dimanche 5 mars 2017

Alice Prestint et Federico Podano : Le commentaire dirigé, comment le faire ?










        Émigrée à Marseille, Lalla, descendante des hommes bleus du désert, prend la défense des petites filles qu’exploite Zora, une femme avide.

       Lalla s'assoit, et commence le travail. Pendant plusieurs heures, elle travaille dans la grande salle sombre, en faisant des gestes mécaniques avec ses mains. Au début, elle est obligée de s'arrêter parce que ses doigts se fatiguent, mais elle sent sur elle le regard de la grande femme pâle, et elle reprend aussitôt le travail. Elle sait que la femme pâle ne lui donnera pas de coups de baguette, parce qu'elle est plus âgée que les autres filles qui travaillent. Quand leurs regards se croisent, cela fait comme un choc au fond d'elle, et il y a une étincelle de colère dans les yeux de Lalla. Mais la grosse femme vêtue de noir se venge sur les plus petites, celles qui sont maigres et craintives comme des chiennes, les filles de mendiants, les filles abandonnées qui vivent toute l'année dans la maison de Zora, et qui n'ont pas d'argent. Dès qu'elles ralentissent leur travail, ou si elles échangent quelques mots en chuchotant, la grosse femme pâle se précipite sur elles avec une agilité surprenante, et elle cingle leur dos. Lalla serre les dents, elle penche sa tête vers le sol pour ne pas voir ni entendre, parce qu'elle voudrait crier et frapper à son tour sur Zora. Mais elle ne dit rien à cause de l'argent qu'elle doit ramener à la maison pour Aamma. Seulement, pour se venger, elle fait de travers quelques nœuds dans le tapis rouge.
       Le jour suivant, pourtant, Lalla n'en peut plus. Comme la grosse femme pâle recommence à donner des coups de canne à Mina, une petite fille de dix ans à peine, toute maigre et chétive, parce qu'elle avait cassé sa navette, Lalla se lève et dit froidement :
"Ne la battez plus !"
Zora regarde un moment Lalla, sans comprendre. Son visage gras et pâle a pris une telle expression de stupidité que Lalla répète :
"Ne la battez plus !"
       Tout à coup le visage de Zora se déforme, à cause de la colère. Elle donne un violent coup de canne à la figure de Lalla, mais la baguette ne la touche qu'à l'épaule gauche, parce que Lalla a su esquiver le coup.
"Tu vas voir si je vais te battre !" Crie Zora, et son visage est maintenant un peu coloré.
"Lâche ! Méchante femme !"
     Lalla empoigne la canne de Zora et elle la casse sur son genou. Alors c'est la peur qui déforme le visage de la grosse femme. Elle recule, en bégayant :
"Va-t'en ! Va-t'en ! Tout de suite ! Va-t'en !"
       Mais déjà Lalla court à travers la grande salle, elle bondit au-dehors, à la lumière du soleil ; elle court sans s'arrêter, jusqu'à la maison d'Aamma. La liberté est belle. On peut regarder de nouveau les nuages qui glissent à l'envers, les guêpes qui s'affairent autours des petits tas d'ordures, les lézards, les caméléons, les herbes qui tremblotent dans le vent. Lalla s'assoit devant la maison, à l'ombre du mur de planches, et elle écoute avidement tous les bruits minuscules. Quand Aamma revient, vers le soir, elle lui dit simplement :
"Je n'irai plus travailler chez Zora, plus jamais."
       Aamma la regarde un instant, mais elle ne dit rien.
       C’est à partir de ce jour-là que le choses ont changé réellement pour Lalla, ici, à la Cité.


 
Jean-Marie Le Clézio, Désert, 1980, Éd. Gallimard

        























samedi 4 mars 2017

Francethéâtre : Calais Bastille - Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen


Dans l'attente du spectacle 

Calais Bastille

prévu  pour le 27 mars prochain 

avec la troupe de Francethéâtre 

Voici  un extrait de

Description de cette image, également commentée ci-après



 La Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen 




Art. 1er. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. 
Art. 2. Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression. 
Art. 3. Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément. 
Art. 4. La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. 
Art. 5. La Loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n'est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas. 
Art. 6. La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.
 Art. 7. Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la Loi doit obéir à l'instant : il se rend coupable par la résistance. 
Art. 8. La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. 
Art. 9. Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré 15 coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. 
Art. 10. Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi.


L'Histoire de droits de l'Homme 



vendredi 3 mars 2017

Paul Morand : "Ode à Marcel Proust"


(Vitry-le-François   1861    1861 - Bourbonne 1946)
La plage de Cabourg
Belfort, musée d'Art et d'Histoire



Ombre
Née de la fumée de vos fumigations,
Le visage et la voix
Mangés
Par l’usage de la nuit
Céleste,
Avec sa vigueur, douce, me trempe dans le jus noir
De votre chambre
Qui sent le bouchon tiède et la cheminée morte.
Derrière l’écran des cahiers,
Sous la lampe blonde et poisseuse comme une confiture,
Votre visage gît sous un traversin de craie.
Vous me tendez des mains gantées de filoselle;
Silencieusement votre barbe repousse
Au fond de vos joues.
Je dis :
- vous avez l’air d’aller fort bien.
Vous répondez :
- Cher ami, j’ai failli mourir trois fois dans la journée.
Vos fenêtres à tout jamais fermées
Vous refusent au boulevard Haussmann
Rempli à pleins bords,
Comme une auge brillante,
Du fracas de tôle des tramways.
Peut-être n’avez-vous jamais vu le soleil ?
Mais vous l’avez reconstitué, comme Lemoine, si véridique,
Que vos arbres fruitiers dans la nuit
Ont donné les fleurs.
Votre nuit n’est pas notre nuit :
C’est plein des lueurs blanches
Des catleyas) et des robes d’Odette,
Cristaux des flûtes, des lustres
Et des jabots tuyautés du général de Froberville.
Votre voix, blanche aussi, trace une phrase si longue
Qu’on dirait qu’elle plie, alors que comme un malade
Sommeillant qui se plaint,
Vous dites : qu’on vous a fait un énorme chagrin.
Proust, à quels raouts allez-vous donc la nuit
Pour en revenir avec des yeux si las et si lucides ?
Quelles frayeurs à nous interdites avez-vous connues
Pour en revenir si indulgent et si bon ?
Et sachant les travaux des âmes
Et ce qui se passe dans les maisons,
Et que l’amour fait si mal ?
Étaient-ce de si terribles veilles que vous y laissâtes
Cette rose fraicheur
Du portrait de Jacques-Émile Blanche ?
Et que vous voici, ce soir,
Pétri de la pâleur docile des cires
Mais heureux que l’on croie à votre agonie douce
De dandy gris perle et noir ?








lundi 27 février 2017

Guillaume Apollinaire "Vitam impendere amori"



Apollinaire a publié Vitam impendere amori, avec la mention poèmes et dessins, Paris, Mercure de France, 1917. Cette plaquette a été illustrée par André Rouveyre. Cette alliance de dessins et de vers semble préparer Calligrammes, qui paraîtra l'année suivante.





L’image du jardin comme lieu paradisiaque, comme lieu du souvenir, comme lieu hors du monde.  


Ô ma jeunesse abandonnée
    Comme une guirlande fanée
    Voici que s'en vient la saison
    Des regrets et de la raison


Vitam impendere amori

(consacrer sa vie à l’amour)


    Dans le crépuscule fané
    Où plusieurs amours se bousculent
    Ton souvenir gît enchaîné
    Loin de nos ombres qui reculent

    Ô mains qu'enchaîne la mémoire
    Et brûlantes comme un bûcher
    Où le dernier des phénix noire
    Perfection vient se jucher

    La chaîne s'use maille à maille
    Ton souvenir riant de nous 
    S'enfuir l'entends-tu qui nous raille
    Et je retombe à tes genoux

    Le soir tombe et dans le jardin
    Elles racontent des histoires
    À la nuit qui non sans dédain
    Répand leurs chevelures noires

    Petits enfants petits enfants
    Vos ailes se sont envolées
    Mais rose toi qui te défends
    Perds tes odeurs inégalées

    Car voici l'heure du larcin
    De plumes de fleurs et de tresses
    Cueillez le jet d'eau du bassin
    Dont les roses sont les maîtresses

    Ô ma jeunesse abandonnée
    Comme une guirlande fanée
    Voici que s'en vient la saison
    Et des dédains et du soupçon

    Le paysage est fait de toiles
    Il coule un faux fleuve de sang
    Et sous l'arbre fleuri d'étoiles
    Un clown est l'unique passant

    Un froid rayon poudroie et joue
    Sur les décors et sur ta joue
    Un coup de revolver un cri
    Dans l'ombre un portrait a souri

    La vitre du cadre est brisée
    Un air qu'on ne peut définir
    Hésite entre son et pensée
    Entre avenir et souvenir

    Ô ma jeunesse abandonnée
    Comme une guirlande fanée
    Voici que s'en vient la saison
    Des regrets et de la raison


Guillaume Apollinaire, Alcools 



Voici le site où je retrouvé ce beau poème
 d' Apollinaire 




Maria Callas 
Casta Diva (Norma - Bellini)

dimanche 26 février 2017