jeudi 30 août 2018

Zebda : Tomber des nues




Les migrants prient en attendant de débarquer du navire de la Garde côtière italienne Diciotti dans le port de Catane, Italie, 22 août 2018.










Je suis venu mais je suis pas venu, tu penses, 
m'entendre dire "Sois le bienvenu"
Mais l'estomac qui a besoin d'essence, 
dit qu'est ce qu'il y a aujourd'hui au menu
Et les pieds nus mais la tête dans les nuages, 
le cœur au chaud et je faisais semblant
Mais y avait pas de quoi en faire un fromage
 au pays du Mont-Blanc

Sans bruit, sandwichs, sans rire et sans dîner
Sans faute, sans doute et même sans idée
Qu'on n'est jamais invité quand on est
Sans thune, sandales ou même sans papiers

Je suis venu mais je suis pas venu, tu penses, 
pour le soleil ou le bord de mer
Parce que bronzé, je l'étais de naissance,
 je ne connaissais pas l'hiver
J'avais les pieds nus, la tête dans les nuages, 
le cœur au chaud et je faisais semblant
D'être celui qui était de passage 
au Pays du Mont-Blanc

Refrain

je suis venu et j'ai caressé les vignes et 
comment dire? j'attendais le raisins
Mais de ces fruits, je n'ai vu que les lignes 
paraît qu'ici on ne boit que du vin
Je suis venu mais je ne savais pas encore 
qu'on avait peur de ses voisins
Et de maisons, moi, je n'ai vu que des stores
 qui ne m'ont jamais dit: "Allez viens"
Je suis venu, c'était pas "Au clair de la lune "
 m'entendre dire "Va chercher ton or"
Non, je ne suis pas venu pour faire fortune 
habillé en peau de castor

Refrain



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mercredi 22 août 2018

Charles Baudelaire : Le rêve d'un curieux - Les Fleurs du mal (1861) - Serge Reggiani : Monsieur Baudelaire



Castagnola, L'Atelier de l'Artiste Franco Zerba




Le rêve d'un curieux

Connais-tu, comme moi, la douleur savoureuse,
Et de toi fais-tu dire : " Oh ! l'homme singulier ! "
- J'allais mourir. C'était dans mon âme amoureuse,
Désir mêlé d'horreur, un mal particulier ;

Angoisse et vif espoir, sans humeur factieuse.
Plus allait se vidant le fatal sablier,
Plus ma torture était âpre et délicieuse ;
Tout mon coeur s'arrachait au monde familier.

J'étais comme l'enfant avide du spectacle,
Haïssant le rideau comme on hait un obstacle...
Enfin la vérité froide se révéla :

J'étais mort sans surprise, et la terrible aurore
M'enveloppait. - Eh quoi ! n'est-ce donc que cela ?
La toile était levée et j'attendais encore.

Lettre à Auguste Poulet- Malassis  Paris, 13 mars 1860 





















Serge Reggiani : Monsieur Baudelaire ...



Il y a dans cette France
Quelque chose de rouillé
Comme des larmes d'enfance
Où jouent des écoliers
Et nous vivons ensemble
Uniformes déguisés
Nos sentiments ressemblent
À des nuages usés

S'il vous plaît, Monsieur Baudelaire
Encore un verre d'opium
Pour la route, le dernier
S'il vous plaît, Monsieur Baudelaire
Une page de delirium
Sous les yeux des douaniers

Il y a dans cette France
Trop d'idées poétiques
Trop de roseaux qui penchent
Trop de mots sans musique


C'est pas ma voix qui tremble
C'est moi qui suis lassé
De ces hommes qui me semblent
Intouchables et glacés

S'il vous plaît, Monsieur Baudelaire
Un peu de Fleurs du mal
Quelque chose à fumer
S'il vous plaît, Monsieur Baudelaire
Ça peut pas faire de mal
C'est du rêve imprimé

Il y a dans les cerveaux
Des cellules en vacances
C'est à croire que les veaux
Ont pris deux tours d'avance
Moi qui reste sur place
Je me plais à penser
Que quelque chose se passe
Avant qu'on soit passé

S'il vous plaît, Monsieur Baudelaire
Une petite poésie
Pour deux mots, pour la frime
S'il vous plaît, Monsieur Baudelaire
Un peu de fantaisie
Entre nous, pour la rime

S'il vous plaît, s'il vous plaît, Monsieur Baudelaire...



lundi 13 août 2018

Primo Levi : Si c'est un homme - Nouvelle édition Robert Laffont 2017


Je vous invite à relire ce chef-d'oeuvre de la littérature mondiale, ce livre qui est sans conteste l'un des témoignages les plus bouleversants sur l'expérience indicible des camps d'extermination,   en italien bien sûr ou dans cette nouvelle édition avec une préface de Philippe Claudel

"Sur sa tombe son nom et ses dates de naissance et de mort, Primo Levi a tenu à ce que soit gravé son numéro de déporté : 174517. On raconte que lorsqu'il était en mission en Allemagne après-guerrre pour son travail de chimiste, il portait le plus souvent des chemises à manches courtes qui laissant voir à ses interlocuteurs le numéro tatoué. Comme une double identité qui recouvre une vie fendue en deux à la hache, le nom et le numéro témoignent qu'il a été un homme,  avant et après que d'autres ont voulu qu'il ne le soit plus.
   Aujourd'hui son livre est là.
   Toujours.
   Comme un caillou perpétuel et nécessaire glissé dans le soulier de l'humanité"




traduction de Martine Schruoffeneger



et des Annexes très intéressants

Préface à Commandant à Auschwitz
Interview de Primo Levi par Philip Roth
Le trou noir d’Auschwitz 






« Si la géographie des bourreaux a permis l’extermination de millions d’êtres humains, il ne reste d’elle que ruines et musées. À l’opposé, la géographie du texte de Si c’est un homme ne cesse de vivre et de vivre encore, à mesure que des mains de lecteurs se saisissent du livre, et le lisent, s’en saisiront dans le futur et le liront, géographie donc ô combien vivante, innervée, nourrie, palpitante, humaine.
Humaine parce que jamais le texte ne parle d’autre chose, même en creux, que d’humanité. C’est l’humanité qui s’enfuit. C’est l’humanité que l’on malmène. C’est l’humanité que l’on broie comme un grain dans un mortier. C’est l’humanité que l’on nie. C’est l’humanité que l’on tente d’effacer, mais c’est l’humanité qui demeure. Elle demeure dans la voix de Primo Levi qui ne cède que rarement à la colère et qui fait le choix d’une description posée des faits, des actes, des lieux, des états et des sentiments.
Exempt de hargne, vide de rage et d’esprit de vengeance, le récit accueille les ombres, les silhouettes, les visages, les souffrances de ceux dont “la vie est courte mais le nombre infini”. »

Philippe Claudel











jeudi 9 août 2018

Yann Moix : Dehors - Lettre ouverte au Président de la République, Grasset


L'affaire Benalla et tout dernièrement l'affaire Kohler  ont, peut-être, estompé  les événements de Calais,  mais la voix de Yann Moix et la force de son  écriture lucide nous rappellent le drame des migrants à travers un essai qui s'adresse non seulement au Président Macron mais à tous les gouvernements  européens et à nous tous.  


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DEHORS est une lettre ouverte au président de la République ; il s’agit d’un appel, d’un SOS : dire à quel point les jeunes exilés, à Calais et ailleurs, font les frais d’une politique absurde. Une politique « migratoire » qui les empêche de sortir de notre territoire, alors que, tous ou presque, veulent rallier l’Angleterre. Ces « migrants » sont des exilés : ils sont partis de chez eux parce qu’ils ne pouvaient y rester. La migration est une procédure, l’exil   est une aventure. La migration est un déplacement, l’exil est un bannissement. Cette lettre ouverte veut dire une chose : l’honneur de la France serait d’aider ces enfants courageux, qui n’ont plus rien d’autre à sauver que leur vie. L’histoire nous regarde. Ne lui faisons pas honte.

Grasset 


Deux citations mises en exergue nous anticipent et nous éclairent le titre Dehors et ses thèmes  :  La première est de Raymond Queneau Ils n'avaient pas quitté le monde, le monde les avaient quittés et, selon moi, définit la situation des migrants, la seconde est de André Welter Je ne sais plus jusqu'où je sombre. Un autre parle à ma place qui m'exaspère, qui me trahit et il est évident qu'elle s'adresse, comme le sous-titre l'indique clairement au Président de la République.

Dehors est un texte engagé, un essai  politique mais surtout un texte humaniste. Son auteur ressuscite la figure de l'intellectuel engagé et engageant qui interroge  de façon acérée  ce qui s'est passé à Calais pour inviter à une réflexion

Celui qui est mis dehors n'est pas chassé: il est pourchassé. Celui qui est mis dehors n'est pas un migrant : il est un exilé. La migration ... est une expédition; l'exil est une dépossession. La migration est une inclusion; l'exil, une exclusion.
L'exil est une aventure, c'est Énée ...

Cette Europe qui souffle aujourd'hui ses vents contraires  contre les Énées nouveaux. Cette Europe qui s'insulte elle-même en oubliant qu'elle est l'oeuvre de fuyards éberlués  devenus maître de leur destin. La migration a donné des formulaiure, l'exil a donné Virgile (p. 13-14)

Libération








"Dehors", de Yann Moix : satire à boulets rouges

Quand on lit Dehors, on est dans un texte littéraire. Et non seulement un texte littéraire, mais un texte important de la littérature contemporaine. Pourtant, Dehors est un texte, aussi, d’urgence : la réponse parfaitement circonstanciée, rédigée en un mois et demi, à la mise en cause personnelle de l’auteur par le Président de la République. Et le constat de la situation particulière de Calais, le lieu des «migrants». Dehors «raconte» la France de 2018, et l’Europe du XXIème siècle.

La règle du jeu



Lettre ouverte, Dehors répond aux règles du pamphlet – excès de langage, mais élégance de la langue, accusations, mais virtuosité de l’écriture. Enervé, déçu, frôlant l’injure, Yann Moix ne propose pas de solutions  : il est écrivain, pas politique. Son livre ne peut convaincre que les convaincus et fera sourire ceux qu’il agace, son rôle de chien méchant dans On n’est pas couché n’ayant rien arrangé à sa réputation d’intellectuel donneur de leçons. On peut, en effet, ne pas être d’accord avec lui sur la dignité et la grandeur d’un pays qui ouvre ses frontières. On peut tout lui reprocher, sauf une chose  : il sait écrire.


L'Express a pu visionner en avant-première l'intégralité du film, programmé le 9 juin sur Arte (1). Si les images diffusées en janvier figurent dans Re-Calais, là n'est pas le coeur du propos de son réalisateur. Caméra au poing, il donne la parole aux exilés, aux Calaisiens et aux policiers avec le style qui lui est propre : fougueux, clivant et moralisateur. Grâce à la notoriété de leur auteur, ces images ont le mérite de porter à la connaissance du grand public la réalité dépeinte depuis des années par des associations et des journalistes.



Yann Moix :

 "L'exilé est devenu le bouc émissaire de tous ces pays 

européens qui ne supportent plus la présence de l’autre"