« Dans ce livre atroce, j’ai mis toute ma pensée,
tout mon coeur, toute ma religion (travestie),
toute ma haine »
Charles Baudelaire
Au détour
d’un sentier, parfois, on se cogne à une odeur, sonore
autant que forte, murale, brassée par les élytres de milliers d’insectes qui font de la mort
leur commerce, leur musique et leur rente. On entre alors dans le poème. Celui
de Baudelaire certes. Le poème noir de la vie et de son terme. À ciel ouvert ,
loin de toute sépulture. Il y a la beauté du ciel, celle des arbres féconds,
des fleurs accrochées aux haies (1) vives. Il y a l’herbe verte et peignée, la
terre rousse, mille choses qui chantent, et puis soudain on se heurte à la
mort. Entêtante (2). Sucrée. Animale. Atroce. Atroce, peut-être pas tant que
cela au fond. Ratée plutôt, comme un ragoût qui aurait mal tourné, une venaison
(3) oubliée dans le fond d’une casserole.
Souvent, on doit se contenter de l’odeur. La dépouille de la bête est
introuvable. Est-ce son fantôme qui sent, ou bien notre terreur ? Je
cherche ainsi maints cadavres dans les bois de Serres, de Flainval, ou
d’Hudiviller, dont j’ai perçu les relents (4) au hasard d’un jeu de gendarmes
et de voleurs. Mais qui vole quoi ? La mort a raflé la mise, emportant les
esprits d’un renard troué par la chevrotine (5) d’un paysan, d’un chat pudique
parti mourir loin de ses maîtres, d’un chevreuil malade, attaqué par des chiens
en maraude (6). Et puis la chaleur et la corruption s’attellent (7)à l’ouvrage.
Corps gonflé, gaz, humeurs suintantes. On sait le reste. Fleur
insupportablement extrême, la charogne est discrète, comme si elle n’osait pas
se montrer. Cachée. Hantée. Timide. Ne reste d’elle qu’un souvenir violent.
Charogne est ce qui ne ressemble plus à rien. Ce qui n’a plus de forme. Le
vivant honteux s’est réfugié dans la puanteur. Sa dernière résidence. Et puis,
un souffle de vent frais venu des Vosges, un peu de pluie, et c’est fini. On
passe au même endroit plus tard, et c’est le muguet qui nous accueille, ou
l’aubépine tandis que glisse sur les mousses le pas méfiant d’une belette.
1) Clôture végétale entourant ou
limitant un domaine, une propriété, un champ, faite d'arbres ou d'arbustes
généralement taillés ou de branchages entrelacés. 2)Qui monte à la tête,
provoque un étourdissement, une légère ivresse, enivrant, grisant. 3)Gibier
4)Mauvais goût que contracte une viande renfermée dans un lieu humide`. 5)Fusil
6)Action de rôder à la recherche de denrées alimentaires ou de menues choses à
chaparder, vol. 7) S'atteler à une besogne, à une
tâche
Philippe Claudel Parfums, Charogne, Éditions Stock (2012)
Encore
un récit poétique, un poème en
prose
qui nous fascine et nous
enivre …
d’une
odeur … de mort … de renaissance, de vie
« Et puis ..c’est le muguet qui nous accueille »
(Qui me
rappelle De André Via del Campo)
Comme nous raconte l’auteur, impossible de
ne pas penser à
Baudelaire Charogne
Spleen et Idéal XXVII ( Les Fleurs du mal )
Parfums
est un livre baudelairien,
qui s’ouvre avec un citation en exergue
de la Chevelure
et se termine sur Le voyage …
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire