Je ne peux que remercier une fois de plus M. Paolo Venturini, Ami, collègue et ..., à l'occasion, bibliothécaire au lycée Cairoli qui aime bouquiner et qui ne manque jamais de m'appporter de jolies perles de ses escapades littéraires Voici la dernière
La réponse de Marcel Proust, paru dans L’Intransigeant du 14 août 1922
à la question suivante
Un savant américain annonce la fin du monde, ou tout au moins la destruction d’une si grande partie du continent, et cela d’une façon si brusque, que la mort serait certaine pour des centaines de millions d’hommes. Si cette prédiction devenait une certitude, quels en seraient, à votre avis, les effets sur l’activité des hommes entre le moment où ils acquerraient ladite certitude et la minute du cataclysme ? Enfin, en ce qui vous concerne personnellement, que feriez-vous avant cette dernière heure ?
Je crois que la vie nous paraîtrait brusquement délicieuse, si nous étions menacés de mourir comme vous le dites. Songez, en effet, combien de projets, de voyages, d’amours, d’études, elle – notre vie – tient en dissolution, invisibles à notre paresse qui, sûre de l’avenir, les ajourne sans cesse. Mais que tout cela risque d’être à jamais impossible, comme cela redeviendra beau ! Ah si seulement le cataclysme n’a pas lieu cette fois, nous ne manquerons pas de visiter les nouvelles salles du Louvre, de nous jeter aux pieds de Mlle X…, de visiter les Indes. Le cataclysme n’a pas lieu, nous ne faisons rien de tout cela, car nous nous trouvons replacés au sein de la vie normale, où la négligence émousse le désir. Et pourtant nous n’aurions pas dû avoir besoin du cataclysme pour aimer aujourd’hui la vie. Il aurait suffi de penser que nous sommes des humains et que ce soir peut venir la mort. Marcel Proust mourut le 18 novembre de la même année !
« Agora, les piliers de la République » est une série de 10 mini épisodes ayant pour vocation de préciser les fondements de notre pays.
Depuis 1905, la laïcité est la règle en France, ce qui signifie que chacun dispose d’une entière liberté de croyance et que nul n’a besoin de se cacher pour pratiquer sa foi. Cette liberté est garantie par la Constitution qui établit les principes et le fonctionnement de notre République qui est indivisible, laïque, démocratique et sociale et qui se définit par la devise « liberté, égalité, fraternité ». La liberté individuelle n’est limitée que par celle des autres, l’égalité implique la lutte contre les discriminations et la fraternité est l’état d’esprit nécessaire pour que les citoyens puissent vivre dans l’esprit de la République et de sa devise, jouir de leurs droits civiques, accomplir leurs devoirs et participer à la vie publique, y compris au niveau européen.
Les droits des citoyens sont garantis par la République, mais aussi par la Déclaration universelle des droits de l’Homme qui tend à protéger les droits fondamentaux de chaque membre de l’humanité sans parvenir encore à être pleinement respectée.
Quand j'étais gosse, haut comme trois pommes, J'parlais bien fort pour être un homme J'disais, JE SAIS, JE SAIS, JE SAIS, JE SAIS
C'était l'début, c'était l'printemps Mais quand j'ai eu mes 18 ans J'ai dit, JE SAIS, ça y est, cette fois JE SAIS
Et aujourd'hui, les jours où je m'retourne J'regarde la terre où j'ai quand même fait les 100 pas Et je n'sais toujours pas comment elle tourne !
Vers 25 ans, j'savais tout : l'amour, les roses, la vie, les sous Tiens oui l'amour ! J'en avais fait tout le tour !
Et heureusement, comme les copains, j'avais pas mangé tout mon pain : Au milieu de ma vie, j'ai encore appris. C'que j'ai appris, ça tient en trois, quatre mots :
"Le jour où quelqu'un vous aime, il fait très beau, j'peux pas mieux dire, il fait très beau !"
C'est encore ce qui m'étonne dans la vie, Moi qui suis à l'automne de ma vie On oublie tant de soirs de tristesse Mais jamais un matin de tendresse !
Toute ma jeunesse, j'ai voulu dire JE SAIS Seulement, plus je cherchais, et puis moins j'savais
Il y a 60 coups qui ont sonné à l'horloge Je suis encore à ma fenêtre, je regarde, et j'm'interroge ?
Maintenant JE SAIS, JE SAIS QU'ON NE SAIT JAMAIS !
La vie, l'amour, l'argent, les amis et les roses On ne sait jamais le bruit ni la couleur des choses C'est tout c'que j'sais ! Mais ça, j'le SAIS… !
J'ai des tombeaux en abondance, Des sépultur' à discrétion, Dans tout cim'tièr' d' quelque importance J'ai ma petite concession. De l'humble tertre au mausolée, Avec toujours quelqu'un dedans, J'ai des p'tit's boss's plein les allées, Et je suis triste, cependant...
Car je n'en ai pas, et ça m'agace, Et ça défrise mon blason, Au cimetièr' du Montparnasse, A quatre pas de ma maison. (bis)
J'en possède au Père-Lachaise, A Bagneux, à Thiais, à Pantin, Et jusque, ne vous en déplaise, Au fond du cimetièr' marin, A la vill' comm' à la campagne, Partout où l'on peut faire un trou, J'ai mêm' des tombeaux en Espagne Qu'on me jalouse peu ou prou...
Mais j' n'en ai pas la moindre trace, Le plus humble petit soupçon, Au cimetièr' du Montparnasse, A quatre pas de ma maison. (bis)
Le jour des morts, je cours, le vole, Je vais infatigablement, De nécropole en nécropole, De pierr' tombale en monument. On m'entrevoit sous un' couronne D'immortelles à Champerret, Un peu plus tard, c'est à Charonne Qu'on m'aperçoit sous un cyprès...
Mais, seul, un fourbe aura l'audace, De dir' : " J' l'ai vu à l'horizon, Du cimetièr' du Montparnasse, A quatre pas de sa maison ". (bis)
Devant l' château d' ma grand-tante La marquise de Carabas, Ma saint' famille languit d'attente : Mourra-t-ell', mourra-t-elle pas ? L'un veut son or, l'autre veut ses meubles, Qui ses bijoux, qui ses bib'lots, Qui ses forêts, qui ses immeubles, Qui ses tapis, qui ses tableaux...
Moi je n'implore qu'une grâce, C'est qu'ell' pass' la morte-saison Au cimetièr' du Montparnasse, A quatre pas de ma maison. (bis)
Ainsi chantait, la mort dans l'âme, Un jeun' homm' de bonne tenue, En train de ranimer la flamme Du soldat qui lui était connu, Or, il advint qu'le ciel eut marr' de L'entendre parler d' ses caveaux. Et Dieu fit signe à la camarde De l'expédier ru' Froidevaux...
Mais les croqu'-morts, qui étaient de Chartre', Funeste erreur de livraison, Menèr'nt sa dépouille à Montmartre, De l'autr' côté de sa maison. (bis)
Dans un corps vide entrer mon âme, Tout à coup être une autre femme Et que Juliette Noureddine En l'une ou l'autre s'enracine. Élire parmi les éminentes Celle qui me ferait frissonnante, Parmi toutes celles qui surent s'ébattre, Qui surent aimer qui surent se battre, Mes soeurs innées mes philippines, Mes savantes et mes Bécassines.
Julie Juliette ou bien Justine, Toutes mes rimes féminines: Clara Zetkin ANAIS NIN Ou Garbodans La Reine Christine. Sur le céleste carrousel, Choisir entre ces demoiselles: Camille Claudel, Manzelle Chanel Ou l'enragée Louise Michel. Vivre encore colombe ou rapace, Écrire chanter ou faire des passes: Margot Duras, Maria Callas Ou bien Kiki de Montparnasse.
Naître demain renaître hier En marche avant en marche arrière, M'incarner dans ces divergences Ces beautés ces intelligences
Et jouir du bienheureux trépas Pour dans leurs pas mettre mes pas: Musidora, La Pavlova Ou mon aïeule la grande gueule Thérésa.
Que j'en aie l'esprit ou l'aspect Ou bien même les deux s'il vous plaît: Juliette Drouet La Signoret Ou la grande Billie Holiday.
Tous voiles dehors ou en chantant, Avec l'une d'elles me révoltant: Flora Tristan Yvonne Printemps Ou la farouche Isadora Duncan.
Pour toute arme ayant leur fierté Et pour amante la liberté: Les soeurs Brontë, Loyse Labé Ou Lou-Andréas Salomé.
Même s'il faut en payer le prix, Être la fleur être le fruit: Être Alice Guy, Être Arletty, Marie Dubas, Marie Curie.
Mais s'il vous plaît point de naissance, De jeunesse ni d'adolescence. Épargnez-moi la chambre rose. Soyez bonne ô métempsycose.
Permettez à votre Juliette De ne point mûrir en minette Mais en Colette, En Mistinguett... Ou pourquoi pas madame de Lafayette.
Mettez-moi, je vous le demande Instamment, dans la cour des grandes: Judy Garland, Barbara Streisand Ou cette bonne dame de George Sand.
Placez-moi du côté du coeur, Côté talent côté bonheur: Loïe Fuller, Dottie Parker Ou Sainte Joséphine Baker.
Oui tout de suite les feux de la gloire, Les feux de la rampe et de l'Histoire: La Yourcenar, Sarah Bernhardt Ou la très sage Simone de Beauvoir.
Une voix d'argent au fond d'un port, Une plume d'acier ou un coeur d'or: La Solidor, Christiane Rochefort Ou Marceline Desbordes-Valmore.
Les belles sans peur et sans marmaille Toutes nues au fort de la mitraille: Sylvia Bataille Anna de Noailles Camarade Alexandra Kollontaï
Et les agitatrices de bouges Brandissant l'espoir et la gouge: Olympe de Gouges, Rosa-la-Rouge Et la vieille Germaine de Montrouge.
La lignée des dominatrices Ladies, madames, donas ou misses Comme Cariathys Ou Leda Gys, Angela et Bette Davis.
Le train du diable et ses diablesses, Les vénéneuses et les tigresses: Lola Montès, Gina Manès Et l'empoisonneuse Borgia Lucrèce.
Enfin j'ai pour être sincère Du goût pour les belles harengères: Yvette Guilbert, Claire Brétécher... J'irais même jusqu'à Anne Sinclair.
Mais si tant de souhaits vous chagrinent, S'il est contraire à la doctrine De viser haut dans les karma, Alors faites dans l'anonymat. En attendant que tout bascule, Que Satan ne me congratule Ou que les anges me fassent la fête, Permettez une ultime requête: Faites-la renaître votre frangine En n'importe qui, en fille d'usine, En fille de rien ou de cuisine, En croate ou en maghrébine, En Éponine, En Clémentine, En Malka Malika ou Marilyn... Et si votre astrale cuisine Par hasard ne le détermine J'accepterais par discipline De revenir en cabotine, En libertine, En gourgandine... Tiens: en Juliette Noureddine.
Ce questionnaire de lecture est un cadeau de je ne sais plus quel
collègue, que je remercie, j'ajoute le corrigé que plusieurs lecteurs
de mon blog m'ont demandé.
1. Classez ces extraits dans l’ordre chronologique (6 pts)
A. Julien ne la reconnaissait plus aussi bien ; il tira sur elle un coup de pistolet et la manqua ; il tira un second coup, elle tomba.
B. Le duel fut fini en un instant : Julien eut une balle dans le bras.
C. Ah ! s’écria M. de Rênal […], la lettre anonyme imprimée et les lettres du Valenod sont écrites sur le même papier.
D. Il alla prendre l’immense échelle, attendit cinq minutes, pour laisser le temps à un contrordre, et à une heure cinq minutes posa l’échelle contre la fenêtre de Mathilde.
E. Mme de Rênal fut fidèle à sa promesse. Elle ne chercha en aucune manière à attenter à sa vie ; mais, trois jours après Julien, elle mourut en embrassant ses enfants.
F. Norbert, je te demande tes bontés pour M. Julien Sorel que je viens de prendre à mon état-major, et dont je prétends faire un homme, si cella se peut.
G. Le teint de ce petit paysan était si blanc, ses yeux si doux, que l’esprit un peu romanesque de Mme de Rênal eut d’abord l’idée que ce pouvait être une jeune fille déguisée […].
H. Elle se trouva enceinte et l’apprit avec joie à Julien.
I. Il expliqua qu’il désirait parler à M. Pirard, le directeur du séminaire.
J. « Voilà mon crime, messieurs, et il sera puni avec d’autant plus de sévérité, que, dans le fait, je ne suis point jugé par mes pairs. »
K. Enfin, comme le dernier coup de dix heures retentissait encore, il étendit la main et prit celle de Mme de Rênal, qui la retira aussitôt. Julien, sans trop savoir ce qu’il faisait, la saisit de nouveau.
Réponses :
LES EXTRAITS CORRESPONDENT A DES MOMENTS-CLE DE L’HISTOIRE :
1. G – K – C – I – F – B – D – H – A – J – E.
2. Dans quels principaux endroits et à quelle époque se déroule l’action du livre ? (2 pts)
3. Quel est le nom du curé de Verrières au début de l’œuvre ? (1pt)
4. De qui Julien a-t-il un portrait caché dans la paillasse de son lit chez les de Rênal ? Pourquoi ? (2 pts)
5. Pourquoi peut-on parler d’ambiguïté des sentiments de Julien envers Mme de Rênal ? (2 pts)
6. Qui est Valenod ? Quelle est son évolution dans le roman ? En quoi a-t-il un rôle important dans la fin du roman ? (2 pts)
7. Quelle mission, à destination de l’Angleterre, le marquis de la Mole confie-t-il à Julien ? (1 pt)
8. Quelle est l’issue du procès ? Etait- elle prévisible ? (2 pts)
9. Que fait Mathilde dans les toutes dernières pages du roman ? (2 pts)
Réponses :
2. Verrières, Besançon, Paris ; 1823-1827 environ.
3. Le curé Chélan.
4. Napoléon. Julien rêve de gloire et de conquêtes napoléoniennes. (Partie I, chapitre XVII : Ah ! s’écria-t-il que Napoléon était bien l’homme envoyé de Dieu pour les jeunes Français !)
5. Le désir réel et la conscience de classe régissent les rapports entre Julien et Mme de Rênal. Chapitre IX : Il avait fait son devoir, et un devoir héroïque. Voir aussi sa remarque : - Voilà bien les gens riches !
Julien est en proie à un sentiment d’infériorité.
Il aime Mme de Rênal parce qu’elle lui est socialement supérieure, et pourtant c’est cette différence de classe sociale qui empêche son amour d’être complet.
Son amour peut aussi être considéré comme étant motivé par son ambition ou son amour-propre.
6. Chapitre III : M. de Valenod, le riche directeur du dépôt.
Chapitre XLI : Le baron de Valenod est maire de Verrières et M. de Frilair veut le faire préfet.
Il fait partie des jurés au procès de Julien et n’est sans doute pas étranger à sa condamnation.
7. Chapitre XXI : Pourriez- vous apprendre par cœur quatre pages et aller les réciter à Londres ?
8. Julien est reconnu coupable et condamné à mort. Cette issue n’était pas attendue. Voir chapitre XLI : Je réponds de la déclaration du jury, lui dit M. de Frilair […]. Julien devait être acquitté. C’est sans doute son discours adressé aux jurés lors de son jugement et la haine de Valenod qui lui valent sa condamnation.
9. Chapitre dernier : Elle avait placé sur une petite table de marbre, devant elle, la tête de Julien, et la baisait au front…
Elle voulut ensevelir de ses propres mains la tête de son amant.
Il était une fois un Gentilhomme qui épousa en secondes noces une femme, la plus hautaine et la
plus fière qu’on eût jamais vue. Elle avait deux filles de son humeur, et qui lui ressemblaient en
toutes choses. Le Mari avait de son côté une jeune fille, mais d’une douceur et d’une bonté sans
exemple ; elle tenait cela de sa Mère, qui était la meilleure personne du monde. Les noces ne furent
pas plus tôt faites, que la Belle-mère fit éclater sa mauvaise humeur ; elle ne put souffrir les bonnes
qualités de cette jeune enfant, qui rendaient ses filles encore plus haïssables. Elle la chargea des plus
viles occupations de la Maison : c’était elle qui nettoyait la vaisselle et les montées, qui frottait la
chambre de Madame, et celles de Mesdemoiselles ses filles ; elle couchait tout au haut de la maison,
dans un grenier, sur une méchante paillasse, pendant que ses sœurs étaient dans des chambres
parquetées, où elles avaient des lits des plus à la mode, et des miroirs où elles se voyaient depuis les
pieds jusqu’à la tête. La pauvre fille souffrait tout avec patience, et n’osait s’en plaindre à son père
qui l’aurait grondée, parce que sa femme le gouvernait entièrement.
Lorsqu’elle avait fait son ouvrage, elle s’allait mettre au coin de la cheminée, et s’asseoir dans les
cendres, ce qui faisait qu’on l’appelait communément dans le logis Culcendron. La cadette, qui
n’était pas si malhonnête que son aînée, l’appelait Cendrillon ; cependant Cendrillon, avec ses
méchants habits, ne laissait pas d’être cent fois plus belle que ses sœurs, quoique vêtues très
magnifiquement.
Il arriva que le Fils du Roi donna un bal, et qu’il en pria toutes les personnes de qualité : nos deux
Demoiselles en furent aussi priées, car elles faisaient grande figure dans le Pays. Les voilà bien
aises et bien occupées à choisir les habits et les coiffures qui leur siéraient le mieux ; nouvelle peine
pour Cendrillon, car c’était elle qui repassait le linge de ses sœurs et qui godronnait leurs
manchettes. On ne parlait que de la manière dont on s’habillerait. « Moi, dit l’aînée, je mettrai mon
habit de velours rouge et ma garniture d’Angleterre. – Moi, dit la cadette, je n’aurai que ma jupe
ordinaire ; mais en récompense, je mettrai mon manteau à fleurs d’or et ma barrière de diamants,
qui n’est pas des plus indifférentes ».
On envoya quérir la bonne coiffeuse, pour dresser les cornettes à deux rangs, et on fit acheter des
mouches de la bonne Faiseuse : elles appelèrent Cendrillon pour lui demander son avis, car elle
avait le goût bon. Cendrillon les conseilla le mieux du monde, et s’offrit même à les coiffer ; ce
qu’elles voulurent bien. En les coiffant, elles lui disaient : « Cendrillon, serais-tu bien aise d’aller au
Bal ? – Hélas, Mesdemoiselles, vous vous moquez de moi, ce n’est pas là ce qu’il me faut. – Tu as
raison, on rirait bien si on voyait un Culcendron aller au Bal ». Une autre que Cendrillon les aurait
coiffées de travers ; mais elle était bonne, et elle les coiffa parfaitement bien. Elles furent près de
deux jours sans manger, tant elles étaient transportées de joie. On rompit plus de douze lacets à
force de les serrer pour leur rendre la taille plus menue, et elles étaient toujours devant leur miroir.
Enfin l’heureux jour arriva, on partit, et Cendrillon les suivit des yeux le plus longtemps qu’elle
put ; lorsqu’elle ne les vit plus, elle se mit à pleurer. Sa Marraine qui la vit toute en pleurs, lui
demanda ce qu’elle avait. « Je voudrais bien... je voudrais bien... » Elle pleurait si fort qu’elle ne put
achever. Sa Marraine, qui était Fée, lui dit : « Tu voudrais bien aller au Bal, n’est-ce pas ? – Hélas
oui, dit Cendrillon en soupirant. – Hé bien, seras-tu bonne fille ? dit sa Marraine, je t’y ferai aller ».
Elle la mena dans sa chambre, et lui dit : « Va dans le jardin et apporte-moi une citrouille ».
Cendrillon alla aussitôt cueillir la plus belle qu’elle put trouver, et la porta à sa Marraine, ne
pouvant deviner comment cette citrouille la pourrait faire aller au Bal. Sa Marraine la creusa, et
n’ayant laissé que l’écorce, la frappa de sa baguette, et la citrouille fut aussitôt changée en un beau
carrosse tout doré. Ensuite elle alla regarder dans sa souricière, où elle trouva six souris toutes en
vie ; elle dit à Cendrillon de lever un peu la trappe de la souricière, et à chaque souris qui sortait,
elle lui donnait un coup de baguette, et la souris était aussitôt changée en un beau cheval ; ce qui fit
un bel attelage de six chevaux, d’un beau gris de souris pommelé. Comme elle était en peine de
quoi elle ferait un Cocher : « Je vais voir, dit Cendrillon, s’il n’y a point quelque rat dans la ratière,
nous en ferons un Cocher. – Tu as raison, dit sa Marraine, va voir ». Cendrillon lui apporta la
ratière, où il y avait trois gros rats. La Fée en prit un d’entre les trois, à cause de sa maîtresse barbe,
et l’ayant touché, il fut changé en un gros Cocher, qui avait une des plus belles moustaches qu’on
ait jamais vues. Ensuite elle lui dit : « Va dans le jardin, tu y trouveras six lézards derrière l’arrosoir,
apporte-les-moi ». Elle ne les eut pas plus tôt apportés que la Marraine les changea en six Laquais,
qui montèrent aussitôt derrière le carrosse avec leurs habits chamarrés, et qui s’y tenaient attachés,
comme s’ils n’eussent fait autre chose toute leur vie. La Fée dit alors à Cendrillon : « Hé bien, voilà
de quoi aller au Bal, n’es-tu pas bien aise ? – Oui, mais est-ce que j’irai comme cela avec mes
vilains habits ? ». Sa Marraine ne fit que la toucher avec sa baguette, et en même temps ses habits
furent changés en des habits de drap d’or et d’argent tout chamarrés de pierreries ; elle lui donna
ensuite une paire de pantoufles de verre, les plus jolies du monde. Quand elle fut ainsi parée, elle
monta en carrosse ; mais sa Marraine lui recommanda sur toutes choses de ne pas passer minuit,
l’avertissant que si elle demeurait au Bal un moment davantage, son carrosse redeviendrait
citrouille, ses chevaux des souris, ses laquais des lézards, et que ses vieux habits reprendraient leur
première forme.
Elle promit à sa Marraine qu’elle ne manquerait pas de sortir du Bal avant minuit. Elle part, ne se
sentant pas de joie. Le Fils du Roi, qu’on alla avertir qu’il venait d’arriver une grande Princesse
qu’on ne connaissait point, courut la recevoir ; il lui donna la main à la descente du carrosse, et la
mena dans la salle où était la compagnie. Il se fit alors un grand silence ; on cessa de danser et les
violons ne jouèrent plus, tant on était attentif à contempler les grandes beautés de cette inconnue.
On n’entendait qu’un bruit confus : « Ah, qu’elle est belle ! » Le Roi même, tout vieux qu’il était,
ne laissait pas de la regarder et de dire tout bas à la Reine qu’il y avait longtemps qu’il n’avait vu
une si belle et si aimable personne. Toutes les Dames étaient attentives à considérer sa coiffure et
ses habits, pour en avoir dès le lendemain de semblables, pourvu qu’il se trouvât des étoffes assez
belles, et des ouvriers assez habiles. Le Fils du Roi la mit à la place la plus honorable, et ensuite la
prit pour la mener danser.
Elle dansa avec tant de grâce, qu’on l’admira encore davantage. On apporta une fort belle collation,
dont le jeune Prince ne mangea point, tant il était occupé à la considérer. Elle alla s’asseoir auprès
de ses sœurs, et leur fit mille honnêtetés : elle leur fit part des oranges et des citrons que le Prince
lui avait donnés, ce qui les étonna fort, car elles ne la connaissaient point. Lorsqu’elles causaient
ainsi, Cendrillon entendit sonner onze heures trois quarts : elle fit aussitôt une grande révérence à la
compagnie, et s’en alla le plus vite qu’elle put. Dès qu’elle fut arrivée, elle alla trouver sa Marraine,
et après l’avoir remerciée, elle lui dit qu’elle souhaiterait bien aller encore le lendemain au Bal,
parce que le Fils du Roi l’en avait priée. Comme elle était occupée à raconter à sa Marraine tout ce
qui s’était passé au Bal, les deux sœurs heurtèrent à la porte ; Cendrillon leur alla ouvrir.
« Que vous êtes longtemps à revenir ! » leur dit-elle en bâillant, en se frottant les yeux, et en
s’étendant comme si elle n’eût fait que de se réveiller ; elle n’avait cependant pas eu envie de
dormir depuis qu’elles s’étaient quittées. « Si tu étais venue au Bal, lui dit une de ses sœurs, tu ne
t’y serais pas ennuyée : il y est venu la plus belle Princesse, la plus belle qu’on puisse jamais voir,
elle nous a fait mille civilités, elle nous a donné des oranges et des citrons ». Cendrillon ne se
sentait pas de joie : elle leur demanda le nom de cette Princesse ; mais elles lui répondirent qu’on ne
la connaissait pas, que le Fils du Roi en était fort en peine, et qu’il donnerait toutes choses au
monde pour savoir qui elle était. Cendrillon sourit et leur dit : « Elle était donc bien belle ? Mon
Dieu, que vous êtes heureuses, ne pourrais-je point la voir ? Hélas ! Mademoiselle Javotte, prêtezmoi
votre habit jaune que vous mettez tous les jours. – Vraiment, dit Mademoiselle Javotte, je suis
de cet avis, prêtez votre habit à un vilain Culcendron comme cela : il faudrait que je fusse bien
folle ». Cendrillon s’attendait bien à ce refus, et elle en fut bien aise, car elle aurait été grandement
embarrassée si sa sœur eût bien voulu lui prêter son habit. Le lendemain les deux sœurs furent au
Bal, et Cendrillon aussi, mais encore plus parée que la première fois. Le Fils du Roi fut toujours
auprès d’elle, et ne cessa de lui conter des douceurs ; la jeune Demoiselle ne s’ennuyait point, et
oublia ce que sa Marraine lui avait recommandé, de sorte qu’elle entendit sonner le premier coup de
minuit, lorsqu’elle ne croyait pas qu’il fût encore onze heures : elle se leva et s’enfuit aussi
légèrement qu’aurait fait une biche : le Prince la suivit, mais il ne put l’attraper ; elle laissa tomber
une de ses pantoufles de verre, que le Prince ramassa bien soigneusement.
Cendrillon arriva chez elle bien essoufflée, sans carrosse, sans laquais, et avec ses méchants habits,
rien ne lui étant resté de toute sa magnificence qu’une de ses petites pantoufles, la pareille de celle
qu’elle avait laissée tomber. On demanda aux Gardes de la porte du Palais s’ils n’avaient point vu
sortir une Princesse ; ils dirent qu’ils n’avaient vu sortir personne, qu’une jeune fille fort mal vêtue,
et qui avait plus l’air d’une Paysanne que d’une Demoiselle. Quand ses deux sœurs revinrent du
Bal, Cendrillon leur demanda si elles s’étaient encore bien diverties, et si la belle Dame y avait été ;
elles lui dirent que oui, mais qu’elle s’était enfuie lorsque minuit avait sonné, et si promptement
qu’elle avait laissé tomber une de ses petites pantoufles de verre, la plus jolie du monde ; que le Fils
du Roi l’avait ramassée, et qu’il n’avait fait que la regarder pendant tout le reste du Bal, et
qu’assurément il était fort amoureux de la belle personne à qui appartenait la petite pantoufle.
Elles dirent vrai, car peu de jours après, le Fils du Roi fit publier à son de trompe qu’il épouserait
celle dont le pied serait bien juste à la pantoufle. On commença à l’essayer aux Princesses, ensuite
aux Duchesses, et à toute la Cour, mais inutilement. On l’apporta chez les deux sœurs, qui firent
tout leur possible pour faire entrer leur pied dans la pantoufle, mais elles ne purent en venir à bout.
Cendrillon qui les regardait, et qui reconnut sa pantoufle, dit en riant : « Que je voie si elle ne me
serait pas bonne », ses sœurs se mirent à rire et à se moquer d’elle. Le Gentilhomme qui faisait
l’essai de la pantoufle, ayant regardé attentivement Cendrillon, et la trouvant fort belle, dit que cela
était juste, et qu’il avait ordre de l’essayer à toutes les filles. Il fit asseoir Cendrillon, et approchant
la pantoufle de son petit pied, il vit qu’elle y entrait sans peine, et qu’elle y était juste comme de
cire. L’étonnement des deux sœurs fut grand, mais plus grand encore quand Cendrillon tira de sa
poche l’autre petite pantoufle qu’elle mit à son pied. Là-dessus arriva la Marraine, qui ayant donné
un coup de sa baguette sur les habits de Cendrillon, les fit devenir encore plus magnifiques que tous
les autres.
Alors ses deux sœurs la reconnurent pour la belle personne qu’elles avaient vue au Bal. Elles se
jetèrent à ses pieds pour lui demander pardon de tous les mauvais traitements qu’elles lui avaient
fait souffrir. Cendrillon les releva, et leur dit, en les embrassant, qu’elle leur pardonnait de bon
cœur, et qu’elle les priait de l’aimer bien toujours. On la mena chez le jeune Prince, parée comme
elle l’était : il la trouva encore plus belle que jamais, et peu de jours après, il l’épousa. Cendrillon
qui était aussi bonne que belle, fit loger ses deux sœurs au Palais, et les maria dès le jour même à
deux grands Seigneurs de la Cour.
MORALITE
La beauté, pour le sexe, est un rare tresor ; De l’admirer jamais on ne se lasse ; Mais ce qu’on nomme bonne grace Est sans prix, et vaut mieux encor.
C’est ce qu’à Cendrillon fit avoir sa maraine, En la dressant, en l’instruisant, Tant et si bien qu’elle en fit une reine : Car ainsi sur ce conte on va moralisant.
Belles, ce don vaut mieux que d’estre bien coëffées : Pour engager un cœur, pour en venir à bout, La bonne grace est le vrai don des fées ; Sans elle on ne peut rien, avec elle on peut tout.
AUTRE MORALITÉ
C’est sans doute un grand avantage D’avoir de l’esprit, du courage, De la naissance, du bon sens, Et d’autres semblables talens Qu’on reçoit du Ciel en partage ; Mais vous aurez beau les avoir, Pour vostre avancement ce seront choses vaines Si vous n’avez, pour les faire valoir, Ou des parrains, ou des marraines.