mercredi 17 juin 2015

Saggio breve :Villes : Espèce d’espaces




2015: 4ième année d'ESABAC 

au lycée "Cairoli" à Varese




Saggio breve :
Dopo avere analizzato l’insieme dei documenti, formulate un saggio breve in riferimento al tema posto (circa 600 parole).



Blade Runner


Villes :   Espèce d’espaces


Je veux, pour composer chastement mes églogues,
Coucher auprès du ciel, comme les astrologues,
Et, voisin des clochers écouter en rêvant
Leurs hymnes solennels emportés par le vent.
Les deux mains au menton, du haut de ma mansarde,
Je verrai l'atelier qui chante et qui bavarde;
Les tuyaux, les clochers, ces mâts de la cité,
Et les grands ciels qui font rêver d'éternité.

II est doux, à travers les brumes, de voir naître
L'étoile dans l'azur, la lampe à la fenêtre
Les fleuves de charbon monter au firmament
Et la lune verser son pâle enchantement.
Je verrai les printemps, les étés, les automnes;
Et quand viendra l'hiver aux neiges monotones,
Je fermerai partout portières et volets
Pour bâtir dans la nuit mes féeriques palais.
Alors je rêverai des horizons bleuâtres,
Des jardins, des jets d'eau pleurant dans les albâtres,
Des baisers, des oiseaux chantant soir et matin,
Et tout ce que l'Idylle a de plus enfantin.
L'Emeute, tempêtant vainement à ma vitre,
Ne fera pas lever mon front de mon pupitre;
Car je serai plongé dans cette volupté
D'évoquer le Printemps avec ma volonté,
De tirer un soleil de mon coeur, et de faire
De mes pensers brûlants une tiède atmosphère.

Charles Baudelaire Paysage Les Fleurs du mal (1857)
           

Villes

Tous les chemins vont vers la ville.
Du fond des brumes,
Avec tous ses étages en voyage
Jusques au ciel, vers de plus hauts étages,
Comme d'un rêve, elle s'exhume.

Là-bas,
Ce sont des ponts musclés de fer,
Lancés, par bonds, à travers l'air ;
Ce sont des blocs et des colonnes
Que décorent Sphinx et Gorgones ;
Ce sont des tours sur des faubourgs ;
Ce sont des millions de toits
Dressant au ciel leurs angles droits :
C'est la ville tentaculaire,
Debout,
Au bout des plaines et des domaines.

Des clartés rouges
Qui bougent
Sur des poteaux et des grands mâts,
Même à midi, brûlent encor
Comme des oeufs de pourpre et d'or ;
Le haut soleil ne se voit pas :
Bouche de lumière, fermée
Par le charbon et la fumée.

Un fleuve de naphte et de poix
Bat les môles de pierre et les pontons de bois ;
Les sifflets crus des navires qui passent
Hurlent de peur dans le brouillard ;
Un fanal vert est leur regard
Vers l'océan et les espaces. (… )

Emile Verhaeren, Les forces tumultueuses


Zone

A la fin tu es las de ce monde ancien
Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin
Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine
Ici même les automobiles ont l'air d'être anciennes
La religion seule est restée toute neuve la religion
Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation
Seul en Europe tu n'es pas antique ô Christianisme
L'Européen le plus moderne c'est vous Pape Pie X
Et toi que les fenêtres observent la honte te retient
D'entrer dans une église et de t'y confesser ce matin
Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut
Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux
Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d'aventure policières
Portraits des grands hommes et mille titres divers
J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublié le nom
Neuve et propre du soleil elle était le clairon
Les directeurs les ouvriers et les belles sténodactylographes
Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent
Le matin par trois fois la sirène y gémit
Une cloche rageuse y aboie vers midi
Les inscriptions des enseignes et des murailles
Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent
J'aime la grâce de cette rue industrielle
Située à Paris entre la rue Aumont-Thieville et l'avenue des Terne (…)

Guillaume Apollinaire,  Alcools


L’uomo cammina per giornate tra gli alberi e le pietre. Raramente l’occhio si ferma su una cosa, ed è quando l’ha riconosciuta per il segno d’un’altra cosa: un’impronta sulla sabbia indica il passaggio della tigre, un pantano annuncia una vena d’acqua,  fiore dell’ibisco la fine del’inverno. Tutto il resto è muto e intercambiabile; alberi e pietre sono soltanto ciò che sono. Finalmente il viaggio conduce alla città di Tamara. Ci si addentra per vie fitte d’insegne che sporgono dai muri. L’occhio non vede cose ma figure di cose che significano altre cose: la tenaglia indica la casa del cavadenti, il boccale la taverna, le alabarde il corpo di guardia, la stadera l’erbivendola. Statue e scudi rappresentano leoni delfini torri stelle: segno che qualcosa – chissà cosa – ha per segno un leone o delfino o torre o stella. Altri segnali avvertono di ciò che in un luogo è proibito – entrare nel vicolo 
con i carretti, orinare dietro l’edicola, pescare con la canna dal ponte – e di ciò che è lecito – abbeverare le zebre, giocare a bocce, bruciare i cadaveri dei parenti. Dalla porta dei templi si vedono le statue degli dei, raffigurati ognuno coi suoi attributi: la cornucopia, la clessidra, la medusa, per cui il fedele può riconoscerli e rivolgere loro le preghiere giuste. Se un edificio non porta nessuna insegna o figura, la sua stessa forma e il posto che occupa nell’ordine della città bastano a indicarne la funzione: la reggia, la prigione, la zecca, la scuola pitagorica,il bordello. Anche le mercanzie che i venditori mettono in mostra sui banchi valgono non per se stesse ma come segni d’altre cose: la benda ricamata per la fronte vuol dire eleganza, la portantina dorata potere, i volumi di Averroè sapienza, il monile per la caviglia voluttà. Lo sguardo percorre le vie come 
pagine scritte: la città dice tutto quello che devi pensare, ti fa ripetere il suo discorso, e mentre credi di visitare Tamara non fai che registrare i nomi con cui essa definisce se stessa e tutte le sue parti. 
Come veramente sia la città sotto questo fitto involucro di segni, cosa contenga o nasconda, l’uomo esce da Tamara senza averlo saputo. Fuori s’estende la terra vuota fino all’orizzonte, s’apre il cielo dove corrono le nuvole. Nella forma che il caso e il vento danno alle nuvole l’uomo è già intento a riconoscere figure: un veliero, una mano, un elefante … 

Italo Calvino Le città invisibili Tamara




 Blade Runner

Dans les dernières années du 20ème siècle, des milliers d'hommes et de femmes partent à la conquête de l'espace, fuyant les mégalopoles devenues insalubres. Sur les colonies, une nouvelle race d'esclaves voit le jour : les répliquants, des androïdes que rien ne peut distinguer de l'être humain. Los Angeles, 2019. Après avoir massacré un équipage et pris le contrôle d'un vaisseau, les répliquants de type Nexus 6, le modèle le plus perfectionné, sont désormais déclarés "hors la loi". Quatre d'entre eux parviennent cependant à s'échapper et à s'introduire dans Los Angeles. Un agent d'une unité spéciale, un blade-runner, est chargé de les éliminer. Selon la terminologie officielle, on ne parle pas d'exécution, mais de retrait...









samedi 13 juin 2015

Graeme Allwright " Il faut que je m'en aille" (Les Retrouvailles)






Faut-il que je m'en aille ???

Dans l'attente  ...



Le temps est loin de nos vingt ans
Des coups de poings, des coups de sang
Mais qu'à c'la n'tienne: c'est pas fini 

Le temps est loin de nos vingt ans
Des coups de poings, des coups de sang
Mais qu'à c'la n'tienne: c'est pas fini
On peut chanter quand le verre est bien rempli

Buvons encore une dernière fois
A l'amitié, l'amour, la joie
On a fêté nos retrouvailles
Ça m'fait d'la peine, mais il faut que je m'en aille

Et souviens-toi de cet été
La première fois qu'on s'est saoulé
Tu m'as ramené à la maison
En chantant, on marchait à reculons

Buvons encore une dernière fois
A l'amitié, l'amour, la joie
On a fêté nos retrouvailles
Ça m'fait d'la peine, mais il faut que je m'en aille

Je suis parti changer d'étoile
Sur un navire, j'ai mis la voile
Pour n'être plus qu'un étranger
Ne sachant plus très bien où il allait

Buvons encore une dernière fois
A l'amitié, l'amour, la joie
On a fêté nos retrouvailles
Je m'ennuie pas, mais il faut que je m'en aille

J't'ai raconté mon mariage
A la mairie d'un p'tit village
Je rigolais dans mon plastron
Quand le maire essayait d'prononcer mon nom

Buvons encore une dernière fois
A l'amitié, l'amour, la joie
On a fêté nos retrouvailles
Ça m'fait d'la peine, mais il faut que je m'en aille

J'n'ai pas écrit toutes ces années
Et toi aussi, t'es mariée
T'as trois enfants à faire manger
Mais j'en ai cinq, si ça peut te consoler

Buvons encore une dernière fois
A l'amitié, l'amour, la joie
On a fêté nos retrouvailles
Ça m'fait d'la peine, mais il faut que je m'en aille







vendredi 12 juin 2015

Albert Camus «L’été est trop long » ESAME DI STATO DI LICEO LINGUISTICO 2014





Voici la proposition du Ministère 

pour les lycées linguistiques  ...

Le premier homme d'Albert Camus

... et si c'était une anticipation pour l'ESABAC ?






Ministero dell’Istruzione, dell’ Università e della Ricerca
PL0A - ESAME DI STATO DI LICEO LINGUISTICO
Tema di: LINGUA STRANIERA
TESTO LETTERARIO – LINGUA FRANCESE
(comprensione e produzione in lingua straniera)

«L’été est trop long »

[Jacques vit avec sa mère chez sa grand-mère, en Algérie, qui s’occupe de son éducation.]

«L’été est trop long », disait la grand-mère qui accueillait du même soupir soulagé la pluie d’automne et le départ de Jacques, dont les piétinements d’ennui au long des journées torrides, dans les pièces aux persiennes closes, ajoutaient encore à son énervement.
Elle ne comprenait pas d’ailleurs qu’une période de l’année fût plus spécialement désignée pour n’y rien faire. « Je n’ai jamais eu de vacances, moi », disait-elle, et c’était vrai, elle n’avait connu ni l’école ni le loisir, elle avait travaillé enfant, et travaillé sans relâche. Elle admettait que, pour un bénéfice plus grand, son petit-fils pendant quelques années ne rapporte pas d’argent à la maison. Mais, dès le premier jour, elle avait commencé de ruminer sur ces trois mois perdus, et, lorsque Jacques entra en troisième, elle jugea qu’il était temps de lui trouver l’emploi de ses vacances. « Tu vas travailler cet été », lui dit-elle à la fin de l’année scolaire, « et rapporter un peu d’argent à la maison. Tu ne peux pas rester comme ça sans rien faire».
En fait, Jacques trouvait qu’il avait beaucoup à faire entre les baignades, les expéditions à Kouba (1), le sport, le vadrouillage (2), dans les rues de Belcourt (1) et les lectures d’illustrés, de romans populaires, de l’almanach Vermot (3) et de l’inépuisable catalogue de la Manufacture d’armes de Saint-Étienne. Sans compter les courses pour la maison et les petits travaux que lui commandait sa grand-mère. Mais tout cela pour elle était précisément ne rien faire, puisque l’enfant ne rapportait pas d’argent et ne travaillait pas non plus comme pendant l’année scolaire, et cette situation gratuite brillait pour elle de tous les feux de l’enfer. Le plus simple était donc de lui trouver un emploi.
En vérité, ce n’était pas si simple. On trouvait certainement, dans les petites annonces de la presse, des offres d’emploi pour petits commis ou pour coursiers. Et Mme Bertaut, la crémière dont le magasin à l’odeur de beurre (insolite pour des narines et des palais habitués à l’huile) était à côté de la boutique du coiffeur, en donnait lecture à la grand-mère. Mais les employeurs demandaient toujours que les candidats eussent au moins quinze ans, et il était difficile de mentir sans effronterie sur l’âge de Jacques qui n’était pas très grand pour ses treize ans. D’autre part, les annonciers rêvaient toujours d’employés qui feraient carrière chez eux. Les premiers à qui la grand-mère présenta Jacques le trouvèrent trop jeune ou bien refusèrent tout net d’engager un employé pour deux mois. « Il n’y a qu’à dire que tu resteras, dit la grand-mère. – Mais c’est pas vrai. – Ça ne fait rien. Ils te croiront. »

Albert Camus, Le premier homme, Gallimard, 1994 (édition posthume)

(1) Kouba et Belcourt : quartiers d’Alger
(2) vadrouillage : promenades
(3) Almanach Vermot : calendrier comportant des jeux, des dessins humoristiques, des informations dans des domaines variés : météorologie, jardinage, cuisine, santé...


Compréhension
1. Quel point commun la grand-mère trouve-t-elle à « la pluie d’automne et [au] départ de Jacques » ?
2. Pourquoi la grand-mère de Jacques ne comprend-elle pas l’intérêt des vacances d’été ?
3. Pour quelle(s) raison(s) veut-elle que Jacques travaille pendant l’été ?
4. Jacques trouve-t-il qu’il manque d’occupations ? Justifiez votre réponse.
5. Expliquez la phrase « cette situation gratuite brillait pour elle de tous les feux de l’enfer ».
6. Comment la grand-mère se renseigne-t-elle sur les offres d’emploi ?
7. Est-il facile pour Jacques de trouver un emploi ? Pourquoi ?
8. Quel conseil la grand-mère de Jacques lui donne-t-elle ?

Production
 Résumez le texte en quelques lignes.
 Les vacances sont-elles utiles ? Faudrait-il les réduire ? Exprimez votre opinion personnelle. (de 250 à 300 mots)

____________________________
Durata massima della prova: 6 ore.
È consentito soltanto l’uso dei dizionari monolingue e bilingue.
Non è consentito lasciare l’Istituto prima che siano trascorse 3 ore dalla dettatura del tema.




et un cadeau pour mes élèves ...


La proposition BREVET 2013 du Ministère Français







mercredi 10 juin 2015

Guy de Maupassant "BEL AMI"






LECTURE II D ESABAC 2015  /  2016












 de


 Maddalena Andreoli, Sara Basaglia, Giulia Bronzi,

 Federica Chimento, Chiara Trovato, Stefano Zanzi













lundi 8 juin 2015

Charles Baudelaire "Le Spleen de Paris", Petits poèmes en prose




LECTURE III D ESABAC 2015 /  2016





L'image de couverture du livre, qui  s'inspire d'un dessin

 de Hans Christiansen, renvoie à la tulipe noire, célébrée 

dans le poème "L'Invitation au voyage.



Jeanne Heaulmé




Moi, j'ai trouvé  ma tulipe noireet mon dahlia bleu!
Fleur incomparable, tulipe retrouvée, allégorique dahlia, c'est là, n'est-ce pas, dans ce beau pays si calme et si rêveur, qu'il faudrait aller vivre et fleurir? Ne serais-tu pas encadrée dans ton analogie et ne pourrais-tu pas te mirer, pour parler comme les mystiques, dans ta proprecorrespondance?

















dimanche 7 juin 2015

Marc Robine : Alerte




Il y en a qui font  semblant de ne pas voir 

 ... 

Il suffit de regarder l'attitude 

de nos amis soi-disants Européens 

face aux Migrants

...

Mais Attention !!!

C'est Vous peut-être ...

qu'on viendra chercher demain!!!






Quand ils sont venus prendre, les Juifs,
Je n'ai rien dit car je ne suis point juif
Quand ils sont venus prendre, les Noirs,
J'étais de ceux qui ne voulaient rien voir
Quand ils sont venus prendre, les Beurs,
Je n'ai rien fait, je n'étais pas des leurs

{Refrain:}
Mais le jour où ils viendront me prendre
Restera-t-il quelqu'un pour me défendre ?
Oh, le jour où ils viendront me prendre
Restera-t-il quelqu'un pour me défendre ?

Quand ils sont venus prendre, les Rouges,
Je n'ai rien dit, je me méfiais des Rouges
Quand ils sont venus prendre, les femmes,
J'étais de ceux qui n'avaient pas de femme
Quand ils sont venus prendre, les gays,
Je n'ai rien fait, je n'étais pas concerné

{au Refrain}

Quand ils ont commencé à prendre nos villes
Je n'ai rien dit, j'étais d'une autre ville
Quand ils ont défilé dans nos rues
J'étais de ceux qui n'avaient toujours rien vu
Quand ils sont venus prendre mon voisin
C'était trop tard, je n'y pouvais plus rien

{x4:}
Aujourd'hui qu'ils sont là pour me prendre
Il n'y a plus personne pour me défendre !





samedi 6 juin 2015

Sur "Le Tasse en prison" d'Eugène Delacroix, Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, Les Épaves XVI (1866)






   
Ferdinand Victor Eugène Delacroix:
Torquato Tasso dans l'asile de fous, 1839.






Sur "Le Tasse en prison", d'Eugène Delacroix

Le poëte au cachot, débraillé (1), maladif,
Roulant un manuscrit sous son pied convulsif,
Mesure d’un regard que la terreur enflamme
L’escalier de vertige où s’abîme son âme.

Les rires enivrants dont s’emplit la prison
Vers l’étrange et l’absurde invitent sa raison;
Le Doute l’environne et la Peur ridicule
Hideuse et multiforme, autour de lui circule.

Ce génie enfermé dans un taudis malsain,
Ces grimaces, ces cris, ces spectres dont l’essaim
Tourbillonne, ameuté derrière son oreille,

Ce rêveur que l’horreur de son logis réveille,
Voilà bien ton emblème, Âme aux songes obscurs,
Que le Réel étouffe entre ses quatre murs!



Épave:Débris de navire, de cargaison, objet quelconque abandonné à la mer, coulé au fond, flottant ou rejeté sur le rivage (souvent à la suite d'un naufrage).
Débraillé:Qui montre du laisser-aller, de la négligence, Aspect désordonné ou négligé de quelqu'un ou de quelque chose

Charles Baudelaire Les Épaves, XVI, (1866)

I. Le personnage du poète
Les premiers vers offrent une description physique. Les adjectifs « débraillé », « maladif » rimant avec « convulsif » donnent à voir l’état du poète, tandis qu’il est question de son « pied », son « oreille » et son « regard » et du « manuscrit » qui renvoie à la toile mais aussi à la fonction du personnage. Toutefois très vite, dès le vers 3, la description glisse vers l’intériorité du poète, son « âme », dernière rime du premier quatrain, sa « raison » au second quatrain. Le terme de « rêveur » est moins une reprise qu’un élément de description psychologique.
Cette description physique et psychologique s’accompagne également d’une description de l’environnement.
b. Son environnement
On note tout d’abord les reprises nominales qui caractérisent la « prison » du titre du sonnet. Elles sont toutes placées en début de strophe : « cachot » au vers 1, « prison » v.4, « taudis malsain » v.9, et « logis » v.12. L’environnement du poète acquiert de ce fait une importance égale au poète lui-même, ce que le titre annonçait. De plus la présence des démonstratifs réfère autant à la toile (déictiques-deiktikos= action de montrer) qu’au poème (anaphoriques). L’environnement est bien ici donné à voir par des moyens verbaux au même titre que le poète. Cependant le même glissement de la surface à la profondeur s’opère. L’environnement est caractérisé par des notations plus abstraites : le « Doute », la « Peur » sujets des verbes « environne » et « circule », les personnages du tableau ne sont plus que des métonymies « cris », « grimaces » et se dématérialisent en « spectres ». Progressivement l’environnement du poète est déshumanisé et se transforme en menace.
Le sonnet glisse de la surface de la toile à son interprétation, du « montrer » au « démontrer ». La poésie passe ainsi de la description à l’interprétation.
II. Le sonnet comme interprétation du tableau.
Baudelaire s’attache à éclairer le tableau de Delacroix de l’intérieur, par les sentiments qui lui semblent habiter le personnage ainsi que par la nature exacte de sa prison.
a. Les sentiments
L’adjectif « maladif » est tout d’abord distinct de « malade ». Il indique un processus en cours davantage qu’un état. Surtout le v.3 donne la clé de lecture du tableau. Le terme de « terreur » est relayé par « Peur » qui, trop faible, est suivi des adjectifs « hideuse » et « multiforme ». La folie évoquée dans le titre du tableau a disparu au profit de l’angoisse. D’où vient cette angoisse ? Le vers 4 en donne métaphoriquement la cause. « L’escalier de vertige où s’abîme son âme ». Il s’agit d’une métaphore in absentia dans une phrase qui mêle justement la raison et la démence. Le verbe « mesure » renvoie à l’examen lucide, à la raison, « vertige » et « abîme » renvoient à la folie, tandis que « l’escalier » crée le lien de l’une à l’autre. Tout se passe comme si le poète, conscience rationnelle se trouvait exposé au spectacle de sa folie possible et que le sentiment qu’il en éprouvait était, non la folie elle-même mais l’angoisse, la peur de la folie, qui lui est en partie extérieure.
b. La prison : matérialité et immatérialité de l’enfermement.
Si, comme nous l’avons déjà vu la prison est bien matérielle, elle est aussi immatérielle. Les allégories veulent justement montrer la puissance des forces abstraites, invisibles, qui entourent le poète. Ainsi se comprennent le D, le P et le R. Ainsi se comprennent également les verbes « invitent », « circule » et « tourbillonne ». Ce qui est impalpable le devient par la majuscule. Et ce qui est comme aérien, « rires », « essaim » , « étouffe » au final le poète avec la puissance de « quatre murs ».
Il s’agit alors moins de la démence du Tasse que de la peur qu’une telle démence lui inspire lorsque confronté au réel il en voit ce qui est invisible aux autres. Dès lors Baudelaire offre ici une vision du créateur de génie- Le Tasse, Delacroix, Baudelaire- et de son déchirement au milieu du monde. Il métamorphose le tableau, le recrée pour livre un emblème, une figure du Poète.
III. Le sonnet comme emblème de la dualité du créateur.
a. Le Tasse comme emblème
Le sonnet de Baudelaire s’écarte de la tradition par ses rimes plates. Il semble un cas unique en ce sens et ce choix a peut-être une signification. Mais il reste fidèle au sonnet en ce que le dernier tercet est bien une pointe, le dernier vers une chute. L’énonciation change dans les vers 13 et 14. Le possessif « ton » crée une « Âme » interlocutrice dont Le Tasse décrit par Baudelaire est l’emblème tandis que le présentatif « Voilà » qui joue (déictique) sur le verbal et le visuel apporte une conclusion à l’étude du tableau annoncée par la préposition « Sur » du titre. C’est bien la dimension allégorique du tableau qui intéresse ce sonnet. Peut-être également que les « quatre murs », qui sont les derniers mots, invitent à sortir du cadre, à aller tant vers le lecteur que le spectateur du tableau. Nous aurions alors une vision de l’homme, « Âme aux songes obscurs », et non plus seulement du poète.
b. La dualité de l’homme.
Cet homme est cher à Baudelaire. Il s’agit de l’homme déchiré, dédoublé, de l’homo duplex. (titre également d’un poème de Hugo dans La Légende des Siècles). Le choix de l’alexandrin est bien adapté à cette dualité par la césure à l’hémistiche qui souvent sépare deux entités opposées : « mesure » / « terreur » ; « génie » / « taudis » ; « rêveur » / « réveille ». Le sonnet lui-même en opposant les quatrains aux tercets oppose en quelque sorte la surface, l’apparence à la profondeur. Enfin c’est peut-être aussi dans le très habile vers 4 que se concentre la dualité, l’âme est contenue intégralement dans l’abîme comme si l’homme recelait en lui-même la source ultime de sa déchéance. Seul le poète est capable de voir cette réalité qui l’emplit d’effroi.
Au final Baudelaire offre au lecteur non une peinture parlante, pas même un discours sur la peinture mais une réelle recréation du tableau de Delacroix, une vision à part entière. Le Tasse de Delacroix, vision déjà du peintre, est recréé par le poète comme un emblème, un archétype du créateur divisé, déchiré entre son monde et le monde.(1)Cette image rejoint alors d’autres poésies comme « L’Albatros » et contribue au mythe baudelairien du génie persécuté.(2)