A Paris Quand un amour fleurit Ça fait pendant des semaines Deux cœurs qui se sourient Tout ça parce qu'ils s'aiment A Paris
Au printemps Sur les toits les girouettes Tournent et font les coquettes Avec le premier vent Qui passe indifférent Nonchalant
Car le vent Quand il vient à Paris N'a plus qu'un seul souci C'est d'aller musarder Dans tous les beaux quartiers De Paris
Le soleil Qui est son vieux copain Est aussi de la fête Et comme deux collégiens Ils s'en vont en goguette Dans Paris
Et la main dans la main Ils vont sans se frapper Regardant en chemin Si Paris a changé
Y a toujours Des taxis en maraude Qui vous chargent en fraude Avant le stationnement Où y a encore l'agent Des taxis
Au café On voit n'importe qui Qui boit n'importe quoi Qui parle avec ses mains Qu'est là depuis le matin Au café
Y a la Seine A n'importe quelle heure Elle a ses visiteurs Qui la regardent dans les yeux Ce sont ses amoureux A la Seine
Et y a ceux Ceux qui ont fait leur nid Près du lit de la Seine Et qui se lavent à midi Tous les jours de la semaine Dans la Seine
Et les autres Ceux qui en ont assez Parce qu'ils en ont vu de trop Et qui veulent oublier Alors y se jettent à l'eau Mais la Seine
Elle préfère Voir les jolis bateaux Se promener sur elle Et au fil de son eau Jouer aux caravelles Sur la Seine
Les ennuis Y'en a pas qu'à Paris Y'en a dans le monde entier Oui mais dans le monde entier Y a pas partout Paris V'là l'ennui
A Paris Au quatorze juillet A la lueur des lampions On danse sans arrêt Au son de l'accordéon Dans les rues
Depuis qu'à Paris On a pris la Bastille Dans tous les faubourgs Et à chaque carrefour Il y a des gars Et il y a des filles Qui sur les pavés Sans arrêt nuit et jour Font des tours et des tours A Paris
Ils sortent de l'enfance comme s'ils sortaient d'un bois Plus tremblant d'arrogance que de peur ou de froid Les jeunes loups, les jeunes loups. Ils abordent la vie avec la même foi Chacun guettant sa proie d'un égal appétit De jeune loup, les jeunes loups
Si vous tentez de les séduire Ils vous montrent les dents, Mais quand ils sourient leur sourire Est celui d'une enfant. Il ne faut pas les flatter De la main, ce ne sont pas des chiens Ils gardent toujours leur fierté Même s'ils n'ont pour manger Qu'un seul os à ronger.
Ils aiment s'amuser, mais ne savent pas qu'ils jouent Quand entre chien et loup on les voit déguisés En loups-garous, les jeunes loups. Parfois leurs yeux s'allument Quand passe une ingénue Aux longs cheveux de lune Qu'ils suivent dans la rue A pas de loups, les jeunes loups.
Et bientôt dans leur cœur tout bouge Quand ils se voient tremblant Au bras d'un petit chaperon rouge Qu'ils habillent de blanc Ils se croient apprivoisés, Installés dans un conte de fées Mais rien n'est fini pour autant Car la vie les attend Pour leur faire les dents
Pour que jeunesse se passe Ou sans raison du tout On leur dit tout à coup D'aller faire la chasse, Aux autres loups, les jeunes loups.
Avec ou sans lauriers, ils reviennent meurtris Et peuvent réciter, même sans l'avoir appris La mort du loup, les jeunes loups Alors ils arrêtent leurs frasques Et s'arrachent soudain Le loup qui leur servait de masque Et par un beau matin Se retrouvent à la croisée des chemins Seuls devant leur destin Et prennent la voie de leur choix Qu'ils poursuivent tout droit Sans reculer d'un pas. Même si beaucoup d'entre eux Vivent sans foi ni loi, Cela importe peu Ce qui compte pour moi C'est qu'ils sont devenus des hommes Et qu'un jour parmi eux Il s'en trouvera deux... Pour aller fonder Rome
Malheureux peut-être l'homme, mais heureux
l'artiste que le désir déchire! Je brûle de peindre celle qui m'est apparue
si rarement et qui a fui si vite, comme une belle chose regrettable derrière le
voyageur emporté dans la nuit. Comme il y a longtemps
déjà qu'elle a disparu! Elle est belle, et
plus que belle; elle est surprenante. En elle le noir
abonde: et tout ce qu'elle inspire est nocturne et profond. Ses yeux sont deux
antres où scintille vaguement le mystère, et son regard illumine comme
l'éclair: c'est une explosion dans les ténèbres.
Je la comparerais à un soleil noir, si l'on pouvait concevoir un astre noir versant la lumière et
le bonheur. Mais elle fait plus volontiers penser à la
lune, qui sans doute l'a marquée de sa redoutable influence; non pas la lune
blanche des idylles, qui ressemble à une froide mariée, mais la lune sinistre
et enivrante, suspendue au fond d'une nuit orageuse et bousculée par les nuées
qui courent; non pas la lune paisible et discrète visitant le sommeil des
hommes purs, mais la lune arrachée du ciel, vaincue et révoltée, que les
Sorcières thessaliennes contraignent durement à danser sur l'herbe terrifiée!
Dans son petit front habitent la volonté tenace et l'amour
de la proie. Cependant, au bas de ce visage inquiétant, où des narines
mobiles aspirent l'inconnu et l'impossible, éclate, avec une grâce
inexprimable, le rire d'une grande bouche, rouge et blanche, et délicieuse, qui
fait rêver au miracle d'une superbe fleur éclose dans un terrain volcanique.
Il y a des femmes qui inspirent l'envie de les vaincre et de
jouir d'elles; mais celle-ci donne le désir de mourir lentement sous son
regard.
CharlesBaudelaire Le spleen de Paris (1869)
Le
Désir de peindre évoque, par le biais d’une métaphore picturale topique, le
problème de la représentation qui sous-tend l’écriture du poème. L’objet
de cette « peinture » est une belle femme « apparue si rarement » et qui a «
disparu ». Sa description, qui se fait pour ainsi dire à
coups d’essai, thématise la recherche de l’expressionjuste et montre in actu l’élaboration du texte littéraire.
Dans cetteperspective, Le
Désir de peindre se présente comme un texte fondamentalpour l’analyse de l’esthétique
baudelairienne.
Le
portrait, je l’ai déjà dit, était celui d’une jeune fille. C’était une simple
tête, avec des épaules, le tout dans ce style qu’on appelle, en langage
technique, style de vignette ; beaucoup
de la manière de Sully dans ses têtes de prédilection. Les bras, le sein, et
même les bouts des cheveux rayonnants, se fondaient insaisissablement dans l’ombre vague, mais
profonde, qui servait de fond à l’ensemble. Le cadre était ovale, magnifiquement doré et
guilloché dans le goût moresque. Comme œuvre d’art, on ne pouvait rien trouver
de plus admirable que la peinture elle-même. Mais il se peut bien que ce ne fût ni l’exécution
de l’œuvre, ni l’immortelle beauté de la physionomie qui m’impressionna si
soudainement et si fortement. Encore moins devais-je croire que mon imagination, sortant d’un
demi-sommeil, eût pris
la tête pour celle d’une personne vivante. — Je vis tout d’abord que les
détails du dessin, le style de vignette et l’aspect du cadre auraient
immédiatement dissipé un pareil charme, et m’auraient préservé de toute
illusion même momentanée. Tout en faisant ces réflexions, et très vivement, je
restai, à demi étendu, à demi assis, une heure entière peut-être, les yeux
rivés à ce portrait.
À la longue,
ayant découvert le vrai secret de son effet, je me laissai retomber sur le lit.
J’avais deviné que le charmede la peinture était une
expression vitale
absolument adéquate à la vie elle-même, qui
d’abord m’avait fait tressaillir, et finalement m’avait confondu, subjugué,
épouvanté. Avec une
terreur profonde et respectueuse, je replaçai le candélabre dans sa position
première. Ayant ainsi dérobé à ma vue la cause de ma profonde agitation, je
cherchai vivement le volume qui contenait l’analyse des tableaux et leur
histoire. Allant droit au numéro qui désignait le portrait ovale, j’y lus le
vague et singulier récit qui suit :
« C’était
une jeune fille d’une très rare beauté, et qui n’était pas moins aimable
que pleine de gaieté. Et maudite fut l’heure où elle vit, et aima, et épousa le
peintre. Lui, passionné,
studieux, austère,et ayant déjà trouvé une épouse dans son Art ;elle, une jeune fille d’une très rare
beauté, et non moins aimable que pleine de gaieté : rien que lumière et
sourires, et la folâtrerie d’un jeune faon ; aimant et chérissant toutes
choses ; ne haïssant que l’Art qui était son
rival ; ne
redoutant que la palette et les brosses, et les autres instruments fâcheux qui
la privaient de la figure de son adoré. Ce fut une terrible chose pour cette dame que
d’entendre le peintre parler du désir de peindre sa jeune épouse. Mais elle
était humble et obéissante, et elle s’assit avec douceur pendant de longues
semaines dans la sombre et haute chambre de la tour, où la lumière filtrait sur
la pâle toile seulement par le plafond. Mais lui, le peintre, mettait sa gloire
dans son œuvre, qui avançait d’heure en heure et de jour en jour. —
Et c’était un homme passionné, et étrange, et pensif, qui se
perdait en rêveries ; si bien qu’il ne voulait pas voir que la lumière
qui tombait si lugubrement dans cette tour isolée desséchait la santé et les
esprits de sa femme, qui languissait visiblement pour tout le monde, excepté
pour lui. Cependant,
elle souriait toujours, et toujours sans se plaindre, parce qu’elle voyait que le
peintre (qui avait un grand renom) prenait un plaisir vif et brûlant dans sa
tâche, et travaillait nuit et jour pour peindre celle qui l’aimait si fort,
mais qui devenait de jour en jour plus languissante et plus faible. Et, en vérité, ceux qui contemplaient le
portrait parlaient à voix basse de sa ressemblance, comme d’une puissante merveille et comme d’une preuve non moins
grande de la puissance du peintre que de son profond amour pour celle qu’il
peignait si miraculeusement bien. —
Mais, à la longue, comme la besogne approchait de sa fin,
personne ne fut plus admis dans la tour ; car le peintre était devenu fou par
l’ardeur de son travail, et il détournait rarement ses yeux de la toile, même
pour regarder la figure de sa femme. Et il ne voulait pas voir que les couleurs qu’il
étalait sur la toile étaient tirées des joues de
celle qui était assise près de lui. Et, quand bien des semaines furent passées et
qu’il ne restait plus que peu de chose à faire, rien qu’une touche sur la
bouche et un glacis sur l’œil, l’esprit de la dame palpita encore comme la flamme dans
le bec d’une lampe.
Et alors
la touche fut donnée, et alors le glacis fut placé ; et pendant un moment le peintre se tint en extase
devant le travail qu’il avait travaillé ; mais, une minute après, comme il contemplait
encore, il trembla, et il fut
frappé d’effroi ;et, criant d’une voix éclatante : « En vérité, c’est la Vie elle-même ! » il se retourna brusquement pour
regarder sa bien-aimée : — elle était morte ! »
Le Confiteor de l'Artiste
Que les fins de journées d’automne
sont pénétrantes ! Ah ! pénétrantes jusqu’à la douleur ! car il
est de certaines sensations délicieuses dont le vague n’exclut pas l’intensité ;
et il n’est pas de pointe plus acérée que celle de l’Infini. Grand délice que celui de noyer son regard dans l’immensité du ciel et de la
mer ! Solitude, silence, incomparable chasteté de l’azur ! une petite
voile frissonnante à l’horizon, et qui par sa petitesse et son isolement imite
mon irrémédiable existence, mélodie monotone de la houle, toutes ces choses
pensent par moi, ou je pense par elles (car dans la grandeur de la rêverie, le
moi se perd vite !) ; elles pensent, dis-je, mais musicalement et
pittoresquement, sans arguties, sans syllogismes, sans
déductions. Toutefois, ces pensées, qu’elles sortent de moi ou s’élancent des choses,
deviennent bientôt trop intenses. L’énergie dans la volupté crée un malaise et
une souffrance positive. Mes nerfs trop tendus ne donnent plus que des
vibrations criardes et douloureuses. Et maintenant la profondeur du ciel me consterne ; sa limpidité
m’exaspère. L’insensibilité de la mer, l’immuabilité du spectacle me révoltent…
Ah ! faut-il éternellement souffrir, ou fuir éternellement
le beau ? Nature, enchanteresse sans pitié, rivale toujours victorieuse,
laisse-moi ! Cesse de tenter mes désirs et mon orgueil !
L’étude du beau est un duel où l’artiste crie de frayeur avant
d’être vaincu.
Charles BaudelaireLe Spleen de
Paris
Les phares
Rubens,fleuve
d'oubli, jardin de la paresse,
Oreiller de chair fraîche où l'on ne peut aimer,
Mais où la vie afflue et s'agite sans cesse,
Comme l'air dans le ciel et la mer dans la mer ;
Léonard de Vinci,miroir
profond et sombre,
Où des anges charmants, avec un doux souris
Tout chargé de mystère, apparaissent à l'ombre
Des glaciers et des pins qui ferment leur pays,
Rembrandt,triste
hôpital tout rempli de murmures, Et d'un grand
crucifix décoré seulement,
Où la prière en pleurs s'exhale des ordures,
Et d'un rayon d'hiver traversé brusquement ;
Michel-Ange,lieu
vague où l'on voit des Hercules
Se mêler à des Christs, et se lever tout droits
Des fantômes puissants qui dans les crépuscules
Déchirent leur suaire en étirant leurs doigts ;
Colères de boxeurs, impudences de faune,
Toi qui sus ramasser la beauté des goujats,
Grand coeur gonflé d’orgueil, homme débile et jaune,
Puget, mélancolique empereur des forçats ;
Watteau, ce carnaval où bien des coeurs illustres,
Comme des papillons, errent en flamboyant,
Décors frais et légers décorés par des lustres
Qui versent la folie à ce bal tournoyant ;
Goya, cauchemar plein de choses inconnues,
De foetus qu’on fait cuire au milieu des sabbats,
De vieilles au miroir, et d’enfants toutes nues,
Pour tenter les démons ajustant bien leurs bas ;
Delacroix, lac de sang hanté de mauvais anges,
Ombragé par un bois de sapins toujours vert,
Où, sous un ciel chagrin, des fanfares étranges
Passent, comme un soupir étouffé de Weber ;
Ces malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes,
Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum,
Sont un écho redit par mille labyrinthes ;
C’est pour les coeurs mortels un divin opium !
C’est un cri répété par mille sentinelles,
Un ordre renvoyé par mille porte-voix ;
C’est un phare allumé par mille citadelles,
Un appelde chasseurs perdus dans les grands bois !
Car c’est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage