(1154-1189)
Dans la 2ième
moitié du XII siècle les mœurs plus polies de la courtoisie provençale
gagnent le Nord de la France. C’est Aliénor
d’Aquitaine qui paraît avoir le plus contribué à y acclimater la courtoisie
du Midi, d’abord comme reine de
France (épouse de Louis VII), puis comme reine d’Angleterre, deux ans après son
second mariage avec Henri Plantagenet, conte d’Anjou et duc de Normandie,
devenu roi d’Angleterre en 1154. Aliénor aimait les artistes et s’entourait d’un
cour cultivé et raffiné. Cette
influence fut encore élargie par ses deux filles, Aélis de Blois, et surtout MARIE,
comtesse de Champagne. Cette dernière protectrice de Chrétien de Troyes lui imposait même certains thèmes
courtois ; elle organisait, dit-on, des tribunaux ou Cours d’amour où l’on discutait de subtils problèmes
de sentiment, prélude aux salons de nos précieuses du XVVII siècle
Elle est historiquement notre première poétesse et la
créatrice d'un genre nouveau dans la littérature française, celui du récit bref
qui deviendra la nouvelle sous la forme de lais
.
Désignant en même temps la source orale que Marie a recueillie pour la «mettre
en mémoire» et la forme littéraire qu'elle invente, le lai traduit une nouvelle
conception du travail poétique: la source des lais n'est plus un texte écrit
investi d'autorité, mais une tradition orale, à laquelle l'écrivain reconnaît
une vérité. Vérité d'ordre moral et psychologique car, au-delà du merveilleux
féérique présent dans nombre des lais de Marie, la grande aventure que ceux-ci
racontent, c'est l'irruption de l'amour dans une vie et la série d'épreuves
qu'il impose.
Elle laisse un Isopet
(recueil de fables imitées d'Ésope) et une série de Lais, inspirées de
Bretagne, dont douze nous sont parvenus.
-Dans le Lai du Chèvrefeuille, elle évoque Tristan. Chassé de la cour
du roi Marc et loin d’Yseult qu’il aime, il apprend qu’elle doit passer dans la
forêt où il vit. Il coupe une branche de coudrier, l’élague, la pare, y grave son nom
et la plante au milieu du sentier. En la voyant, Yseult devine que son ami est
caché dans les sous-bois ; elle y
pénètre avec sa suivante. Ils ont un bref entretien où Tristan lui redit s
douleur de vivre loin d’elle. Il en est
deux comme du chèvrefeuille, lacé autour du coudrier. Ensemble, ils peuvent
bien durer ; mais
vient-on à les séparer, le coudrier meurt et le chèvrefeuille avec :
Tristan coupa une branche de
coudrier
par le milieu et l'équarrit.
Quand il a préparé le bâton,
avec son couteau il écrit son
nom.
Si la reine le remarque,
car souvent elle guettait un
signe,
elle saura bien que le bâton
vient de son ami, quand elle le
verra :
il lui était déjà arrivé
de l'apercevoir ainsi.
Voici le contenu du message
inscrit sur le bâton dont j'ai
parlé :
longtemps Tristan était resté à
cet endroit,
y avait demeuré et avait attendu
pour guetter et pour trouver
un moyen de la voir,
car il ne pouvait vivre sans
elle.
Il en était de tous
deux
comme du chèvrefeuille
qui autour du coudrier
s'accroche.
Quand il l'enlace et le
saisit,
et qu'il s'est mis tout
autour du tronc,
ils peuvent bien vivre
ensemble ;
mais si quelqu'un
s'avise ensuite de les séparer,
le coudrier meurt
rapidement
et le chèvrefeuille
pareillement.
"Ma belle amie,
ainsi en est-il de nous :
ni vous sans moi ni moi
sans vous."
Lai du chèvrefeuille,
conservé dans un
manuscrit de la fin du XIIIe siècle
contenant tous les
lais de Marie de France,
Bibliothèque nationale
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