mardi 19 août 2014

Essai bref : Qu'un ami véritable est une douce chose! (Les deux amis La Fontaine)





  





L'amitié est une religion sans Dieu ni jugement dernier. Sans diable non plus.
Une religion qui n'est pas étrangère à l'Amour. Mais un Amour où la guerre et
la haine sont proscrites, où le silence est possible.

         Tahar Ben Jelloun




Montaigne rencontre Etienne de La Boétie, écrivain et poète en 1558. Il avait alors
vingt-cinq ans et son ami vingt-huit. Leur amitié sans faille fut brutalement interrompue
 par la mort prématurée de La Boétie cinq ans plus tard.

[...] Au demeurant, ce que nous appelons ordinairement amis et amitiés, ce ne sont qu’accointances(1)et familiarités nouées par quelque occasion ou commodité(2), par le moyen de laquelle nos âmes s’entretiennent(3) . En l’amitié de quoi je parle, elles se mêlent et confondent l’une en l’autre d’un mélange si universel qu’elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant : « Parce que c’était lui ; parce que c’était moi. »
Il y a, au-delà de tout mon discours et de ce que j’en puis dire particulièrement, ne sais quelle force inexplicable et fatale(4), médiatrice de cette union. Nous nous cherchions avant que de nous être vus, et par des rapports que nous entendions l’un de l’autre, qui faisaient en notre affection plus d’effort que ne porte la raison des rapports, je crois par quelque ordonnance du ciel : nous nous embrassions par nos noms. Et à notre première rencontre, qui fut par hasard en une grande fête et réunion de ville, nous nous trouvâmes si pris, si connus, si liés entre nous, que rien dès lors ne nous fut si proche que l’un à l’autre. Il écrivit une satire([5])latine excellente, qui est publiée, par laquelle il excuse et explique la précipitation de notre intelligence([6]), si promptement parvenue à sa perfection. Ayant si peu à durer, et ayant si tard commencé, car nous étions tous deux hommes faits, et lui plus de quelques années, elle n’avait point à perdre temps, et à se régler au patron des amitiés molles et régulières, auxquelles il faut tant de précautions de longue et préalable conversation. Celle-ci n’a point d’autre idée que d’elle-même, et ne se peut rapporter qu’à soi ; ce n’est pas une spéciale considération([7]), ni deux, ni trois, ni quatre, ni mille : c’est je ne sais quelle quintessence de tout ce mélange, qui, ayant saisi toute ma volonté, l’amena se plonger et se perdre dans la sienne ; qui, ayant saisi toute sa volonté, l’amena se plonger et se perdre en la mienne, d’une faim, d’une concurrence([8])pareille. Je dis perdre, à la vérité, ne nous réservant rien qui nous fût propre, ni qui fût ou sien ou mien.

[1] Relations 2 avantage, profit 3 se maintiennent ensemble 4 voulue par le destin 5 pièce de vers dans laquelle La Boétie célèbre son amitié avec Montaigne. 6 entente 7 estime 8 identité de désirs, convergence d’humeurs

Montaigne, « De l’amitié », Essais I, XXVIII






  
Non, ce n'était pas le radeau
De la Méduse, ce bateau
Qu'on se le dise au fond des ports
Dise au fond des ports
Il naviguait en pèr' peinard
Sur la grand-mare des canards
Et s'appelait les Copains d'abord
Les Copains d'abord
Ses fluctuat nec mergitur
C'était pas d'la litterature
N'en déplaise aux jeteurs de sort
Aux jeteurs de sort
Son capitaine et ses mat'lots
N'étaient pas des enfants d'salauds
Mais des amis franco de port
Des copains d'abord
C'étaient pas des amis de luxe
Des petits Castor et Pollux
Des gens de Sodome et Gomorrhe
Sodome et Gomorrhe
C'étaient pas des amis choisis
Par Montaigne et La Boétie
Sur le ventre ils se tapaient fort
Les copains d'abord
C'étaient pas des anges non plus
L'Évangile, ils l'avaient pas lu
Mais ils s'aimaient toutes voiles dehors
Toutes voiles dehors
Jean, Pierre, Paul et compagnie
C'était leur seule litanie
Leur Credo, leur Confiteor
Aux copains d'abord
Au moindre coup de Trafalgar
C'est l'amitié qui prenait l'quart
C'est elle qui leur montrait le nord
Leur montrait le nord
Et quand ils étaient en détresse
Qu'leurs bras lancaient des S.O.S.
On aurait dit les sémaphores
Les copains d'abord
Au rendez-vous des bons copains
Y avait pas souvent de lapins
Quand l'un d'entre eux manquait a bord
C'est qu'il était mort
Oui, mais jamais, au grand jamais
Son trou dans l'eau n'se refermait
Cent ans après, coquin de sort
Il manquait encore
Des bateaux j'en ai pris beaucoup
Mais le seul qu'ait tenu le coup
Qui n'ai jamais viré de bord
Mais viré de bord
Naviguait en père peinard
Sur la grand-mare des canards
Et s'app'lait les Copains d'abord
Les Copains d'abord












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Nous nous plaignons quelques fois de nos amis pour justifier par avance de notre légèreté.
L’amitié la plus désintéressée n’est qu’un trafic où notre amour propre se propose toujours quelque chose à gagner.
Ce que les hommes ont nommé amitié n’est qu’une société, qu’un ménagement réciproque d’intérêts, et qu’un échange de bons offices ; ce n’est enfin qu’un commerce où l’amour-propre se propose toujours quelque chose à gagner.

François de La Rochefoucauld, Maximes et Réflexions diverses.









Deux hommes de la société mondaine, amis, sont en désaccord sur leurs
conceptions des relations sociales.







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ALCESTEJe veux qu’on soit sincère, et qu’en homme d’honneur
On ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur.
PHILINTELorsqu’un homme vous vient embrasser[1] avec joie,
Il faut bien le payer de la même monnaie,
Répondre, comme on peut, à ses empressements,
Et rendre offre pour offre, et serments pour serments.
ALCESTENon, je ne puis souffrir cette lâche méthode
Qu’affectent la plupart de vos gens à la mode ;
Et je ne hais rien tant que les contorsions
De tous ces grands faiseurs de protestations,
Ces affables donneurs d’embrassades frivoles,
Ces obligeants diseurs d’inutiles paroles,
Qui de civilités avec tous font combat,
Et traitent du même air l’honnête homme, et le fat.
Quel avantage a-t-on qu’un homme vous caresse
[2] ?
Vous jure amitié, foi, zèle, estime, tendresse,
Et vous fasse de vous un éloge éclatant,
Lorsqu’au premier faquin, il court en faire autant ?
Non, non il n’est point d’âme un peu bien située
Qui veuille d’une estime ainsi prostituée ;
Et la plus glorieuse a des régals peu chers
Dès qu’on voit qu’on nous mêle avec tout l’univers :
Sur quelque préférence une estime se fonde,
Et c’est n’estimer rien qu’estimer tout le monde.
Puisque vous y donnez, dans ces vices du temps,
Morbleu ! vous n’êtes pas pour être de mes gens ;
Je refuse d’un cœur la vaste complaisance
Qui ne fait de mérite aucune différence ;
Je veux qu’on me distingue ; et, pour le trancher net,
L’ami du genre humain n’est point du tout mon fait.
PHILINTEMais, quand on est du monde, il faut bien que l’on rende
Quelques dehors civils que l’usage demande.
ALCESTENon, vous dis-je, on devrait châtier, sans pitié,
Ce commerce honteux de semblants d’amitié.
Je veux que l’on soit homme, et qu’en toute rencontre
Le fond de notre cœur dans nos discours se montre,
Que ce soit lui qui parle, et que nos sentiments
Ne se masquent jamais sous de vains compliments.

MolièreLe Misanthrope, Acte I, scène 1, vers 33-70.
[1] Embrasser signifie simplement « prendre dans ses bras », pour dire bonjour.
[2] Caresser signifie « flatter »



Stare insieme a te è stata una partita,
va bene hai vinto tu, e tutto il resto è vita.
Ma se penso che l'amore è darsi tutto dal profondo
in questa nostra storia sono io che vado a fondo.

Ci vorrebbe un amico
per poterti dimenticare,
ci vorrebbe un amico
per dimenticare il male,
ci vorrebbe un amico
qui per sempre al mio fianco,
ci vorrebbe un amico
nel dolore e nel rimpianto.

Amore, amore illogico, amore disperato,
lo vedi sto piangendo? ma io ti ho perdonato.
E se amor che a nullo ho amato, amore, amore mio perdona
in questa notte fredda mi basta una parola.

Ci vorrebbe un amico
per poterti dimenticare,
ci vorrebbe un amico
per dimenticare il male,
ci vorrebbe un amico
qui per sempre al mio fianco,
ci vorrebbe un amico
nel dolore e nel rimpianto.

Ci vorrebbe un amico
per poterti dimenticare,
ci vorrebbe un amico
per dimenticare tutto il male,
ci vorrebbe un amico
qui per sempre al mio fianco,
ci vorrebbe un amico
nel dolore e nel rimpianto.

vivere con te è stata una partita
il gioco è stato duro, comunque sia finita
ma sarà la notte magica o forse l'emozione
io mi ritrovo solo davanti al tuo portone.

Ci vorrebbe un amico
per poterti dimenticare,
ci vorrebbe un amico
per dimenticare il male,
ci vorrebbe un amico
qui per sempre al mio fianco,
ci vorrebbe un amico
nel dolore e nel rimpianto.









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Deux vrais amis vivaient au Monomotapa
L’un ne possédait rien qui n’appartînt à l’autre.
Les amis de ce pays-là
Valent bien, dit-on, ceux du nôtre.
Une nuit que chacun s’occupait au sommeil,
Et mettait à profit l’absence du soleil,
Un de nos deux amis sort du lit en alarme ;
Il court chez son intime, éveille les valets
Morphée avait touché le seuil de ce palais.
L’ami couché s’étonne, il prend sa bourse, il s’arme ;
Vient trouver l’autre, et dit : « Il vous arrive peu
De courir quand on dort ; vous me paraissez homme
A mieux user du temps destiné pour le somme.
N’auriez-vous point perdu tout votre argent au jeu,
En voici. S’il vous est venu quelque querelle,
J’ai mon épée, allons. Vous ennuyez-vous point
De coucher toujours seul ? Une esclave assez belle
Etait à mes côtés : voulez-vous qu’on l’appelle ?
- Non ; dit l’ami, ce n’est ni l’un ni l’autre point
Je vous rends grâce de ce zèle.
Vous m’êtes en dormant un peu triste apparu ;
J’ai craint qu’il ne fût vrai, je suis vite accouru.
Ce maudit songe en est la cause. »
Qui d’eux aimait le mieux ? que t’en semble, lecteur ?
Cette difficulté vaut bien qu’on la propose.
Qu’un ami véritable est une douce chose !
II cherche vos besoins au fond de votre cœur ;
II vous épargne la pudeur
De les lui découvrir vous-même.
Un songe, un rien, tout lui fait peur
Quand il s’agit de ce qu’il aime.

La Fontaine, « Les deux amis », Fables, livre VIII.








Entre l'amour et l'amitié
Il n'y a qu'un lit de différence,
Un simple "pageot", un "pucier"
Où deux animaux se dépensent,
Et quand s'installe la tendresse
Entre nos corps qui s'apprivoisent,
Que platoniquement je caresse
De mes yeux ta bouche framboise,
Alors l'amour et l'amitié
N'est-ce pas la même romance ?
Entre l'amour et l'amitié
Dites-moi donc la différence...

Je t'aime, mon amour, mon petit,
Je t'aime, mon amour, mon amie...

Entre l'amour et l'amitié ils ont barbelé des frontières,
Nos sentiments étiquetés,
Et si on aime trop sa mère
Ou bien son pote ou bien son chien,
Il paraît qu'on est en eau trouble,
Qu'on est cliniquement freudien
Ou inverti ou agent double,
Alors que l'amour et l'amitié
Ont la même gueule d'innocence,
Entre l'amour et l'amitié
Dites-moi donc la différence...

Je t'aime, mon amour, mon petit,
Je t'aime, mon amour, mon amie...

Entre l'amour et l'amitié
La pudeur a forgé sa chaîne,
A la barbe du Monde entier
Et de ses gros rires gras de haine,
Bon an, mal an, les deux compagnes
Se dédoublent ou bien s'entremêlent,
Comme sur la haute montagne
Le ciel et la neige éternelle,
Entre l'amour et l'amitié
Se cache un petit bout d'enfance,
Entre l'amour et l'amitié
Il n'y a qu'un lit de différence...

Je t'aime, mon amour, mon petit,
Je t'aime, mon amour, mon amie!







Que sont mes amis devenus
Que j'avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L'amour est morte
Ce sont amis que vent me porte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta
Avec le temps qu'arbre défeuille
Quand il ne reste en branche feuille
Qui n'aille à terre
Avec pauvreté qui m'atterre
Qui de partout me fait la guerre
Au temps d'hiver
Ne convient pas que vous raconte
Comment je me suis mis à honte
En quelle manière
Que sont mes amis devenus
Que j'avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L'amour est morte
Le mal ne sait pas seul venir
Tout ce qui m'était à venir
M'est advenu
Pauvre sens et pauvre mémoire
M'a Dieu donné, le roi de gloire
Et pauvre rente
Et droit au cul quand bise vente
Le vent me vient, le vent m'évente
L'amour est morte
Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta

  Rutebeuf (1230-1285)













Amis
Les mêmes matins d'hiver,
Les mêmes yeux entr'ouverts,
Les mêmes détresses, (1)
Les mêmes genoux griffés (2)
Pour trouver à l'arrivée
La même maîtresse,
On se répétait sans cesse
Amis,
Amis,
Contre tous les coups du sort
De la journée,
On sera deux.
Amis,
Amis,
A la vie comme à la mort,
Plus emmêlés (3)
Que nos cheveux.

Quand, trop vite, on a grandi,
On se retrouve transi. (4)
Loin des jeux de billes,
Sous nos boutons de malheur
A se torturer le coeur
Pour la même fille,
Est-ce assez pour qu'on oublie ?

Amis,
Amis,
On a le sens de l'humour
Quand sont trop lourds
Ces chagrins-là. (5)
Amis,
Amis,
A la vie comme à l'amour.
Chacun son tour
Les portera.

Tant d'histoires partagées,
De coups de cœur échangés,
D'amour et d'insultes
Pour ne pas s'apercevoir
Qu'on est dix ans sans se voir
Dans tout ce tumulte
Pour se retrouver adulte.

Amis,
Amis,
On n'a plus rien à se dire.
On a fini
Par arriver,
Amis,
Amis,
Doucement à devenir
Deux abrutis, (6)
Deux étrangers.



1)       Angoisse, grande peine d'esprit, de cœur, causée par la pression excessive de difficultés,
 de circonstances douloureuses, dramatiques
2)       Qui porte des griffures, marqué, comme par un coup de griffes # B [En parlant de vêtements,
 d'articles de luxe]  Qui porte la marque d'un créateur ou d'un diffuseur
3)       Mêler ensemble. Emmêler des fils, des ficelles # Au fig. Embrouiller. Emmêler une affaire
4)       Au fig. Pénétré par un sentiment, une émotion paralysants. Transi de peur / Amoureux, amant transi. Amoureux,  amant que ses sentiments rendent timide, paralysent # Saisi, engourdi par le froid
5)       Souffrance morale, déplaisir dont la cause est un événement précis.
6)       Dont les qualités typiquement humaines (physiques, morales et surtout intellectuelles) ont été
 gravement diminuées / Personne tout à fait stupide

Le subjonctif : sites et exercices ... avec Tout le bonheur du monde









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Le subjontif : emplois






Verbes et locutions suivis du subjontif







Essai bref : "De la musique avant toute chose: La musique Esprit de vie"








Antonio Canova, "Orfeo ed Euridice", 1775 - 1776
Gruppo scultoreo in pietra di Vicenza (altezza 2,03 m),
custodito nel Salone da ballo del Museo Correr a Venezia.

A la musique

Place de la Gare, à Charleville.

Sur la place taillée en mesquines pelouses,
Square où tout est correct, les arbres et les fleurs,
Tous les bourgeois poussifs qu'étranglent les chaleurs
Portent, les jeudis soirs, leurs bêtises jalouses.

− L'orchestre militaire, au milieu du jardin,
Balance ses schakos dans la Valse des fifres :
− Autour, aux premiers rangs, parade le gandin ;
Le notaire pend à ses breloques à chiffres.

Des rentiers à lorgnons soulignent tous les couacs :
Les gros bureaux bouffis traînent leurs grosses dames
Auprès desquelles vont, officieux cornacs,
Celles dont les volants ont des airs de réclames ;

Sur les bancs verts, des clubs d'épiciers retraités
Qui tisonnent le sable avec leur canne à pomme,
Fort sérieusement discutent les traités,
Puis prisent en argent, et reprennent : "En somme !..."

Épatant sur son banc les rondeurs de ses reins,
Un bourgeois à boutons clairs, bedaine flamande,
Savoure son onnaing d'où le tabac par brins
Déborde − vous savez, c'est de la contrebande ; −

Le long des gazons verts ricanent les voyous ;
Et, rendus amoureux par le chant des trombones,
Très naïfs, et fumant des roses, les pioupious
Caressent les bébés pour enjôler les bonnes...

− Moi, je suis, débraillé comme un étudiant,
Sous les marronniers verts les alertes fillettes :
Elles le savent bien ; et tournent en riant,
Vers moi, leurs yeux tout pleins de choses indiscrètes.

Je ne dis pas un mot : je regarde toujours
La chair de leurs cous blancs brodés de mèches folles :
Je suis, sous le corsage et les frêles atours,
Le dos divin après la courbe des épaules.

J'ai bientôt déniché la bottine, le bas...
− Je reconstruis les corps, brûlé de belles fièvres.
Elles me trouvent drôle et se parlent tout bas...
− Et je sens les baisers qui me viennent aux lèvres...
 
     
 Arthur Rimbaud - Poésies



  Fantaisie (1)
Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber (2),
Un air très-vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets.

Or, chaque fois que je viens à l'entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit :
C'est sous Louis treize; et je crois voir s'étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit,

Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;

Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,
Que dans une autre existence peut-être,
J'ai déjà vue... et dont je me souviens !


Note 1: publié initialement en 1832 dans les Annales romantiques, ce poème fait partie en
 1834 du recueil Odelettes, dont Nerval déclarait qu'elles étaient inspirées de Ronsard.  
Note 2 : dans le deuxième vers, Weber se prononce " Wèbre". 



Gérard de NERVAL Odelettes  (1808-1855)




Marcel Proust  "Un amour de Swan" (1913)


Il trouvait ouvert sur son piano quelques-uns des morceaux
qu’elle  préférait : la Valse des Roses ou Pauvre Fou de Tagliafico
 (qu’on devait, selon sa volonté écrite, faire exécuter à son enterrement),
 il lui demandait de jouer à la place la petite phrase de la sonate de
Vinteuil, bien qu’Odette jouât fort mal, mais la vision la plus belle d’une
 œuvre est souvent celle qui s’éleve au-dessus des sons faux tirés par
 des doigts malhabiles, d’un piano désaccordé. La petite phrase
continuait de s’associer pour Swann à l’amour qu’il avait pour Odette.
  Il sentait bien que cet amour, c’était  quelque chose qui ne correspondait
 à rien d’extérieur, de constatable par d’autres que lui ; il se rendait
compte que les qualités d’Odette ne justifiaient pas  qu’il attachât tant
de prix aux moments passés auprès d’elle. Et souvent, quand c’était
l’intelligence positive qui régnait seule en Swann, il voulait cesser
de sacrifier tant d’intérêts intellectuels et sociaux à ce plaisir imaginaire.
 Mais la petite phrase, dès qu’il l’entendait, savait rendre libre en lui
l’espace qui pour elle était nécessaire, les proportions de l’âme de
 Swann s’en trouvé changées ; une marge y était réservée à une
jouissance qui elle non plus ne correspondait à aucun objet extérieur
et qui pourtant, au lieu d’être purement individuelle comme celle de
 l’amour, s’imposait à Swann comme une réalité supérieure aux
choses concrètes. Cette soif d’un charme inconnu, cette petite
phrase l’éveillait en lui, mais ne lui apportait rien de précis pour
 l’assouvir. De sorte que ces parties de l’âme de Swann où la petite
 phrase avait effacé les soucis des intérêts matériels, les considérations
 humaines et valables pour tous, elle les avait laissées vacantes et en
blanc, et il était libre d’y inscrire le nom d’Odette. Puis à ce que l’affection
d’Odette pouvait avoir d’un peu court et décevant, la petite phrase
venait ajouter, amalgamer son essence mystérieuse. A voir le visage
 de Swann pendant qu’il écoutait la phrase, on aurait dit qu’il était en
train d’absorber un anesthésique qui donnait plus d’amplitude à sa
respiration. Et le plaisir que lui donnait la musique  et qui allait bientôt
créer  chez lui un véritable besoin, ressemblait, en effet, à ce moment-là
au plaisir qu’il aurait eu à expérimenter des parfums, à entrer en contact
 avec un monde pour lequel nous ne sommes pas fait ; qui nous semble
sans forme parce que nos yeux ne le perçoivent pas,  sans signification
parce qu’il échappe à notre intelligence, que nous n’atteignons que par
un seul sens.







Orfeo: E’ andata così. Salivamo il sentiero tra il bosco delle ombre. Erano già lontani Cocito,
lo Stige, la barca,  i lamenti. S’intravvedeva sulle foglie il barlume del cielo. Mi sentivo
alle spalle il fruscìo del suo passo. Ma io ero ancora laggiù e avevo addosso quel
freddo. Pensavo che un giorno avrei dovuto tornarci, che ciò ch’è stato sarà ancora.
Pensavo alla vita con lei, com’era prima; che un’altra volta sarebbe finita. Ciò ch’è stato sarà.
Pensavo a quel gelo, a quel vuoto che avevo traversato e che lei si portava nelle ossa, nel midollo,
 nel sangue. Valeva la pena di rivivere ancora? Ci pensai, e intravvidi il barlume del giorno.
 Allora dissi “Sia finita” e mi voltai. Euridice scomparve come si spegne una candela. Sentii
soltanto un cigolìo, come d’un topo che si salva.
Bacca: Strane parole, Orfeo. Quasi non posso crederci. Qui si diceva ch’eri caro agli dèi e
alle muse. Molte di noi ti seguono perché ti sanno innamorato e infelice. Eri tanto innamorato che
– solo tra gli uomini –  hai varcato le porte del nulla. No, non ci credo, Orfeo. Non è stata tua colpa
 se il destino ti ha tradito. Orfeo: Che c’entra il destino. Il mio destino non tradisce. Ridicolo che
 dopo quel viaggio, dopo aver visto in faccia il nulla, io mi voltassi per errore o per capriccio.
Bacca: Qui si dice che fu per amore.
Orfeo: Non si ama chi è morto.
Bacca: Eppure hai pianto per monti e colline – l’hai cercata e chiamata – sei disceso nell’Ade.
Questo cos’era?
Orfeo: Tu dici che sei come un uomo. Sappi dunque che un uomo non sa che farsi della morte.
 L’Euridice che ho pianto era una stagione della vita. Io cercavo ben altro laggiù che il suo amore.
Cercavo un passato che Euridice  non sa. L’ho capito tra i morti mentre cantavo il mio canto.
Ho visto le ombre irrigidirsi e guardar vuoto, i lamenti cessare, Persefòne nascondersi il volto,
 lo stesso tenebroso-impassibile, Ade, protendersi come un mortale e ascoltare. Ho capito che
i morti non sono più nulla.
Bacca: Il dolore ti ha stravolto, Orfeo. Chi non rivorrebbe il passato? Euridice era quasi rinata.
Orfeo: Per poi morire un’altra volta, Bacca. Per portarsi nel sangue l’orrore dell’Ade e tremare
 con me giorno
 e notte. Tu non sai cos’è il nulla.
Bacca: E così tu che cantando avevi riavuto il passato, l’hai respinto e distrutto. No, non ci posso
credere.
Orfeo: Capiscimi, Bacca. Fu un vero passato soltanto nel canto. L’Ade vide se stesso soltanto
ascoltandomi. Già salendo il sentiero quel passato svaniva, si faceva ricordo, sapeva di morte.
Quando mi giunse il primo barlume di cielo, trasalii come un ragazzo, felice e incredulo, trasalii
per me solo, per il mondo dei vivi. La stagione che avevo cercato era là in quel barlume.
Non m’importò nulla di lei che mi seguiva. Il mio passato fu il chiarore, fu il canto e il mattino.
E mi voltai.
 Bacca: Come hai potuto rassegnarti, Orfeo? Chi ti ha visto al ritorno facevi paura. Euridice
era stata per te un’esistenza.
Orfeo: Sciocchezze. Euridice morendo divenne altra cosa. Quell’Orfeo che discese nell’Ade,
non era più sposo né vedovo. Il mio pianto d’allora fu come i pianti che si fanno da ragazzo
e si sorride a ricordarli. La stagione è passata. Io cercavo, piangendo, non più lei ma me
stesso. Un destino, se vuoi. Mi ascoltavo.
Bacca: Molte di noi ti vengon dietro perché credevano a questo tuo pianto. Tu ci hai dunque ingannate?
Orfeo: O Bacca, Bacca, non vuoi proprio capire? Il mio destino non tradisce. Ho cercato me stesso.
Non si cerca che questo.
Bacca: Qui noi siamo più semplici, Orfeo. Qui crediamo all’amore e alla morte, e piangiamo e ridiamo
 con tutti. Le nostre feste più gioiose sono quelle dove scorre del sangue. Noi, le donne di Tracia,
non le temiamo queste cose.
Orfeo: Visto dal lato della vita tutto è bello. Ma credi a chi è stato tra i morti… Non vale la pena.
Bacca: Un tempo non eri così. Non parlavi del nulla. Accostare la morte ci fa simili agli dèi. Tu stesso
 insegnavi che un’ebbrezza travolge la vita e la morte e ci fa più che umani… Tu hai veduto la festa.
Orfeo: Non è il sangue ciò che conta, ragazza. Né l’ebbrezza né il sangue mi fanno impressione.
Ma che cosa  sia un uomo è ben difficile dirlo. Neanche tu, Bacca, lo sai.
Bacca: Senza di noi saresti nulla, Orfeo.
Orfeo: Lo dicevo e lo so. Ma poi che importa? Senza di voi sono disceso all’Ade…
Bacca: Sei disceso a cercarci.
Orfeo: Ma non vi ho trovate. Volevo tutt’altro. Che tornando alla luce ho trovato.
Bacca: Un tempo cantavi Euridice sui monti…
Orfeo: Il tempo passa, Bacca. Ci sono i monti, non c’è più Euridice. Queste cose hanno un nome, e si
chiamano uomo. Invocare gli dèi della festa qui non serve.
Bacca: Anche tu li invocavi.
Orfeo: Tutto fa un uomo, nella vita. Tutto crede, nei giorni. Crede perfino che il suo sangue
scorra alle volte in vene altrui. O che quello che è stato si possa disfare. Crede di rompere il destino
con l’ebbrezza. Tutto questo lo so e non è nulla.
Bacca: Non sai che farti della morte, Orfeo, e il tuo pensiero è solo morte. Ci fu un tempo che la festa
ci rendeva  immortali.
Orfeo: E voi godetela la festa. Tutto è lecito a chi non sa ancora. E’ necessario che ciascuno scenda
una volta nel suo inferno. L’orgia del mio destino è finita nell’Ade, finita cantando secondo i miei modi la
vita e la morte.
Bacca: E che vuol dire che un destino non tradisce?
Orfeo: Vuol dire che è dentro di te, cosa tua; più profondo del sangue, di là da ogni ebbrezza. Nessun
dio può toccarlo.
Bacca: Può darsi, Orfeo. Ma noi non cerchiamo nessuna Euridice. Com’è dunque che scendiamo
all’inferno anche noi?
Orfeo: Tutte le volte che s’invoca un dio si conosce la morte. E si scende nell’Ade a strappare
qualcosa,  a violare un destino. Non si vince la notte, e si perde la luce. Ci si dibatte come ossessi.
Bacca: Dici cose cattive… Dunque hai perso la luce anche tu?
Orfeo: Ero quasi perduto, e cantavo. Comprendendo ho trovato me stesso.
Bacca: Vale la pena di trovarsi in questo modo? C’è una strada più semplice d’ignoranza e di gioia.
Il dio è come  un signore tra la vita e la morte. Ci si abbandona alla sua ebbrezza, si dilania o si vien
dilaniate. Si rinasce ogni volta, e ci si sveglia come te nel giorno.
Orfeo: Non parlare di giorno, di risveglio. Pochi uomini sanno. Nessuna donna come te, sa cosa sia.
Bacca: Forse è per questo che ti seguono, le donne della Tracia. Tu sei per loro come il dio.
Sei disceso dai monti. Canti versi di amore e di morte.
Orfeo: Sciocca. Con te si può parlare almeno. Forse un giorno sarai come un uomo.
Bacca: Purché prima le donne di Tracia…
Orfeo: Di’.
Bacca: Purché non sbranino il dio.