lundi 8 février 2016

Primo Levi "Se questo è un uomo"








Se questo è un uomo



Voi che vivete sicuri 
nelle vostre tiepide case, 
voi che trovate tornando a sera 
il cibo caldo e visi amici:

Considerate se questo è un uomo 
che lavora nel fango 
che non conosce pace 
che lotta per mezzo pane 
che muore per un sì o per un no. 
Considerate se questa è una donna, 
senza capelli e senza nome 
senza più forza di ricordare 
vuoti gli occhi e freddo il grembo 
come una rana d’inverno.

Meditate che questo è stato: 
vi comando queste parole. 
Scolpitele nel vostro cuore 
stando in casa andando per via, 
coricandovi alzandovi; 
ripetetele ai vostri figli.

O vi si sfaccia la casa, 
la malattia vi impedisca, 
i vostri nati torcano il viso da voi.


Si c'est un homme 

Vous qui vivez en toute quiétude 
       Bien au chaud dans vos maisons 
       Vous qui trouvez le soir en rentrant 
       La table mise et des visages amis 
       Considérez si c'est un homme 
       Que celui qui peine dans la boue, 
       Qui ne connait pas de repos, 
       Qui se bat pour un quignon de pain, 
       Qui meurt pour un oui pour un non. 
       Considérez si c'est une femme 
       Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux 
       Et jusqu'à la force de se souvenir, 
       Les yeux vides et le sein froid 
       Comme une grenouille en hiver. 
       N'oubliez pas que cela fut, 
       Non, ne l'oubliez pas: 
       Gravez ces mots dans votre coeur. 
       Pensez-y chez vous, dans la rue, 
       En vous couchant, en vous levant; 
       Répétez-les à vos enfants. 
       Ou que votre maison s'écroule; 
       Que la maladie vous accable, 
       Que vos enfants se détournent de vous.





dimanche 7 février 2016

Guillaume Apollinaire " Mai"








Mai


Le mai le joli mai en barque sur le Rhin
Des dames regardaient du haut de la montagne
Vous êtes si jolies mais la barque s'éloigne
Qui donc a fait pleurer les saules riverains


Or des vergers fleuris se figeaient en arrière
Les pétales tombés des cerisiers de mai
Sont les ongles de celle que j'ai tant aimée
Les pétales flétris sont comme ses paupières


Sur le chemin du bord du fleuve lentement
Un ours un singe un chien menés par des tziganes
Suivaient une roulotte traînée par un âne
Tandis que s'éloignait dans les vignes rhénanes
Sur un fifre lointain un air de régiment


Le mai le joli mai a paré les ruines
De lierre de vigne vierge et de rosiers
Le vent du Rhin secoue sur le bord les osiers
Et les roseaux jaseurs et les fleurs nues des vignes



Apollinaire, Alcools





samedi 6 février 2016

Raymond Queneau "Pour un art poétique" - Tristan Zara "Pour faire un poème dadaïste"





Merci à Marie Bérenger
pour sa proposition


Pour un art poétique

Prenez un mot prenez en deux
Faites les cuire comme des œufs
Prenez un petit bout de sens
Puis un grand morceau d’innocence
Faites chauffer à petit feu
Au petit feu de la technique
Versez la sauce énigmatique
Saupoudrez de quelques étoiles
Poivrez et mettez les voiles
Où voulez vous donc en venir ?
A écrire
Vraiment ? A écrire ?

Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline (1965)








Et si vous souhaitez inventer un poème

voilà une bonne proposition


Pour faire un poème dadaïste 

 Prenez un journal.
 Prenez des ciseaux. 
 Choisissez dans ce journal un article ayant la longueur que vous comptez donner à votre poème.
 Découpez l’article.
 Découpez ensuite avec soin chacun des mots qui forment cet article et mettez-les dans un sac. 
 Agitez doucement. 
 Sortez ensuite chaque coupure l’une après l’autre dans l’ordre où elles ont quitté le sac.
 Copiez consciencieusement.
 Le poème vous ressemblera. 
 Et vous voilà « un écrivain infiniment original et d’une sensibilité charmante encore qu’incomprise du vulgaire. »

 Tristan Tzara 



vendredi 5 février 2016

Arthur Rimbaud "Chanson de la plus haute Tour" (mai 1872)




Ah ! Que le temps vienne

Où les coeurs s'éprennent.






Oisive jeunesse
A tout asservie,
Par délicatesse
J'ai perdu ma vie.
Ah ! Que le temps vienne
Où les coeurs s'éprennent.

Je me suis dit : laisse,
Et qu'on ne te voie :
Et sans la promesse
De plus hautes joies.
Que rien ne t'arrête,
Auguste retraite.

J'ai tant fait patience
Qu'à jamais j'oublie ;
Craintes et souffrances
Aux cieux sont parties.
Et la soif malsaine
Obscurcit mes veines.

Ainsi la prairie
A l'oubli livrée,
Grandie, et fleurie
D'encens et d'ivraies
Au bourdon farouche
De cent sales mouches.

Ah ! Mille veuvages
De la si pauvre âme
Qui n'a que l'image
De la Notre-Dame !
Est-ce que l'on prie
La Vierge Marie ?

Oisive jeunesse
A tout asservie,
Par délicatesse
J'ai perdu ma vie.
Ah ! Que le temps vienne
Où les coeurs s'éprennent !






jeudi 4 février 2016

Alfred de Musset : Chanson de Fortunio







Chanson de Fortunio


Si vous croyez que je vais dire

Qui j´ose aimer,

Je ne saurais, pour un empire,

Vous la nommer.

Nous allons chanter à la ronde,

Si vous voulez,

Que je l´adore et qu´elle est blonde

Comme les blés.

Je fais ce que sa fantaisie

Veut m´ordonner,

Et je puis, s´il lui faut ma vie,

La lui donner.

Du mal qu´une amour ignorée

Nous fait souffrir,

J´en porte l´âme déchirée

Jusqu´à mourir.

Mais j´aime trop pour que je die (1)

Qui j´ose aimer,

Et je veux mourir pour ma mie

Sans la nommer.

1)dise













Gérard de Nerval "Avril"





Avril 

Déjà les beaux jours, – la poussière,
Un ciel d’azur et de lumière,
Les murs enflammés, les longs soirs ; –
Et rien de vert : – à peine encore
Un reflet rougeâtre décore
Les grands arbres aux rameaux noirs !

Ce beau temps me pèse et m’ennuie.
– Ce n’est qu’après des jours de pluie
Que doit surgir, en un tableau,
Le printemps verdissant et rose,
Comme une nymphe fraîche éclose
Qui, souriante, sort de l’eau.

Gérard de Nerval, Odelettes


mercredi 3 février 2016

Jacques Prévert "Le jardin"







Le jardin 

Des milliers et des milliers d’années

Ne sauraient suffire

Pour dire

La petite seconde d’éternité

Où tu m’as embrassé

Où je t’ai embrassée

Un matin dans la lumière de l’hiver

Au parc Motsouris à Paris

A Paris

Sur la terre

La terre qui est un astre.

Jacques Prévert « Paroles » (1945)


« La première fonction d’un jardin,
C’est donner du bonheur
Et de la paix pour l’esprit »










Blaise Cendrars "Réveil"





Réveil


Je dors toujours les fenêtres ouvertes 
J’ai dormi comme un homme seul 
Les sirènes à vapeur et à air comprimé ne m’ont 
      pas trop réveillé 
  
Ce matin je me penche par la fenêtre 
Je vois 
Le ciel 
La mer 
La gare maritime par laquelle j’arrivais de New-York en
       1911 

La baraque du pilotage 
Et 
À gauche 
Des fumées des cheminées des grues des lampes à arc 
        à contre-jour 

Le premier tram grelotte dans l’aube glaciale 
Moi j’ai trop chaud 
Adieu Paris 
Bonjour soleil  


Blaise Cendrars Feuilles de routes 1924







mardi 2 février 2016

Raymond Queneau "Si tu t'imagines"






Un poème de 

Raymond Queneau

chanté par Juliette Gréco




Si tu t'imagines
si tu t'imagines
fillette fillette
si tu t'imagines
xa va xa va xa
va durer toujours
la saison des za
la saison des za
saison des amours
ce que tu te goures
fillette fillette
ce que tu te goures

Si tu crois petite
si tu crois ah ah
que ton teint de rose
ta taille de guêpe
tes mignons biceps
tes ongles d'émail
ta cuisse de nymphe
et ton pied léger
si tu crois petite
xa va xa va xa va
va durer toujours
ce que tu te goures
fillette fillette
ce que tu te goures

les beaux jours s'en vont
les beaux jours de fête
soleils et planètes
tournent tous en rond
mais toi ma petite
tu marches tout droit
vers ce que tu vois pas
très sournois s'approchent
la ride véloce
la pesante graisse
le menton triplé
le muscle avachi
allons cueille cueille
les roses les roses
roses de la vie
et que leurs pétales
soient la mer étale
de tous les bonheurs
allons cueille cueille
si tu le fais pas
ce que tu te goures
fillette fillette
ce que tu te goures




Mimosa







mercredi 27 janvier 2016

André Malraux, La politique, la culture. (Bac- épreuve écrite de français Session de décembre 1998 - Nouvelle Calédonie)






27 janvier 1945 - 27 janvier 2016 

journée de la mémoire des génocides
 et de la prévention des crimes contre l'humanité




Baccalauréat professionnel - épreuve écrite de français
Session de décembre 1998 (Nouvelle Calédonie)

TEXTE

Discours prononcé à Chartres le 10 mai 1975 pour les femmes rescapées de la déportation, réunies pour célébrer le trentième anniversaire de la libération des camps.

Il y eut le grand froid qui mord les prisonnières comme les chiens policiers, la Baltique plombée au loin, et peut-être le fond de la misère humaine. Sur l'immensité de la neige. il y eut toutes ces taches rayées qui attendaient. Et maintenant il ne reste que vous, poignée de la poussière battue par les vents de la mort. Je voudrais que ceux qui sont ici, ceux qui seront avec nous ce soir; imaginent autour de vous les résistantes pendues, exécutées à la hache, tuées simplement par la vie des camps d'extermination. La vie ! Ravensbrück, huit mille mortes politiques. Tous ces yeux fermés jusqu'au fond de la grande nuit funèbre Jamais tant de femmes n'avaient combattu en France. Et jamais dans de telles conditions.
Je rouvrirai à peine le livre des supplices. Encore faut-il ne pas laisser ramener, ni limiter à l'horreur ordinaire, aux travaux forcés, la plus terrible entreprise d'avilissement qu'ait connue l'humanité. "Traite-les comme de la boue, disait la théorie*, parce qu'ils deviendront de la boue." D'où la dérision à face de bête qui dépassait les gardiens, semblait au-delà des humains. "Savez-vous jouer du piano? " dans le formulaire que remplissaient les détenues pour choisir entre le service du crématoire et les terrassements. Les médecins qui demandaient : "Y a-t-il des tuberculeux dans votre famille?" aux torturées qui crachaient le sang. Le certificat médical d'aptitude à recevoir des coups La rue du camp nommée "chemin de la Liberté". La lecture des châtiments qu'encourraient celles qui plaisanteraient dans les rangs quand sur le visage des détenues au garde-à-vous les larmes coulaient en silence. Les évadées reprises qui portaient la pancarte ."Me voici de retour" La construction des seconds crématoires. Pour transformer les femmes en bêtes, l'inextricable chaîne de la démence et de l'horreur, que symbolisait la punition "Huit jours d'emprisonnement dans la cellule des folles."
Et le réveil, qui rapportait l'esclave, inexorablement.
80 % de mortes.
Ce que furent les camps d’extermination, on le sut à partir de 1943. Et toutes les résistantes, et la foule d'ombres qui, simplement, nous ont donné asile, ont su au moins qu'elles risquaient plus que le bagne J’ai dit que jamais tant de femmes n'avaient combattu en France ; et jamais nulle part, depuis les persécutions romaines, tant de femmes n'ont osé risquer la torture. Faire de la Résistance féminine un vaste service d'aide, depuis l'agent de liaison jusqu'à l’infirmière, c'est se tromper d'une guerre. Les résistantes furent les joueuses d'un terrible jeu. Combattantes, non parce qu'elles maniaient des armes (elles l'ont fait parfois): mais parce qu'elles étaient des volontaires d'une atroce agonie. Ce n'est pas le bruit qui fait la guerre, c'est la mort.

André Malraux, La politique, la culture.


QUESTIONS

I Compétences de lecture (10 points)

1 - En vous appuyant sur les informations fournies par le paratexte et par le texte, indiquez quelle est ici la situation de communication. Justifiez votre réponse en citant le texte. (3 points)

2 - Qui est désigné par "nous" dans "seront avec nous ce soir" (ligne 10)? Dans "nous ont donné asile (lignes 58 et 59)? Vous justifierez vos réponses en utilisant les indices présents dans le texte. (3 points)

3 - Quels points communs voyez-vous entre la phrase de la ligne 19 ("Et jamais dans de telles conditions.") et la phrase de la ligne 54 ("80% de mortes.")? Quels effets produisent-elles ? Quel rôle jouent-elles dans le discours ? (4 points)


II Compétences d’écriture (10 points)

Au cours d’un débat en classe, un de vos camarades se plaint que l’on parle trop de la déportation (cours d’histoire, émissions de télévision, commémorations...). N’ayant pas pu lui répondre en classe, vous rédigez à son intention un texte d’une trentaine de lignes dans lequel vous expliquerez la nécessité d’évoquer ce fait historique.


ELEMENTS DE CORRIGE

1-En vous appuyant sur les informations fournies par le paratexte et par le texte, indiquez quelle est ici la situation de communication. Justifiez votre réponse en citant le texte. (3 points)
Les informations fournies par le paratexte permettent de préciser la situation de communication: André Malraux, écrivain célèbre et ancien ministre des Affaires Culturelles (de 1959 à 1969) du Général De Gaulle, prononce un "discours [...] pour les femmes rescapées de la déportation" à l'occasion du "trentième anniversaire de la libération des camps".
L'orateur s'adresse directement à ces femmes rescapées ainsi qu'en témoignent les diverses formes de pronoms personnels 'Je voudrais" (ligne 9) ; "il ne reste que vous (ligne 7). Il s'adresse aussi plus largement aux hommes et aux femmes qui s’associent à l' événement ceux qui seront avec nous ce soir" (ligne 10).
2 - Qui est désigné par «nous » dans «seront avec nous ce soir » (ligne 10) ? Dans «nous ont donné asile » (lignes 58 et 59) ? Vous justifierez vos réponses en utilisant les indices présents dans le texte. (3 points)
Dans l'expression "seront avec nous ce soir" (ligne 10), le pronom personnel "nous" désigne l'ensemble des femmes rescapées présentes dans la foule, l'orateur lui-même ainsi que toutes les personnes de l'assistance (l'emploi du futur "seront" permet en outre d'englober dans ce "nous" les personnes qui viendront plus tard dans la soirée).
Dans l'expression "nous ont donné asile" (lignes 58 et 59) le pronom personnel "nous" désigne les résistants qui ont eu la chance d'être accueillis et cachés ; André Malraux, qui fut lui-même résistant, est englobé dans ce nous.
Alors que le premier "nous" renvoie au moment du discours, le deuxième "nous" renvoie au moment historique de l' "Occupation". L'orateur mêle ainsi dans son discours le présent et l'évocation du passé, assurant une sorte de continuité qui abolit le temps (trente ans), exalte la mémoire et suscite l'émotion.
3 - Quels points communs voyez-vous entre la phrase de la ligne 19 et la phrase de la ligne 54? Quels effets produisent-elles ? Quel rôle jouent-elles dans le discours? (4 points)
"Et jamais dans de telles conditions" (ligne 19)
"80% de mortes (ligne 54)
Ces deux phrases tranchent dans le discours d'André Malraux par leurs caractéristiques syntaxiques phrases nominales, elliptiques, brèves sinon sèches ; chacune d'elles a valeur de paragraphe ; elles s'opposent nettement aux autres paragraphes et aux autres phrases. Elles prennent ainsi d'autant plus de force; c'est le cas notamment pour la deuxième phrase qui, par sa sécheresse statistique, évoque bien le destin des déportées quatre femmes sur cinq mourront dans les camps.
Par leur place dans le discours, leur nature, leur puissance évocatrice, par leur disposition typographique, ces deux phrases semblent rythmer, ponctuer, scander le propos d'André Malraux, comme une respiration. Ces effets oratoires contribuent à la solennité et à la gravité de la commémoration.
II - Compétences d'écriture (10 points)
Quelques critères d'évaluation :
respect de la longueur ("une trentaine de lignes")
respect des n'arques du discours (emploi de la première personne, temps des verbes...)
organisation et cohérence de la réponse
qualité de l'expression (syntaxe, orthographe, richesse du vocabulaire)
prise en compte de la situation de communication (l’écrit attendu est une réponse; la forme normalisée d’une lettre est possible sans être exigée; le destinataire est désigné: "tu")
insertion dans un débat (la thèse adverse doit apparaître plus ou moins explicitement)
visée argumentative claire (organisation, présence d’arguments pertinents, d’exemples, articulations...)
implication forte de l’émetteur (marques de sentiments par exemple)


JP DURAND, H GERMAIN I.E.N. Rectorat de Nantes