lundi 16 novembre 2015

Que va-t-il rester de nous, si on détruit notre culture?: Enard "Palmyre, osasis des larmes" ( LE MONDE )




Que va-t-il rester de nous 

si l'on détruit notre culture?

Quelle folie que d' envisager 

d'anéantir la beauté !






une 

"identité de frontière"









Ils sont sans doute passés par là. Au VIIe siècle, les compagnons du Prophète, à la tête des armées de l’islam, en route pour la conquête du monde, se sont vraisemblablement arrêtés à Palmyre, dans sa palmeraie, avant de se lancer à l’assaut de la verte Damas et de ses richesses, Damas dont la dynastie omeyyade fera sa capitale, délaissant Médine et posant ainsi la première pierre de l’empire musulman qui, loin de détruire ce qui le précède, s’en nourrit, s’y forme, s’y modèle. Que restait-il à l’époque de l’antique cité caravanière  ? Un peu plus qu’aujourd’hui, ou un peu moins  ; quelques églises, un évêque, nous apprend Paul Veyne dans Palmyre. L’irremplaçable trésor. Est-ce qu’un noble guerrier arabe descendit de chameau pour pleurer sur ces ruines, dans la grande tradition de la poésie du désert, et chanter comme Imroul Qays quelques décennies plus tôt  : «  Arrêtons-nous pour pleurer au souvenir de cet amour, sur les traces de ce campement, au bas des dunes  » ? La poésie arabe s’ouvre avec cette déploration, elle naît de la nostalgie que provoquent les ruines des choses perdues.
Aujourd’hui nous pleurons tous, et il n’y a pas de chant funèbre plus juste et plus noble que celui que Paul Veyne consacre à Palmyre, thrène ­dédié à l’archéologue syrien Khaled Al-Asaad, qui en fut le gardien et l’explorateur quarante ans durant, avant...
Le souvenir de Palmyre est un hymne à la beauté.

Le Monde des LIVRES , vendredi 30 octobre 2015

Palmyre. L’irremplaçable trésor, de Paul Veyne, Albin Michel, 





dimanche 15 novembre 2015

CINEFORUM en langue française: "PERSEPOLIS"





L'automne à Castagnola (cz)

Comment répondre 

aux attentats de Paris ?

Commençons par un beau film !


PERSEPOLIS












Le 16 novembre à 14 heures













vendredi 13 novembre 2015

ESSAI BREF : PAYSAGES : REFLET DU MONDE, REFLET DE L'AME





Esabac ordinaria 2015
b) Saggio breve

Dopo avere analizzato l’insieme dei documenti, formulate un saggio breve in riferimento al tema posto (circa 600 parole)



Paysages : reflet du monde, reflet de l’âme ?


Document n 1

Salut ! bois couronnés d'un reste de verdure !
Feuillages jaunissants sur les gazons épars !
Salut, derniers beaux jours
! Le deuil de la nature
Convient à la douleur et plaît à mes regards !

Je suis d'un pas rêveur le sentier solitaire,
J'aime à revoir encor, pour la dernière fois,
Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière
Perce à peine à mes pieds l'obscurité des bois !

Oui, dans ces jours d'automne où la nature expire,
A ses regards voilés, je trouve plus d'attraits,
C'est l'adieu d'un ami, c'est le dernier sourire
Des lèvres que la mort va fermer pour jamais !


Ainsi, prêt à quitter l'horizon de la vie,
Pleurant de mes longs jours l'espoir évanoui,
Je me retourne encore, et d'un regard d'envie
Je contemple ses biens dont je n'ai pas joui !

Terre, soleil, vallons, belle et douce nature,
Je vous dois une larme aux bords de mon tombeau ;
L'air est si parfumé ! la lumière est si pure !
Aux regards d'un mourant le soleil est si beau !

Je voudrais maintenant vider jusqu'à la lie
Ce calice mêlé de nectar et de fiel !
Au fond de cette coupe où je buvais la vie,
Peut-être restait-il une goutte de miel ?

Peut-être l'avenir me gardait-il encore
Un retour de bonheur dont l'espoir est perdu ?
Peut-être dans la foule, une âme que j'ignore
Aurait compris mon âme, et m'aurait répondu ? ...

La fleur tombe en livrant ses parfums au zéphire ;
A la vie, au soleil, ce sont là ses adieux ;

Moi, je meurs; et mon âme, au moment qu'elle expire,
S'exhale comme un son triste et mélodieux.



           Alphonse de Lamartine, « L'Automne », Méditations poétiques (1820)



Document 2 

Julien poursuivait son chemin gaiement au milieu des plus beaux aspects que puissent présenter les scènes de montagnes. Il fallait traverser la grande chaîne au nord de Vergy. Le sentier qu’il suivait, s’élevant peu à peu parmi de grands bois de hêtres, forme des zigzags infinis sur la pente de la haute montagne qui dessine au nord la vallée du Doubs. Bientôt les regards du voyageur, passant par-dessus les coteaux moins élevés qui contiennent le cours du Doubs vers le midi, s’étendirent jusqu’aux plaines fertiles de la Bourgogne et du Beaujolais. Quelque insensible que l’âme de ce jeune ambitieux fût à ce genre de beauté, il ne pouvait s’empêcher de s’arrêter de temps à autre, pour regarder un spectacle si vaste et si imposant.
Enfin il atteignit le sommet de la grande montagne, près duquel il fallait passer pour arriver, par cette route de traverse, à la vallée solitaire qu’habitait Fouqué, le jeune marchand de bois son ami. Julien n’était point pressé de le voir, ni aucun autre être humain. Caché comme un oiseau de proie, au milieu des roches nues qui couronnent la grande montagne, il pouvait apercevoir de bien loin tout homme qui se serait approché de lui. Il découvrit une petite grotte au milieu de la pente presque verticale d’un des rochers. Il prit sa course, et bientôt fut établi dans cette retraite. Ici, dit-il avec des yeux brillants de joie, les hommes ne sauraient me faire de mal.

                                                               Stendhal, Le Rouge et le Noir (1830)

Document 3


Pour une surprise, c'en fut une. À travers la brume, c'était tellement étonnant ce qu'on découvrait soudain que nous nous refusâmes d'abord à y croire et puis tout de même quand nous fûmes en plein devant les choses, tout galérien qu'on était1 on s'est mis à bien rigoler, en voyant ça, droit devant nous...
Figurez-vous qu'elle était debout leur ville, absolument droite. New York c'est une ville debout.  On en avait déjà vu nous des villes bien sûr, et des belles encore, et des ports et des fameux mêmes.  Mais chez nous, n'est-ce pas, elles sont couchées les villes, au bord de la mer ou sur les fleuves, elles s'allongent sur le paysage, elles attendent le voyageur, tandis que celle-là l'Américaine, elle ne se pâmait pas, non, elle se tenait bien raide, là, pas baisante2 du tout, raide à faire peur.
On en a donc rigolé comme des cornichons. Ça fait drôle forcément, une ville bâtie en raideur.  Mais on n'en pouvait rigoler nous du spectacle qu'à partir du cou, à cause du froid qui venait du large pendant ce temps-là à travers une grosse brume grise et rose et rapide et piquante à l'assaut de nos pantalons et des crevasses de cette muraille, les rues de la ville, où les nuages s'engouffraient aussi à la charge du vent.  


  1. Malgré notre situation de galérien.
  2. La ville couchée évoque la femme couchée.
                                                                 Céline, Le Voyage au bout de la nuit (1932) Document 4   


  3. Un bubbolio lontano...
    Rosseggia l'orizzonte,
    Come affocato, a mare;
    Nero di pece, a monte,
    Stracci di nubi chiare:
    Tra il nero un casolare:
    Un'ala di gabbiano.



                                                                                Giovanni Pascoli, “Temporale”, Myricae (1891)



    Un roulement dans le lointain...

    L'horizon qui rougeoie,

    Tel un brasier, du côté de la mer ;

    D'un noir de poix, vers les montagnes, Des lambeaux de nuages clairs :

    Dans tout ce noir une chaumière :

    Une aile éployée de mouette.



                                                 Giovanni Pascoli, Temps d'orage, Myricae (1891)

                                                                 Traduction de Maurice Javion (Anthologie bilingue de la poésie                 italienne, La Pléiade, Gallimard) 





  4. Caspar David Friedrich, Le Voyageur contemplant une mer de nuages, 
             Kunsthalle de Hambourg (1817)

    Pour cet artiste  « l’art se présente comme médiateur entre la nature et l’homme », et  « le peintre ne doit pas peindre seulement ce qu’il voit en face de lui, mais aussi ce qu’il voit en lui ». 
                 




jeudi 12 novembre 2015

LE THEME DE LA NATURE DE ROUSSEAU AUX ROMANTIQUES





La description de la nature


Que recherche l'homme dans la nature?


La Nature et la réflexion sur l'existence



Caspar David Friedrich (Greifswald 1774- Dresde 1840) a incarné l’âme émotive et spirituelle du romantisme ; pour lui, la peinture était une méditation sur le sens de la vie et la destinée de l’homme après la mort. Friedrich a su transporter dans ses toiles les concepts de l’idéalisme et du romantisme allemand : Emmanuel Kant, le plus grand philosophe de l’idéalisme, appelle « sublime » un sentiment qui traverse toute l’Europe et dont on observe en littérature et en art certains des principaux résultats. Face aux manifestations les plus grandioses de la nature – bourrasques, montagnes enneigées, brouillard impénétrable -, l’homme éprouve des sensations contradictoires d’émerveillement et d’impuissance. Un esprit mystique, une grande âme universelle imprègne le monde de la nature, et l’individu doit participer par l’abandon des sentiments, pour comprendre et sentir qu’il est un élément de ce mystère. Comme des nombreux poètes romantiques allemands, comme Novalis et Goethe, Friedrich est attiré par l’infini : le regard traverse la toile pour se perdre dans le lointain.


Rousseau : Troisième lettre à M. de Malesherbes ( la nature refuge)


J'allais alors d'un pas plus tranquille chercher quelque lieu sauvage dans la forêt, quelque lieu désert où rien remontrant la main des hommes n'annonçât la servitude et la domination, quelque asile où je pusse croire avoir pénétré le premier et où nul tiers importun ne vînt s'interposer entre la nature et moi. C'était là qu'elle semblait déployer à mes yeux une magnificence toujours nouvelle. L'or des genêts et la pourpre des bruyères frappaient mes yeux d'un luxe qui touchait mon cœur, la majesté des arbres qui me couvraient de leur ombre, la délicatesse des arbustes qui m'environnaient, l'étonnante variété des herbes et des fleurs que je foulais sous mes pieds tenaient mon esprit dans une alternative continuelle d'observation et d'admiration : le concours de tant d'objets intéressants qui se disputaient mon attention, m’attirant sans cesse de l'un à l'autre, favorisait mon humeur rêveuse et paresseuse, et me faisait souvent redire en moi-même : "Non, Salomon dans toute sa gloire ne fut jamais vêtu comme l'un d'eux."
Mon imagination ne laissait pas longtemps déserte la terre ainsi parée. Je la peuplais bientôt d'êtres selon mon cœur, et, chassant bien loin l'opinion, les préjugés, toutes les passions factices, je transportais dans les asiles de la nature des hommes dignes de les habiter. 



Jean-François Millet

Un homme et une femme récitent l'angélus, prière qui rappelle la salutation de l'ange à Marie lors de l'Annonciation. Ils ont interrompu leur récolte de pommes de terre et tous les outils, la fourche, le panier, les sacs et la brouette, sont représentés. En 1865, Millet raconte : "L'Angélus est un tableau que j'ai fait en pensant comment, en travaillant autrefois dans les champs, ma grand-mère ne manquait pas, en entendant sonner la cloche, de nous faire arrêter notre besogne pour dire l'angélus pour ces pauvres morts". C'est donc un souvenir d'enfance qui est à l'origine du tableau et non la volonté d'exalter un quelconque sentiment religieux, Millet n'est d'ailleurs pas pratiquant. Dans une scène simple, il souhaite fixer les rythmes immuables des paysans. Ici, l'intérêt du peintre se porte sur le temps de la pause, du repos.
Isolé au premier plan, au milieu d'une plaine immense et déserte, le couple de paysans prend des allures monumentales, malgré les dimensions réduites de la toile. Leurs visages sont laissés dans l'ombre, tandis que la lumière souligne les gestes et les attitudes. La toile exprime ainsi un profond sentiment de recueillement et Millet dépasse l'anecdote pour tendre vers l'archétype.



Roussseau : Les confessions, 2e partie, livre XII (La nature et Dieu)
 Je ne manquais point à mon lever, lorsqu'il faisait beau, de courir sur la terrasse humer l'air salubre et frais du matin, et planer des yeux sur l'horizon de ce beau lac, dont les rives et les montagnes qui le bordent enchantaient ma vue. Je ne trouve point de plus digne hommage à la Divinité que cette admiration muette qu'excite la contemplation de ses œuvres, et qui ne s'exprime point par des actes développés. Je comprends comment les habitants des villes, qui ne voient que des murs, des rues, et des crimes, ont peu de foi ; mais je ne puis comprendre comment des campagnards, et surtout des solitaires, peuvent n'en point avoir. Comment leur âme ne s'élève-t-elle pas cent fois le jour avec extase à l'auteur des merveilles qui les frappent ? Pour moi, c'est surtout à mon lever, affaissé par mes insomnies, qu'une longue habitude me porte à ces élévations de cœur qui n'imposent point la fatigue de penser. Mais il faut pour cela que mes yeux soient frappes du ravissant spectacle de la nature. Dans ma chambre, je prie plus rarement et plus sèchement : mais à l'aspect d'un beau paysage, je me sens ému sans pouvoir dire de quoi.





Fils du docteur Trioson (1735-1815), protecteur et ami de Girodet, Benoit-Agnès Trioson (v. 1789-1804) vient de suspendre son étude pour rêver. Les travaux érudits l’ennuient. Il délaisse les objets de son éducation entassés sur le fauteuil : le violon, le rudiment de grammaire latine, le scarabée et le papillon, les feuilles de papier à dessin et le porte-sanguine qui côtoient un morceau de pain et des coquilles de noix. Peu studieux, il les a détournés de leur usage premier : dessins griffonnés sur les pages de son livre, mots interminables et incompréhensibles écrits sur les feuilles, violon et insectes maltraités. Puis, il les abandonne totalement pour s’évader dans le rêve. Le spectateur est ignoré ; étranger à son univers, il ne peut qu’observer et imaginer les songes du garçon. 


Rousseau Les reveries du promeneur solitaire V Promenade
(la nature et le bonheur)
Pendant qu'on était encore à table je m'esquivais et j'allais me jeter seul dans un bateau que je conduisais au milieu du lac quand l'eau était calme, et là, m'étendant tout de non long dans le bateau les yeux tournés vers le ciel, je me laissais aller et dériver lentement au gré de l'eau, quelquefois pendant plusieurs heures, plongé dans mille rêveries confuses mais délicieuses, et qui sans avoir aucun objet bien déterminé ni constant ne laissaient pas d'être à mon gré cent fois préférables à tout ce que j'avais trouvé de plus doux dans ce qu'on appelle les plaisirs de la vie. Souvent averti par le baisser du soleil de l'heure de la retraite je me trouvais si loin de l'île que j'étais forcé de travailler de toute ma force pour arriver avant la nuit close... 
Quand le lac agité ne me permettait pas la navigation, je passais mon après-midi à parcourir l'île...

Quand le soir approchait je descendais des cimes de l'île et j'allais volontiers m'asseoir au bord du lac sur la grève dans quelque asile caché ; là le bruit des vagues et l'agitation de l'eau fixant mes sens et chassant de mon âme toute autre agitation la plongeaient dans une rêverie délicieuse où la nuit me surprenait souvent sans que je m'en fusse aperçu. Le flux et reflux de cette eau, son bruit continu mais renflé par intervalles frappant sans relâche mon oreille et mes yeux, suppléaient aux mouvements internes que la rêverie éteignait en moi et suffisaient pour me faire sentir avec plaisir mon existence sans prendre la peine de penser.




Chateaubriand Génie du christianisme (l'impressionante nature américaine)
Pénétrez dans ces forêts américaines aussi vieilles que le monde : quel profond silence dans ces retraites quand les vents reposent ! quelles voix inconnues quand les vents viennent à s’élever ! Etes-vous immobile, tout est muet ; faites-vous un pas, tout soupire. La nuit s’approche, les ombres s’épaississent : on entend des troupeaux de bêtes sauvages passer dans les ténèbres ; la terre murmure sous vos pas ; quelques coups de foudre font mugir les déserts ; la forêt s’agite, les arbres tombent, un fleuve inconnu coule devant vous. La lune sort enfin de l’Orient ; à mesure que vous passez au pied des arbres, elle semble errer devant vous dans leur cime et suivre tristement vos yeux. Le voyageur s’assied sur le tronc d’un chêne pour attendre le jour ; il regarde tour à tour l’astre des nuits, les ténèbres, le fleuve ; il se sent inquiet, agité, et, dans l’attente de quelque chose d’inconnu, un plaisir inouï, une crainte extraordinaire font palpiter son sein comme s’il allait être admis à quelque secret de la Divinité : il est seul au fond des forêts, mais l’esprit de l’homme remplit aisément les espaces de la nature, et toutes les solitudes de la terre sont moins vastes qu’une seule pensée de son cœur.



Le portrait de l’enfant du pays, l’écrivain François-René de Châteaubriand, soulève les passions humaines depuis maintenant plus de deux siècles. Réalisé par Anne Louis Girodet (1767-1824), il est exposé aux cimaises du Musée de Saint-Malo dans une salle nimbée de granite et de nostalgie. Intitulé Portrait d'homme méditant sur les ruines de Rome, le tableau est à la charnière de deux courants du XIXe siècle : le néo-classique et le romantisme. Présenté en 1809, lors d’un salon, il déclencha cette étrange exclamation de l’empereur en personne : « Il a l’air d’un conspirateur qui descend dans la cheminée. »



Chateaubriand Mémoires d'outre -tombe ( la mélancolie de l'automne)
Un caractère moral s'attache aux scènes de l'automne : ces feuilles qui tombent comme nos ans, ces fleurs qui se fanent comme nos heures, ces nuages qui fuient comme nos illusions, cette lumière qui s'affaiblit comme notre intelligence, ce soleil qui se refroidit comme nos amours, ces fleuves qui se glacent comme notre vie, ont des rapports secrets avec nos destinées.
Je voyais avec un plaisir indicible le retour de la saison des tempêtes, le passage des cygnes et des ramiers, le rassemblement des corneilles dans la prairie de l'étang, et leur perchée à l'entrée de la nuit sur les plus hauts chênes du grand Mail. Lorsque le soir élevait une vapeur bleuâtre au carrefour des forêts, que les complaintes ou les lais du vent gémissaient dans les mousses flétries, j'entrais en pleine possession des sympathies de ma nature. Rencontrais-je quelque laboureur au bout d'un guéret ? je m'arrêtais pour regarder cet homme germé à l'ombre des épis parmi lesquels il devait être moissonné, et qui retournant la terre de sa tombe avec le soc de la charrue, mêlait ses sueurs brûlantes aux pluies glacées de l'automne : le sillon qu'il creusait était le monument destiné à lui survivre.




Atala au tombeau
Au salon de 1808, le succès d'Atala au tombeau (dit aussi "Funérailles d'Atala") fut considérable. Le peintre Girodet a puisé son sujet dans un roman contemporain écrit par Chateaubriand, Atala ou les Amours de deux sauvages dans le désert (1801), qui se déroule dans l'Amérique du XVIIe siècle. Au lieu de choisir un moment crucial de l'action et de l'illustrer, Girodet résume les différentes étapes du deuil depuis la veillée funèbre jusqu'à l'inhumation.

Lamartine : Le lac (la nature en deuil)

Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !
Vous, que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
Au moins le souvenir !

Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages,
Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux,
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
Qui pendent sur tes eaux.

Qu'il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surface
De ses molles clartés.

Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on respire,
Tout dise : Ils ont aimé !






Musset Nuit d'aout  (la nature éducatrice)

Puisque l'oiseau des bois voltige et chante encore
Sur la branche où ses oeufs sont brisés dans le nid ;
Puisque la fleur des champs entr'ouverte à l'aurore,
Voyant sur la pelouse une autre fleur éclore,
S'incline sans murmure et tombe avec la nuit,

Puisqu'au fond des forêts, sous les toits de verdure, 
On entend le bois mort craquer dans le sentier, 
Et puisqu'en traversant l'immortelle nature, 
L'homme n'a su trouver de science qui dure, 
Que de marcher toujours et toujours oublier ;

Puisque, jusqu'aux rochers tout se change en poussière ; 
Puisque tout meurt ce soir pour revivre demain ;
Puisque c'est un engrais que le meurtre et la guerre ; 
Puisque sur une tombe on voit sortir de terre 
Le brin d'herbe sacré qui nous donne le pain ;

Ô Muse ! que m'importe ou la mort ou la vie ? 
J'aime, et je veux pâlir ; j'aime et je veux souffrir ; 
J'aime, et pour un baiser je donne mon génie ; 
J'aime, et je veux sentir sur ma joue amaigrie 
Ruisseler une source impossible à tarir.






Vigny La maison du berger ( la nature méprisante)


Elle me dit : "Je suis l'impassible théâtre
Que ne peut remuer le pied de ses acteurs ;
Mes marches d'émeraude et mes parvis d'albâtre,
Mes colonnes de marbre ont les dieux pour sculpteurs.
Je n'entends ni vos cris ni vos soupirs ; à peine
Je sens passer sur moi la comédie humaine
Qui cherche en vain au ciel ses muets spectateurs.


"Je roule avec dédain, sans voir et sans entendre,
A côté des fourmis les populations ;
Je ne distingue pas leur terrier de leur cendre,
J'ignore en les portant les noms des nations.
On me dit une mère et je suis une tombe.
Mon hiver prend vos morts comme son hécatombe,
Mon printemps ne sent pas vos adorations.


"Avant vous j'étais belle et toujours parfumée,
J'abandonnais au vent mes cheveux tout entiers,
Je suivais dans les cieux ma route accoutumée,
Sur l'axe harmonieux des divins balanciers.
Après vous, traversant l'espace où tout s'élance,
J'irai seule et sereine, en un chaste silence
Je fendrai l'air du front et de mes seins altiers."





Hugo A Albert Durer (la foret fantastique)

Une forêt pour toi, c'est un monde hideux. 
Le songe et le réel s'y mêlent tous les deux. 
Là se penchent rêveurs les vieux pins, les grands ormes 
Dont les rameaux tordus font cent coudes difformes, 
Et dans ce groupe sombre agité par le vent, 
Rien n'est tout à fait mort ni tout à fait vivant. 
Le cresson boit ; l'eau court ; les frênes sur les pentes, 
Sous la broussaille horrible et les ronces grimpantes, 
Contractent lentement leurs pieds noueux et noirs. 
Les fleurs au cou de cygne ont les lacs pour miroirs ; 
Et sur vous qui passez et l'avez réveillée, 
Mainte chimère étrange à la gorge écaillée, 
D'un arbre entre ses doigts serrant les larges nœuds, 
Du fond d'un antre obscur fixe un œil lumineux. 
Ô végétation ! esprit ! matière ! force ! 
Couverte de peau rude ou de vivante écorce !
Aux bois, ainsi que toi, je n'ai jamais erré, 
Maître, sans qu'en mon cœur l'horreur ait pénétré, 
Sans voir tressaillir l'herbe, et, par le vent bercées, 
Pendre à tous les rameaux de confuses pensées.





Hugo Les contemplations  "Eclaircie" (le sentiment mystique de la nature)

L'océan resplendit sous sa vaste nuée.
L'onde, de son combat sans fin exténuée,
S'assoupit, et, laissant l'écueil se reposer,
Fait de toute la rive un immense baiser.
On dirait qu'en tous lieux, en même temps, la vie
Dissout le mal, le deuil, l'hiver, la nuit, l'envie,
Et que le mort couché dit au vivant debout :
Aime ! et qu'une âme obscure, épanouie en tout,
Avance doucement sa bouche vers nos lèvres.
L'être, éteignant dans l'ombre et l'extase ses fièvres,
Ouvrant ses flancs, ses reins, ses yeux, ses coeurs épars,
Dans ses pores profonds reçoit de toutes parts
La pénétration de la sève sacrée...

L'horizon semble un rêve éblouissant où nage
L'écaille de la mer, la plume du nuage, 
Car l'Océan est hydre et le nuage oiseau. 
Une lueur, rayon vague, part du berceau 
Qu'une femme balance au seuil d'une chaumière,

 Dore les champs, les fleurs, l'onde, et devient lumière 
En touchant un tombeau qui dort près du clocher.
Le jour plonge au plus noir du gouffre, et va chercher 
L'ombre, et la baise au front sous l'eau sombre et hagarde.
Tout est doux, calme, heureux, apaisé ; Dieu regarde.







La charrette à foin, 1821, John Constable, (Londres, National Gallery). Constable a exécuté cette grande toile au cours de ses hivers passés à Londres, à partir d’esquisses et d’études réalisés à la campagne. La vue donne sur la maison du fermier Willy Lott, située près du Moulin de Flatford, qu’exploitait le père de Constable. Le tableau suscitait l’admiration des amis les plus intimes de l’artiste, mais n’avait aucun succès dans les expositions londoniennes. En 1823, l’artiste la vendit avec deux autres tableaux à un marchand anglo-français qui les exposa à Paris et à Lille. À ce moment, le travail de Constable fut enfin compris, en particulier par des peintres comme Delacroix.