Molière par Pierre Mignard (1658). « Il avait la taille plus grande que petite, le port noble, la jambe belle. Il marchait gravement, avait l'air très sérieux, le nez gros, la bouche grande, les lèvres épaisses, le teint brun, les sourcils noirs et forts, et les divers mouvements qu'il leur donnait lui rendaient la physionomie extrêmement comique. À l'égard de son caractère, il était doux, complaisant, généreux; il aimait fort à haranguer (Marie Du Croisy, comédienne de la troupe) »
L'école des femmes
LE BOURGEOIS GENTILHOMME
(texte en français et en italien)
Voici un magnifique extrait
à ne pas rater
La leçon d'Orthographe
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
Que voulez-vous donc que je vous apprenne ?
MONSIEUR JOURDAIN
Apprenez-moi l’orthographe.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
Très volontiers.
MONSIEUR JOURDAIN
Après vous m’apprendrez l’almanach, pour savoir quand il y a de la lune et quand il n’y en a point.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
Soit. Pour bien suivre votre pensée et traiter cette matière en philosophe, il faut commencer selon l’ordre des choses, par une exacte connaissance de la nature des lettres, et de la différente manière de les prononcer toutes. Et là-dessus j’ai à vous dire que les lettres sont divisées en voyelles, ainsi dites voyelles parce qu’elles expriment les voix ; et en consonnes, ainsi appelées consonnes parce qu’elles sonnent avec les voyelles, et ne font que marquer les diverses articulations des voix. Il y a cinq voyelles ou voix : a, e, i, o, u.
MONSIEUR JOURDAIN
J’entends tout cela.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
La voix A se forme en ouvrant fort la bouche : A.
MONSIEUR JOURDAIN
A, A. Oui.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
La voix E se forme en rapprochant la mâchoire d’en bas de celle d’en haut : A, E.
MONSIEUR JOURDAIN
A, E, A, E. Ma foi ! oui. Ah ! que cela est beau !
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
Et la voix I en rapprochant encore davantage les mâchoires l’une de l’autre, et écartant les deux coins de la bouche vers les oreilles : A, E, I.
MONSIEUR JOURDAIN
A, e, i, i, i, i. Cela est vrai. Vive la science !
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
La voix o se forme en rouvrant les mâchoires, et rapprochant les lèvres par les deux coins, le haut et le bas : o.
MONSIEUR JOURDAIN
O, o. Il n’y a rien de plus juste. A, e, i, o, i, o. Cela est admirable ! I, o, i, o.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
L’ouverture de la bouche fait justement comme un petit rond qui représente un o.
MONSIEUR JOURDAIN
O, o, o. Vous avez raison, o. Ah ! la belle chose, que de savoir quelque chose !
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
La voix u se forme en rapprochant les dents sans les joindre entièrement, et allongeant les deux lèvres en dehors, les approchant aussi l’une de l’autre sans les rejoindre tout à fait : u.
MONSIEUR JOURDAIN
U, u. Il n’y a rien de plus véritable : u.
U, u. Il n’y a rien de plus véritable : u.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
Vos deux lèvres s’allongent comme si vous faisiez la moue : d’où vient que si vous la voulez faire à quelqu’un, et vous moquer de lui, vous ne sauriez lui dire que u.
Vos deux lèvres s’allongent comme si vous faisiez la moue : d’où vient que si vous la voulez faire à quelqu’un, et vous moquer de lui, vous ne sauriez lui dire que u.
MONSIEUR JOURDAIN
U, u. Cela est vrai. Ah ! que n’ai-je étudié plus tôt, pour savoir tout cela ?
U, u. Cela est vrai. Ah ! que n’ai-je étudié plus tôt, pour savoir tout cela ?
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
Demain, nous verrons les autres lettres, qui sont les consonnes.
Demain, nous verrons les autres lettres, qui sont les consonnes.
MONSIEUR JOURDAIN
Est-ce qu’il y a des choses aussi curieuses qu’à celles-ci ?
Est-ce qu’il y a des choses aussi curieuses qu’à celles-ci ?
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
Sans doute. La consonne D, par exemple, se prononce en donnant du bout de la langue au-dessus des dents d’en haut : da.
Sans doute. La consonne D, par exemple, se prononce en donnant du bout de la langue au-dessus des dents d’en haut : da.
MONSIEUR JOURDAIN
Da, da. Oui. Ah ! les belles choses ! les belles choses !
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
L’F en appuyant les dents d’en haut sur la lèvre de dessous : fa.
L’F en appuyant les dents d’en haut sur la lèvre de dessous : fa.
MONSIEUR JOURDAIN
Fa, fa. C’est la vérité. Ah ! mon père et ma mère, que je vous veux de mal !
Fa, fa. C’est la vérité. Ah ! mon père et ma mère, que je vous veux de mal !
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
Et l’r, en portant le bout de la langue jusqu’au haut du palais, de sorte qu’étant frôlée par l’air qui sort avec force, elle lui cède, et revient toujours au même endroit, faisant une manière de tremblement : rra.
Et l’r, en portant le bout de la langue jusqu’au haut du palais, de sorte qu’étant frôlée par l’air qui sort avec force, elle lui cède, et revient toujours au même endroit, faisant une manière de tremblement : rra.
MONSIEUR JOURDAIN
R, r, ra ; r, r, r, r, r, ra. Cela est vrai. Ah ! l’habile homme que vous êtes ! et que j’ai perdu de temps ! R, r, r, ra.
[…]
R, r, ra ; r, r, r, r, r, ra. Cela est vrai. Ah ! l’habile homme que vous êtes ! et que j’ai perdu de temps ! R, r, r, ra.
[…]
Maître de philosophie : Je vous expliquerai à fond toutes ces curiosités.
Monsieur Jourdain : Je vous en prie. Au reste, il faut que je vous fasse une confidence. Je suis amoureux d’une personne de grande qualité, et je souhaiterais que vous m’aidassiez à lui écrire quelque chose dans un petit billet (2) que je veux laisser tomber à ses pieds.
Maître de philosophie : Fort bien.
Monsieur Jourdain : Cela sera galant (3), oui ?
Maître de philosophie : Sans doute. Sont-ce des vers que vous lui voulez écrire ?
Monsieur Jourdain : Non, non, point de vers.
Maître de philosophie : Vous ne voulez que de la prose ?
Monsieur Jourdain : Non, je ne veux ni prose ni vers.
Maître de philosophie : Il faut bien que ce soit l’un ou l’autre.
Monsieur Jourdain : Pourquoi ?
Maître de philosophie : Par la raison, Monsieur, qu’il n’y a pour s’exprimer que la prose ou les vers.
Monsieur Jourdain : Il n’y a que la prose ou les vers ?
Maître de philosophie : Non, Monsieur : tout ce qui n’est point prose est vers ; et tout ce qui n’est point vers est prose.
Monsieur Jourdain : Et comme l’on parle, qu’est-ce que c’est donc que cela ?
Maître de philosophie : De la prose.
Monsieur Jourdain : Quoi ? quand je dis : « Nicole, apportez-moi mes pantoufles, et me donnez mon bonnet de nuit », c’est de la prose ?
Maître de philosophie : Oui, Monsieur.
Maître de philosophie : Mettre que les feux de ses yeux réduisent
votre cœur en cendres ; que vous souffrez nuit et jour pour elle
les violences d’un…
Monsieur Jourdain : Par ma foi ! il y a plus de quarante ans que je dis de la prose sans que j’en susse (4) rien, et je vous suis le plus obligé du monde de m’avoir appris cela. Je voudrais donc lui mettre dans un billet : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour ; mais je voudrais que cela fût mis d’une manière galante, que cela fût tourné gentiment (5).
Monsieur Jourdain : Non, non, non, je ne veux point tout cela ; je ne veux que ce que je vous ai dit : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour.
Maître de philosophie : Il faut bien étendre un peu la chose.
Monsieur Jourdain : Non, vous dis-je, je ne veux que ces seules paroles-là dans le billet ; mais tournées à la mode ; bien arrangées comme il faut. Je vous prie de me dire un peu, pour voir, les diverses manières dont on les peut mettre.
Maître de philosophie : On les peut mettre premièrement comme vous avez dit. Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour. Ou bien : D’amour mourir me font, belle Marquise, vos beaux yeux. Ou bien : Vos yeux beaux d’amour me font, belle Marquise, mourir. Ou bien : Mourir vos beaux yeux, belle Marquise, d’amour me font. Ou bien : Me font vos yeux beaux mourir, belle Marquise, d’amour.
Monsieur Jourdain : Mais de toutes ces façons-là, laquelle est la meilleure ?
Maître de philosophie: Celle que vous avez dite : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour.
Monsieur Jourdain : Cependant je n’ai point étudié, et j’ai fait cela tout du premier coup. Je vous remercie de tout mon cœur, et vous prie de venir demain de bonne heure.
Maître de philosophie : Je n’y manquerai pas.
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