lundi 8 juin 2015

Charles Baudelaire "Le Spleen de Paris", Petits poèmes en prose




LECTURE III D ESABAC 2015 /  2016





L'image de couverture du livre, qui  s'inspire d'un dessin

 de Hans Christiansen, renvoie à la tulipe noire, célébrée 

dans le poème "L'Invitation au voyage.



Jeanne Heaulmé




Moi, j'ai trouvé  ma tulipe noireet mon dahlia bleu!
Fleur incomparable, tulipe retrouvée, allégorique dahlia, c'est là, n'est-ce pas, dans ce beau pays si calme et si rêveur, qu'il faudrait aller vivre et fleurir? Ne serais-tu pas encadrée dans ton analogie et ne pourrais-tu pas te mirer, pour parler comme les mystiques, dans ta proprecorrespondance?

















dimanche 7 juin 2015

Marc Robine : Alerte




Il y en a qui font  semblant de ne pas voir 

 ... 

Il suffit de regarder l'attitude 

de nos amis soi-disants Européens 

face aux Migrants

...

Mais Attention !!!

C'est Vous peut-être ...

qu'on viendra chercher demain!!!






Quand ils sont venus prendre, les Juifs,
Je n'ai rien dit car je ne suis point juif
Quand ils sont venus prendre, les Noirs,
J'étais de ceux qui ne voulaient rien voir
Quand ils sont venus prendre, les Beurs,
Je n'ai rien fait, je n'étais pas des leurs

{Refrain:}
Mais le jour où ils viendront me prendre
Restera-t-il quelqu'un pour me défendre ?
Oh, le jour où ils viendront me prendre
Restera-t-il quelqu'un pour me défendre ?

Quand ils sont venus prendre, les Rouges,
Je n'ai rien dit, je me méfiais des Rouges
Quand ils sont venus prendre, les femmes,
J'étais de ceux qui n'avaient pas de femme
Quand ils sont venus prendre, les gays,
Je n'ai rien fait, je n'étais pas concerné

{au Refrain}

Quand ils ont commencé à prendre nos villes
Je n'ai rien dit, j'étais d'une autre ville
Quand ils ont défilé dans nos rues
J'étais de ceux qui n'avaient toujours rien vu
Quand ils sont venus prendre mon voisin
C'était trop tard, je n'y pouvais plus rien

{x4:}
Aujourd'hui qu'ils sont là pour me prendre
Il n'y a plus personne pour me défendre !





samedi 6 juin 2015

Sur "Le Tasse en prison" d'Eugène Delacroix, Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, Les Épaves XVI (1866)






   
Ferdinand Victor Eugène Delacroix:
Torquato Tasso dans l'asile de fous, 1839.






Sur "Le Tasse en prison", d'Eugène Delacroix

Le poëte au cachot, débraillé (1), maladif,
Roulant un manuscrit sous son pied convulsif,
Mesure d’un regard que la terreur enflamme
L’escalier de vertige où s’abîme son âme.

Les rires enivrants dont s’emplit la prison
Vers l’étrange et l’absurde invitent sa raison;
Le Doute l’environne et la Peur ridicule
Hideuse et multiforme, autour de lui circule.

Ce génie enfermé dans un taudis malsain,
Ces grimaces, ces cris, ces spectres dont l’essaim
Tourbillonne, ameuté derrière son oreille,

Ce rêveur que l’horreur de son logis réveille,
Voilà bien ton emblème, Âme aux songes obscurs,
Que le Réel étouffe entre ses quatre murs!



Épave:Débris de navire, de cargaison, objet quelconque abandonné à la mer, coulé au fond, flottant ou rejeté sur le rivage (souvent à la suite d'un naufrage).
Débraillé:Qui montre du laisser-aller, de la négligence, Aspect désordonné ou négligé de quelqu'un ou de quelque chose

Charles Baudelaire Les Épaves, XVI, (1866)

I. Le personnage du poète
Les premiers vers offrent une description physique. Les adjectifs « débraillé », « maladif » rimant avec « convulsif » donnent à voir l’état du poète, tandis qu’il est question de son « pied », son « oreille » et son « regard » et du « manuscrit » qui renvoie à la toile mais aussi à la fonction du personnage. Toutefois très vite, dès le vers 3, la description glisse vers l’intériorité du poète, son « âme », dernière rime du premier quatrain, sa « raison » au second quatrain. Le terme de « rêveur » est moins une reprise qu’un élément de description psychologique.
Cette description physique et psychologique s’accompagne également d’une description de l’environnement.
b. Son environnement
On note tout d’abord les reprises nominales qui caractérisent la « prison » du titre du sonnet. Elles sont toutes placées en début de strophe : « cachot » au vers 1, « prison » v.4, « taudis malsain » v.9, et « logis » v.12. L’environnement du poète acquiert de ce fait une importance égale au poète lui-même, ce que le titre annonçait. De plus la présence des démonstratifs réfère autant à la toile (déictiques-deiktikos= action de montrer) qu’au poème (anaphoriques). L’environnement est bien ici donné à voir par des moyens verbaux au même titre que le poète. Cependant le même glissement de la surface à la profondeur s’opère. L’environnement est caractérisé par des notations plus abstraites : le « Doute », la « Peur » sujets des verbes « environne » et « circule », les personnages du tableau ne sont plus que des métonymies « cris », « grimaces » et se dématérialisent en « spectres ». Progressivement l’environnement du poète est déshumanisé et se transforme en menace.
Le sonnet glisse de la surface de la toile à son interprétation, du « montrer » au « démontrer ». La poésie passe ainsi de la description à l’interprétation.
II. Le sonnet comme interprétation du tableau.
Baudelaire s’attache à éclairer le tableau de Delacroix de l’intérieur, par les sentiments qui lui semblent habiter le personnage ainsi que par la nature exacte de sa prison.
a. Les sentiments
L’adjectif « maladif » est tout d’abord distinct de « malade ». Il indique un processus en cours davantage qu’un état. Surtout le v.3 donne la clé de lecture du tableau. Le terme de « terreur » est relayé par « Peur » qui, trop faible, est suivi des adjectifs « hideuse » et « multiforme ». La folie évoquée dans le titre du tableau a disparu au profit de l’angoisse. D’où vient cette angoisse ? Le vers 4 en donne métaphoriquement la cause. « L’escalier de vertige où s’abîme son âme ». Il s’agit d’une métaphore in absentia dans une phrase qui mêle justement la raison et la démence. Le verbe « mesure » renvoie à l’examen lucide, à la raison, « vertige » et « abîme » renvoient à la folie, tandis que « l’escalier » crée le lien de l’une à l’autre. Tout se passe comme si le poète, conscience rationnelle se trouvait exposé au spectacle de sa folie possible et que le sentiment qu’il en éprouvait était, non la folie elle-même mais l’angoisse, la peur de la folie, qui lui est en partie extérieure.
b. La prison : matérialité et immatérialité de l’enfermement.
Si, comme nous l’avons déjà vu la prison est bien matérielle, elle est aussi immatérielle. Les allégories veulent justement montrer la puissance des forces abstraites, invisibles, qui entourent le poète. Ainsi se comprennent le D, le P et le R. Ainsi se comprennent également les verbes « invitent », « circule » et « tourbillonne ». Ce qui est impalpable le devient par la majuscule. Et ce qui est comme aérien, « rires », « essaim » , « étouffe » au final le poète avec la puissance de « quatre murs ».
Il s’agit alors moins de la démence du Tasse que de la peur qu’une telle démence lui inspire lorsque confronté au réel il en voit ce qui est invisible aux autres. Dès lors Baudelaire offre ici une vision du créateur de génie- Le Tasse, Delacroix, Baudelaire- et de son déchirement au milieu du monde. Il métamorphose le tableau, le recrée pour livre un emblème, une figure du Poète.
III. Le sonnet comme emblème de la dualité du créateur.
a. Le Tasse comme emblème
Le sonnet de Baudelaire s’écarte de la tradition par ses rimes plates. Il semble un cas unique en ce sens et ce choix a peut-être une signification. Mais il reste fidèle au sonnet en ce que le dernier tercet est bien une pointe, le dernier vers une chute. L’énonciation change dans les vers 13 et 14. Le possessif « ton » crée une « Âme » interlocutrice dont Le Tasse décrit par Baudelaire est l’emblème tandis que le présentatif « Voilà » qui joue (déictique) sur le verbal et le visuel apporte une conclusion à l’étude du tableau annoncée par la préposition « Sur » du titre. C’est bien la dimension allégorique du tableau qui intéresse ce sonnet. Peut-être également que les « quatre murs », qui sont les derniers mots, invitent à sortir du cadre, à aller tant vers le lecteur que le spectateur du tableau. Nous aurions alors une vision de l’homme, « Âme aux songes obscurs », et non plus seulement du poète.
b. La dualité de l’homme.
Cet homme est cher à Baudelaire. Il s’agit de l’homme déchiré, dédoublé, de l’homo duplex. (titre également d’un poème de Hugo dans La Légende des Siècles). Le choix de l’alexandrin est bien adapté à cette dualité par la césure à l’hémistiche qui souvent sépare deux entités opposées : « mesure » / « terreur » ; « génie » / « taudis » ; « rêveur » / « réveille ». Le sonnet lui-même en opposant les quatrains aux tercets oppose en quelque sorte la surface, l’apparence à la profondeur. Enfin c’est peut-être aussi dans le très habile vers 4 que se concentre la dualité, l’âme est contenue intégralement dans l’abîme comme si l’homme recelait en lui-même la source ultime de sa déchéance. Seul le poète est capable de voir cette réalité qui l’emplit d’effroi.
Au final Baudelaire offre au lecteur non une peinture parlante, pas même un discours sur la peinture mais une réelle recréation du tableau de Delacroix, une vision à part entière. Le Tasse de Delacroix, vision déjà du peintre, est recréé par le poète comme un emblème, un archétype du créateur divisé, déchiré entre son monde et le monde.(1)Cette image rejoint alors d’autres poésies comme « L’Albatros » et contribue au mythe baudelairien du génie persécuté.(2)






vendredi 5 juin 2015

L’Orgue du Titan de George Sand




LECTURE V D 2015 / 2016

Jeanne Heaulmé - Università di Pavia

Pourquoi George Sand ?

C’est l’un des écrivains les plus importants de la littérature romantique.
 Elle  s’est affirmée comme l’un des maîtres de l’imaginaire et toute son œuvre
 témoigne de ses profondes aspirations spirituelles et humanitaires.
Victor Hugo l’avait définie en 1860, dans L’Indépendance belge,
comme  « un cœur lumineux, une belle âme, un généreux et puissant
combattant  du progrès, une flamme dans notre temps ».

  





  George Sand

 



Maison de George Sand à Nohant

 

 



jeudi 4 juin 2015

MATHAEUS GRUNEWALD "le plus forcené des peintre selon Joris-Karl Huysmans




Je me suis remis à la lecture de Huysmans ...







La révélation de ce naturalisme, Durtal l'avait eue, l'an passé, alors 
qu'il était moins qu'aujourd'hui pourtant excédé par l'ignominieux 
spectacle de cette fin de siècle. C'était en Allemagne, devant une 
crucifixion de Mathaeus Grünewald. 
Et il frissonna dans son fauteuil et ferma presque douloureusement 
les yeux. Avec une extraordinaire lucidité, il revoyait ce tableau, là, 
devant lui, maintenant qu'il l'évoquait; et ce cri d'admiration qu'il 
avait poussé, en entrant dans la petite salle du musée de Cassel, il le 
hurlait mentalement encore, alors que, dans sa chambre, le Christ se 
dressait, formidable, sur sa croix, dont le tronc était traversé, en 
guise de bras, par une branche d'arbre mal écorcée qui se courbait, 
ainsi qu'un arc sous le poids du corps. "
Cette branche semblait prête à se redresser et à lancer par pitié, loin 
de ce terroir d'outrages et de crimes, cette pauvre chair que 
maintenaient, vers le sol, les énormes clous qui trouaient les pieds. 
Démanchés, presque arrachés des épaules, les bras du Christ 
paraissaient garrottés dans toute leur longueur par les courroies 
enroulées des muscles. L'aisselle éclamée craquait; les mains 
grandes ouvertes brandissaient des doigts hagards qui bénissaient 
quand même, dans un geste confus de prières et de reproches; les 
pectoraux tremblaient, beurrés par les sueurs; le torse était rayé de 
cercles de douves par la cage divulguée des côtes; les chairs 
gonflaient, salpêtrées et bleuies, persillées de morsures de puces, 
mouchetées comme de coups d'aiguilles par les pointes des verges 
qui, brisées sous la peau, la lardaient encore, çà et là, d'échardes. 
L'heure des sanies était venue; la plaie fluviale du flanc 
ruisselait plus épaisse, inondait la hanche d'un sang pareil au 
jus foncé des mûres; des sérosités rosâtres, des petits laits, des 
eaux semblables à des vins de Moselle gris, suintaient de la 
poitrine, trempaient le ventre au-dessous duquel ondulait le 
panneau bouillonné d'un linge; puis, les genoux rapprochés de 
force heurtaient leurs rotules, et les jambes tordues s'évidaient 
jusqu'aux pieds qui, ramenés l'un sur l'autre, s'allongeaient, 
poussaient en pleine putréfaction, verdissaient dans des flots 
de sang. Ces pieds spongieux et caillés étaient horribles; la 
chair bourgeonnait, remontait sur la tête du clou et leurs doigts 
crispés contredisaient le geste implorant des mains, 
maudissaient, griffaient presque, avec la corne bleue de leurs 
ongles, l'ocre du sol, chargé de fer, pareil aux terres 
empourprées de la Thuringe. 
Au-dessus de ce cadavre en éruption, la tête apparaissait, 
tumultueuse et énorme; cerclée d'une couronne désordonnée 
d'épines, elle pendait, exténuée, entrouvrait à peine un œil hâve 
où frissonnait encore un regard de douleur et d'effroi; la face 
était montueuse, le front démantelé, les joues taries; tous les 
traits renversés pleuraient, tandis que la bouche descellée riait 
avec sa mâchoire contractée par des secousses tétaniques, 
atroces. 
Le supplice avait été épouvantable, l'agonie avait terrifié 
l'allégresse des bourreaux en fuite.
Maintenant, dans le ciel d'un bleu de nuit, la croix paraissait se 
tasser, très basse, presque au ras du sol, veillée par deux figures qui 
se tenaient de chaque côté du Christ : - l'une, la Vierge, coiffée d'une 
capuce d'un rose de sang séreux, tombant en des ondes pressées sur 
une robe d'azur las à longs plis, la Vierge rigide et pâle, bouffie de 
larmes qui, les yeux fixes, sanglote, en s'enfonçant les ongles dans 
les doigts des mains; - l'autre, saint Jean, une sorte de vagabond, de 
rustre basané de la Souabe, à la haute stature, à la barbe frisottée en 
de petits copeaux, vêtu d'étoffes à larges pans comme taillées dans 
de l'écorce d'arbre, d'une robe écarlate, d'un manteau jaune 
chamoisé, dont la doublure, retroussée près des manches, tournait au 
vert fiévreux des citrons pas mûrs. Epuisé de pleurs, mais plus 
résistant que Marie brisée et rejetée quand même debout, il joint les 
mains en un élan, s'exhausse vers ce cadavre qu'il contemple de ses 
yeux rouges et fumeux et il suffoque et crie, en silence, dans le 
tumulte de sa gorge sourde. 
Ah! devant ce Calvaire barbouillé de sang et brouillé de larmes, l'on 
était loin de ces débonnaires Golgotha que, depuis la Renaissance, 
l'Eglise adopte ! Ce Christ au tétanos n'était pas le Christ des Riches, 
l'Adonis de Galilée, le bellâtre bien portant, le joli garçon aux 
mèches rousses, à la barbe divisée, aux traits chevalins et fades, que 
depuis quatre cents ans les fidèles adorent. Celui-là, c'était le Christ 
de saint Justin, de saint Basile, de saint Cyrille, de Tertullien, le 
Christ des premiers siècles de l'Eglise, le Christ vulgaire, laid, parce 
qu'il assuma toute la somme des péchés et qu'il revêtit, par humilité, 
les formes les plus abjectes. 
C'était le Christ des Pauvres, Celui qui s'était assimilé aux plus 
misérables de ceux qu'il venait racheter, aux disgraciés et aux 
mendiants, à tous ceux sur la laideur ou l'indigence desquels 
s'acharne la lâcheté de l'homme; et c'était aussi le plus humain des 
Christ, un Christ à la chair triste et faible, abandonné par le 
Père qui n'était intervenu que lorsque aucune douleur nouvelle 
n'était possible, le Christ assisté seulement de sa Mère qu'il 
avait dû, ainsi que tous ceux que l'on torture, appeler dans des 
cris d'enfant, de sa Mère, impuissante alors et inutile. 
Par une dernière humilité sans doute, il avait supporté que la 
Passion ne dépassât point l'envergure permise aux sens; et, 
obéissant à d'incompréhensibles ordres, il avait accepté que sa 
Divinité fût comme interrompue depuis les soufflets et les 
coups de verges, les insultes et les crachats, depuis toutes ces 
maraudes de la souffrance, jusqu'aux effroyables douleurs 
d'une agonie sans fin. Il avait ainsi pu mieux souffrir, râler, 
crever ainsi qu'un bandit, ainsi qu'un chien, salement, 
bassement, en allant dans cette déchéance jusqu'au bout, 
jusqu'à l'ignominie de la pourriture, jusqu'à la dernière avanie 
du pus ! 
Certes, jamais le naturalisme ne s'était encore évadé dans des 
sujets pareils; jamais peintre n'avait brassé de la sorte le 
charnier divin et si brutalement trempé son pinceau dans les 
plaques des humeurs et dans les godets sanguinolents des 
trous. C'était excessif et c'était terrible. Grünewald était le plus 
forcené des réalistes; mais à regarder ce Rédempteur de 
vadrouille, ce Dieu de morgue, cela changeait. De cette tête 
exulcérée filtraient des lueurs; une expression surhumaine 
illuminait l'effervescence des chairs, l'éclampsie des traits. 
Cette charogne éployée était celle d'un Dieu, et, sans auréole, 
sans nimbe, dans le simple accoutrement de cette couronne 
ébouriffée, semée de grains rouges par des points de sang, 
Jésus apparaissait, dans sa céleste Supéressence, entre la
 Vierge, foudroyée, ivre de pleurs, et le saint Jean dont les yeux
calcinés ne parvenaient plus à fondre des larmes. 
Ces visages d'abord si vulgaires resplendissaient, transfigurés par 
des excès d'âmes inouïes. Il n'y avait plus de brigand, plus de 
pauvresse, plus de rustre, mais des êtres supraterrestres auprès d'un 
Dieu. 
Grünewald était le plus forcené des idéalistes. Jamais peintre n'avait 
si magnifiquement exalté l'altitude et si résolument bondi de la cime 
de l'âme dans l'orbe éperdu d'un ciel. Il était allé aux deux extrêmes 
et il avait, d'une triomphale ordure, extrait les menthes les plus fines 
des dilections, les essences les plus acérées des pleurs. Dans cette 
toile, se révélait le chef-d'œuvre de l'art acculé, sommé de rendre 
l'invisible et le tangible, de manifester l'immondice éplorée du corps, 
de sublimer la détresse infinie de l'âme. 
Non, cela n'avait d'équivalent dans aucune langue. En littérature, 
certaines pages d'Anne Emmerich sur la Passion se rapprochaient, 
mais atténuées, de cet idéal de réalisme surnaturel et de vie véridique 
et exsurgée. Peut-être aussi certaines effusions de Ruysbrœck 
s'élançant en des jets géminés de flammes blanches et noires, 
rappelaient-elles, pour certains détails, la divine abjection de 
Grünewald et encore non, cela restait unique, car c'était tout à la fois 
hors de portée et à ras de terre. 
Mais alors..., se dit Durtal, qui s'éveillait de sa songerie, mais alors, 
si je suis logique, j'aboutis au catholicisme du Moyen Age, au 
naturalisme mystique; ah non, par exemple, et si pourtant ! "


Huysmans, Là-bas, 
Le roman de Durtal, 1999 
ED Bartillat pp.28-31.