mardi 5 mai 2015

Reinhardt Eric : "L'amour et les forêts" Gallimard



Un beau roman, 
une histoire de harcèlement  conjugal,
ou l'enfer au foyer.

On pourrait  ajouter que de nos jours  
il représente très bien certains faits divers ... 
qui passent à "Chi l'ha visto?"


Récit poignant d'une émancipation féminine,

L'amour et les forêts est 

un texte fascinant, où la volonté d'être libre

 se dresse contre l'avilissement.


Mes élèves de III D ESABAC pourront peut-être 

retrouver  des ressemblances avec

Une vie  de Maupassant (chapitre VI)





« J’ai eu envie de connaître Bénédicte Ombredanne en découvrant sa première lettre : c’était 
une lettre dont la ferveur se nuançait de traits d’humour, ces deux pages m’ont ému et fait sourire, 
elles étaient aussi très bien écrites, c’est un alliage suffisamment rare pour qu’il m’ait immédiatement accroché. 
D’abord un peu précautionneuse, cette lettre était, à mesure qu’elle progressait, de plus en plus féroce et mécontente. De l’ironie, une réjouissante indiscipline, des clameurs de cour de récréation résonnaient dans ses phrases — leur graphie inclinée vers l’avenir suggérait bien l’audace consciente d’elle-même avec laquelle cette inconnue s’était précipitée vers moi par la pensée, comme si sa lettre avait été écrite d’une traite sans être relue avant de disparaître irrémédiablement dans la fente d’une boîte postale, hop, ça y est, au terme d’une course irréfléchie, fougueuse, qui sans doute avait démarré à la seconde où la jeune femme avait posé la plume de son stylo sur le papier, déterminée, en se refusant la possibilité de 
tout retour en arrière, avais-je senti dès la première lecture. »



L'Amour et les Forêts raconte l'histoire de Bénédicte Ombredanne, professeur de français et victime du harcèlement continuel de son mari. Il dresse le portrait d'une femme idéaliste face à ses démons et ses combats intérieurs. Tentant de retrouver sa liberté, elle est rattrapée par la perversité de son mari. Un hymne à l'émancipation féminine et à la liberté.








IVe D : Venir de (passé récent) - Être en train de (présent continu/progressif) - aller + infinitif (futur proche)






Ne vous laissez pas frigorifier!

Partez! Allez-y! ...


je viens de sortir de l'hôpital

je suis en train de me rétablir,

sous peu,  je vais rentrer!

HAUT LES AILES!



Venir de (passé récent)

Exercices :


Explication :



Être en train de (présent continu/progressif)
  
Exercices:



Aller + infinitif (futur proche)


Exercices:




Explication :








Pour bien commencer
Ma petite journée
Et me réveiller
Moi, j'ai pris un café
Un arabica
Noir et bien corsé,
J'enfile ma parka,
Ça y est je peux y aller

"Où est-ce que tu vas"
Me crie mon aimée
"Prenons un kawa je viens de me lever"
Étant en avance
Et un peu forcé,
Je change de sens
Et reprends un café

A huit heure moins le quart
Faut bien avouer
Les bureaux sont vides
On pourrait s'ennuyer
Mais je reste calme
Je sais m'adapter
Le temps qu'ils arrivent
J'ai le temps pour un café

La journée s'emballe
Tout le monde peut bosser
Au moins jusqu'à l'heure...
De la pause café
Ma secrétaire rentre
"Fort comme vous l'aimez"
Ah mince j'viens d'en prendre
Mais maintenant qu'il est fait...

Un repas d'affaires
Tout près du Sentier
Il fait un temps super
Mais je me sens stressé...
Mes collègues se marrent
"DÉTENDS-TOI RENG!"
"Prends un bon cigare
Et un p'tit café"

Une fois fini
Mes collègues crevés
Appellent un taxi ...
Mais moi j'ai envie de sauter!
Je fais tout Paris
Puis je vois un troquet
J'commande un déca.
Mais re-caféiné

Hummm...
Hummmmm...

J'arrive au bureau
Ma secrétaire me fait:
"Vous êtes un peu en retard
Je me suis inquiétée!"
Oh! J'la jette par la fenêtre!
Elle l'avait bien cherché!
T'façons faut que je rentre
Mais d'abord un café!

Attendant le métro
Je me fais agresser
Une p'tite vieille me dit:
"Vous avez l'heure s'il vous plaît?"
J'lui casse la tête
Et j'la pousse sur le quai!
Je file à la maison
Et j'me sers un ... devinez?!

"Papa mon papa!
En classe je suis premier!"
Putain mais quoi!
Tu vas arrêter d'me faire chier!
Mais qu'il est con ce gosse!
Et en plus il s'met a chialer!
J'm'enferme dans la cuisine
Il reste un peu de cafɠé

Ça fait quatorze jours
Que je suis enfermé!
J'suis seul dans ma cuisine

lundi 4 mai 2015

De Beatrice P. à Tous Les Elèves qui croient fuir leur avenir ....



J'avais publié cette chanson 


pour Beatrice P. le jour où 


elle avait décidé de quitter  le lycée 


Dis-nous ce qui t'entraîne,

Dis-nous  d'où vient le vent

Dis-nous  ce qui t'attend


Bonne Chance Beatrice P. 

à Toi et à Tous Les Elèves

 qui croient fuir leur avenir ...


Bonne chance de « Tous Nos Cœurs »






Elle avait au fond des yeux
Des illusions, des histoires,
Elle voulait rencontrer Dieu
Tout simplement pour y croire,
Elle faisait de chaque nuit
L'enfer dans son paradis interdit,
L'enfer dans son paradis
Plein de bruits

Elle croyait qu'il suffisait
D'ouvrir ses bras à la chance
Pour que les jours tristes et laids
Deviennent comme un dimanche,
Elle attendait tout de moi
Et je ne comprenais pas
Chaque fois
Quand elle me disait tout bas

"Je ne veux pas rater ma vie
Et vivre en raccourci
Je ne veux pas vieillir, mon coeur,
En attendant  mon heure,
Je ne veux pas rater ma vie
Pour aimer à crédit
S'il le faut, je vais m'en aller
Pour tout recommencer"

Elle avait toujours les mots
Qui parlaient de grands voyages,
Des paysages un peu chauds
Et des soleils sans nuages,
Un jour, elle a disparu
Pour s'en aller vers son but
Inconnu
Moi j'entends sa voix perdue

(x2:)
Je ne veux pas rater ma vie
Et vivre en raccourci
Je ne veux pas vieillir, mon coeur,
En espérant  mon heure
Je ne veux pas rater ma vie
Pour aimer à crédit
S'il le faut, je vais m'en aller
Pour tout recommencer




dimanche 3 mai 2015

Michel Houellebecq "Soumission" ...







"C'est la soumission" dit doucement Rediger,
 "L'idée renversante et simple
jamais exprimer au paravant 
avec cette force, que le sommet du bonheur humain
 réside dans la soumission la plus absolue"


Il m'a fallu lire 260 pages pour retrouver le titre de ce roman, 
Trois thèmes majeurs propose cet intéressant bouquin :
La thèse sur Joris-Karl Huysmans, ou la sortie du tunnel, qui anticipe déjà, dans son  titre,  le coté politique dominant, la  Présidence de la République et les mouvements identitaires  et enfin les relations avec les femmes  du narrateur.
J'avoue tout de suite que  la partie la plus intéressante est celle concernant Huysmans, plusieurs références à ce dandy reviennent dans l'histoire:  Il suffirait de signaler la citation en exergue


Un brouhaha le ramena à Saint-Sulpice ; la maîtrise partait ; l’église allait se cloreJ’aurais bien  tâcher de prierse dit-il ; cela eût mieux valu que de rêvasser dans le vide ainsi sur une chaise ; mais prier ? Je n’en ai pas le désir ;je suis hanté par le catholicismegrisé par son atmosphère d’encens et de cireje rôde autour de luitouché jusqu’aux larmes par ses prièrespressuré jusqu’aux moelles par ses psalmodies et par ses chantsJe suis bien dégoûtéde ma viebien las de moimais de  à mener une autre existence il y a loin !Et puis… et puis… si je suis perturbé dans les chapellesje redeviens inému et sec dès que j’en sorsAu fondse dit-ilen se levant et en suivant les quelques personnes qui se dirigeaientrabattues par le suisse vers une porteau fond,j’ai le cœur racorni et fumé par les nocesje ne suis bon à rien.

On dirait que les rites catholiques anticipent la vague musulmane, mais bien évidemment la question posée dans le roman n'est pas  sur la foi, mais sur le pouvoir islamique, ce qui  a permis à son auteur un succès considérable dès sa sortie, d'autant plus que  le livre de Michel Houellebecq est sorti par un curieux hasard au moment des tragiques événements de Charlie Hebdo. 


Pourtant, c'est la reprise du leitmotiv décadent  qui met en  correspondance   François, le narrateur, personnage neurasténique



et la névrose de Des Esseintes, ce qui met en relief une analyse de notre  époque qui  peut  bien se représenter comme une nouvelle  décadance.











“Autant que la littérature, la musique peut déterminer un bouleversement, un renversement émotif, une tristesse ou une extase absolues ; autant que la littérature, la peinture peut générer un émerveillement, un regard neuf porté sur le monde. Mais seule la littérature peut vous donner cette sensation de contact avec un autre esprit humain, avec l'intégralité de cet esprit, ses faiblesses et ses grandeurs, ses limitations, ses petitesses, ses idées fixes, ses croyances ; avec tout ce qui l'émeut, l'intéresse, l'excite ou lui répugne. Seule la littérature peut vous permettre d'entrer en contact avec l'esprit d'un mort, de manière plus directe, plus complète et plus profonde que ne le ferait même la conversation avec un ami – aussi profonde, aussi durable que soit une amitié, jamais on ne se livre, dans une conversation, aussi complètement qu'on ne le fait devant une feuille vide, s'adressant à un destinataire inconnu. Alors bien entendu, lorsqu'il est question de littérature, la beauté du style, la musicalité des phrases ont leur importance ; la profondeur de la réflexion de l'auteur, l'originalité de ses pensées ne sont pas à dédaigner ; mais un auteur c'est avant tout un être humain, présent dans ses livres, qu'il écrive très bien ou très mal en définitive importe peu, l'essentiel est qu'il écrive et qu'il soit, effectivement, présent dans ses livres" Somission p.13 




samedi 2 mai 2015

Marc Robine "La fleur rouge "Poème de René Guy Cadou, Gilles Servat



"Ah! que le temps vienne
Où les cœurs s'éprennent."


Rimbaud




Poème de René Guy Cadou.




A la place du ciel
Je mettrai son visage
Les oiseaux ne seront
Même pas étonnés

Et le jour se levant
Très haut dans ses prunelles
On dira: "le printemps
Est plus tôt cette année?"

Beaux yeux, belle saison
Viviers de lampes claires
Jardins qui reculez
Sans cesse l'horizon

On fait déjà les foins
Le long de ses paupières
Les animaux peureux
Viennent à la maison

Je n'ai jamais reçu
Tant d'amis à ma table
Il en vient chaque jour
De nouvelles étables

L'un apporte sa faim
Un autre la douleur
Nous partageons le peu
Qui reste tous en choeur

Qu'un enfant attardé
Passe la porte ouverte
Et devinant la joie
Demande à me parler

Pour le mener vers moi
Deux mains se sont offertes
Si bien qu'il a déjà
Plus qu'il ne désirait

La chambre est encombrée
De rivières sauvages
Dans le foyer s'envole
Une épaisse forêt

Et la route qui tient
En laisse les villages
Traîne sa meute d'or
Jusque sous les volets

Tous mes fruits merveilleux
Tintent sur mon épaule
Son sang est sur ma bouche
Une flûte enchantée

Je lui donne le nom
De ma première enfance
De la première fleur
Et du premier été



vendredi 1 mai 2015

Depuis hier jusqu'aujourd'hui : Les émigrants sont toujours maudits









Ellis Island est une île située à l'embouchure de l'Hudson à New York, moins d'un kilomètre au nord de Liberty Island qui abrite la statue de la Liberté. Elle a été, dans la première partie du xxe siècle, l'entrée principale des immigrants qui arrivaient aux États-Unis. Les services d'immigration y ont fonctionné du  jusqu'au. L'île est gérée par le gouvernement fédéral et fait désormais partie du monument national de la Statue de la Liberté, sous la juridiction du service des parcs nationaux des États-Unis et abrite un musée. Territorialement, elle est partagée entre la ville de Jersey City dans le New Jersey et la ville de New York dans l'État de New York. 83% de l'île appartient à la ville de New Jersey.













T'en souviens-tu, Djamel, quand tu as débarqué?
Les cousins t'avaient dit que c'était la terre promise.
On t'a pris tes papiers, on t'a déshabillé.
T'as attendu des heures sans même une chemise.
Te souviens-tu, Djamel, des regards de mépris
Des autres voyageurs quand tu as pris le train?
Toi, tu voulais sourire et tu n'as pas compris
Que c'était le commencement d'un nouveau quotidien.
Te souviens-tu, Djamel, du patron de bistrot
Qui t'a refusé une bière, un soir, rue des Abbesses.
Comme tu ne te fâchais pas, que tu demandais de l'eau,
L'a fait sortir son chien de sous le tiroir-caisse.
Te souviens-tu, Djamel, du soir où tu t'es fait
Casser bêtement la gueule par une bande de tondus?
Il y a des beaux quartiers qu'il vaut mieux éviter
Quand on n'est pas comme ceux qui possèdent les rues.
Te souviens-tu, Djamel, des boulots des débuts:
Balayeur, éboueur, manoeuvre sur les chantiers
Et la gamelle froide et la chambre exigüe?
Te voilà installé mais tout n'a pas changé.
Maintenant, tu sais, Djamel, quand tu passes au péage
D'une autoroute, que tu vas te faire arrêter.
Les flics, c'est bien connu, respectent les usages:
L'usage veut qu'on contrôle plutôt les gens bronzés.
Et tu verrais, Djamel, si tu venais chez moi,
Le temps qu'il te faudrait pour passer la frontière
Avec tes cheveux longs, ton accent de là-bas.
Faut dire que tu n'as pas l'allure d'un homme d'affaires.
On pourrait continuer, Djamel, t'en souviens-tu?
Les sarcasmes des filles, la haine des parents.
Ce que je voulais dire, c'est simplement salut
A toi et à tous ceux que l'on dit différents.
Ce que je voulais dire, c'est simplement salut
A toi et à tous ceux que l'on dit différents.






LES IMMIGRES


Dans la chaleur pesante
De la salle d'attente,
A Lausanne, une nuit,
Ils sont là, vingt ou trente,
Qui somnolent ou qui chantent
Pour passer leur ennui.

Ils ne parlent pas mon langage,
Viennent d'Espagne ou d'Italie,
C'est pas par plaisir qu'ils voyagent.

Ils ont, dans leur valise,
Un trésor: trois chemises,
Un pantalon usé.
Dehors, le froid, la bise
Râclent la pierre grise
Et le goudron du quai.

Ils viennent bâtir nos barrages,
Nos ponts, nos autoroutes aussi,
C'est pas par plaisir qu'ils voyagent.

Leur maison, leur famille,
Leurs garçons et leurs filles,
Ils ont dû les laisser:
C'est la loi qui le dit,
Paraît qu' dans mon pays
Il y a trop d'étrangers.

Leur faudra du coeur à l'ouvrage
Et puis apprendre à dire oui,
C'est pas par plaisir qu'ils voyagent.

Ce qu'ils sont, ce qu'ils pensent,
Ça n'a pas d'importance,
On ne veut que leurs bras.
Et tout ça est normal,
Et tout ça me fait mal,
Ça se passe chez moi.

Ils retrouveront leur village
Quand on n' voudra plus d'eux ici,
C'est pas par plaisir qu'ils voyagent,
C'est pas par plaisir qu'ils voyagent!






Comment crois-tu qu’ils sont venus?
Ils sont venus, les poches vides et les mains nues
Pour travailler à tours de bras
Et défricher un sol ingrat

Comment crois-tu qu’ils sont restés?
Ils sont restés, en trimant comme des damnés
Sans avoir à lever les yeux
Pour se sentir tout près de Dieu

Ils ont vois-tu, plein de ferveur et de vertu
Bâti un temple à temps perdu

Comment crois-tu qu’ils ont tenu?
Ils ont tenu, en étant croyants et têtus
Déterminés pour leurs enfants
À faire un monde différent
Les émigrants

Comment crois-tu qu’ils ont mangé?
Ils ont mangé, cette sacré vache enragée
Qui vous achève ou vous rend fort
Soit qu’on en crève ou qu’on s’en sort

Comment crois-tu qu’ils ont aimé?
Ils ont aimé, en bénissant leur premier né
En qui se mélangeait leurs sangs
Leurs traditions et leurs accents

Ils ont bientôt, créé un univers nouveau
Sans holocauste et sans ghettos

Comment crois-tu qu’ils ont gagné?
Ils ont gagné, quand il a fallu désigner
Des hommes qui avaient du cran
Ils étaient tous au premier rang
Les émigrants

Comment crois-tu qu’ils ont souffert?
Ils ont souffert, certains en décrivant l’enfer
Avec la plume ou le pinceau
Ça nous a valu Picasso

Comment crois-tu qu’ils ont lutté?
Ils ont lutté, en ayant l’amour du métier
Jusqu’à y sacrifier leur vie
Rappelez-vous Marie Curie
Avec leurs mains
Ils ont travaillé pour demain
Servant d’exemple au genre humain

Comment crois-tu qu’ils ont fini?
Ils ont fini, laissant un peu de leur génie
Dans ce que l’homme a de tous temps
Fait de plus beau fait de plus grand
Les émigrants

mercredi 29 avril 2015

Lettres portugaises, Guilleragues (1669)



         Les Lettres portugaises de Guilleragues marquent le début d’un genre : le roman épistolaire, qui va se développer et connaître un grand succès tout au long du XXVIIIe siècle : Mariane, religieuse portugaise, écrit 5 lettres à son amant qui l’a délaissée pour retourner en France.
     Le plus étonnant est de se rappeler que c’est un homme, Guilleragues, qui est à l’origine de ce « chant de l’amour trahi ». La qualité de la langue, la structure apparemment simple mais en réalité extrêmement étudiée, la remarquable illusion de naturel font de l’œuvre un classique de la littérature française.
          Selon certains  l'oeuvre serait aussi né en collaboration avec son ami Racine : ce qui expliquerait mieux ce souffle d' amour passion (Stendhal) qui renvoie à  Phèdre. 





Lettres portugaises

traduites en français par

Gabriel-Joseph de Guilleragues

 





PREMIERE LETTRE


Considère, mon amour, jusqu'à quel excès tu as manqué de prévoyance. Ah malheureux ! tu as été trahi, et tu m'as trahie par des espérances trompeuses. Une passion sur laquelle tu avais fait tant de projets de plaisirs, ne te cause présentement qu'un mortel désespoir, qui ne peut être comparé qu'à la cruauté de l'absence, qui le cause. Quoi ? cette absence, à laquelle ma douleur, toute ingénieuse qu'elle est, ne peut donner un nom assez funeste, me privera donc pour toujours de regarder ces yeux, dans lesquels je voyais tant d'amour et qui me faisaient connaître des mouvements, qui me comblaient de joie, qui me tenaient lieu de toutes choses, et qui enfin me suffisaient ? Hélas ! les miens sont privés de la seule lumière qui les animait, il ne leur reste que des larmes, et je ne les ai employés à aucun usage, qu'à pleurer sans cesse, depuis que j'appris que vous étiez enfin résolu à un éloignement, qui m'est si insupportable, qu'il me fera mourir en peu de temps. Cependant il me semble que j'ai quelque attachement pour des malheurs, dont vous êtes la seule cause : Je vous ai destiné ma vie aussitôt que je vous ai vu : et je sens quelque plaisir en vous la sacrifiant. J'envoie mille fois le jour mes soupirs vers vous, ils vous cherchent en tous lieux, et ils ne me rapportent pour toute récompense de tant d'inquiétudes, qu'un avertissement trop sincère, que me donne ma mauvaise fortune, qui a la cruauté de ne souffrir pas que je me flatte, et qui me dit à tous moments : Cesse, cesse, Mariane infortunée, de te consumer vainement, et de chercher un Amant que tu ne verras jamais ; qui a passé les Mers pour te fuir, qui est en France au milieu des plaisirs, qui ne pense pas un seul moment à tes douleurs, et qui te dispense de tous ces transports, desquels il ne te sait aucun gré ? Mais non, je ne puis me résoudre à juger si injurieusement de vous, et je suis trop intéressée à vous justifier : Je ne veux point m'imaginer que vous m'avez oubliée. Ne suis-je pas assez malheureuse sans me tourmenter par de faux soupçons ? Et pourquoi ferais-je des efforts pour ne me plus souvenir de tous les soins que vous avez pris de me témoigner de l'amour ? J'ai été si charmée de tous ces soins, que je serais bien ingrate, si je ne vous aimais avec les mêmes emportements, que ma Passion me donnait, quand je jouissais des témoignages de la vôtre. Comment se peut-il faire que les souvenirs des moments si agréables, soient devenus si cruels ? et faut-il que contre leur nature, ils ne servent qu'à tyranniser mon coeur ? Hélas ! votre dernière lettre le réduisit en un étrange état : il eut des mouvements si sensibles qu'il fit, ce semble, des efforts pour se séparer de moi, et pour vous aller trouver : Je fus si accablée de toutes ces émotions violentes, que je demeurai plus de trois heures abandonnée de tous mes sens : je me défendis de revenir à une vie que je dois perdre pour vous, puisque je ne puis la conserver pour vous, je revis enfin, malgré moi, la lumière, je me flattais de sentir que je mourais d'amour ; et d'ailleurs j'étais bien aise de n'être plus exposée à voir mon coeur déchiré par la douleur de votre absence. Après ces accidents, j'ai eu beaucoup de différentes indispositions : mais, puis-je jamais être sans maux, tant que je ne vous verrai pas ? Je les supporte cependant sans murmurer, puisqu'ils viennent de vous. Quoi ? est-ce là la récompense, que vous me donnez, pour vous avoir si tendrement aimé ? Mais il n'importe, je suis résolue à vous adorer toute ma vie, et à ne voir jamais personne ; et je vous assure que vous ferez bien aussi de n'aimer personne. Pourriez-vous être content d'une Passion moins ardente que la mienne ? Vous trouverez, peut-être, plus de beauté (vous m'avez pourtant dit autrefois, que j'étais assez belle) mais vous ne trouverez jamais tant d'amour, et tout le reste n'est rien. Ne remplissez plus vos lettres de choses inutiles, et ne m'écrivez plus de me souvenir de vous. Je ne puis vous oublier, et je n'oublie pas aussi, que vous m'avez fait espérer, que vous viendriez passer quelque temps avec moi. Hélas ! pourquoi n'y voulez-vous pas passer toute votre vie ? S'il m'était possible de sortir de ce malheureux Cloître, je n'attendrais pas en Portugal l'effet de vos promesses : j'irais, sans garder aucune mesure, vous chercher, vous suivre, et vous aimer par tout le monde : je n'ose me flatter que cela puisse être, je ne veux point nourrir une espérance, qui me donnerait assurément quelque plaisir, et je ne veux plus être sensible qu'aux douleurs. J'avoue cependant que l'occasion, que mon frère m'a donnée de vous écrire, a surpris en moi quelques mouvements de joie, et qu'elle a suspendu pour un moment le désespoir, où je suis. Je vous conjure de me dire, pourquoi vous vous êtes attaché à m'enchanter, comme vous avez fait, puisque vous saviez bien que vous deviez m'abandonner ? Et pourquoi avez-vous été si acharné à me rendre malheureuse ? que ne me laissiez-vous en repos dans mon Cloître ? vous avais-je fait quelque injure ? Mais je vous demande pardon : je ne vous impute rien : je ne suis pas en état de penser à ma vengeance, et j'accuse seulement la rigueur de mon Destin. Il me semble qu'en nous séparant, il nous a fait tout le mal que nous pouvions craindre ; il ne saurait séparer nos coeurs ; l'amour qui est plus puissant que lui, les a unis pour toute notre vie. Si vous prenez quelque intérêt à la mienne, écrivez-moi souvent. Je mérite bien que vous preniez quelque soin de m'apprendre l'état de votre coeur, et de votre fortune, surtout venez, me voir. Adieu, je ne puis quitter ce papier, il tombera entre vos mains, je voudrais bien avoir le même bonheur : Hélas ! insensée que je suis, je m'aperçois bien que cela n'est pas possible. Adieu, je n'en puis plus. Adieu, aimez-moi toujours ; et faites-moi souffrir encore plus de maux.






Lecture conseillée :

LETTERE DI UNA MONACA PORTOGHESE
LETTERATURA UNIVERSALE MARSILIO
(texte bilingue)
avec une introduction  de Brunella Schisa et une analyse linguistique de Giovanni Cacciavillani