lundi 1 décembre 2014

Essai bref : "Guerre à la guerre : La poésie est une arme chargée de futur"









L'idée de cet essai m'est venue en lisant ce beau recueil 
de poèmes



Guerre à la guerre
une anthologie établie et présentée par Bruno Doucey

Editions Bruno Doucey


"J'ai 10 ans. La petite ville de province où se déroule 
mon enfanceest calme.  On y parle de la guerre au passé. 
Elle est l'affaire de mes grands-parents qui ont 
connu la Seconde Guerre mondiale , de mes 
arrière-grands-parents qui ont fait la Grande Guerre."

Avec quelques petites modifications j'épouse cette introduction ...

"J'ai 10 ans. Le petit village de province où se déroule
 mon enfance est calme.  On y parle de la guerre au passé.
 Elle est l'affaire de mes parents qui ont connu la
 Seconde Guerre mondiale, de mes grands-parents
 qui ont fait la Grande Guerre."


... mais la guerre est toujours là,
...
sans interrompre son ballet mortifère







"Dans quelques heures,
je ne serai plus de ce monde.
Nous allons être fusillés
 cet après-midi, à quinze heures"

Missak Manouchian



Les fusillés de Châteaubriant

Ils sont appuyés contre le ciel
Ils sont une trentaine appuyés contre le ciel,
Avec toute la vie derrière eux
Ils sont pleins d’étonnement pour leur épaule
Qui est un monument d’amour
Ils n’ont pas de recommandation à se faire
Parce qu’ils ne se quitteront jamais plus
L’un d’eux pense à un petit village
Où il allait à l’école
Un autre est assis à sa table
Et ses amis tiennent ses mains
Ils ne sont déjà plus du pays dont ils rêvent
Ils sont bien au dessus de ces hommes
Qui les regardent mourir
Il y a entre eux la différence du martyre
Parce que le vent est passé là où ils chantent
Et leur seul regret est que ceux
Qui vont les tuer n’entendent pas
Le bruit énorme des paroles
Ils sont exacts au rendez-vous
Ils sont même en avance sur les autres
Pourtant ils disent qu’ils ne sont plus des apôtres
Et que tout est simple
Et que la mort surtout est une chose simple
Puisque toute liberté se survit.


René Guy Cadou



Se questo è un uomo


Voi che vivete sicuri
Nelle vostre tiepide case,
voi che trovate tornando a sera
Il cibo caldo e visi amici:
Considerate se questo è un uomo
Che lavora nel fango
Che non conosce pace
Che lotta per un pezzo di pane
Che muore per un sì o per un no.
Considerate se questa è una donna,
Senza capelli e senza nome
Senza più forza di ricordare
Vuoti gli occhi e freddo il grembo
Come una rana d'inverno.
Meditate che questo è stato:
Vi comando queste parole.
Scolpitele nel vostro cuore
Stando in casa andando per via,
Coricandovi alzandovi;
Ripetetele ai vostri figli.
O vi si sfaccia la casa,
La malattia vi impedisca,
I vostri nati torcano il viso da voi.

 Primo Levi 



LA GUERRA CHE VERRA'

La guerra che verrà non è la prima,
prima ci sono state altre guerre.
Alla fine dell’ultima
c’eran vincitori e c’eran vinti.

La guerra che verrà non è la prima,
prima ci sono state altre guerre.
Alla fine dell’ultima guerra
c’eran vincitori e c’eran vinti.

Tra i vinti
la povera gente
faceva la fame.
Tra i vincitori
faceva la fame
la povera gente egualmente,
la povera gente egualmente.

La guerra che verrà
non è la prima…


Bertold Brecht



Mon général, votre tank est puissant
Il couche une forêt, il écrase cent hommes.
Mais il a un défaut :

il a besoin d’un conducteur.
Mon général, puissant est votre bombardier,
Plus vite que l’ouragan, plus fort que l’éléphant
Mais il a un défaut :
Il lui faut un mécanicien.

Mon général on peut tirer beaucoup de l’homme
Il sait voler, il sait tuer.
Mais il a un défaut :
Il sait pense



Bertold Brecht




IL EST PAISIBLE,  MOI AUSSI

Il est paisible, moi aussi.
Il sirote un thé citron
je bois un café,
c’est ce qui nous distingue.
Comme moi, il est vêtu d’une chemise rayée
trop grande.
Comme lui, je parcours les journaux du soir.
Il ne me surprend pas quand je l’observe de biais.
Je ne le surprends pas quand il m’observe de biais.
Il est paisible, moi aussi.
Il parle au serveur.
Je parle au serveur…
Un chat noir passe entre nous.
Je caresse la fourrure de sa nuit,
il caresse la fourrure de sa nuit…
Je ne lui dis pas : le ciel est limpide aujourd’hui,
plus bleu.
Il ne me dit pas : le ciel est limpide aujourd’hui.
Il est vu et il voit.
Je suis vu et je vois.
Je déplace la jambe gauche,
il déplace la jambe droite.
Je fredonne une chanson,
il fredonne un air proche.
Je me dis :
Est-il le miroir dans lequel je me vois ?

Puis je cherche son regard,
mais il n’est plus là…
Je quitte précipitamment le café,
et je me dis : c’est peut-être un assassin
ou peut-être un passant qui m’a pris
pour un assassin.


Il a peur, moi aussi







Rimbaud Atrthur "Le dormeur du val"


 Boris Vian à la Bibliothèque Nationale de France ... 




















dimanche 30 novembre 2014

Mouloudji - Le Conscrit (Boris Vian's Allons z'enfants !)









L'aut' jour dans mon courrier
J'ai reçu des papiers
J'en suis
J'vous l'dis
J'en suis resté tout pâle
On me disait tout dret
D'aller me présenter
A la
Casern'
Qui s'trouv' dans mon quartier.

Je m'en vais donc là-bas
Et je leur dis c'est moi
Je viens
C'matin
M'en voir de quoi qu'y r'tourne
On m'a donc fait rentrer
Et je leur ai d'mandé
A voir
Cui-là
Qui m'avait convoqué.

Me v'là dans un bureau
Qui n'était pas bien beau
Y avait
C'est vrai
Un' petit' secrétaire
Avec un uniforme
Qui collait à ses formes
J'm'en suis
Senti
Bientôt
Ragaillardi.

Mais y avait aussi
Un militaire assis
Qui m'dit
Mon p'tit
Qu'est-c' que vous venez faire
Moi j'y ai répondu
C'est qu'on m'a convoqué
Monsieur
L'soldat
C'est pour ça que j'suis là.

Il m'a dit: Gardavou !
Mais où vous croyez-vous
Je vois
Ma foi
Vous êt' un' forte tête
Vous assoir devant moi
Ca s'pass'ra pas comm' ça
Debout
Sans r'tard
Ou j'vous fourre au mitard.

Moi j'y ai répondi
Je n'suis qu'un jeun' conscrit
Y a pas
D'offens'
Si j'connais pas l'usage
Je vous voyais-t-assis
Je m'suis assis-z-aussi
Voici
Voici
Pourquoi j'agis ainsi.

Je me suis relevé
Et je lui ai-z-avoué
Qu'j'étais
Pincé
Pour sa p'tit' secrétaire
Pis j'ai voulu savoir
Si ell' sortait le soir
Et si
Les bleus
Avaient l'jeudi pour eux.

Il est dev'nu tout noir
C'était pas beau a voir
Il s'est
Levé
Et m'a botté les fesses
Et puis il m'a conduit
Chez un ami à lui
Un a
Djudant
Qui m'a fourré dedans.

On m'a rééduqué
Toute la matinée
L'après
Midi
J'ai balayé les chiottes
Et ça a continué
Pendant des mois entiers
Jamais
Jamais
J'avais tant balayé.

Je vois les autres gars
Marcher sans s'tromper d'pas
Mais moi
Je crois
Que j'suis-t-un incapable
J'ai pas d'goût au fusil
Et dans ma compagnie
On dit
Que j'suis
Le plus con des conscrits.

Je suis même trop con
Pour jouer du clairon
J'en tir'
Des sons
Qui les mett'tous en rage
Moi ça m'intéress' pas
De jouer lèv'toi soldat
Quand j'suis
Tout seul
J'y joue l'grand air d'Aïda.

Mon vieux copain Dubois
Qu'était un bleu comm' moi
Avait
Je l'sais
Le goût du militaire
Il a des galons neufs
Ca fait un effet boeuf
Voilà
C'que c'est
D'écouter les gradés.

Ils me l'ont répété
Pour êtr' un bon troupier
Obé
Issez
Aux officiers d'carrière
Dubois est adjudant
Il finira yeut'nant
Pourvu
Qu'on trouv'
L'moyen d'vivre cent ans.

Pour émerger du rang
Un seul commandemant
Travail
Constant
Devoir et discipline
Moi si pendant vingt ans
Je balaie les latrines
J'vois pas pourquoi
Que j's'rai pas commandant !



vendredi 28 novembre 2014

Corneille et Racine une comparaison d'après Jean de La Bruyère




 À l'usage de mes bons élèves de


 II D ESABAC






Le Cid (1636) Pierre Corneille





Phèdre  (1677) Jean Racine




 Les Caractères ou Les Moeurs du siècle (1688) Jean de La Bruyère


La Bruyère dans Les Caractères  explique  à travers  ce mémorable
 texte la place  fodamentale que Corneille et Racine  tiennent dans  
le Panthéon des lettres.



"Si ... il est permis de faire entre eux quelque comparaison, et les marquer l'un et l'autre par ce qu'ils ont eu de plus propre et par ce qui éclate le plus ordinairement dans leurs ouvrages, peut-être qu'on pourrait parler ainsi : "Corneille nous assujettit à ses caractères et à ses idées, Racine se conforme aux nôtres ; celui-là peint les hommes comme ils devraient être, celui-ci les peint tels qu'ils sont. Il y a plus dans le premier de ce que l'on admire, et de ce que l'on doit même imiter ; il y a plus dans le second de ce que l'on reconnaît dans les autres, ou de ce que l'on éprouve dans soi-même. L'un élève, étonne, maîtrise, instruit ; l'autre plaît, remue, touche, pénètre. Ce qu'il y a de plus beau, de plus noble et de plus impérieux dans la raison, est manié par le premier ; et par l'autre, ce qu'il y a de plus flatteur et de plus délicat dans la passion. Ce sont dans celui-là des maximes, des règles, des préceptes ; et dans celui-ci, du goût et des sentiments. L'on est plus occupé aux pièces de Corneille ; l'on est plus ébranlé et plus attendri à celles de Racine. Corneille est plus moral, Racine plus naturel. Il semble que l'un imite SOPHOCLE, et que l'autre doit plus à EURIPIDE"






Gérard de Nerval "Fantaisie"



 
La musique permet d'accéder à un monde perdu que
 recrée l'imagination au sens premier de faculté de créer
des images. C'est un facteur déclenchant qui agit
par associations d'images. Bien-sûr, on n'ignore pas
la croyance de Nerval en la métempsycose mais
la vie antérieure, quand bien même est-elle ici datée
de « deux cents ans » peut se lire comme symbole
d'un passé ressenti comme extrêmement lointain,
celui de l'enfance et plus largement d'un« ailleurs »
cher aux romantiques, paradis perdu que l'on peut revivre
grâce à la magie du verbe et à la Fantaisie du poète.

 






Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets.

Or, chaque fois que je viens à l'entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit :
C'est sous Louis treize ; et je crois voir s'étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit,

Puis un châteaude brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière,
Baignant ses pieds,
qui coule entre des fleurs ;
 
Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,
Que, dans
une autre existence peut-être,
J'ai déjà vue... -
et dont je me souviens !



Gérard de NervalOdelettes

 


 
 
 

 


 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

mercredi 26 novembre 2014

Henri Tachan : " L'Adolescence", "L'Amour et l'Amitié", "Le Grand Méchant Loup"












Je remercie mon amie et collègue

Christine Lemoigne

qui m'a invité à écouter ce chanteur .....



EXTRA !!!







L' Adolescence



C'est un coin d'herbes folles, de bleuets, de chiendent,
Blotti entre la jungle infernale des grands
Et le petit jardin tranquille de l'Enfance,
C'est une île inconnue de vos cartes adultes,
Un lagon épargné, une prairie inculte,
Une lande battue où les korrigans dansent,
L'Adolescence...

C'est l'échelle de soie, c'est Juliette entrevue,
Debout dans le miroir c'est la cousine nue
Qui s'émerveille et crie au fond de mon silence,
C'est un baiser volé à la barbe du Temps,
C'est deux enfants qui s'aiment à l'ombre d'un cadran
Où sous chaque seconde l'Immortalité danse,
L'Adolescence...

C'est "Toujours", c'est "Jamais", c'est éternellement
Le coeur au bord des lèvres, le spleen à fleur de dents
Et au ventre volcan l'Amour incandescence,
C'est "Je t'aime : on se tient !" c'est "Je t'aime : on se tue !"
C'est la Vallée de la Mort de l'autre côté de la rue,
Vers les noirs pâturages la haute transhumance,
L'Adolescence...

C'est les poings dans les poches fermés à double tour,
C'est "Familles, je vous hais !", c'est René à Combourg,
Ophélie qui se noie, c'est Lucile qui s'avance,
C'est notre Diable au corps, c'est le Grand Meaulnes en route,
C'est ce vieux Bateau Ivre qui reviendra sans doute
Les flancs chargés d'oiseaux, de fleurs et d'innocence,
L'Adolescence...

Depuis plus de vingt ans que j'y ai jeté l'ancre
Dans ce pays de fous, de chiens tièdes et de cancres,
Depuis plus de vingt ans j'y passe mes vacances,
Et comme ce vieillard de quatre-vingts printemps
Qui s'endort, un beau soir, et qu'on couche dedans
Son petit, tout petit coin de terre de Provence,
Couchez-moi, je vous prie, quand viendra le moment,
Dans ma terre, mon pays, couchez-moi doucement
En Adolescence, en Adolescence !






L'Amour et l'Amitié



Entre l'amour et l'amitié
Il n'y a qu'un lit de différence,
Un simple "pageot", un "pucier"
Où deux animaux se dépensent,
Et quand s'installe la tendresse
Entre nos corps qui s'apprivoisent,
Que platoniquement je caresse
De mes yeux ta bouche framboise,
Alors l'amour et l'amitié
N'est-ce pas la même romance ?
Entre l'amour et l'amitié
Dites-moi donc la différence...

Je t'aime, mon amour, mon petit,
Je t'aime, mon amour, mon amie...

Entre l'amour et l'amitié ils ont barbelé des frontières,
Nos sentiments étiquetés,
Et si on aime trop sa mère
Ou bien son pote ou bien son chien,
Il paraît qu'on est en eau trouble,
Qu'on est cliniquement freudien
Ou inverti ou agent double,
Alors que l'amour et l'amitié
Ont la même gueule d'innocence,
Entre l'amour et l'amitié
Dites-moi donc la différence...

Je t'aime, mon amour, mon petit,
Je t'aime, mon amour, mon amie...

Entre l'amour et l'amitié
La pudeur a forgé sa chaîne,
A la barbe du Monde entier
Et de ses gros rires gras de haine,
Bon an, mal an, les deux compagnes
Se dédoublent ou bien s'entremêlent,
Comme sur la haute montagne
Le ciel et la neige éternelle,
Entre l'amour et l'amitié
Se cache un petit bout d'enfance,
Entre l'amour et l'amitié
Il n'y a qu'un lit de différence...

Je t'aime, mon amour, mon petit,
Je t'aime, mon amour, mon amie!

  


Le grand méchant loup


  
Le loup, depuis toujours, a eu le mauvais rôle.
Sous son grand manteau noir, il ricane, le drôle.
C'est le vilain Apache, le sanguinair'e Sioux,
C'est l'esquinteur d'enfants, c'est le grand méchant loup.

Pauvres hommes, pauvres pommes, pauvres Américains,
Combien de visages pâles et combien d'Indiens ?

Les trois petits cochons, tout au fond de leur planque,
Entassaient leurs millions (y avait pas encor'e d'banque)
Lorsque surgit, vengeur, le drapeau noir en main,
Notre Arsène Lupus, notre Arsène Loupin.

Pauvres hommes, pauvres pommes, pauvres marchands de grains,
Combien d'Oncle Picsou et combien de Mandrin ?

L'agnelet dodu buvait dans l'onde pure,
Cachant dessous sa laine une tendre nourriture.
Le loup, en salivant, lui dit : « Mon pauvre agneau :
Même Jean de la Fontaine raffolait du gigot. »

Pauvres hommes, pauvres pommes, pauvres suceurs de sang,
Combien de cannibales, combien de non-violents ?

Le Petit Chaperon rouge, déjà fieffée salope,
Avec son p'tit pot d'beurre et sa petite culotte,
A dit à l'animal : « Tu viens chez moi, mon loup ? »
A une pareille invite, qui refuse, qui de vous ?

Pauvres hommes, pauvres pommes, pauvre triste tapin,
Combien reste-t-il d'anges et combien de putains ?

Le loup, sur son chemin de jeûne et de misère,
Explique à un beau chien, bien luisant, bien prospère,
A la vue de la chaîne accrochée à son cou :
« A toi la vie de chien, à moi la mort du loup. »

Pauvres hommes, pauvres pommes, pauvres caniches nains,
Combien y a-t-il d'esclaves et combien de mutins ?

Ne mêlez plus le loup à vos sales histoires.
Vos contes, vos dictons, c'est de la merde à boire
Et si la faim, elle fait sortir le loup du bois,
Vos guerres vous font sortir de partout à la fois.

Pauvres mecs, pauv' blancs-becs, pauvres tristes filous,
Combien reste-t-il d'hommes, dites-moi, et de loups ?