était entrouverte, je m’approchais,
J’apercevais mon père au fond du jardin.
Il était immobile, il regardait
Où, quoi, je ne savais, au-dehors de tout,
Voûté comme il était déjà mais redressant
Son regard vers l’inaccompli ou l’impossible.
Il avait déposé la pioche, la bêche,
L’air était frais ce matin-là du monde,
Mais impénétrable est la fraîcheur même, et cruel
Le souvenir des matins de l’enfance.
Qui était-il, qui avait-il été dans la lumière,
Je ne le savais pas, je ne sais encore.
Mais je le vois aussi, sur le boulevard,
Avançant lentement, tant de fatigue
Alourdissant ses gestes d’autrefois,
Il repartait au travail, quant à moi
J’errais avec quelques-uns de ma classe
Au début de l’après-midi sans durée encore.
A ce passage-là, aperçu de loin,
Soient dédiés les mots qui ne savent dire.
(Dans la salle à manger
De l’après-midi d’un dimanche, c’est en été,
Les volets sont fermés contre la chaleur,
La table débarrassée, il a proposé
Les cartes puisqu’il n’est pas d’autres images
Dans la maison natale pour recevoir
La demande du rêve, mais il sort
Et aussitôt l’enfant maladroit prend les cartes,
Il substitue à celles de l’autre jeu
Toutes les cartes gagnantes, puis il attend
Avec fièvre, que la partie reprenne, et que celui
Qui perdait gagne, et si glorieusement
Qu’il y voie comme un signe, et de quoi nourrir
Il ne sait, lui l’enfant, quelle espérance.
Après quoi deux voies se séparent, et l’une d’elles
Se perd, et presque tout de suite, et ce sera
Tout de même l’oubli, l’oubli avide.
J’aurai barré
Cent fois ces mots partout, en vers, en prose,
Mais je ne puis
Faire qu’ils ne remontent dans ma parole.)
Les planches courbes, pp 778-781, in Yves Bonnefoy L’opera poetica, a cura e con un saggio introduttivo di Fabio Scotto. Traduzioni poetiche di Diana Grange Fiori e Fabio Scotto, I MERIDIANI, A. Mondadori Editore, Milano (2010)
LE TOMBEAU DE GIACOMO LEOPARDI
Dans le nid de Phénix combien se sont
Brûlé les doigts à remuer des cendres !
Lui, c’est de consentir à tant de nuit
Qu’il dut de recueillir tant de lumières.
Et ils ont élevé, ses mots confiants,
Non le quelconque onyx vers un ciel noir
Mais la coupe formée par leurs deux paumes
Pour un peu d’eau terrestre et ton reflet,
Ô lune, son amie. Il t’offre de cette eau,
Et toi penchée, sur elle, tu veux bien
Boire de ton désir, de ton espérance.
Je te vois qui vas de lui sur ces collines
Désertes, son pays. Parfois devant
Lui, et te retournent, riante ; parfois son ombre.
La longue chaîne de l’ancre, pp 938-939, in Yves Bonnefoy L’opera poetica, a cura e con un saggio introduttivo di Fabio Scotto. Traduzioni poetiche di Diana Grange Fiori e Fabio Scotto. I MERIDIANI, A. Mondadori Editore, Milano (2010)
Yves Bonnefoy "Grazie all'arte italiana ho scoperto una nuova poesia"
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