Cette vie, qui
m'avait d'abord enchanté, ne tarda pas à me devenir insupportable. Je me
fatiguai de la répétition des mêmes scènes et des mêmes idées. Je me mis à
sonder mon coeur, à me demander ce que je désirais. Je ne le savais pas ; mais
je crus tout à coup que les bois me seraient délicieux. Me voilà soudain résolu
d'achever, dans un exil champêtre, une carrière à peine commencée, et dans
laquelle j'avais déjà dévoré des siècles.
J'embrassai ce projet avec l'ardeur que je
mets à tous mes desseins ; je partis précipitamment pour m'ensevelir dans une
chaumière, comme j'étais parti autrefois pour faire le tour du monde.
On m'accuse d'avoir des goûts inconstants,
de ne pouvoir jouir longtemps de la même chimère, d'être la proie d'une
imagination qui se hâte d'arriver au fond de mes plaisirs, comme si elle était
accablée de leur durée ; on m'accuse de passer toujours le but que je puis
atteindre : hélas ! je cherche seulement un bien inconnu, dont l'instinct me
poursuit. Est-ce ma faute, si je trouve partout des bornes, si ce qui est fini
n'a pour moi aucune valeur ? Cependant je sens que j'aime la monotonie des
sentiments de la vie, et si j'avais encore la folie de croire au bonheur, je le
chercherais dans l'habitude.
La solitude absolue, le spectacle de la
nature, me plongèrent bientôt dans un état presque impossible à décrire. Sans
parents, sans amis, pour ainsi dire seul sur la terre, n'ayant point encore
aimé, j'étais accablé d'une surabondance de vie. Quelquefois je rougissais
subitement, et je sentais couler dans mon coeur comme des ruisseaux d'une lave
ardente ; quelquefois je poussais des cris involontaires, et la nuit était
également troublée de mes songes et de mes veilles. II me manquait quelque
chose pour remplir l'abîme de mon existence : je descendais dans la vallée, je
m'élevais sur la montagne, appelant de toute la force de mes désirs l'idéal
objet d'une flamme future ; je l'embrassais dans les vents ; je croyais
l'entendre dans les gémissements du fleuve ; tout était ce fantôme imaginaire,
et les astres dans les cieux, et le principe même de vie dans l'univers.
Extrait de René - Chateaubriand
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