dimanche 10 août 2014

Marcel Proust"La lanterne magique" : Paolo Venturini et la traduction en italien de Geneviève de Brabant













 "Geneviève de Brabant" par Adrian Ludwig Richter

 
 
 
M. Paolo Venturini, ancien prof de mathématiques au  Cairoli,
 et chercheur  bénévole à la bibliothèque  de notre lycée ne
manque  jamais de cet esprit de finesse linguistique qui lui
permet  de retrouver  les maladresses des traducteurs et les
fautes de presse.
Il y a quelques jours M. Venturini m'a invité à vérifier  la
traduction en italien de Geneviève de Bramant dans l'oeuvre
 proustienne. Et suite à sa demande j'ai entrepris auprès
de la Bibliothèque Communale "Sormani" de Milan de vérifier
comment Natalia Ginzburg,  en 1946, sans doute l'une des
 meilleures traductrice de Proust, avait  translaté ce prénom
légendaire.
Et voilà qu' à partir de cette grande écrivaine tout le monde a
traduit Geneviève avec  Ginevra alors que Ginevra en français
correspond à  Guenièvre.
Y a-t-il une raison pour ce choix ?.... Je crois que non ...
Mais ce qui est sûr, c'est que  Guenièvre
à toujours fasciné notre adolescence en tant que
femme du roi Arthur!
 
 






 
 
La lanterne magique
 
 
« À Combray, tous les jours dès la fin de l’après-midi, longtemps avant le moment où il faudrait me
mettre au lit et rester, sans dormir, loin de ma mère et de ma grand-mère, ma chambre à coucher
redevenait le point fixe et douloureux de mes préoccupations. On avait bien inventé, pour me distraire
les soirs où on me trouvait l'air trop malheureux, de me donner une lanterne magique, dont, en
attendant l'heure du dîner, on coiffait ma lampe; et, à l'instar des premiers architectes et maîtres
verriers de l'âge gothique, elle substituait à l'opacité des murs d'impalpables irisations, de
surnaturelles apparitions multicolores, où des légendes étaient dépeintes comme dans un vitrail
vacillant et momentané. Mais ma tristesse n'en était qu'accrue, parce que rien que le changement
d'éclairage détruisait l'habitude que j'avais de ma chambre et grâce à quoi, sauf le supplice du
coucher, elle m'était devenue supportable. Maintenant je ne la reconnaissais plus et j'y étais inquiet,
 comme dans une chambre d'hôtel ou de « chalet », où je fusse arrivé pour la première fois en
descendant de chemin de fer.
Au pas saccadé de son cheval, Golo, plein d'un affreux dessein, sortait de la petite forêt triangulaire
qui veloutait d'un vert sombre la pente d'une colline, et s'avançait en tressautant vers le château de la
pauvre Geneviève de Brabant. Ce château était coupé selon une ligne courbe qui n'était autre que la
limite d'un des ovales de verre ménagés dans le châssis qu'on glissait entre les coulisses de la
lanterne. Ce n'était qu'un pan de château et il avait devant lui une lande où rêvait Geneviève
qui portait une ceinture bleue. Le château et la lande étaient jaunes et je n'avais pas attendu
 de les voir pour connaître leur couleur car, avant les verres du châssis, la sonorité mordorée
du nom de Brabant me l'avait montrée avec évidence. Golo s'arrêtait un instant pour écouter
avec tristesse le boniment lu à haute voix par ma grand-tante et qu'il avait l'air de comprendre
parfaitement, conformant son attitude, avec une docilité qui n'excluait pas une certaine majesté,
aux indications du texte; puis il s'éloignait du même pas saccadé. Et rien ne pouvait arrêter sa
 lente chevauchée. Si on bougeait la lanterne, je distinguais le cheval de Golo qui continuait à
s'avancer sur les rideaux de la fenêtre, se bombant de leurs plis, descendant dans leurs fentes.
Le corps de Golo lui-même, d'une essence aussi surnaturelle que celui de sa monture, s'arrangeait
de tout obstacle matériel, de tout objet gênant qu'il rencontrait en le prenant comme ossature
 et en se le rendant intérieur, fût-ce le bouton de la porte sur lequel s'adaptait aussitôt et surnageait
 invinciblement sa robe rouge ou sa figure pâle toujours aussi noble et aussi mélancolique, mais
qui ne laissait paraître aucun trouble de cette transvertébration.
Certes je leur trouvais du charme à ces brillantes projections qui semblaient émaner d'un passé
mérovingien et promenaient autour de moi des reflets d'histoire si anciens. Mais je ne peux dire quel
malaise me causait pourtant cette intrusion du mystère et de la beauté dans une chambre que j'avais
fini par remplir de mon moi au point de ne pas faire plus attention à elle qu'à lui-même. L'influence
anesthésiante de l'habitude ayant cessé, je me mettais à penser, à sentir, choses si tristes. Ce bouton de
la porte de ma chambre, qui différait pour moi de tous les autres boutons de port du monde en ceci
qu'il semblait ouvrir tout seul, sans que j'eusse besoin de le tourner, tant le maniement m'en était
devenu inconscient, le voilà qui servait maintenant de corps astral à Golo. Et dès qu'on sonnait le
dîner, j'avais hâte de courir à la salle à manger où la grosse lampe de la suspension, ignorante de
 Golo et de Barbe-Bleue, et qui connaissait mes parents et le boeuf à la casserole, donnait sa
lumière de tous les soirs; et de tomber dans les bras de maman que les malheurs de Geneviève
de Brabant me rendaient plus chère, tandis que les crimes de Golo me faisaient examiner ma
propre conscience avec plus de scrupules. »
 
 
PROUST Marcel, Du côté de chez Swann, GF Flammarion, Paris, 1987





Un été avec Proust ED. Equateurs (France-Inter)









Enfin ...l'été nous ouvre des espaces  pour  lire ou relire,
allongés sous le parasol,  à la campagne ou bien au sommet 
d'une colline face au Mont Rosa,    
 
"À la recherche du temps perdu" de Marcel Proust,
d'autant plus que mes élèves de II D ESABAC doivent préparer
Combray pour la rentrée



"Le grand écrivain est comme la graine qui nourrit
les autres de ce qui l’a nourrie d’abord elle-même"






Un été avec Proust
 
 
reprend une émission de Laura El Maki  pour France-Inter de 2013 
 avec 8 spécialistes : Antoine  Compagnon (Le Temps), Jean-Yves
Tadié (Les Personnages), Jérôme Prieur (Proust et son Monde),
Nicolas Grimaldi (L'Amour), Julia Kristeva (L'Imaginaire), Michel
Erman (Les Lieux), Raphaël Enthoven (Proust et les Philosophes)
et Adrien Goetz (Les Arts)  









Voilà un livre limpide pas trop long qui permet d'aborder 
quelques clés pour permettre au lecteur de se retrouver dans 
cet univers prodigieux de la Recherche





André Maurois "Le Monde de Marcel Proust" Hachette (1960)


André Maurois "Le Monde de Marcel Proust" Hachette 1960)






 Il y a des livres qui nous accompagnent toujours et dans lesquels on retrouve chaque fois 
"les paradis perdus"
qu' à travers la lecture ... l'on ne peut retrouver
"qu'en soi".

Le livre de


Le Monde de Marcel Proust.

fait partie de ceux-ci.






Il s'agit d'un Don "involontaire" du Gouvernemet Français

(je n'en ai jamais reçu ... je suis toujours en attente!)

selon le coup de tampon qui a été estampillé au-dessus.



Il y a un vingtaine d'années, on m'avait proposé d' aller chercher

des bouquins à l'Institut Français de Venise parce que, suite à un

changement d'adresse, on avait pensé en faire cadeau 

aux enseignants ...



C'était un chaud été ... de 1989 ou bien de 1990.

Ravi de cette proposition je suis parti à Venise un matin du mois

de juillet de Pavie et je suis rentré vers 19 heures avec une

cinquantaine de livres, que j'avais distribués autour de moi dans

le train vide, avec une chaleur étouffante qui dépassait les 40 °.

j'essayais de les feuilleter sans presque les toucher tellement

j'étais en nage.



D'abord,  les photos m'ont enchanté, un petit bouquin de

95 pages de 13 chapitres lus avant le départ du train...

A' l'époque je n'avais exploré que quelques pages de la Recherche ...

depuis je n'ai plus arrêté ...


Résultat de recherche d'images pour "illiers combray"

C'est à partir de

"AU COMMENCEMENT était Illiers, petite ville

voisine de Chartres aux confins de la Beauce et du Perche,

siège provisoire et personnel du Paradis Terrestre"

que je cherche à revivre avec mes bons élèves

ces paradis toujours nouveaux, toujours aussi beaux.



Maison de Tante Léonie - Musée Marcel Proust 1 - Illiers-Combray
Musée Marcel Proust



Image associée

Le Pré Catelan 

lundi 14 juillet 2014

Montaigne: "Je ne peins pas l'être. Je peins le passage."













Les autres forment l’homme ; je le récite et en représente un particulier bien mal formé, et lequel, si j’avais à façonner de nouveau, je ferais vraiment bien autre qu’il n’est. Méshui, c’est fait. Or les traits de ma peinture ne fourvoient point, quoiqu’ils se changent et diversifient. Le monde n’est qu’une branloire pérenne. Toutes choses y branlent sans cesse : la terre, les rochers du Caucase, les pyramides d’Egypte, et du branle public et du leur. La constance même n’est autre chose qu’un branle plus languissant. Je ne puis assurer mon objet. Il va trouble et chancelant, d’une ivresse naturelle. Je le prends en ce point, comme il est, en l’instant que je m’amuse à lui. Je ne peins pas l’être. Je peins le passage : non un passage d’âge en autre, ou, comme dit le peuple, de sept en sept ans, mais de jour en jour, de minute en minute. Il faut accommoder mon histoire à l’heure. Je pourrai tantôt changer, non de fortune seulement, mais aussi d’intention. C’est un contrôle de divers et muables accidents et d’imaginations irrésolues et, quand il y échoit, contraires ; soit que je sois autre moi-même, soit que je saisisse les sujets par autres circonstances et considérations. Tant y a que je me contredis bien à l’aventure, mais la vérité, comme disait Demade, je ne la contredis point. Si mon âme pouvait prendre pied, je ne m’essaierais pas, je me résoudrais ; elle est toujours en apprentissage et en épreuve.


Je propose une vie basse et sans lustre, c’est tout un. On attache aussi bien toute la philosophie morale à une vie populaire et privée qu’à une vie de plus riche étoffe ; chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition.

Les auteurs se communiquent au peuple par quelque marque particulière et étrangère ; moi, le premier, par mon être universel, comme Michel de Montaigne, non comme grammairien, ou poète, ou jurisconsulte. Si le monde se plaint de quoi je parle trop de moi, je me plains de quoi il ne pense seulement pas à soi.

Mais est-ce raison que, si particulier en usage, je prétende me rendre public en connaissance ? Est-il aussi raison que je produise au monde, où la façon et l’art ont tant de crédit et de commandement, des effets de nature crus et simples, et d’une nature encore bien faiblette ? Est-ce pas faire une muraille sans pierre, ou chose semblable, que de bâtir des livres sans science et sans art ? Les fantaisies de la musique sont conduites par art, les miennes par sort. Au moins j’ai ceci selon la discipline, que jamais homme ne traita sujet qu’il entendît ni connût mieux que je fais celui que j’ai entrepris, et qu’en celui-là je suis le plus savant homme qui vive ; secondement, que jamais aucun ne pénétra en sa matière plus avant, ni en éplucha plus particulièrement les membres et suites ; et n’arriva plus exactement et pleinement à la fin qu’il s’était proposée à sa besogne. Pour la parfaire, je n’ai besoin d’y apporter que la fidélité ; celle-là y est, la plus sincère et pure qui se trouve. Je dis vrai, non pas tout mon saoul, mais autant que je l’ose dire ; et l’ose un peu plus en vieillissant, car il semble que la coutume concède à cet âge plus de liberté à bavasser et d’indiscrétion à parler de soi. Il ne peut advenir ici ce que je vois advenir souvent, que l’artisan et sa besogne se contrarient : un homme de si honnête conversation a-t-il fait un si sot écrit ? ou, des écrits si savants sont-ils partis d’un homme de si faible conversation, qui a un entretien commun et ses écrits rares, c’est-à-dire que sa capacité est en lieu d’où il l’emprunte, et non en lui ? Un personnage savant n’est pas savant partout ; mais le suffisant est partout suffisant, et à ignorer même.

Ici, nous allons conformément et tout d’un train, mon livre et moi. Ailleurs, on peut recommander et accuser l’ouvrage à part de l’ouvrier ; ici, non : qui touche l’un, touche l’autre. Celui qui en jugera sans le connaître, se fera plus de tort qu’à moi ; celui qui l’aura connu, m’a du tout satisfait. Heureux outre mon mérite, si j’ai seulement cette part à l’approbation publique, que je fasse sentir aux gens d’entendement que j’étais capable de faire mon profit de la science, si j’en eusse eu, et que je méritais que la mémoire me secourût mieux.












Ai-je perdu mon temps ?

De l'amitié

franceculture


mardi 8 juillet 2014

Le magasin des suicides: du roman de Jean Teulé au film











Le magasin des suicides






ALLOCINE














Avec la crise qui vous défrise

(Avec la crise qui vous défrise)

Quoi de plus doux qu'une mort exquise

(Une mort exquise)

Soyez lucides et pas timides

(Soyez lucides et pas timides)

Y a pas à dire

Vive le suicide!



Entrez, entrez

N'ayez pas peur

Nous sommes ouverts

Jusqu'à 20 heures

Tout est limpide

Rien n'est trompeur

Vous faire mourir

C'est notre bonheur!



Si ça vous coûte

Le premier pas

N'oubliez pas

Que nous sommes là

Pour vous aider

Sans tralala

A passer de vie à trépas!

(De vie à tépas)



Avec la crise qui vous défrise

(Avec la crise qui vous défrise)

Quoi de plus doux qu'une mort exquise

(Une mort exquise)

Soyez lucides et pas timides

(Soyez lucides et pas timides)

Y a pas à dire

Vive le suicide!



Soyez bienvenus

Au Paradis

Fin des soucis

C'est comme je vous l'dit

Tout est possible

Rien interdit

Rien mise à part

Qu'on n'fait pas crédit!



Pour partir y a tellement de façons

Grand choix mortel de 300 poisons

Sans oublier la pendaison

C'est sa passion !

Rien que d'y pensez j'ai le frisson

Le grand frisson!



Avec la crise qui vous défrise

(Avec la crise qui vous défrise)

Quoi de plus doux qu'une mort exquise

(Une mort exquise)

Soyez lucides et pas timides

(Soyez lucides et pas timides)

Y a pas à dire

Vive le suicide!



Tous nos produits sont de qualité

Nous garantissons le décès

Notre devise pour assurer

Soit trépassé soit remboursé!



On est utile à toute la ville

(Ils sont utiles à toute la ville)

Et quelque soit votre profil

(Notre profil)

Oubliez tout mourrez tranquilles

(Oublions tout mourrons tranquilles)

Adieu la vie ainsi soit t-il

samedi 14 juin 2014

Marcel Mouloudji, disparu il y a 20 ans, mais toujours vivant








En haut de la rue St-Vincent


Un poète et une inconnue

S'aimèrent l'espace d'un instant

Mais il ne l'a jamais revue



Cette chanson il composa

Espérant que son inconnue

Un matin d'printemps l'entendra

Quelque part au coin d'une rue



La lune trop blême

Pose un diadème

Sur tes cheveux roux

La lune trop rousse

De gloire éclabousse

Ton jupon plein d'trous



La lune trop pâle

Caresse l'opale

De tes yeux blasés

Princesse de la rue

Soit la bienvenue

Dans mon cœur blessé



Les escaliers de la butte sont durs aux miséreux

Les ailes des moulins protègent les amoureux



Petite mandigote

Je sens ta menotte

Qui cherche ma main

Je sens ta poitrine

Et ta taille fine

J'oublie mon chagrin



Je sens sur tes lèvres

Une odeur de fièvre

De gosse mal nourri

Et sous ta caresse

Je sens une ivresse

Qui m'anéantit



Les escaliers de la butte sont durs aux miséreux

Les ailes des moulins protègent les amoureux



Mais voilà qu'il flotte

La lune se trotte

La princesse aussi

Sous le ciel sans lune

Je pleure à la brune

Mon rêve évanoui

     

jeudi 17 avril 2014

Gérard de Nerval (1808-1855): Fantaisie











Magister




Il est un air pour qui je donnerais

Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,

Un air très-vieux, languissant et funèbre,

Qui pour moi seul a des charmes secrets.



Or, chaque fois que je viens à l'entendre,

De deux cents ans mon âme rajeunit :

C'est sous Louis treize; et je crois voir s'étendre

Un coteau vert, que le couchant jaunit,


Puis un château de brique à coins de pierre,

Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,

Ceint de grands parcs, avec une rivière

Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;



Puis une dame, à sa haute fenêtre,

Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,

Que dans une autre existence peut-être,

J'ai déjà vue... et dont je me souviens !

Odelettes (1854)

Commentaire fait par Francisca Licandeo









dimanche 23 mars 2014

Anonyme, Chanson de trouvère, XIIe ou XIIIe siècle : "Voulez-vous que je vous chante un chant d'amour..."

                            


                                                                                          

                                                                             






Voulez-vous que je vous chante 



Écrite au XIIe ou au XIIIe siècle, cette chanson de trouvère est une « reverdie », c’est-à-dire une chanson de printemps et d’amour. Comme dans beaucoup d’œuvres de cette époque, la figure de l’auteur est présente dans la première strophe qui présente le sujet et le genre du poème.





Voulez-vous que je vous chante

Un chant d’amour avenant ?

Vilain ne le fit mie, (1)

Mais le fit un chevalier

A l’ombre d’un olivier

Entre les bras s’amie (2)



Chemisette avait de lin

Et blanc pelisson d’hermin (3)

Et bliaut de soie ; (4)

Chausses (5) elle avait de glaïeuls

Et souliers de fleurs de mai,

Etroitement chaussée.



Ceinturette avait de feuilles

Qui verdit quand le temps meuille, (6)

D’or était boutonnée ; (7)

L’aumônière (8) était d’amour

Ses cordons étaient de fleurs :

Par amour avait été donnée.



Elle chevauchait une mule ;

D’argent était la ferrure, (9)

La selle dorée :

Sur la croupe par-derrière,

Avait planté trois rosiers

Pour lui faire ombrage.



Ainsi s’en allait en un pré :

Chevaliers l’ont rencontrée,

Bien l’ont saluée,

- Belle, où êtes-vous née ?

- De France (10) suis la louée,

Du plus haut parage. (11)



Le rossignol est mon père,

Qui chante sur la ramée (12)

Au plus haut bocage ;

Et la sirène est ma mère,

Qui chante en la mère salée

Au plus haut rivage.



-Belle, vous êtes bien née :

Bien êtes apparentée

Et de haut parage,

Plût à Dieu notre père

Que vous me fussiez donnée

A femme épousée !

1)ce n’est pas un vilain qui la composa 2)entre les bras de son amie 3)manteau d’hermine, fourrure blanche 4)corsage / sorte de longue tunique de laine ou de soie portée au Moyen Âge par les femmes et les hommes 5) Partie du vêtement masculin qui, autrefois, selon la mode, couvrait le corps de la ceinture jusqu'aux genoux (haut-de-chausses) ou jusqu'aux pieds (bas-de-chausses) 6)quand il pleut 7) Muni de boutons et qui donc se ferme au moyen de boutons 8)petite bourse portée à la ceinture 9)fer à cheval 10) de l’Île-de-France pays de la langue d’oïl, langue des trouvères 11)de grande noblesse 12)branche, rameau

Anonyme, Chanson de trouvère, XIIe ou XIIIe siècle







lundi 17 mars 2014

Charles Baudelaire "Rêve parisien"





Sagres (Portugal)

 

Rêve parisien


A Constantin Guys




I

De ce terrible paysage,

Tel que jamais mortel n'en vit,

Ce matin encore l'image,

Vague et lointaine, me ravit.



Le sommeil est plein de miracles !

Par un caprice singulier,

J'avais banni de ces spectacles

Le végétal irrégulier,



Et, peintre fier de mon génie,

Je savourais dans mon tableau

L'enivrante monotonie

Du métal, du marbre et de l'eau.



Babel d'escaliers et d'arcades,

C'était un palais infini,

Plein de bassins et de cascades

Tombant dans l'or mat ou bruni ;



Et des cataractes pesantes,

Comme des rideaux de cristal,

Se suspendaient, éblouissantes,

A des murailles de métal.



Non d'arbres, mais de colonnades

Les étangs dormants s'entouraient,

Où de gigantesques naïades,

Comme des femmes, se miraient.



Des nappes d'eau s'épanchaient, bleues,

Entre des quais roses et verts,

Pendant des millions de lieues,

Vers les confins de l'univers ;



C'étaient des pierres inouïes

Et des flots magiques ; c'étaient

D'immenses glaces éblouies

Par tout ce qu'elles reflétaient !



Insouciants et taciturnes,

Des Ganges, dans le firmament,

Versaient le trésor de leurs urnes

Dans des gouffres de diamant.



Architecte de mes féeries,

Je faisais, à ma volonté,

Sous un tunnel de pierreries

Passer un océan dompté ;



Et tout, même la couleur noire,

Semblait fourbi, clair, irisé ;

Le liquide enchâssait sa gloire

Dans le rayon cristallisé.



Nul astre d'ailleurs, nuls vestiges

De soleil, même au bas du ciel,

Pour illuminer ces prodiges,

Qui brillaient d'un feu personnel !



Et sur ces mouvantes merveilles

Planait (terrible nouveauté !

Tout pour l'oeil, rien pour les oreilles !)

Un silence d'éternité.



II

En rouvrant mes yeux pleins de flamme

J'ai vu l'horreur de mon taudis,

Et senti, rentrant dans mon âme,

La pointe des soucis maudits ;



La pendule aux accents funèbres

Sonnait brutalement midi,

Et le ciel versait des ténèbres

Sur le triste monde engourdi.