Chicago
Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir; coeurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s'écartent,
Et, sans savoir pourquoi, disent toujours: Allons!
Pour partir; coeurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s'écartent,
Et, sans savoir pourquoi, disent toujours: Allons!
Ceux-là dont les désirs ont la forme des nues,
Et qui rêvent, ainsi qu'un conscrit le canon,
De vastes voluptés, changeantes, inconnues,
Et dont l'esprit humain n'a jamais su le nom!
Et qui rêvent, ainsi qu'un conscrit le canon,
De vastes voluptés, changeantes, inconnues,
Et dont l'esprit humain n'a jamais su le nom!
Charles Beaudelaire "Le voyage"
Prête-moi ton grand bruit, ta grande allure si
douce,
Ton glissement nocturne à travers l’Europe
illuminée,
Ô train de luxe ! et l’angoissante musique
Qui bruit le long de tes couloirs de cuir doré,
Tandis que derrière les portes laquées, aux
loquets de cuivre lourd,
Dorment les millionnaires.
Je parcours en chantonnant tes couloirs
Et je suis ta course vers Vienne et Budapest,
Mêlant ma voix à tes cent mille voix,
Ô
Harmonika-Zug !
J’ai senti pour la première fois toute la
douceur de vivre,
Dans une cabine du Nord-Express, entre
Wirballen et Pskow.
On glissait à travers des prairies où des
bergers,
Au pied de groupes de grands arbres pareils à
des collines,
Etaient vêtus de peaux de moutons crues et
sales…
(Huit heures du matin en automne, et la belle
cantatrice
Aux yeux violets chantait dans la cabine à
côté.)
Et vous, grandes places à travers lesquelles
j’ai vu passer la Sibérie et les monts du Samnium,
La Castille âpre et sans fleurs, et la mer de
Marmara sous une pluie tiède !
Prêtez-moi, ô Orient-Express, Sud-Brenner-Bahn,
prêtez-moi
Vos miraculeux bruits sourds et
Vos vibrantes voix de chanterelle ;
Prêtez-moi la respiration légère et facile
Des locomotives hautes et minces, aux
mouvements
Si aisés, les locomotives des rapides,
Précédant sans effort quatre wagons jaunes à
lettres d’or
Dans les solitudes montagnardes de la Serbie,
Et, plus loin, à travers la Bulgarie pleine de
roses…
Ah ! il faut que ces bruits et que ce
mouvement
Entrent dans mes poèmes et disent
Pour moi ma vie indicible, ma vie
D’enfant qui ne veut rien savoir, sinon
Espérer éternellement des choses vagues.
(1) :
Larbaud invente le personnage de A.O.Banabooth, milliardaire
américain en perpétuelle errance et écrivain.
(2) :Noms de prestigieux trains de luxe
(3) :Virbalis, en Lituanie
(4) :Ville de Biélorussie
(5) : Région montagneuse de l’Italie
ancienne
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