dimanche 21 juin 2015

Samuel Beckett "En attendant Godot" Scène d'exposition











Route à la campagne, avec arbre. Soir. Estragon, assis sur une pierre, essaie d'enlever sa chaussure.
 Il s'y acharne des deux mains, en ahanant. Il s'arrête, à bout de forces, se repose en haletant, recommence. Même jeu. Entre Vladimir.

ESTRAGON (renonçant à nouveau) : Rien à faire.
VLADIMIR (s'approchant à petits pas raides, les jambes écartées) : Je commence à le croire. 

(Il s'immobilise.) J'ai longtemps résisté à cette pensée, en me disant, Vladimir, sois raisonnable. 
Tu n'as pas encore tout essayé. Et je reprenais le combat. (Il se recueille, songeant au combat. 
A Estragon.) Alors, te revoilà, toi.
ESTRAGON : Tu crois ?
VLADIMIR : Je suis content de te revoir. Je te croyais parti pour toujours.
ESTRAGON : Moi aussi.
VLADIMIR : Que faire pour fêter cette réunion ? (Il réfléchit.) Lève-toi que je t'embrasse.

 (Il tend la main à Estragon.)
ESTRAGON (avec irritation) : Tout à l'heure, tout à l'heure.
Silence. 
VLADIMIR (froissé, froidement) : Peut-on savoir où monsieur a passé la nuit ?
ESTRAGON : Dans un fossé.
VLADIMIR (épaté) : Un fossé ! Où ça ?
ESTRAGON (sans geste) : Par là.
VLADIMIR : Et on ne t'a pas battu ?
ESTRAGON : Si... Pas trop.
VLADIMIR : Toujours les mêmes ?
ESTRAGON : Les mêmes ? Je ne sais pas.
Silence. 
VLADIMIR : Quand j'y pense... depuis le temps... je me demande... ce que tu serais devenu... 

sans moi... (Avec décision) Tu ne serais plus qu'un petit tas d'ossements à l'heure qu'il est, 
pas d'erreur.
ESTRAGON (piqué au vif) : Et après ?
VLADIMIR (accablé) : C'est trop pour un seul homme. (Un temps. Avec vivacité.) D'un autre 

côté, à quoi bon se décourager à présent, voilà ce que je me dis. Il fallait y penser il y a une 
éternité, vers 1900.
ESTRAGON : Assez. Aide-moi à enlever cette saloperie.
VLADIMIR : La main dans la main on se serait jeté en bas de la tour Eiffel, parmi les premiers.

 On portait beau alors. Maintenant il est trop tard. On ne nous laisserait même pas monter. 
(Estragon s'acharne sur sa chaussure.) Qu'est-ce que tu fais ?
ESTRAGON : Je me déchausse. Ça ne t'est jamais arrivé, à toi ?
VLADIMIR : Depuis le temps que je te dis qu'il faut les enlever tous les jours. Tu ferais 

mieux de m'écouter.
ESTRAGON (faiblement) : Aide-moi !
VLADIMIR : Tu as mal ?
ESTRAGON : Mal ! Il me demande si j'ai mal !
VLADIMIR (avec emportement) : Il n'y a jamais que toi qui souffres ! Moi je ne compte pas.

 Je voudrais pourtant te voir à ma place. Tu m'en dirais des nouvelles.
ESTRAGON : Tu as eu mal ?
VLADIMIR : Mal ! Il me demande si j'ai eu mal !
ESTRAGON (pointant l'index) : Ce n'est pas une raison pour ne pas te boutonner.
VLADIMIR (se penchant) : C'est vrai. (Il se boutonne.) Pas de laisser-aller dans les 

petites choses.
ESTRAGON : Qu'est-ce que tu veux que je te dise, tu attends toujours le dernier moment.
VLADIMIR (rêveusement) : Le dernier moment... (Il médite) C'est long, mais ce sera bon. 

Qui disait ça ?
ESTRAGON : Tu ne veux pas m'aider ?
VLADIMIR : Des fois je me dis que ça vient quand même. Alors je me sens tout drôle.

 (Il ôte son chapeau, regarde dedans, y promène sa main, le secoue, le remet.) Comment 
dire ? Soulagé et en même temps... (il cherche) ...épouvanté. (Avec emphase.) E-POU-VAN-TE. 
(Il ôte à nouveau son chapeau, regarde dedans.) Ca alors ! (Il tape dessus comme pour en faire 
tomber quelque chose, regarde à nouveau dedans, le remet.) Enfin... (Estragon, au prix d'un 
suprême effort, parvient à enlever sa chaussure. Il regarde dedans, y promène sa main, 
la retourne,  la secoue, cherche par terre s'il n'en est pas tombé quelque chose, ne trouve rien, 
passe sa main à nouveau dans sa chaussure, les yeux vagues.) Alors ?
ESTRAGON : Rien
VLADIMIR : Fais voir.
ESTRAGON : Il n'y a rien à voir.



Samuel Beckett  En attendant Godot  













Commentaire littéraire


I. Le cadre spatio-temporel

1- Temps

La pièce commence le soir, peu commun (unité de temps => une pièce devait durer une journée, l’action commençait donc le matin).

Une seule allusion au passé (1900).

Peu d’indications qui permettent de situer la pièce, époque incertaine.
Répétition de ce qui est déjà connu (« revoilà », « revoir », « de même »).
2- Lieu
Des vagabonds sur une route.
Décor : un arbre, une pierre très sobre, => décor dépouillé,  qui figure la misère.
Cadre neutre et indéfini.
=> Non-respect des règles classiques
II. La relation entre les deux personnages
Les deus personnages forment une sorte de « couple », allusion à un passé glorieux mais révolu : « on portait beau alors » « maintenant on ne nous laisserait même pas monter » => les personnages se connaissent depuis longtemps. A l'inverse, le présent est fait d'errances.
Des personnages malmenés par la vie, vagabonds. Dans le théâtre classique, ces personnages ne seraient pas des héros => Ce sont des antihéros, allant à l'encontre des pièces de théâtre plus classiques.
Les objets ont une importance symbolique : les chaussures (Estragon) => très terre à terre, le chapeau (Vladimir), côté plus cérébral.
La relation entre les deux personnages semble tendue : Vladimir est enthousiaste alors qu'Estragon est cassant, ce qui crée un décalage entre les personnages.
=> Relation compliquée entre les deux personnages, peut-être inspirée par des héros célèbres.
Personnages qui communiquent mal : silence, répliques courtes => non dialogue, récurent chez Beckett et Ionesco.
III. La négation de l'action
Impression de farce. Registre comique quand les personnages veulent s’embrasser.
Aucune action : dénuement du décor, actions insignifiantes (ex.: fermeture de braguette « pas de laisser aller dans les petites choses »), mais qui ont de l’importance puisqu’il ne se passe rien d’autre.
Rien qui indique un projet : on est aux antipodes du théâtre traditionnel, les personnages vivent au jour le jour, aucune réflexion sur le futur.
Tout est fait pour dérouter le spectateur.
Actions vides de sens, qui stagnent, il ne se passe rien.
La pièce commence avec une expression paradoxale : « rien à faire » => double sens.
Les personnages manquent de repère : le flou du décor, du temps, cela tourne à vide, d’où théâtre de l’absurde.
Conclusion
En attendant Godot de Beckett est donc en rupture avec le théâtre dramatique et s'inscrit dans le théâtre de l'absurde, fruit des bouleversements du siècle, avec un décor dénué, un cadre temporel confus et cyclique, des personnages anti-héros et une action qui restera niée tout au long du récit.
Le théâtre de l’absurde dit beaucoup plus que ce qu’il n’y parait aux premiers abords, il faut voir la dimension métaphysique.

samedi 20 juin 2015

Ana Sota " Les parfums, les couleurs et les sons se répondent"




Il y a des rencontres qui marquent à jamais ...

Celle avec la famille Gonçalves / Sota

Fait partie de celles-ci.





Le  livre est en vente à "La libreria del corso " à Varese







Je n'ai pas oublié...






Le rentrée du lycée avec cet agréable parfum vivant






qui souvent montaient avec moi le long de l'escalier ...






Non, je n'ai pas oublié






Notre  maison  tranquille 






les  soirées de nos dîners longs et joyeux.





mercredi 17 juin 2015

Saggio breve :Villes : Espèce d’espaces




2015: 4ième année d'ESABAC 

au lycée "Cairoli" à Varese




Saggio breve :
Dopo avere analizzato l’insieme dei documenti, formulate un saggio breve in riferimento al tema posto (circa 600 parole).



Blade Runner


Villes :   Espèce d’espaces


Je veux, pour composer chastement mes églogues,
Coucher auprès du ciel, comme les astrologues,
Et, voisin des clochers écouter en rêvant
Leurs hymnes solennels emportés par le vent.
Les deux mains au menton, du haut de ma mansarde,
Je verrai l'atelier qui chante et qui bavarde;
Les tuyaux, les clochers, ces mâts de la cité,
Et les grands ciels qui font rêver d'éternité.

II est doux, à travers les brumes, de voir naître
L'étoile dans l'azur, la lampe à la fenêtre
Les fleuves de charbon monter au firmament
Et la lune verser son pâle enchantement.
Je verrai les printemps, les étés, les automnes;
Et quand viendra l'hiver aux neiges monotones,
Je fermerai partout portières et volets
Pour bâtir dans la nuit mes féeriques palais.
Alors je rêverai des horizons bleuâtres,
Des jardins, des jets d'eau pleurant dans les albâtres,
Des baisers, des oiseaux chantant soir et matin,
Et tout ce que l'Idylle a de plus enfantin.
L'Emeute, tempêtant vainement à ma vitre,
Ne fera pas lever mon front de mon pupitre;
Car je serai plongé dans cette volupté
D'évoquer le Printemps avec ma volonté,
De tirer un soleil de mon coeur, et de faire
De mes pensers brûlants une tiède atmosphère.

Charles Baudelaire Paysage Les Fleurs du mal (1857)
           

Villes

Tous les chemins vont vers la ville.
Du fond des brumes,
Avec tous ses étages en voyage
Jusques au ciel, vers de plus hauts étages,
Comme d'un rêve, elle s'exhume.

Là-bas,
Ce sont des ponts musclés de fer,
Lancés, par bonds, à travers l'air ;
Ce sont des blocs et des colonnes
Que décorent Sphinx et Gorgones ;
Ce sont des tours sur des faubourgs ;
Ce sont des millions de toits
Dressant au ciel leurs angles droits :
C'est la ville tentaculaire,
Debout,
Au bout des plaines et des domaines.

Des clartés rouges
Qui bougent
Sur des poteaux et des grands mâts,
Même à midi, brûlent encor
Comme des oeufs de pourpre et d'or ;
Le haut soleil ne se voit pas :
Bouche de lumière, fermée
Par le charbon et la fumée.

Un fleuve de naphte et de poix
Bat les môles de pierre et les pontons de bois ;
Les sifflets crus des navires qui passent
Hurlent de peur dans le brouillard ;
Un fanal vert est leur regard
Vers l'océan et les espaces. (… )

Emile Verhaeren, Les forces tumultueuses


Zone

A la fin tu es las de ce monde ancien
Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin
Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine
Ici même les automobiles ont l'air d'être anciennes
La religion seule est restée toute neuve la religion
Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation
Seul en Europe tu n'es pas antique ô Christianisme
L'Européen le plus moderne c'est vous Pape Pie X
Et toi que les fenêtres observent la honte te retient
D'entrer dans une église et de t'y confesser ce matin
Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut
Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux
Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d'aventure policières
Portraits des grands hommes et mille titres divers
J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublié le nom
Neuve et propre du soleil elle était le clairon
Les directeurs les ouvriers et les belles sténodactylographes
Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent
Le matin par trois fois la sirène y gémit
Une cloche rageuse y aboie vers midi
Les inscriptions des enseignes et des murailles
Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent
J'aime la grâce de cette rue industrielle
Située à Paris entre la rue Aumont-Thieville et l'avenue des Terne (…)

Guillaume Apollinaire,  Alcools


L’uomo cammina per giornate tra gli alberi e le pietre. Raramente l’occhio si ferma su una cosa, ed è quando l’ha riconosciuta per il segno d’un’altra cosa: un’impronta sulla sabbia indica il passaggio della tigre, un pantano annuncia una vena d’acqua,  fiore dell’ibisco la fine del’inverno. Tutto il resto è muto e intercambiabile; alberi e pietre sono soltanto ciò che sono. Finalmente il viaggio conduce alla città di Tamara. Ci si addentra per vie fitte d’insegne che sporgono dai muri. L’occhio non vede cose ma figure di cose che significano altre cose: la tenaglia indica la casa del cavadenti, il boccale la taverna, le alabarde il corpo di guardia, la stadera l’erbivendola. Statue e scudi rappresentano leoni delfini torri stelle: segno che qualcosa – chissà cosa – ha per segno un leone o delfino o torre o stella. Altri segnali avvertono di ciò che in un luogo è proibito – entrare nel vicolo 
con i carretti, orinare dietro l’edicola, pescare con la canna dal ponte – e di ciò che è lecito – abbeverare le zebre, giocare a bocce, bruciare i cadaveri dei parenti. Dalla porta dei templi si vedono le statue degli dei, raffigurati ognuno coi suoi attributi: la cornucopia, la clessidra, la medusa, per cui il fedele può riconoscerli e rivolgere loro le preghiere giuste. Se un edificio non porta nessuna insegna o figura, la sua stessa forma e il posto che occupa nell’ordine della città bastano a indicarne la funzione: la reggia, la prigione, la zecca, la scuola pitagorica,il bordello. Anche le mercanzie che i venditori mettono in mostra sui banchi valgono non per se stesse ma come segni d’altre cose: la benda ricamata per la fronte vuol dire eleganza, la portantina dorata potere, i volumi di Averroè sapienza, il monile per la caviglia voluttà. Lo sguardo percorre le vie come 
pagine scritte: la città dice tutto quello che devi pensare, ti fa ripetere il suo discorso, e mentre credi di visitare Tamara non fai che registrare i nomi con cui essa definisce se stessa e tutte le sue parti. 
Come veramente sia la città sotto questo fitto involucro di segni, cosa contenga o nasconda, l’uomo esce da Tamara senza averlo saputo. Fuori s’estende la terra vuota fino all’orizzonte, s’apre il cielo dove corrono le nuvole. Nella forma che il caso e il vento danno alle nuvole l’uomo è già intento a riconoscere figure: un veliero, una mano, un elefante … 

Italo Calvino Le città invisibili Tamara




 Blade Runner

Dans les dernières années du 20ème siècle, des milliers d'hommes et de femmes partent à la conquête de l'espace, fuyant les mégalopoles devenues insalubres. Sur les colonies, une nouvelle race d'esclaves voit le jour : les répliquants, des androïdes que rien ne peut distinguer de l'être humain. Los Angeles, 2019. Après avoir massacré un équipage et pris le contrôle d'un vaisseau, les répliquants de type Nexus 6, le modèle le plus perfectionné, sont désormais déclarés "hors la loi". Quatre d'entre eux parviennent cependant à s'échapper et à s'introduire dans Los Angeles. Un agent d'une unité spéciale, un blade-runner, est chargé de les éliminer. Selon la terminologie officielle, on ne parle pas d'exécution, mais de retrait...









samedi 13 juin 2015

Graeme Allwright " Il faut que je m'en aille" (Les Retrouvailles)






Faut-il que je m'en aille ???

Dans l'attente  ...



Le temps est loin de nos vingt ans
Des coups de poings, des coups de sang
Mais qu'à c'la n'tienne: c'est pas fini 

Le temps est loin de nos vingt ans
Des coups de poings, des coups de sang
Mais qu'à c'la n'tienne: c'est pas fini
On peut chanter quand le verre est bien rempli

Buvons encore une dernière fois
A l'amitié, l'amour, la joie
On a fêté nos retrouvailles
Ça m'fait d'la peine, mais il faut que je m'en aille

Et souviens-toi de cet été
La première fois qu'on s'est saoulé
Tu m'as ramené à la maison
En chantant, on marchait à reculons

Buvons encore une dernière fois
A l'amitié, l'amour, la joie
On a fêté nos retrouvailles
Ça m'fait d'la peine, mais il faut que je m'en aille

Je suis parti changer d'étoile
Sur un navire, j'ai mis la voile
Pour n'être plus qu'un étranger
Ne sachant plus très bien où il allait

Buvons encore une dernière fois
A l'amitié, l'amour, la joie
On a fêté nos retrouvailles
Je m'ennuie pas, mais il faut que je m'en aille

J't'ai raconté mon mariage
A la mairie d'un p'tit village
Je rigolais dans mon plastron
Quand le maire essayait d'prononcer mon nom

Buvons encore une dernière fois
A l'amitié, l'amour, la joie
On a fêté nos retrouvailles
Ça m'fait d'la peine, mais il faut que je m'en aille

J'n'ai pas écrit toutes ces années
Et toi aussi, t'es mariée
T'as trois enfants à faire manger
Mais j'en ai cinq, si ça peut te consoler

Buvons encore une dernière fois
A l'amitié, l'amour, la joie
On a fêté nos retrouvailles
Ça m'fait d'la peine, mais il faut que je m'en aille







vendredi 12 juin 2015

Albert Camus «L’été est trop long » ESAME DI STATO DI LICEO LINGUISTICO 2014





Voici la proposition du Ministère 

pour les lycées linguistiques  ...

Le premier homme d'Albert Camus

... et si c'était une anticipation pour l'ESABAC ?






Ministero dell’Istruzione, dell’ Università e della Ricerca
PL0A - ESAME DI STATO DI LICEO LINGUISTICO
Tema di: LINGUA STRANIERA
TESTO LETTERARIO – LINGUA FRANCESE
(comprensione e produzione in lingua straniera)

«L’été est trop long »

[Jacques vit avec sa mère chez sa grand-mère, en Algérie, qui s’occupe de son éducation.]

«L’été est trop long », disait la grand-mère qui accueillait du même soupir soulagé la pluie d’automne et le départ de Jacques, dont les piétinements d’ennui au long des journées torrides, dans les pièces aux persiennes closes, ajoutaient encore à son énervement.
Elle ne comprenait pas d’ailleurs qu’une période de l’année fût plus spécialement désignée pour n’y rien faire. « Je n’ai jamais eu de vacances, moi », disait-elle, et c’était vrai, elle n’avait connu ni l’école ni le loisir, elle avait travaillé enfant, et travaillé sans relâche. Elle admettait que, pour un bénéfice plus grand, son petit-fils pendant quelques années ne rapporte pas d’argent à la maison. Mais, dès le premier jour, elle avait commencé de ruminer sur ces trois mois perdus, et, lorsque Jacques entra en troisième, elle jugea qu’il était temps de lui trouver l’emploi de ses vacances. « Tu vas travailler cet été », lui dit-elle à la fin de l’année scolaire, « et rapporter un peu d’argent à la maison. Tu ne peux pas rester comme ça sans rien faire».
En fait, Jacques trouvait qu’il avait beaucoup à faire entre les baignades, les expéditions à Kouba (1), le sport, le vadrouillage (2), dans les rues de Belcourt (1) et les lectures d’illustrés, de romans populaires, de l’almanach Vermot (3) et de l’inépuisable catalogue de la Manufacture d’armes de Saint-Étienne. Sans compter les courses pour la maison et les petits travaux que lui commandait sa grand-mère. Mais tout cela pour elle était précisément ne rien faire, puisque l’enfant ne rapportait pas d’argent et ne travaillait pas non plus comme pendant l’année scolaire, et cette situation gratuite brillait pour elle de tous les feux de l’enfer. Le plus simple était donc de lui trouver un emploi.
En vérité, ce n’était pas si simple. On trouvait certainement, dans les petites annonces de la presse, des offres d’emploi pour petits commis ou pour coursiers. Et Mme Bertaut, la crémière dont le magasin à l’odeur de beurre (insolite pour des narines et des palais habitués à l’huile) était à côté de la boutique du coiffeur, en donnait lecture à la grand-mère. Mais les employeurs demandaient toujours que les candidats eussent au moins quinze ans, et il était difficile de mentir sans effronterie sur l’âge de Jacques qui n’était pas très grand pour ses treize ans. D’autre part, les annonciers rêvaient toujours d’employés qui feraient carrière chez eux. Les premiers à qui la grand-mère présenta Jacques le trouvèrent trop jeune ou bien refusèrent tout net d’engager un employé pour deux mois. « Il n’y a qu’à dire que tu resteras, dit la grand-mère. – Mais c’est pas vrai. – Ça ne fait rien. Ils te croiront. »

Albert Camus, Le premier homme, Gallimard, 1994 (édition posthume)

(1) Kouba et Belcourt : quartiers d’Alger
(2) vadrouillage : promenades
(3) Almanach Vermot : calendrier comportant des jeux, des dessins humoristiques, des informations dans des domaines variés : météorologie, jardinage, cuisine, santé...


Compréhension
1. Quel point commun la grand-mère trouve-t-elle à « la pluie d’automne et [au] départ de Jacques » ?
2. Pourquoi la grand-mère de Jacques ne comprend-elle pas l’intérêt des vacances d’été ?
3. Pour quelle(s) raison(s) veut-elle que Jacques travaille pendant l’été ?
4. Jacques trouve-t-il qu’il manque d’occupations ? Justifiez votre réponse.
5. Expliquez la phrase « cette situation gratuite brillait pour elle de tous les feux de l’enfer ».
6. Comment la grand-mère se renseigne-t-elle sur les offres d’emploi ?
7. Est-il facile pour Jacques de trouver un emploi ? Pourquoi ?
8. Quel conseil la grand-mère de Jacques lui donne-t-elle ?

Production
 Résumez le texte en quelques lignes.
 Les vacances sont-elles utiles ? Faudrait-il les réduire ? Exprimez votre opinion personnelle. (de 250 à 300 mots)

____________________________
Durata massima della prova: 6 ore.
È consentito soltanto l’uso dei dizionari monolingue e bilingue.
Non è consentito lasciare l’Istituto prima che siano trascorse 3 ore dalla dettatura del tema.




et un cadeau pour mes élèves ...


La proposition BREVET 2013 du Ministère Français







mercredi 10 juin 2015

Guy de Maupassant "BEL AMI"






LECTURE II D ESABAC 2015  /  2016












 de


 Maddalena Andreoli, Sara Basaglia, Giulia Bronzi,

 Federica Chimento, Chiara Trovato, Stefano Zanzi