Lundi, le 14 janvier 2019
salle "PRINA" liceo classico "E. Cairoli" Varese
Novembre 1919. Deux rescapés des tranchées, l'un
dessinateur de génie, l'autre modeste comptable, décident de monter une arnaque
aux monuments aux morts. Dans la France des années folles, l'entreprise va se
révéler aussi dangereuse que spectaculaire
Roman-feuilleton
palpitant
Depuis Bernie, Dupontel fait le portrait de marginaux auxquels la société refuse obstinément de faire une place. On ne veut pas d’eux ? Qu’à cela ne tienne, ils vont imposer leur loi. C’est précisément l’objet d’Au revoir là-haut qui traite de la question du retour à la vie civile des soldats de la Grande Guerre. Mutilés, un peu dérangés, plus tout à fait les mêmes, ces pauvres bougres ne reçurent pas un accueil à la hauteur de leurs sacrifices. Pour le prolo intrépide Albert et l’aristo défiguré Edouard, liés à jamais (le second a perdu son visage en sauvant le premier), la survie passe par la “mode” florissante de l’arnaque à la mémoire : les deux larrons vont vendre sur catalogue des faux monuments aux morts. En parallèle, l’instrument de leur déchéance, l’ignoble ex-capitaine Pradelle, capitalise, avec l’aval de l’état, sur le commerce de cercueils vides censés contenir les dépouilles de soldats disparus rendues à leurs familles… Du pur Dupontel, un peu voyou, politiquement incorrect, grotesque, édifiant. L’acteur-réalisateur, impeccable dans le rôle d’Albert, s’empare de ce sujet en or -hélas authentique- qu’il passe à la moulinette de son mauvais esprit avec ce sens viscéral de la justice sociale qui l’anime. Zorro meets Tex Avery comme d’habitude, mais aussi, cette fois, Eugène Sue. Car Au revoir là-haut est avant tout un grand film feuilletonesque, qui fait revivre un Paris interlope où rôde le masque de la Mort que symbolise Edouard, l’homme sans visage, paré de masques extravagants, au passé mystérieux et à la voix d’outre-tombe. Une sorte de Belphégor bienveillant, traversé de zones d’ombres, que Dupontel couve de sa caméra, conscient de tenir là le personnage le plus romanesque de sa filmo.
L’auteur de Bernie fait le pari d’adapter le Goncourt 2013. Entre
burlesque et mélo, une fresque insolente sur le destin de deux poilus devenus
escrocs.
Pour Albert
Dupontel, l’adaptation d’Au revoir là-haut constituait un pari
risqué. Question de budget, d’abord : la reconstitution de la Première Guerre
mondiale puis des Années folles est, en terme de logistique, sans commune
mesure avec les comédies contemporaines réalisées jusqu’alors par l’auteur
de Bernie. Question de sujet, ensuite : comment
l’acteur-réalisateur, créateur de scénarios originaux, allait-il se débrouiller
avec les mots, l’imagination foisonnante d’un autre ?
Paris risqué mais
gagné. Il n’y a qu’une scène de combat, mais c’est l’une des plus
impressionnantes jamais vues sur les tranchées. La richesse et la beauté des
décors et des costumes ne figent jamais le film. Et Dupontel réussit à être
fidèle à l’esprit — et souvent à la lettre — du livre de Pierre Lemaître, tout
en l’incorporant à son propre univers.
Samuel Douhaire
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire